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1821 - 1870 "poèmes centenaires"

Dernière mise à jour : 19 mars

LE SOLEIL COUCHANT

5 mai 1821

 

 

Après un labyrinthe de corridors

Et de pièces faiblement éclairées,

Voici la chambre où l’aigle dort

Qu’un médecin vient troubler.  

 

Son patient, un moribond 

Dont l’estomac rejette toute nourriture, 

Annonce la mort et ses violons,

Laissant blafarde, la belle figure !

 

« Est-ce pour aujourd’hui ? Est-ce pour bientôt ? »

Ceux qui sont là ne le quittent plus des yeux 

Telles des brindilles, au soleil trop chaud,

Tel un fétu de paille au coin d’un feu !

 

Les incessants vomissements épuisent,

Mais le pouls continu à être bon ;

Et déjà le manque de souffle amenuise

L’agonie ; ô voyage long !

 

« Je suis bien fatigué, dit-il à ses proches,

Peu de temps me reste et il faut en finir !

Avant que d’être prisonnier de cette roche,

Donnez-moi de ce vin qui vous faisait rire ! »

 

A deux heures du matin, il est très agité ;

Il divague maintenant, et le corps en ruine,

On l’entend avec peine articuler :

« France ! Armée ! Tête d’armée ! Joséphine ! »

 

A dix-sept heures et quarante-cinq minutes,

L’aigle a rendu son ultime soupir !

Ses geôliers chantent, dansent, chahutent :

« Il vient d’expirer ! Cette prison va s’ouvrir ! »

 

 

  

 

 

 

 

LES QUATRE SERGENTS DE LA ROCHELLE

Du 45ème régiment d’infanterie

21 septembre 1822

 

 



Parce qu’ils n’ont pas su crier « vive le roi »,

Au nouveau souverain  bercé d’un long sommeil,

Dans ce triste lieu où l’on contrefait la loi,

Quatre jeunes sergents attendent la corbeille

Où ils mettront leurs têtes, où finiront leurs jours.

Ne pleurez pas votre vieillesse et ses tambours !

 

La nuit dernière, je vous ai entendu chanter :

« Plutôt la république, plutôt le petit corse,

N’importe quoi plutôt que ce roi retrouvé ! »  

C’est votre printemps, votre plus grande force !

Hélas, votre jeunesse n’a pas su deviner, 

Que l’honneur est un fruit qui pourrit en été.

 

 

 

 

L’EXPEDITION ESPAGNOLE

7 avril 1823

 

 

Une ombre impériale est posée

Sur la conquête d’autrefois ; 

Ferdinand VII, prisonnier,

Exhorte à son secours, les rois.

 

Le souvenir est encore fort ;

Détenu par l’aigle français,

Il avait pour cachot et décor,

Le beau château de Valençay.

 

Pour l’appui de Louis, il plaide :

« Vient, nouveau monarque de Lys !

Cette péninsule en France obsède

Telle une lubie, un caprice ! »

 

L’aigle ne voulait que cela :

Un frère pour roi des Espagne.

Et Louis partage cette foi : 

En Bourbon, il fait campagne !

 

Des bivouacs, montent des airs

(Mélodies venues du passée)

Striant les cieux tels des éclairs

Revenus du temps exécré.

 

Quel cœur français ne s’émeut pas,

Passant ces monts en ce printemps, 

Où il y a dix ans déjà,

Cette terre chassait nos titans !

 

Voyez nos cent mille français

Marchez sur Madrid en avril,

Effaçant Vittoria d’un trait,

Et trop d’années de noir exil !

 

Triompher sur ce même sol

Où Bonaparte a échoué !

Voilà le véritable envol

D’une monarchie recouvrée !

 

Les mêmes qui trouaient nos yeux

A Baylen, de leurs aiguilles,

Recousent nos boutons –et mieux ! –

Nous veulent maris de leurs filles…

 

 

MORT DE LOUIS XVIII

16 septembre 1824

 

 

L’heure est venue, il semble.

Tu trembles,

Ton corps délaisse ton âme ;

De petites ailes d’anges

Vendange

Ton sourire qui se pâme.

 

                               

 

LE SACRE DE CHARLES X

Cathédrale de Reims – 29 mai 1825

 

 

Le vieux pays des francs, parmi ses nécropoles,

Compte une chapelle illustre, où venaient tous nos rois,

De ce pas triomphant, tremblant des deux pôles :

Dans une main, l’épée ; dans l’autre, la croix.

 

Comme les saints aimaient les détours !

Un séraphin veillait sur ces portes fermées !

Et l’ange souriant, tout en haut des tours

Plantaient des drapeaux quand passait leur armée !

 

Charles, dernier enfant de Clovis,

Aride roi des dynasties fatiguées,

Que cette cérémonie surannée finisse !

L’ancien monde s’est évaporé.

 

Cherubini déroule une messe de faste ;

Charles Percier dessine le carrosse.

Depuis Compiègne, le renom est vaste ;

Lamartine et Hugo enlacent la crosse.

 

 

     

LES OBSEQUES DU GENERAL MAXIMILIEN FOY

30 novembre 1825

 

 

Le baiser du soleil dans ses cheveux,

Ses rayons dansant, 

Pénètrent le fier passé lumineux

Depuis bien longtemps.

 

Il entre dans le dernier carrefour,

Le silence blanc,

Rejoignant le troupeau de tous ceux pour

Qui Il était grand.

 

La flamme de ce vestige vacille ;

L’incendie du temps !

On aime, on regrette, on oublie et puis

Se clos le néant.

 

 

                               

BATAILLE DE NAVARIN

La flotte anglaise, russe et française

Détruit la flotte ottomane

20 octobre 1827

 

 

Je vois paraître

Des essaims flottants

Des défunts naître

Pays du turban

 

Quel est le nombre

De silences noirs

De corps sans ombre

Dormant dans le soir

 

Antique Pylos

Des dieux rustiques

Liquide fosse

Lointaines criques

 

Offrez le repos

Aux hommes tombés

Loin des doux sabots

Des épis de blé

 

 

 

LES FRANÇAIS DANS LE PELOPONNESE

5 novembre 1828

 

 

Rendons à notre passé

Son droit 

Ulysse, nous venons payer

Cela

 

Nos lèvres voient vos bouches

Parler

C’est l’Histoire que l’on touche

Allez

 

La vague nous emporte tous

Ecume

Et capitaines et mousses

S’enrhument

 

Sur le sein de cette mer

Ce fruit

O désir de tant vous plaire

Conquis

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LA PRISE D’ALGER

5 juillet 1830

 

 

Dans un sable mobile

Les plaintes solitaires

De barbus malhabiles

Au jeu de notre guerre

S’enroulent comme un fil

Autour de nos lanières

 

La sieste sur les dunes

Dans un effort arrache

Les blessés ces lacunes

Que la mort nous recrache

Ceux-là dont l’infortune

Les révèle vils et lâches

 

Les sanglots convulsifs

Du peuple bigarré

Désorbitent les vifs

Au milieu de l’été

Enfonçant les rétifs 

Dans la nuit constellée

 

 

 

REVOLUTION DE JUILLET

27,28 et 29 juillet 1830

 

 

Elle dort, la Liberté,

Etendue sur une couche dorée,

Son front mollement plié ;

 

Elle raille, la jeunesse,

Tout le duvet de promesses ;

Fatiguée de paresse.

 

Et c’est le tonnerre !

Tout est mis par terre,

Ordonnances mortifères !

 

Le doucereux chevet

D’un royaume que l’on sait

Conjugué à l’imparfait !

 

Les ouvriers typographes,

Trois jours sont biographes,

De la ville cénotaphe.

 

Les premières barricades ;

Les premières algarades ;

Les premières reculades.

 

Des cuirassiers assaillent,

Sous les pavés en mitraille,

Sous leurs sabots, la marmaille !

 

Alors, descend la brume

Et le phare s’allume,

Laissant pour roi, une écume...

 

 

 

                              

LOUIS-PHILIPPE 1er

9 août 1830

 

 

Rejouant cette comédie – ce crime,

Le roi novice, mollement, s’arrime

Au souffle d’une autre révolution ;

Une de trois jours, de si peu de passion.

 

Il n’est pas d’un paysage, ni d’une rivière ;

Il n’est pas d’une forêt, il est amas de chair

Et referme le coffre et les malles du passé.

Il prend les trois couleurs pour de l’autorité !

 

Pareil à ces vieilles planètes perdues,

Qui sont dans le ciel, mortes et vaincues,

Il n’a d’éclat qu’au contact du soleil.

Qu’est-ce que ce titre de roi, qu’il vole au réveil !

 

                               

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DES AIGLONS EN EMILIE-ROMAGNE

Expédition en Italie des frères

Charles-Louis et Louis-Napoléon Bonaparte

17 mars 1831

 

 

La vague française les rejette au loin ;

Tels deux fruits trop mûrs, ils serrent les poings

Et se hâtent d’accourir dans les plaines d’Italie ;

Voulant refaire quatre-vingt-seize aujourd’hui !

 

Colères grondantes, le souverain de Rome,

Lèvres d’écume, s’appréhende à l’automne,

Et lance mille serpents sur les deux aiglons.

« Qu’ils n’aient pas le temps d’être Napoléon ! »

 

Et c’est à nouveau la tenaille autrichienne,

Encore et toujours la même rengaine ;

Finalement, telle la peste d’orient,

La rougeole, microbe d’ici, les prend.

 

Microbes contre microbes, voilà le choix

Qu’offre la nature aux hommes de combat

Qui scrutaient le ciel édenté de vie ;

Les fruits sont tombés, et tout est pourri.

 

Ils avaient le nom et la géographie,

Mais pour l’aube ardente, cela ne suffit,

Quand un oiseau malade titube vers la France,

L’autre disparait, dans les pleurs d’Hortense.

 

 

 

 

MORT DE NAPOLEON II

Fils de Napoléon Bonaparte et de Marie-Louise

22 juillet 1832

 

 

Ma naissance et ma mort, voilà toute mon histoire ;

Entre mon berceau et ma tombe, il y a un grand zéro !

A peine ai-je frémis que, rendez-vous avec le soir,

Je ne serai, mes amis, qu’une ombre bientôt.

Où me mènera, l’autre bord de la rive ?

J’emporte avec moi, cette froide grive…

 

 

LE PETIT CAPORAL DE VENDOME

28 juillet 1833

 

 

La fourmi soulève une tige,

L’oiseau retient son envol,

Pour voir ce rêve qu’érigent

Les hommes, tel un pôle.

 

On siffle quand on le croise,

Un cheval lourd s’ébroue ;

Ce pic est une toise

Face à des rêves de trous.

 

Le roi épie une miette

De gloire pouvant tomber,

Et ouvrant grand ses mirettes,

Pense : « c’est moi qui l’ai posé ! »



 

ATTENTAT DE FIESCHI

28 juillet 1835

 

 

Ils sont tous debout, face au grand édifice,

Dans ce cortège mystérieux et propice,

Et telle une grappe de raisin de Bordeaux,

Explosent de rouge, identiques aux beaux coteaux

Où le soleil caresse avec ses rayons d’or,

Et prend le large au soir, dans la main de la mort.

 

                               

 

 

L’OBELISQUE DE LOUXOR

25 octobre 1836

 

 

Sur le sein des conquêtes

Un mamelon pointu

Se dresse là où les têtes

Des monarques ont chu

 

D’où tombent ces sanglots

Le pauvre zéphyr pleut

Puis danse un boléro

Eteint ses derniers feux

 

Une éparse couche

Emprisonne le passé

Beau pays babouche

Ne livre pas ton été

 

 

TENTATIVE DE SOULEVEMENT

DE STRASBOURG

Par Louis-Napoléon Bonaparte

30 octobre 1836

 

 

Mêle mon sang,

Mêle ma gloire,

Phosphorescent

Encensoir !

 

Ah ! Qu’importe le temps qui passe,

J’ai trop de chimères couche-tard,

Lançant au loin leurs étendards,

Bouches ouvertes devant l’audace.

 

Suis-je ridicule, en petit prince

Ecrivant mon destin telle une satire ;

A l’orée de mon front, mon rêve chavire

Et fait mon futur, autant plus mince…

 

                 

MORT DE TALLEYRAND

17 mai 1838

 

 

Sorte de grande poche en cuir

Délibérément content d’en finir

L’allure qui s’anime un peu

Il fronce avec peine les yeux

Qu’est-ce qu’une huée céleste

Une parole mielleuse qui reste

Une caresse de sotte vanité

Une louange au poids léger

Cela pue le service rendu

La ruse mise à nue

Dès qu’il ouvre le gosier

Cela fleure le fumier

Il ferme les paupières

Une dernière fois plaire

Qu’on le dise endormi

Quand arrive la nuit

 

A BORD DE LA BELLE POULE

Le prince de Joinville, fils de Louis XVIII,

Rapporte de Ste-Hélène le tombeau de Napoléon 1er

29 juillet 1840

 

 

Le prince de Joinville

Papillonne, moucheronne,

Son étoile facile 

Que le ciel affectionne.

 

Dans un bois évoquant,

Crâne serpent de mer,

Il zigzague, allant

Vers le tombeau ouvert.

 

Tout se précipite ;

Les bouillantes eaux

Du grand passé s’invitent

A bord du vaisseau.

 

On creuse la tombe,

On évide le temps,

Et de la catacombe

Reparait le vivant !

                      

 

 DEBARQUEMENT DE BOULOGNE

Par Louis-Napoléon Bonaparte

6 août 1840

 

 

Une poignée de bras cassés

Sombrant dans le ridicule

Croyait un César, ériger ;

Ce n’était pas même Jules !

 

On ne tue pas les fous,

On les enferme !

Ce n’est pas un tout,

Pas même un germe.

 

Des officiers vieillis,

Des femmes passionnées,

Des mécontents aigris,

Des chômeurs avinés.

 

Voilà toute l’escapade

De la folie nocturne,

De cette ambassade

Du soleil taciturne.

 

                

TRANSFERT DES CENDRES DE NAPOLEON

Les invalides – 15 décembre 1840

 

 

Tranquille au fond de l’abîme,

Impassible comme Dieu,

Dans le cercueil, la cime,

Et dans les regards, le feu ;

 

Il semble dire : « pourquoi ?

J’étais endormi si bien !

Et me revoilà chez moi,

Réduit à presque plus rien... 

 

Décrépit et d’un autre âge,

Tout est égal désormais ;

Et ce tardif hommage

N’est pas l’ombre d’un succès.

 

Déjà, je touche au déclin !

Le carrosse se ballote

Pour cette affligeante fin :

Cette entrée dans ma grotte ! »

 

 

 

RASSERENANT BOURGEOIS

2 mars 1841

 

 

Rassérénant bourgeois,

Œuvre de vice,

Hulule sur tous les toits

Qui pâlissent

En goinfres jamais repus ;

Longtemps coulisses

De celui qui dans les nues

Mire complice,

Ces funestes moules humains

Dardent, agissent,

Ephémères, crépuscules, nains,

Tombeaux des fils.

 

 

BATAILLE D’ISLY

Expédition de la France contre le Maroc – victoire du Maréchal Bugeaud sur Moulay Abd al-Rahman, sultan du Maroc, qui soutenait l’algérien Abd El-Kader.

14 août 1844

 

 

La cavalerie marocaine s’élance ;

Les ravins, les collines, partout la souffrance

S’étale sur le sable de la route de Taza.

Français, voyez ceux que la mort vous proposa !

 

Ils sont beaux, émaciés et brunis par le soleil ;

Ils sont endormis dans ce caverneux sommeil

Qui engloutit les hommes au dur chant du clairon.

Le maréchal Bugeaud croit voir Napoléon !

 

 

 

 

LES JOURNEES INSURECTIONNELLES

Paris, du 22 au 26 juin 1848

 

 

Le vent est noir et pue la mort ce soir.

Nous savons de quel côté il haleine.

La foule est un troupeau dont, tôt ou tard,

Le rentier, attendrit, tondra la laine.

 

Ce sont des jours qui feront bombance,

S’enflant jusqu’à devenir énorme !

Les rois déjà oubliés dans cette France

Maintenant qu’un empereur se forme...

 

Des gens insatiables, paraissant nés

Pour tout prendre et ne jamais rien avoir,

Ensemble s’avancent et, barricadés,

Savent la pauvreté être un beau terroir.

 

                               

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ELECTION DE LOUIS-NAPOLEON BONAPARTE

10 décembre 1848

 

 

J’ai voulu telle grandeur,

Contemplé tant de beautés,

Ebahi par la candeur

De ce pays lassé

De monarques contraires

A l’époque accomplie ;

L’heure n’est pas à la guerre,

L’heure est à l’oubli.

 

Je t’ai imaginé,

Jubilant en secret,

Impuissant, obligé,

Eteindre les projets,

Gémissant les désastres,

Séduction du rêve,

Neveu de l’astre,

De la même sève.

 

Idolâtres sacrilèges,

Au-delà de la terre,

Extase du piège,

Du retour en arrière.  

Le mystère aussi

Fuit la nuit chaste

Et parle d’un cri

D’une lignée vaste.

                         

 

LE SACRE DE NAPOLEON III

2 décembre 1852

 

 

C’est un sacre sans cathédrale,

Un même nom et cependant,

Couronnement sans piédestal,

Nostalgie d’un autre grand.

 

Reviens, roi de la terre,

Plonge tes racines

Dans l’ancêtre lierre

Qui se rembobine.

 

L’homme et le maître,

Par ce qu’ils sont,

Mouton prêt à paitre,

Berger avec un bâton,

 

Vont dans les pâtures

De la grande nation,

Parlent du futur

Avec admiration.

 

Seigneur, voici l’âme !

Voici le spectre d’or !

Voici la nouvelle flamme 

Revenue d’entre les morts !

 

                               

LES NOCE D’EUGENIE DE MONTIJO

29 janvier 1853

 

 

Une femme grande comme un lévrier

Au sourire de garçon, au regard débraillé,

Grave, élégante, veut paraître gauloise.

Sensuelle haleine ! L’homme pavoise.

 

Affreusement pâle,

Brusquement étourdie,

Elle lève son voile

S’avance vers lui.

S’effraie de l’autel

Qu’il faut traverser 

Pense malgré elle,

Les lèvres fardées,

Les mains tremblantes

Au souvenir farouche,

A la mémoire dormante,

De cette autre bouche…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                           LA GUERRE DE CRIMEE

27 mars 1854

 

 

Mon âme vibre jusqu’à la tombe ;

Barbe au vent, l’histoire succombe

A nouveau aux plaines slaves.

Guerre ! Guerre ! Belle enclave

Entre les paix somnifères !

Je t’apporte, gloutonne, la chair

Que tu réclames depuis si longtemps !

Koutousov n’est plus, peu importe pourtant ;

Si ce n’est lui, c’est donc son frère,

Son fils, son neveu, sa nation entière

Qu’il faut renverser de leur vieux monde !

Epoque sur époque, immonde

Souvenir d’Alexandre à Paris.

Lavons l’affront ! Pissons chez lui !

 

                           LA REINE VICTORIA A PARIS

Août 1855

 

 

Elle se promène, étonnée

Du curieux peuple français ;

Telle une robuste araignée,

Elle tend son filet

Sur cette province franque ;

Le neveu n’est pas l’oncle,

Trop de choses lui manquent !

L’empereur ? Un pétoncle

Qui se croit une baleine

Voguant parmi l’océan !

Ses moustaches sont pleines

Du nain se rêvant géant !

 

Victoria soupèse

Un poids monumental ;

Les flaques, les glaises,

Tous les hommes s’étalent

Devant sa puissance ;

Tous les mots prononcés

Sont des phrases d’absence,

Des petites volontés.

Alors, elle soupire

Et regarde ses vaisseaux

Qui déjà l’aspirent

Loin des vermisseaux.

 

 

LE LIVRE DES ESPRITS D’ALLAN KARDEC

18 avril 1857

 

 

Dieu est éternel, juste, bon, unique, tout-puissant !

Il a fait l’univers.

Les hommes ou les bêtes, et les montagnes, il comprend.

Il sait notre mystère.

 

Car, le cosmos clair, que l’œil seulement approche,

Ce monde corporel,

Ignore l’autre monde plus petit qu’une encoche,

Des esprits éternels.

 

Le monde spirite fut constamment le premier

A courir sur la Terre,

Et l’autre pourrait n’avoir jamais existé,

L’autre, le secondaire.

 

Les corps ne sont qu’une enveloppe, une prison,

Une gaine périssable.

La fin du corps, sa mort, sa fuite, sa destruction,

Libère de la fable.

 

C’est Dieu qui a choisi l’homme (et non les bêtes)

Pour incarner l’esprit ;

C’est pourquoi l’homme est assoiffé de conquêtes,

De comprendre la vie.

 

Lorsque l’âme s’enfuit du corps enfin usé,

Elle erre un court moment ;

Elle se repose d’une existence, lassée, 

Se vidant de son sang.

 

L’esprit vagabonde tel un apprenti

Et se perfectionnant,

Allant de monde en monde, de vie à vie

Tel un cabri sautant.

 

Chaque vie est meilleure que celle qui la précède ;

Jamais rétrograde,

L’esprit toujours progresse, grandi, et accède

A de nouvelles rades !

 

Nos qualités sont le fruit de nos locataires,

Nos utilisateurs ;

L’esprit impur nourrit et soigne le pervers,

L’esprit bon, le bonheur.

 

Vous êtes partout : dans l’espace, à nos côtés,

Esprits non visibles,

Nous coudoyant sans cesse ; sans cesse frôlés

Par tous vos possibles !

 

Vous jouez avec nous – nous, vos doux instruments –

Vous soufflez dans nos flûtes.

En bien ou en mal, résistant ou succombant,

Nous sommes ce que vous fûtes !

                            

 

 

LES FLEURS SE FANENT

Juin 1857

 

 

Sur un banc le jeune homme

Parle bas à la dame

Lui présente une pomme

Qu’elle croque et c’est le drame

 

Son court nez que la brise

Fait tout rose et brillant

Apparait une cerise

Sous deux astres d’argent

 

Il regarde l’horloge

Elle regarde au loin

Il discute d’une loge

Et lui prend les deux mains

 

Puis l’haleine inconnue

Et la voix délicieuse

De la dame vertu

L’hypothèque vicieuse

 

Dans un resserré fiacre

Longtemps avec plaisir

Le sucré simulacre

Du moment à venir

 

Du bout de sa canne

Il trace sur le sol

Des lignes diaphanes

Et des courbes molles

 

Ces petits monogrammes

Aux pieds de son amie

Telles des naines rames

La conduisent à son lit

 

 

L’ATTENTAT D’ORSINI

14 janvier 1858

 

 

Orsini se cache des bras de la police ;

Il sourit aux brindilles qui bientôt, complices

De son rêve brulant, viendront s’élever

Au-dessus du carrosse où étaient lovés

Napoléon III et la belle Eugénie.

 

Car tout a une fin, en premier lieu la vie !

Il faut ce sacrifice, sur l’autel de l’Italie.

Un fils de César vaut bien un fils de Louis !

Dans la rue Le Peletier, chacun à leur place,

Les assassins chantent aux corps qui se cassent

Et aux chevaux sans têtes, au bruit énorme,

Fauchant dans la foule qui déjà se forme

Autour de l’attelage du convoi impérial.

La mort fait une haie d’honneur à cheval

Sur la berline qui se renverse sur le côté.

 

Eugénie, couverte de sang, mais sauvée,

Assise sur le trottoir, pleure son enfance.

D’un empire à l’autre, c’est le même silence.

 

 

 

L’ASSEMBLEE FAMILIALE

25 juin 1858

 

 

Quand succomberont, courbés,

Les hommes sous les ans, fatigués

De faire les guerres ;

Se lamenteront les mères

Aux tourments, aux sanglots,

Aux souvenirs bientôt.

 

Les mains sur les tables, courbées,

Les enfants rejoueront fatigués

Le jeu des tyrans,

Le jeu des enfants ;

Dansant en tribuns

Autour du bout de pain.

 

Elle ne viendra pas, courbée

Par l’amour qui la laisse fatiguée,

Plus noble qu’une reine,

Plus embastillée qu’un forçat qu’on enchaine ;

Elle masque son visage

D’un sourire sauvage.

 

La sève boue dans mon corps courbé

Et je m’endors fatigué,

Me noyant des flots de beauté

De la vie, volupté

De celui qui sait

Mais se tait.

                   

 

MAGENTA

4 juin 1859

 

 

Le quatre juin au matin

L’armée française, soudain,

S’ébranlent vers Magenta.

 

Dans un énorme fracas,

L’ennemi se dévoile

Et, à pied ou à cheval,

Les rangs deviennent confus ;

D’ordre, il n’y a guère plus

Dans ce magma de soldats

Venus mourir pour un roi…

Ou bien pour un empire !

 

Sacs à terre, et l’on tire

Aussitôt sur les hommes

Qui forment le décorum

Furibond et exalté

De ce théâtre zélé !

On se combat au couteau,

A la baïonnette bientôt,

A coup de poings sur les dents,

Sur des cranes que l’on fend !

 

La légion, belle encore,

Enchérit de quelques morts

Sur l’armée autrichienne

Dont les souvenirs reviennent

Au temps glacés d’Austerlitz ;

Napoléon le petit

Ne peut pas avoir refait

Ce que le grand rêvassait !

Ou alors, Vienne est perdu !

Cela ne se peut plus !

 

 

SOLFERINO

24 juin 1859

 

 

Cette bataille est un cygne

Un quai de furie et de silence

Une redite un écho suivi

D’ouvertes panses

Partout de la gloriole

Suinte des pores de la peau

De paysans aux habits drôles

Immaculés et idiots

Le paradis indompté

Ouvre grand les vannes

Les beaux jours de l’été

Où les souffles se fanent

En battement vers les cieux

Tels des oiseaux migrateurs

Vers le néant ou les dieux

En tout cas vers ailleurs.

 

 

 

NAPOLEON 1er AUX INVALIDES

2 avril 1861

 

 

Voici ! Il dort parmi les siens !

Le dernier pharaon éteint

Sa lumière sur le vaste monde ;

Même le tonnerre ne gronde

Plus d’une identique manière,

Depuis que somnole la guerre !

Visages tristes, souriez donc !

Il ne quittera plus ce mont

Où l’univers entier s’attelle

A rendre sa gloire éternelle !

Il n’y a plus de souvenirs,

Seules des fables à soutenir

Dans un poing fermé et solide :

Son cercueil, froid, est notre égide !

 

                              

CAMERONE

Campagne du Mexique – 30 avril 1863

 

 

Ils sont soixante-cinq

En chemin pour Puebla.

Ils marchent, ils trinquent,

Ils protègent un convoi 

 

Et refont le monde

Quand soudain c’est la nuit ;

Au loin, c’est la ronde

De deux mille ennemis.

 

Dans une hacienda

Toute proche, ils s’enterrent ;

Et la masse s’écrasa

Sur ce beau cimetière ;

 

Et toi, capitaine,

Tu suivis ton serment :

Debout ! Dégaine !

Et la mort au tournant !

 

Le combat fait rage,

Mais personne ne fuit ;

La pluie se propage

Et déverse la nuit.

 

Prend les hommes un à un,

Et referme leurs yeux !

Deux mille mexicains

Contre quarante-deux !

 

Et puis, rayant le ciel,

Les abeilles de plomb,

Pareilles aux hirondelles,

Mangent leur moisson ;

 

Ils furent vingt-deux

Face à presque deux mille,

Et l’on se souvient d’eux

Tel vingt-deux Achille,

 

Quand la vague recouvre

Le morbide volcan,

Que la gloire s’ouvre

Sur les cinq survivants !

 

PROTECTORAT FRANÇAIS SUR LE CAMBODGE

5 juillet 1863

 

 

Le royaume de Siam, beau lodge,

Véritable Docteur Larrey moderne,

Ampute le royaume du Cambodge,

Dépèce, dirige, gouverne,

Prend Angkor et digère

Ce voisin, cette chair.

 

Norodom 1er, monarque cambodgien,

Cherche un allié, un frère,

Un miracle, même un vaurien,

Tout ce qui fera taire

Le royaume de Siam

Et son peuple infâme.

 

La France, mangeant la Cochinchine,

Répond à l’appel tranchant ;

Elle sait ou devine

La force que l’on prend

A avaler gentiment

Le gibier consentant.

 

 

MORT DU DUC DE MORNY

10 mars 1865

 

 

Le vent est violon

Sur les feuilles des buissons

De la fin de l’hiver.

 

Tous sont pressés,

Et le soleil voilé

Réchauffe la terre.

 

Le duc de Morny

Endormi dans son lit

Ecoute le vent

 

Car l’enfant des Louis,

De l’évêque aussi,

S’endort doucement.

 

Il fut l’ombre des autres,

Echo et apôtre,

De soleils éteints.

 

Et sa voix forte

Implore la cohorte

D’or et de butin.

 

 

 

L’EMPEREUR FATIGUE

28 juillet 1870

 

 

A Paris, les doux conseils fredonnent

La belle rengaine du second empire ;

Et l’on accourt, de Loire et de Saône ;

On court de partout pour le bien mourir !

 

Mais que veut ce peuple germanique ?

Ces bavarois, ces rhénans, ces prussiens ?

Voyons ! Tout cela n’est qu’une clique 

De maraudeurs, d’assassins, de vauriens !

 

Balafré par l’ouvrage du pouvoir,

L’empereur soulève sa tête immense ;

Il jette à l’horizon son doux regard

Et perçoit les nuages qui avancent.

 

Que faut-il faire dans cette tempête ?

Déjà, le vent dégage toute raison ; 

Et c’est encore Waterloo qui guette,

Et c’est Blücher et sa morne chanson.

 

 

 

 

 

                             

 
 
 

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