Poésies pour un monde à plat
- Christian Tritsch
- 15 mars
- 7 min de lecture
LES MOTS EST UN JEU
Dada révolution bombes à fragments
Lancées par des hommes neutres
En tranchées les moins pleutres
Autodétruisent académiquement
Crevel à crevé
Man Ray est rayé
Picabia hue et à dia
Tzara t’aura
Breton sur tous les tons
Delaunay ni meurt
Soupault poule au pot
Ernst boche pré-bicot
Cerveaux cousins et bœufs
Les mots est un jeu
PEAU DE BELLE
L’agonie de l’amitié
Portrait d’une inconnue
Quand tout est faussé
Peau de belle cul nu
Idées explosives
Avec leurs grosses caisses
Casernes lascives
Eunuque que l’on fesse
TON ABSENCE
Par un matin revêche
Elle se faufile énorme
Blottie dans un buisson
Derrière une allée
Sous une souche coupée
Dans l’eau d’une coupelle
Elle est glaçante et difforme
Avide de se montrer
Ton absence
UN MONDE A PLAT
Faisant couler des poèmes
Je rêvais d’un monde à plat
Pour passer le temps
Mobilisé dans une antre d'aliénés
Je ne vous ai plus quitté
Belles amputations affreuses
Douce atmosphère déplorable
Je vis arriver vos uniformes
Heureux de subir vos influences
Agressives ironiques ubuesques
Une feuille de rose à la main
Tremblant sous le vent timide
Un malaise profond d’avant-garde
Des anthologies de moi-même
Le manifeste Bible Coran et Torah
Imbécilités du rien au carré
Écrits sans gène repère ni contrainte
Un désespoir d’élucubrations
Du dadaïsme surréaliste
Je suis un fumiste comme vous tous
PRO MESSE
S’unir
Coaguler
Saigner d’un pas léger
Vers l’avenir miroir
Du désir étendard
Sans trahir trois fois
CONCIERGE
Je suis un peu concierge
Je chine les souvenirs
Les miens les vôtres les volés
D’autres planètes à habiter
Des souvenirs arbrisseaux
Que j’arrose ente et surveille
Devenant choristes merveilles
Aux nuances précieuses
Je trempe ma mélancolie
À cette étagère étrangère
SANCTUAIRE
L’homme accepte mal d’être roi nu
Il finit à l’égout s’amourache de tout
Dieu incarné comme l’ongle
Sa chair tremble sous la lune
Tout l’alcool vous pouvez imaginer
Les effets lubriques ivre mort
Les rencontres imprévues les artistes
Dans la rue on est chez soi
Nous rêvions ensemble le grand bal
De Montparnasse au café de la Galette
J’étais là tu voulais lire quelques pages
Sur les belles ébahies de petite vertu
Comme des doubles réfléchissant
Deux solitudes vagues destituées
Les dernières des cinq heures du matin
Sous les boissons tango les cacahuètes
Existe dans l’air une mélodie perdue
Sanctuaire qui n’a nulle porte
OUBLIEZ-MOI
Oubliez-moi par petits bouts
Par morceaux jeter moi à l’amer
Comme un nuage pied bot et hésitant
Je veux sortir de la vie éphémère
Celle qui dégobille nonchalante
Sa brocante de souvenirs
Ses affres d'Alzheimer
Ce gouffre délirant
Où je n’étais pas
DADAÏSTES
Les anges de la solitude
Ont l’impression de respirer la liberté
Dans un boom extraordinaire
Les cocktails brillent dans leurs verres
On ne sait plus très bien qui paie
Flânant d’un café l’autre
Où vous attendent des marécages
Des paradis violents
Après avoir gagné leurs guerres
Surréalistes et dadaïstes des boulevards
Ont ouvert le feu les premiers
A l’assaut de vies sans issues
Mystique publique scandales fabriqués
Démonstrations forcenées exaltées
Les ennemis d’un bord et de l’autre
Les exclus malproprement dits
Boules puantes cassées par boîtes de 50
Au milieu d’un tas de réveillonneurs
Buvant des boissons fortes et rotant
Prenant à parti les consommateurs
Elégante violence du langage
Littérature peintures et happenings
Comme dix grands soirs recommencés
GOURMANDISE
Ta bouche un monde entier y tient
Un bâton dansant y descend
Un rouge-gorge sifflant
Un juron s’y secoue
Un mot s’y glisse
Un rêve s’y effraie
Un sexe s’y éveille
Ta bouche un monde entier y vient
ADIEU
Tout est dans les plis
Cuisses songes années nuages
Le visage blême déformé fuit
Une aube une volière une buée
CARPE MUETTE
Trouillomètre à zéro
Planqué adossé au mur
Rasant l’espace d’un trait léger
Fuyant comme une gouttière
Filant à l’entrechat d’allure
Carpe muette évitant les vers
Exil permanent pour aliénés
Une lucidité de taupinière
Perclus d’incessantes filatures
D’importunes pannes de voiture
De vaguelettes refusant la mer
Trouillomètre à zéro
ÉGALITÉ
J’ai rêvé vérité véhémente
Vérifiée véloce aux WC
Vélocipède en vrac
Boyaux vidés en sacs
Chambre à air vaurien
Va-nu-pieds vantard et venelle
Vilipendée vérité vaut celle
Que j’ai rêvé véhémente
Vérifiée véloce aux WC
SCAPHANDRIER
Redécouvrir un monde en-deçà de soi
Quand je me décide à creuser en moi
La belle époque celle où je m’ignorais
CONTRITION
A contrecœur monter un escalier
A contrecœur survivre aux jours nés
A contre-courant aller et penser
A contre-courant puiser épuisé
A contrechamp le ciel aveuglé
A contrechamp les vues dévoilées
A contre-feux sans éteindre l’incendie
A contre-feux même les jours gris
Du moment que je suis contre toi
BEAGLE
Ses poils comme des tapis persans
Économe d’une santé endormie
Enfoncée dans un fauteuil de velours
Sa tête aux accoudoirs avachie
Son sommeil une route de montagne
Où elle n’a jamais fini de monter
On croirait un aquarium glauque
Où le poisson immobile attend
Une pépite une oasis un banquet
Se passant de tout sauf de nourriture
PLAN-PLAN
Beau lit sarcophage
Bouée nageur débutant
Des heures en otage
Les autres en mourant
Dormir peu importe
Des rêves éveillés
Il faut que j’en sorte
Rêver en loucedé
ET PUIS UN JOUR
Je ne suis moi que seul
Ne profite des autres que par écueils
L’océan est infini et rond
Les îlots rares et pointus
La passion révèle la souffrance
Les bouffées de tendresse et d’amitié
Air de ballon baudruche percé
Lassé des coques froissées du silence
Et puis un jour tout est changé
MI-ALLEMAND
S’endormant sur la Dordogne
Les souvenirs s’en vont s’en viennent
Rembobinant ma langue ses vanités
Quelques petits tics pouvant entamer
Ma belle statue post mortem
Inventée nature des hommes
Porte-à-faux simulacre pardonne
L’autre fleuve nacré de la frontière
Vieux Rhin zébré bleu qui tonne
Miaulement fureur j’en suis fier
1871
Paris tes pavés glissants les gouttes
Font des miroirs ternes et ondulant
Des tralalas sombres et remuant
Jamais je ne t’ai mis en soute
Mes rêves encombrés de Rivoli
De Notre-Dame de Pont Neuf
De sur le toit le bœuf
Surréalité tout est permis
Voilà que mon cœur sacré trébuche
De Montmartre assiégée
Dans le rouge et la ruche
Avant que d’être érigée
Les cadavres s’égouttent
Aux lanternes élevées
Et Paris se redoute
Tel un taureau blessé
LA MUSE
A travers la nuit de la closerie des lilas
Apollinaire s’enivre en mal-aimé
Clopinclopant bras sous le bras
Virevoltent des mots alambiqués
Presque tous les dimanches
Les gifles qu’elle lui flanque
Lui la tête qui s’épanche
Elle l’absente et son manque
Être enjoué de rhum et de whisky
Durant de longues promenades
Que la nuit soit bleue ou nuit
Baisers tendres ou algarades
Il discute avec l’ombre remuante
Épilogue ou préambule
Qui sous les lueurs changeantes
Se montre se dissimule
GLAGLA
Brrr
Grelotier frisure de perlage
Gelificage manical de dentelures
Lèvrebouche collationnée
Gercement frontignal
Paupièrage givré
Canard froidier
Panard duriste et vitrifié
Brrr
Possèche et podure
Lividement l’effigure
S’épile et se pèle
Brrr
PROMENADE
Au bord de l’Ill un canard
Au bord du cil un connard
Et les deux font coin-coin
UN COIN OBSCUR
Assise dans un coin obscur
Prête à disparaître au moindre geste
Je voyage à l’envers
Un billet pour les années folles
Ta silhouette n’y a pas d’âge
Les peintres y font bouger l’air
Le bruit que font tes souvenirs
Et la distance qui nous sépare
Par paresse je m’y transporte
Comme un touriste trop crédule
Infranchissable métamorphose
Il faut ruser pour ce voyage
Nuit blanche et tête fatiguée
Femme d’autrefois adorée
Se prélasse dans le monde d’hier
Dépaysée de couleurs jaunies
Assise dans un coin obscur
Et cela me suffit
GARÇONNE
Les saxos miaulent les pianos grincent
Les pieds deviennent fous
Sous nos yeux Montparnasse se Duke
Le Jazz noir fait les nuits blanches
Des cerises artificielles aux oreilles
Aux vieux orties le vieux tango
Rient les garçonnes aux corps épilés
A la silhouette sous-alimentée
Extravagance de femelles nouvelles
Quand la taille descend sur les fesses
Deux seins ronds deux yeux durs
Des anglaises une figure
Le charleston entonne et détonne
Man Ray dynamite son bal nègre
La garçonne 1925
La croupe nerveuse ma main crispée
D’une caresse inconsciente affolée
Danses l’une sur l’autre détachées
Accomplies avec splendeur
La répétition de gestes héréditaires
Vous dansez très bien
On recommencera
JOCONDE
Les moustaches de la Joconde
Glissent sous les joues rondes
D’une italienne féconde
Qui se fait un monde
Du monde à la ronde
Fixant sa maigre faconde
Elle qui était blonde
Du moins si on la sonde
Les paupières gonflées d’onde
Avant qu’on ne la tonde
ANIMAL
Chaque animal est un paquet de joie
Une vie y sommeille ne la vois-tu pas
Ronronne ou jappe siffle ou silence
Une âme muette y glisse en errance
Deux yeux ronds deux ou quatre pattes
L’être sans parole que ta caresse flatte
Se souviendra de tout et plus et mieux
Car elles sont toutes bêtes à bon dieu
ASSEZ !
On parle pour ne rien nuire
Le jeu n’en vaut pas la dentelle
TRIBUS
Un gros n’avions vole dans le ciel
Dépassé par le regrettes-tu
Une scie coupe le conditionnel
Prêtres et rites de tribus
Col or bijoux sur les sommets
Gorges béantes auréolées de saints
Moutons ragoûts allons au baies
Aux cortines ne pas poser la main
CŒUR LENT
L’humble église au cœur lent
Dans le jardin apprivoisé
Au grand bonheur dévasté
S’est échappé innocemment
A peine si l’enfant bouge encore
L’humble église au cœur lent
C’est un péché absolument
Quitte l’arène dieu toréador
Pour l’empêcher de s’en voler
Brisant les fils nous reliant
L’humble église au cœur lent
Dessous la terre s’est enterré
Je donnerais les palais d’orient
La nuit le vent la neige le ciel
Que l’enfant soit éternel
L’humble église au cœur lent
BALL-TRAPP
Une pudeur de vieillard
Une vigueur de donzelle
Un vibreur et tant dard
Un manège carrousel
L’animal ball-trap
Cherche cherche cherche
Le jupon fripe dessape
Derche derche derche
PLATE
Acrobate et plate
La Terre disque rayé
Ô vérité cul de jatte
L'amer a débordé
Le poisson avance
Tout au bord tout au bord
Grande défiance
De passer à tribord
L’étoile planche à voile
Surfe de l’ourse polaire
Et le disque se voile
A son passage éclair
Rodéo reste en selle
S’accrocher aux branches
Séismes ribambelles
Rien n’est plus étanche
(Brunstatt, Janvier 2025)
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