1821 - 1870 "poèmes centenaires"
- Christian Tritsch
- 16 mars
- 16 min de lecture
Dernière mise à jour : 19 mars
LE SOLEIL COUCHANT
5 mai 1821
Après un labyrinthe de corridors
Et de pièces faiblement éclairées,
Voici la chambre où l’aigle dort
Qu’un médecin vient troubler.
Son patient, un moribond
Dont l’estomac rejette toute nourriture,
Annonce la mort et ses violons,
Laissant blafarde, la belle figure !
« Est-ce pour aujourd’hui ? Est-ce pour bientôt ? »
Ceux qui sont là ne le quittent plus des yeux
Telles des brindilles, au soleil trop chaud,
Tel un fétu de paille au coin d’un feu !
Les incessants vomissements épuisent,
Mais le pouls continu à être bon ;
Et déjà le manque de souffle amenuise
L’agonie ; ô voyage long !
« Je suis bien fatigué, dit-il à ses proches,
Peu de temps me reste et il faut en finir !
Avant que d’être prisonnier de cette roche,
Donnez-moi de ce vin qui vous faisait rire ! »
A deux heures du matin, il est très agité ;
Il divague maintenant, et le corps en ruine,
On l’entend avec peine articuler :
« France ! Armée ! Tête d’armée ! Joséphine ! »
A dix-sept heures et quarante-cinq minutes,
L’aigle a rendu son ultime soupir !
Ses geôliers chantent, dansent, chahutent :
« Il vient d’expirer ! Cette prison va s’ouvrir ! »
LES QUATRE SERGENTS DE LA ROCHELLE
Du 45ème régiment d’infanterie
21 septembre 1822
Parce qu’ils n’ont pas su crier « vive le roi »,
Au nouveau souverain bercé d’un long sommeil,
Dans ce triste lieu où l’on contrefait la loi,
Quatre jeunes sergents attendent la corbeille
Où ils mettront leurs têtes, où finiront leurs jours.
Ne pleurez pas votre vieillesse et ses tambours !
La nuit dernière, je vous ai entendu chanter :
« Plutôt la république, plutôt le petit corse,
N’importe quoi plutôt que ce roi retrouvé ! »
C’est votre printemps, votre plus grande force !
Hélas, votre jeunesse n’a pas su deviner,
Que l’honneur est un fruit qui pourrit en été.
L’EXPEDITION ESPAGNOLE
7 avril 1823
Une ombre impériale est posée
Sur la conquête d’autrefois ;
Ferdinand VII, prisonnier,
Exhorte à son secours, les rois.
Le souvenir est encore fort ;
Détenu par l’aigle français,
Il avait pour cachot et décor,
Le beau château de Valençay.
Pour l’appui de Louis, il plaide :
« Vient, nouveau monarque de Lys !
Cette péninsule en France obsède
Telle une lubie, un caprice ! »
L’aigle ne voulait que cela :
Un frère pour roi des Espagne.
Et Louis partage cette foi :
En Bourbon, il fait campagne !
Des bivouacs, montent des airs
(Mélodies venues du passée)
Striant les cieux tels des éclairs
Revenus du temps exécré.
Quel cœur français ne s’émeut pas,
Passant ces monts en ce printemps,
Où il y a dix ans déjà,
Cette terre chassait nos titans !
Voyez nos cent mille français
Marchez sur Madrid en avril,
Effaçant Vittoria d’un trait,
Et trop d’années de noir exil !
Triompher sur ce même sol
Où Bonaparte a échoué !
Voilà le véritable envol
D’une monarchie recouvrée !
Les mêmes qui trouaient nos yeux
A Baylen, de leurs aiguilles,
Recousent nos boutons –et mieux ! –
Nous veulent maris de leurs filles…
MORT DE LOUIS XVIII
16 septembre 1824
L’heure est venue, il semble.
Tu trembles,
Ton corps délaisse ton âme ;
De petites ailes d’anges
Vendange
Ton sourire qui se pâme.
LE SACRE DE CHARLES X
Cathédrale de Reims – 29 mai 1825
Le vieux pays des francs, parmi ses nécropoles,
Compte une chapelle illustre, où venaient tous nos rois,
De ce pas triomphant, tremblant des deux pôles :
Dans une main, l’épée ; dans l’autre, la croix.
Comme les saints aimaient les détours !
Un séraphin veillait sur ces portes fermées !
Et l’ange souriant, tout en haut des tours
Plantaient des drapeaux quand passait leur armée !
Charles, dernier enfant de Clovis,
Aride roi des dynasties fatiguées,
Que cette cérémonie surannée finisse !
L’ancien monde s’est évaporé.
Cherubini déroule une messe de faste ;
Charles Percier dessine le carrosse.
Depuis Compiègne, le renom est vaste ;
Lamartine et Hugo enlacent la crosse.
LES OBSEQUES DU GENERAL MAXIMILIEN FOY
30 novembre 1825
Le baiser du soleil dans ses cheveux,
Ses rayons dansant,
Pénètrent le fier passé lumineux
Depuis bien longtemps.
Il entre dans le dernier carrefour,
Le silence blanc,
Rejoignant le troupeau de tous ceux pour
Qui Il était grand.
La flamme de ce vestige vacille ;
L’incendie du temps !
On aime, on regrette, on oublie et puis
Se clos le néant.
BATAILLE DE NAVARIN
La flotte anglaise, russe et française
Détruit la flotte ottomane
20 octobre 1827
Je vois paraître
Des essaims flottants
Des défunts naître
Pays du turban
Quel est le nombre
De silences noirs
De corps sans ombre
Dormant dans le soir
Antique Pylos
Des dieux rustiques
Liquide fosse
Lointaines criques
Offrez le repos
Aux hommes tombés
Loin des doux sabots
Des épis de blé
LES FRANÇAIS DANS LE PELOPONNESE
5 novembre 1828
Rendons à notre passé
Son droit
Ulysse, nous venons payer
Cela
Nos lèvres voient vos bouches
Parler
C’est l’Histoire que l’on touche
Allez
La vague nous emporte tous
Ecume
Et capitaines et mousses
S’enrhument
Sur le sein de cette mer
Ce fruit
O désir de tant vous plaire
Conquis
LA PRISE D’ALGER
5 juillet 1830
Dans un sable mobile
Les plaintes solitaires
De barbus malhabiles
Au jeu de notre guerre
S’enroulent comme un fil
Autour de nos lanières
La sieste sur les dunes
Dans un effort arrache
Les blessés ces lacunes
Que la mort nous recrache
Ceux-là dont l’infortune
Les révèle vils et lâches
Les sanglots convulsifs
Du peuple bigarré
Désorbitent les vifs
Au milieu de l’été
Enfonçant les rétifs
Dans la nuit constellée
REVOLUTION DE JUILLET
27,28 et 29 juillet 1830
Elle dort, la Liberté,
Etendue sur une couche dorée,
Son front mollement plié ;
Elle raille, la jeunesse,
Tout le duvet de promesses ;
Fatiguée de paresse.
Et c’est le tonnerre !
Tout est mis par terre,
Ordonnances mortifères !
Le doucereux chevet
D’un royaume que l’on sait
Conjugué à l’imparfait !
Les ouvriers typographes,
Trois jours sont biographes,
De la ville cénotaphe.
Les premières barricades ;
Les premières algarades ;
Les premières reculades.
Des cuirassiers assaillent,
Sous les pavés en mitraille,
Sous leurs sabots, la marmaille !
Alors, descend la brume
Et le phare s’allume,
Laissant pour roi, une écume...
LOUIS-PHILIPPE 1er
9 août 1830
Rejouant cette comédie – ce crime,
Le roi novice, mollement, s’arrime
Au souffle d’une autre révolution ;
Une de trois jours, de si peu de passion.
Il n’est pas d’un paysage, ni d’une rivière ;
Il n’est pas d’une forêt, il est amas de chair
Et referme le coffre et les malles du passé.
Il prend les trois couleurs pour de l’autorité !
Pareil à ces vieilles planètes perdues,
Qui sont dans le ciel, mortes et vaincues,
Il n’a d’éclat qu’au contact du soleil.
Qu’est-ce que ce titre de roi, qu’il vole au réveil !
DES AIGLONS EN EMILIE-ROMAGNE
Expédition en Italie des frères
Charles-Louis et Louis-Napoléon Bonaparte
17 mars 1831
La vague française les rejette au loin ;
Tels deux fruits trop mûrs, ils serrent les poings
Et se hâtent d’accourir dans les plaines d’Italie ;
Voulant refaire quatre-vingt-seize aujourd’hui !
Colères grondantes, le souverain de Rome,
Lèvres d’écume, s’appréhende à l’automne,
Et lance mille serpents sur les deux aiglons.
« Qu’ils n’aient pas le temps d’être Napoléon ! »
Et c’est à nouveau la tenaille autrichienne,
Encore et toujours la même rengaine ;
Finalement, telle la peste d’orient,
La rougeole, microbe d’ici, les prend.
Microbes contre microbes, voilà le choix
Qu’offre la nature aux hommes de combat
Qui scrutaient le ciel édenté de vie ;
Les fruits sont tombés, et tout est pourri.
Ils avaient le nom et la géographie,
Mais pour l’aube ardente, cela ne suffit,
Quand un oiseau malade titube vers la France,
L’autre disparait, dans les pleurs d’Hortense.
MORT DE NAPOLEON II
Fils de Napoléon Bonaparte et de Marie-Louise
22 juillet 1832
Ma naissance et ma mort, voilà toute mon histoire ;
Entre mon berceau et ma tombe, il y a un grand zéro !
A peine ai-je frémis que, rendez-vous avec le soir,
Je ne serai, mes amis, qu’une ombre bientôt.
Où me mènera, l’autre bord de la rive ?
J’emporte avec moi, cette froide grive…
LE PETIT CAPORAL DE VENDOME
28 juillet 1833
La fourmi soulève une tige,
L’oiseau retient son envol,
Pour voir ce rêve qu’érigent
Les hommes, tel un pôle.
On siffle quand on le croise,
Un cheval lourd s’ébroue ;
Ce pic est une toise
Face à des rêves de trous.
Le roi épie une miette
De gloire pouvant tomber,
Et ouvrant grand ses mirettes,
Pense : « c’est moi qui l’ai posé ! »
ATTENTAT DE FIESCHI
28 juillet 1835
Ils sont tous debout, face au grand édifice,
Dans ce cortège mystérieux et propice,
Et telle une grappe de raisin de Bordeaux,
Explosent de rouge, identiques aux beaux coteaux
Où le soleil caresse avec ses rayons d’or,
Et prend le large au soir, dans la main de la mort.
L’OBELISQUE DE LOUXOR
25 octobre 1836
Sur le sein des conquêtes
Un mamelon pointu
Se dresse là où les têtes
Des monarques ont chu
D’où tombent ces sanglots
Le pauvre zéphyr pleut
Puis danse un boléro
Eteint ses derniers feux
Une éparse couche
Emprisonne le passé
Beau pays babouche
Ne livre pas ton été
TENTATIVE DE SOULEVEMENT
DE STRASBOURG
Par Louis-Napoléon Bonaparte
30 octobre 1836
Mêle mon sang,
Mêle ma gloire,
Phosphorescent
Encensoir !
Ah ! Qu’importe le temps qui passe,
J’ai trop de chimères couche-tard,
Lançant au loin leurs étendards,
Bouches ouvertes devant l’audace.
Suis-je ridicule, en petit prince
Ecrivant mon destin telle une satire ;
A l’orée de mon front, mon rêve chavire
Et fait mon futur, autant plus mince…
MORT DE TALLEYRAND
17 mai 1838
Sorte de grande poche en cuir
Délibérément content d’en finir
L’allure qui s’anime un peu
Il fronce avec peine les yeux
Qu’est-ce qu’une huée céleste
Une parole mielleuse qui reste
Une caresse de sotte vanité
Une louange au poids léger
Cela pue le service rendu
La ruse mise à nue
Dès qu’il ouvre le gosier
Cela fleure le fumier
Il ferme les paupières
Une dernière fois plaire
Qu’on le dise endormi
Quand arrive la nuit
A BORD DE LA BELLE POULE
Le prince de Joinville, fils de Louis XVIII,
Rapporte de Ste-Hélène le tombeau de Napoléon 1er
29 juillet 1840
Le prince de Joinville
Papillonne, moucheronne,
Son étoile facile
Que le ciel affectionne.
Dans un bois évoquant,
Crâne serpent de mer,
Il zigzague, allant
Vers le tombeau ouvert.
Tout se précipite ;
Les bouillantes eaux
Du grand passé s’invitent
A bord du vaisseau.
On creuse la tombe,
On évide le temps,
Et de la catacombe
Reparait le vivant !
DEBARQUEMENT DE BOULOGNE
Par Louis-Napoléon Bonaparte
6 août 1840
Une poignée de bras cassés
Sombrant dans le ridicule
Croyait un César, ériger ;
Ce n’était pas même Jules !
On ne tue pas les fous,
On les enferme !
Ce n’est pas un tout,
Pas même un germe.
Des officiers vieillis,
Des femmes passionnées,
Des mécontents aigris,
Des chômeurs avinés.
Voilà toute l’escapade
De la folie nocturne,
De cette ambassade
Du soleil taciturne.
TRANSFERT DES CENDRES DE NAPOLEON
Les invalides – 15 décembre 1840
Tranquille au fond de l’abîme,
Impassible comme Dieu,
Dans le cercueil, la cime,
Et dans les regards, le feu ;
Il semble dire : « pourquoi ?
J’étais endormi si bien !
Et me revoilà chez moi,
Réduit à presque plus rien...
Décrépit et d’un autre âge,
Tout est égal désormais ;
Et ce tardif hommage
N’est pas l’ombre d’un succès.
Déjà, je touche au déclin !
Le carrosse se ballote
Pour cette affligeante fin :
Cette entrée dans ma grotte ! »
RASSERENANT BOURGEOIS
2 mars 1841
Rassérénant bourgeois,
Œuvre de vice,
Hulule sur tous les toits
Qui pâlissent
En goinfres jamais repus ;
Longtemps coulisses
De celui qui dans les nues
Mire complice,
Ces funestes moules humains
Dardent, agissent,
Ephémères, crépuscules, nains,
Tombeaux des fils.
BATAILLE D’ISLY
Expédition de la France contre le Maroc – victoire du Maréchal Bugeaud sur Moulay Abd al-Rahman, sultan du Maroc, qui soutenait l’algérien Abd El-Kader.
14 août 1844
La cavalerie marocaine s’élance ;
Les ravins, les collines, partout la souffrance
S’étale sur le sable de la route de Taza.
Français, voyez ceux que la mort vous proposa !
Ils sont beaux, émaciés et brunis par le soleil ;
Ils sont endormis dans ce caverneux sommeil
Qui engloutit les hommes au dur chant du clairon.
Le maréchal Bugeaud croit voir Napoléon !
LES JOURNEES INSURECTIONNELLES
Paris, du 22 au 26 juin 1848
Le vent est noir et pue la mort ce soir.
Nous savons de quel côté il haleine.
La foule est un troupeau dont, tôt ou tard,
Le rentier, attendrit, tondra la laine.
Ce sont des jours qui feront bombance,
S’enflant jusqu’à devenir énorme !
Les rois déjà oubliés dans cette France
Maintenant qu’un empereur se forme...
Des gens insatiables, paraissant nés
Pour tout prendre et ne jamais rien avoir,
Ensemble s’avancent et, barricadés,
Savent la pauvreté être un beau terroir.
ELECTION DE LOUIS-NAPOLEON BONAPARTE
10 décembre 1848
J’ai voulu telle grandeur,
Contemplé tant de beautés,
Ebahi par la candeur
De ce pays lassé
De monarques contraires
A l’époque accomplie ;
L’heure n’est pas à la guerre,
L’heure est à l’oubli.
Je t’ai imaginé,
Jubilant en secret,
Impuissant, obligé,
Eteindre les projets,
Gémissant les désastres,
Séduction du rêve,
Neveu de l’astre,
De la même sève.
Idolâtres sacrilèges,
Au-delà de la terre,
Extase du piège,
Du retour en arrière.
Le mystère aussi
Fuit la nuit chaste
Et parle d’un cri
D’une lignée vaste.
LE SACRE DE NAPOLEON III
2 décembre 1852
C’est un sacre sans cathédrale,
Un même nom et cependant,
Couronnement sans piédestal,
Nostalgie d’un autre grand.
Reviens, roi de la terre,
Plonge tes racines
Dans l’ancêtre lierre
Qui se rembobine.
L’homme et le maître,
Par ce qu’ils sont,
Mouton prêt à paitre,
Berger avec un bâton,
Vont dans les pâtures
De la grande nation,
Parlent du futur
Avec admiration.
Seigneur, voici l’âme !
Voici le spectre d’or !
Voici la nouvelle flamme
Revenue d’entre les morts !
LES NOCE D’EUGENIE DE MONTIJO
29 janvier 1853
Une femme grande comme un lévrier
Au sourire de garçon, au regard débraillé,
Grave, élégante, veut paraître gauloise.
Sensuelle haleine ! L’homme pavoise.
Affreusement pâle,
Brusquement étourdie,
Elle lève son voile
S’avance vers lui.
S’effraie de l’autel
Qu’il faut traverser
Pense malgré elle,
Les lèvres fardées,
Les mains tremblantes
Au souvenir farouche,
A la mémoire dormante,
De cette autre bouche…
LA GUERRE DE CRIMEE
27 mars 1854
Mon âme vibre jusqu’à la tombe ;
Barbe au vent, l’histoire succombe
A nouveau aux plaines slaves.
Guerre ! Guerre ! Belle enclave
Entre les paix somnifères !
Je t’apporte, gloutonne, la chair
Que tu réclames depuis si longtemps !
Koutousov n’est plus, peu importe pourtant ;
Si ce n’est lui, c’est donc son frère,
Son fils, son neveu, sa nation entière
Qu’il faut renverser de leur vieux monde !
Epoque sur époque, immonde
Souvenir d’Alexandre à Paris.
Lavons l’affront ! Pissons chez lui !
LA REINE VICTORIA A PARIS
Août 1855
Elle se promène, étonnée
Du curieux peuple français ;
Telle une robuste araignée,
Elle tend son filet
Sur cette province franque ;
Le neveu n’est pas l’oncle,
Trop de choses lui manquent !
L’empereur ? Un pétoncle
Qui se croit une baleine
Voguant parmi l’océan !
Ses moustaches sont pleines
Du nain se rêvant géant !
Victoria soupèse
Un poids monumental ;
Les flaques, les glaises,
Tous les hommes s’étalent
Devant sa puissance ;
Tous les mots prononcés
Sont des phrases d’absence,
Des petites volontés.
Alors, elle soupire
Et regarde ses vaisseaux
Qui déjà l’aspirent
Loin des vermisseaux.
LE LIVRE DES ESPRITS D’ALLAN KARDEC
18 avril 1857
Dieu est éternel, juste, bon, unique, tout-puissant !
Il a fait l’univers.
Les hommes ou les bêtes, et les montagnes, il comprend.
Il sait notre mystère.
Car, le cosmos clair, que l’œil seulement approche,
Ce monde corporel,
Ignore l’autre monde plus petit qu’une encoche,
Des esprits éternels.
Le monde spirite fut constamment le premier
A courir sur la Terre,
Et l’autre pourrait n’avoir jamais existé,
L’autre, le secondaire.
Les corps ne sont qu’une enveloppe, une prison,
Une gaine périssable.
La fin du corps, sa mort, sa fuite, sa destruction,
Libère de la fable.
C’est Dieu qui a choisi l’homme (et non les bêtes)
Pour incarner l’esprit ;
C’est pourquoi l’homme est assoiffé de conquêtes,
De comprendre la vie.
Lorsque l’âme s’enfuit du corps enfin usé,
Elle erre un court moment ;
Elle se repose d’une existence, lassée,
Se vidant de son sang.
L’esprit vagabonde tel un apprenti
Et se perfectionnant,
Allant de monde en monde, de vie à vie
Tel un cabri sautant.
Chaque vie est meilleure que celle qui la précède ;
Jamais rétrograde,
L’esprit toujours progresse, grandi, et accède
A de nouvelles rades !
Nos qualités sont le fruit de nos locataires,
Nos utilisateurs ;
L’esprit impur nourrit et soigne le pervers,
L’esprit bon, le bonheur.
Vous êtes partout : dans l’espace, à nos côtés,
Esprits non visibles,
Nous coudoyant sans cesse ; sans cesse frôlés
Par tous vos possibles !
Vous jouez avec nous – nous, vos doux instruments –
Vous soufflez dans nos flûtes.
En bien ou en mal, résistant ou succombant,
Nous sommes ce que vous fûtes !
LES FLEURS SE FANENT
Juin 1857
Sur un banc le jeune homme
Parle bas à la dame
Lui présente une pomme
Qu’elle croque et c’est le drame
Son court nez que la brise
Fait tout rose et brillant
Apparait une cerise
Sous deux astres d’argent
Il regarde l’horloge
Elle regarde au loin
Il discute d’une loge
Et lui prend les deux mains
Puis l’haleine inconnue
Et la voix délicieuse
De la dame vertu
L’hypothèque vicieuse
Dans un resserré fiacre
Longtemps avec plaisir
Le sucré simulacre
Du moment à venir
Du bout de sa canne
Il trace sur le sol
Des lignes diaphanes
Et des courbes molles
Ces petits monogrammes
Aux pieds de son amie
Telles des naines rames
La conduisent à son lit
L’ATTENTAT D’ORSINI
14 janvier 1858
Orsini se cache des bras de la police ;
Il sourit aux brindilles qui bientôt, complices
De son rêve brulant, viendront s’élever
Au-dessus du carrosse où étaient lovés
Napoléon III et la belle Eugénie.
Car tout a une fin, en premier lieu la vie !
Il faut ce sacrifice, sur l’autel de l’Italie.
Un fils de César vaut bien un fils de Louis !
Dans la rue Le Peletier, chacun à leur place,
Les assassins chantent aux corps qui se cassent
Et aux chevaux sans têtes, au bruit énorme,
Fauchant dans la foule qui déjà se forme
Autour de l’attelage du convoi impérial.
La mort fait une haie d’honneur à cheval
Sur la berline qui se renverse sur le côté.
Eugénie, couverte de sang, mais sauvée,
Assise sur le trottoir, pleure son enfance.
D’un empire à l’autre, c’est le même silence.
L’ASSEMBLEE FAMILIALE
25 juin 1858
Quand succomberont, courbés,
Les hommes sous les ans, fatigués
De faire les guerres ;
Se lamenteront les mères
Aux tourments, aux sanglots,
Aux souvenirs bientôt.
Les mains sur les tables, courbées,
Les enfants rejoueront fatigués
Le jeu des tyrans,
Le jeu des enfants ;
Dansant en tribuns
Autour du bout de pain.
Elle ne viendra pas, courbée
Par l’amour qui la laisse fatiguée,
Plus noble qu’une reine,
Plus embastillée qu’un forçat qu’on enchaine ;
Elle masque son visage
D’un sourire sauvage.
La sève boue dans mon corps courbé
Et je m’endors fatigué,
Me noyant des flots de beauté
De la vie, volupté
De celui qui sait
Mais se tait.
MAGENTA
4 juin 1859
Le quatre juin au matin
L’armée française, soudain,
S’ébranlent vers Magenta.
Dans un énorme fracas,
L’ennemi se dévoile
Et, à pied ou à cheval,
Les rangs deviennent confus ;
D’ordre, il n’y a guère plus
Dans ce magma de soldats
Venus mourir pour un roi…
Ou bien pour un empire !
Sacs à terre, et l’on tire
Aussitôt sur les hommes
Qui forment le décorum
Furibond et exalté
De ce théâtre zélé !
On se combat au couteau,
A la baïonnette bientôt,
A coup de poings sur les dents,
Sur des cranes que l’on fend !
La légion, belle encore,
Enchérit de quelques morts
Sur l’armée autrichienne
Dont les souvenirs reviennent
Au temps glacés d’Austerlitz ;
Napoléon le petit
Ne peut pas avoir refait
Ce que le grand rêvassait !
Ou alors, Vienne est perdu !
Cela ne se peut plus !
SOLFERINO
24 juin 1859
Cette bataille est un cygne
Un quai de furie et de silence
Une redite un écho suivi
D’ouvertes panses
Partout de la gloriole
Suinte des pores de la peau
De paysans aux habits drôles
Immaculés et idiots
Le paradis indompté
Ouvre grand les vannes
Les beaux jours de l’été
Où les souffles se fanent
En battement vers les cieux
Tels des oiseaux migrateurs
Vers le néant ou les dieux
En tout cas vers ailleurs.
NAPOLEON 1er AUX INVALIDES
2 avril 1861
Voici ! Il dort parmi les siens !
Le dernier pharaon éteint
Sa lumière sur le vaste monde ;
Même le tonnerre ne gronde
Plus d’une identique manière,
Depuis que somnole la guerre !
Visages tristes, souriez donc !
Il ne quittera plus ce mont
Où l’univers entier s’attelle
A rendre sa gloire éternelle !
Il n’y a plus de souvenirs,
Seules des fables à soutenir
Dans un poing fermé et solide :
Son cercueil, froid, est notre égide !
CAMERONE
Campagne du Mexique – 30 avril 1863
Ils sont soixante-cinq
En chemin pour Puebla.
Ils marchent, ils trinquent,
Ils protègent un convoi
Et refont le monde
Quand soudain c’est la nuit ;
Au loin, c’est la ronde
De deux mille ennemis.
Dans une hacienda
Toute proche, ils s’enterrent ;
Et la masse s’écrasa
Sur ce beau cimetière ;
Et toi, capitaine,
Tu suivis ton serment :
Debout ! Dégaine !
Et la mort au tournant !
Le combat fait rage,
Mais personne ne fuit ;
La pluie se propage
Et déverse la nuit.
Prend les hommes un à un,
Et referme leurs yeux !
Deux mille mexicains
Contre quarante-deux !
Et puis, rayant le ciel,
Les abeilles de plomb,
Pareilles aux hirondelles,
Mangent leur moisson ;
Ils furent vingt-deux
Face à presque deux mille,
Et l’on se souvient d’eux
Tel vingt-deux Achille,
Quand la vague recouvre
Le morbide volcan,
Que la gloire s’ouvre
Sur les cinq survivants !
PROTECTORAT FRANÇAIS SUR LE CAMBODGE
5 juillet 1863
Le royaume de Siam, beau lodge,
Véritable Docteur Larrey moderne,
Ampute le royaume du Cambodge,
Dépèce, dirige, gouverne,
Prend Angkor et digère
Ce voisin, cette chair.
Norodom 1er, monarque cambodgien,
Cherche un allié, un frère,
Un miracle, même un vaurien,
Tout ce qui fera taire
Le royaume de Siam
Et son peuple infâme.
La France, mangeant la Cochinchine,
Répond à l’appel tranchant ;
Elle sait ou devine
La force que l’on prend
A avaler gentiment
Le gibier consentant.
MORT DU DUC DE MORNY
10 mars 1865
Le vent est violon
Sur les feuilles des buissons
De la fin de l’hiver.
Tous sont pressés,
Et le soleil voilé
Réchauffe la terre.
Le duc de Morny
Endormi dans son lit
Ecoute le vent
Car l’enfant des Louis,
De l’évêque aussi,
S’endort doucement.
Il fut l’ombre des autres,
Echo et apôtre,
De soleils éteints.
Et sa voix forte
Implore la cohorte
D’or et de butin.
L’EMPEREUR FATIGUE
28 juillet 1870
A Paris, les doux conseils fredonnent
La belle rengaine du second empire ;
Et l’on accourt, de Loire et de Saône ;
On court de partout pour le bien mourir !
Mais que veut ce peuple germanique ?
Ces bavarois, ces rhénans, ces prussiens ?
Voyons ! Tout cela n’est qu’une clique
De maraudeurs, d’assassins, de vauriens !
Balafré par l’ouvrage du pouvoir,
L’empereur soulève sa tête immense ;
Il jette à l’horizon son doux regard
Et perçoit les nuages qui avancent.
Que faut-il faire dans cette tempête ?
Déjà, le vent dégage toute raison ;
Et c’est encore Waterloo qui guette,
Et c’est Blücher et sa morne chanson.
Comments