Poèmes aliénés
- Christian Tritsch
- 15 mars
- 8 min de lecture
La folie est multiforme, l’amour en étant la forme la plus illuminée.
PSCHITT
On pourrait s’en aller
S'abêtir sur nos deux oreilles
Pétrir de nos mains des montagnes
Hautes et lointaines
On pourrait s’éclipser
Entre deux étoiles naines
Facétieux comme l’enfance
Et prétendre disparaître
Pschitt
SOUS-MARINE
Sur des milliers de bars
Il y a plein de coquillages
Mettons nos gilets
Les jolies falaises
La côte d'Albâtre
Falaises effondrées
Se déversent dans la mer
Conditions musclées
La pêche nourriture
Librement je touche
Ça mord je mouline
Dérive du bateau
Je lâche le fil
Passe en-dessous
Mon premier bar
On va s’en saouler
Celui-là est mérité
FIL BLANC
La vérité cousue de fil blanc
Patchwork sur la table
Nappe immense indolore
Effondrée autant qu’un gouffre
Récite sa comptine dans une bulle
Complètement décalée
Endiguée
Évacuée
Apaisée
OURSE
Depuis sa fondation
L'immonde gronde et boom
La bête bondissante roule
Véhiculée sur des corps noirs
D’étoiles mouvantes
Décor lacté au soir
Vapeur chambre à air
Transparente à nos yeux
Mille anneaux circulaires
Dépouillant leur chair ferme
D’ourse dans le ciel
LA MUE
Vieux costume du dictionnaire
Redingote cul à l’air
Mot mité retroussé
Sornette délavée
Du sens premier la pelure
Pêche en haute mer
De mots morts
Radeaux médusés
Par-dessus bord
Croire sur parole la parole
Bigoudi frisé du non-sens
Vérité brait ou vache folle
Le mot nie ce qu’il pense
Le mot toujours en cache un autre
Plus belliqueux qu’un dernier train
Dictionnaire où il se vautre
Où il se fait vaut rien
Le mot naphtaline
Empeste le déjà-lu
A poil dans les vitrines
Mendiant au coin des rues
CHAOS
Chaos achevé
Désapprendre
Se méprendre
Tout miner
FUNICULAIRE
Le ver de rosée
Sous la table
Glisse à nos pieds
Ivre de terre
Anneaux posés
Fier tunnelier
Creuse appliquée
Mille cimetières
Vrille de travers
Des nuits entières
Éparpillé
PARTIR
Partir
C’est être contraint de faire des morts
D’abandonner à leurs sorts
C'est guérir
CALVAIRE
Gelé le lierre sur les troncs nus
La statue grise moisie de vert
Aux pieds couverts ballon perdu
Passe sa mort à découvert
Ne la protège nulle saison
L’été la brûle l’hiver durci
Avril les fientes papier carton
Septembre pleure sans parapluie
LES BEAUX JOURS
Les beaux jours de la condamnée
Tristesse méprisante et masquée
Figure transparente et nocturne
L’être vogue et rejoint Saturne
Une eau jaune déjà l’enserre
Agonise inconnue on t’enterre
Des larmes de douleur te protègent
Tatouage de neige qui allège
Amie une vie n’est pas une vie
C’est fumée sur des ossements
Buée matin au soir torrent
D’anciennes buées toutes réunies
QUARTIER LATIN
Quartier Latin
Perlimpinpin
La République
Coups de trique
Paris Bastille
Jeu de quille
Droit de l’Homme
Pom pom pom pom
Fraternité
Bé bé bé bé
Révolutions
Pimpon pompon
PARESSE
Pané n’est pas
Ravi et vira
Planez nez plats
Amour mourra
Rêve de verre
GREFFÉ À TOI
Comme l’enfant perd l’innocence
Musique greffée sur le silence
Je suis greffé à toi
Mille symphonies s’évadent de l’arbre
Corps silencieux rêvant du marbre
Je suis greffé à toi
Les ténèbres dansent frivoles et nues
Dans un recoin de corps dévêtus
Je suis greffé à toi
Ma langue file épaisse s’étale
Nombril alangui terreur d’animal
Je suis greffé à toi
L’ARAIGNÉE
L’araignée bricole une toile
Artiste cathédrale
Œuvre gigantesque son échelle
Fils de soie pris en dentelle
Les meubles s'empoussièrent
Lui font un doux parterre
Une clairière grise
Qui la touche la brise
Apocalypse four
Dieu du septième jour
Jolie signature
Huit pattes et dorure
L’araignée rit tout en bas
A droite de son canevas
ICI LE TEMPS
Ici le temps va nu pied
Il enrôle les heures
Les herbes hautes du côté
Bercent le nez d’odeurs
De sauge et de sarriette
Et l’épaule de Marinette
Ici les maisons sont des mas
Le vent s’y est épuisé
Les navires échoués là
Vous rendent naufragés
Sans espoir de conquête
Mais l’ombre de Marinette
Ici les mots sont silencieux
Les oiseaux recouvrent tout
Et les arbres jusqu’au cieux
Prient le tronc à genoux
Qu'un pas doux s'y arrête
Le pas doux de Marinette
ASILE
Aux marins de la folie
Aux éboulis de la lubie
Familiarité d’un somme
Déserté des hommes
Lèvres remuantes
Paroles dévêtues
Prières chevrotantes
Mâchoires retenues
Brillantes par centaines
Les lumières dans leurs yeux
Enclumes quarantaine
Incendient tel l’aveu
MIAM
Tes yeux en amande
Ton cœur d’artichaut
Haute comme trois pommes
Tu es bien trop chou
Je vais te croquer
PARDON
Je n’écris pas
Je ne crie pas
Je n’écris pas
Je ne crie pas
Je n’écris pas
Je ne crie pas
Je n’écris pas
Je ne crie pas
Je décime
LES VIEILLES PEINES
La vieille dort avec ses vieilles peines
Les dorlote les chérie
En surveille le goût moisi
Épie tout le voisinage
Pleine de son malheur
De peur qu’on le lui vole
Sur l’étendoir en farandoles
Tout son cimetière gémit
Époux vaincu amant en laisse
Trois chiens perdus d’ennui
Amitiés mortes dans le lointain
Espoirs ruinés santé médiocre
Sont rien qu’à elle gare aux vauriens
ÉCHO
La douce lune enamourée
Au soleil les traits acérés
Projette une ombre mousseline
Lumière sombre lumière fine
Étoile aveuglée nuit solaire
De son drap noir la mer enterre
L’écho sans fin l’écho sans fond
Suant des vagues tresses à son front
La lune est un bol de lait
Lape mon rêve lape
Sur la pelote pose ta patte
Griffe s’il le faut
Miaule à l’écho
Aux étoiles silencieuses
À la nymphe boudeuse
PEAU NEUVE
Sortir du cercle de la vie pratique
Faire peau neuve d’une vie sabbatique
Se renouveler loin du grand banal
Rêver ahuri les jolis scandales
Mourir quelque part gai amusé
De grands gestes de petits baisers
Autre contrée perchée de notre tête
Oiseau voltige que rien n’arrête
Ni faim ni froid ni trop douces agapes
Dans l’attente du hasard qui frappe
COMME GAUGUIN
Comme Gauguin l’a fait
Mourir avant de revenir
LA VIE RECOMMENCE
Ton amour me met au monde
Joie des corps qui se retrouvent
Comme l’eau claire de ton royaume
Une nudité où je suis présent
État privilégié de mon âme
Quand souffle près de moi la femme
D’un monde ancien soudain reparu
Et la vie recommence
MARCHANDS DU MAL
Ça sent la mort à plein nez
Les marchands de mal
Discours poétiques enflammés
Toujours dernier au bal
Du cimetière charnier
Jouer à la baballe
Ballon prisonnier
Les vaincus sous la dalle
Experts sur fesses gonflées
Sourires en cartouchière
Blablatent enamourés
Devant la foutre guerre
LE NID
La rue est une averse
Un nid de serpents
Le manteau de tous
C’est là que la vie pousse
Que des branches naissent les feuilles
Les racines savent leur place
Moi je me sens racine
M’enracine
Dans mon nid terrier
Approprié
Pour ne jamais apparaître
LES FILLES FOLLES
Les filles folles filandres filles faciles
Craquent corps et cœurs cous crispés
Songent sages seules sous ce ciel subtil
Voulant voler vers vous vivre vivifiées
DIEU EGO
Dieu sans raison
Être sans prétention
Donne cœurs culs et bras
Sois tout pour moi
Kermesses lotos et fêtes
Plantes humains et bêtes
Livres tableaux et sculptures
Passé présent et futur
Monuments villages et frontières
Campagne montagnes et rivières
Car à mon dernier souffle
Fini télés pantoufles
Tout disparaîtra
Sous le drap
Avec moi
OÙ IL VA
Grâce des mouvements
Entre l’homme et le feu
Double vue prophétique
Forcément obscure
Nul ne sait où il va
L’imagination détruite
La bouche retroussée
Lourde de paroles
Le silence remué
De trémolos ahuris
EON
Un couple de mensonges
Acide nitrique ronge
Gémeaux de lubricités
Chibres revendiqués
Une meurtrière un assassin
Deux cadavres témoins
Un pickpocket une voleuse
Pour l’ambiance houleuse
Deux alcooliques sévères
Vieilles gueules de travers
Une vaurienne un vaurien
Belles promesses pour demain
Deux fornicateurs cul à l’air
Bite bite séants ouverts
Une paire d’aliénés
Prêts à tout poil au nez
Un duo d'étrangleuses
Les mains raides baladeuses
…
Deux paquebots en marche
Entrez tous dans mon arche
Belzébuth Seth Baal Satan
M'a prévenu tout autant
EXTASE
L’homme voulait une paire d’elles
Bouches ouvertes doux frémissements
Coups corps nus à l’heure de la nuit
Les animaux sont hommes heureux
CORBEAU
Je suis à la bourre
Une mauvaise blague c’est tout
Quelque chose à cacher
Rien que pour se défendre
Parano scénario
Le corbeau s’envole haut
Pour que tout s’arrête
ÉPITAPHE
Morne et déplaisant
Mort de faim sur un banc
Une pyramide comme Khéops
Dernière occasion de me sauver
Cro-Magnon triceratops
Mes étoiles alignées
Commencez par ma tête
Qu’il vienne du triste monde
Continuez par l’arête
Brunes rousses chauves blondes
Incantations simultanées
Ma tombe vide désormais pleine
Vieillard vieux nouveau-né
Gris mouton tond ma laine
Mort de faim sur un banc
Finissez par la fête
Comme ma dernière dent
Dieu est mort
CROIX DE MOI
Pour tous l’os du monde
Je vous crois sur scarole
Et ne tombe dans aucun de vos waters
POÈME PHONÉTIQUE
Berdi boul et bartok
Bouraille vilite bordurier
Haleur gritte et grotte
Crimage brrr tymonier
Carreise fil et fol
Baba dadada silier
Grimontage tripol
Brrr gol gazolier
Oberdada Oberdada
Oberdada Oberdada
ORAGE
Le ciel couvert d’un drap de nuages
Bagages légers du soleil sabotage
Se gonfle de flaques noires et obèses
S’égouttent s’ébrouent jolis arpèges
Tout en bas milles parapluies éclosent
En bolets soudain prenant même pose
Figés par le flash du haut photographe
Dieu lance l’éclair lumineuse baffe
DADANARCHISTE
Rafraîchissement ultime
Paraître étrange
Le vital mensonge
L’orchestre joué par tous
Sa propre répudiation
Credo dadanarchiste
NUSCH ET PAUL
Camaraderie agissante
Ensemble comme une église
L’espérance simplifiée peut-être
Comme une parousie belle
Une naïveté retrouvée
Échange cosmique où le monde passe
CIGUË
Bouche sèche
Convulsions tremblements
Ciguë bèche
Pisse noir le sang
Larynx broie
Crève la vie
Myocarde noie
Battement s’enfuit
Étrange mue
M’impose de suivre
Le poison tue
C’est sa raison de vivre
TOUT SCHUSS
Quand je parle à une femme
Je parle à toutes les femmes
Dégringolades sociales
Époques tragiques
Billes bowling au bal
Fées bourrues leurs cliques
Question de vit de mord
Irrigué de sang
Terreur toréador
Mort de faim sur un banc
Le stupre virginal
Léger comme les bonnes manières
Plat comme les cathédrales
Rond comme les derrières
Dame nature mise en plis
Les mains libres graffitis
Taupinières et volcans
L’une et l’autre de chaque camp
Au-delà des apparences
Des famines grasses de panses
Éveiller l’écho tendresse
Gnomes gorgones déesses
Allons-y tout schuss
Ainsi nous vivons tous
CRÉPUSCULAIRE
L’œuf ou la poule
La poule constipée
Tipée old school
Refuse de plier
Garde tout au creux d’elle
Sa postérité
Fronde éternelle
Ne plus exister
CERCLE
Mon ami prête l’oreille
Œuvre ton cœur muet
Détourne ta folie
Courtisée telle une muse
Lève ta force claire
Parcelle belle de ton sort
Rien ne meurt tout change
Bêtes et plantes se mélangent
Boivent ensemble au commun ruisseau
Janus infini de nouveaux troupeaux
Le soleil partout démones et apôtres
Révolutions cerclées les unes les autres
ABANDON
Presque heureux de tant me haïr
Les bras aux cieux à l’instant de souffrir
Je crie aux diables bon débarras
Je crie hasard advienne que pourra
Bête féroce montre tes crocs
Caresse molosse profond mes os
Déchire les chairs avale goulu
Gonfle tes joues je suis vaincu
VOYAGE
Cette pensée commune
Se tuer plusieurs façons de le faire
Voyage dernière amertume
Voyage dernière fourrière
Suicide mais sans la disparition
Qui sait qui peut qui voit qui fit
Heure ultime de pérégrination
En jeu la mise le dernier pari
Voyage dernier sublime escale
J’en suis revenu beaucoup trop tôt
Rubis mimant de lever les voiles
Ce fut un voyage idiot
(Montpon-Ménéstérol, février 2025)
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