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Manif pour tous

 

« Manif pour tous »




J’ai toujours vu dans Paris bien plus qu’une ville. Vous me direz qu’ailleurs, il y a les monts puissants et les mers profondes. Mais Paris, c’est plus que tout cela : c’est le monde artistique et boulevardier ; c’est l’Histoire avec un grand H, les deux pieds ancrés dans le sol. C’est le siècle des Lumières et celui de Molière. C’est aussi les opérettes chantantes et les poètes enflammés. Paris exerce sur moi son aimant, et je perçois en y pénétrant un halo supérieur s’emparer de mon esprit et l’emporter vers un lieu féerique, gorgé de mille réminiscences du passé. Paris avance en moi, plus que je ne vais vers elle…


Combien de fois avais-je imaginé ce moment où j’allais arpenter les lieux foulés avant moi par les Balzac, Dumas, Ravel, Maupassant, Bernhardt, Méhul, Verlaine, Barrès, Mirbeau, David, Gauguin, Louis – du premier au dix-huitième ! – bref, tout le débordement d’écrivains, de chanteurs, de peintres, de poètes ou de danseurs qui emplissent nos cahiers d’écolier, avant que de se cristalliser en notre mémoire collective. Je n’oublie pas non plus cette cohorte de miséreux dont les os brisés emplissent les catacombes et dont chaque existence me semble avoir laissé sa trace dans les architectures monumentales de la cité, sur chaque interstice des immeubles gorgés de leur mémoire. Je marche heureux enrobé du bruit de la foule, naviguant au large de la tour de Monsieur Eiffel entre le tombeau des invalides et le champ de Mars, et reste brusquement agité en raison d’une divulgation aussi rude qu’incontestable.

 

Paris n’est pas une ville ! Cela n’est qu’une caserne impériale sur le pied de guerre ! La cité des rois séculaires et des républiques numérotées est bâillonnée par la puissance éternelle des Empires bicéphales des Bonaparte ! Voyez ! Les avenues des maréchaux du premier la ceinturent presque entièrement ! Berthier, Lannes, Bessières, Ney, Mac Donald, Serrurier, Mortier, Davout, Soult, Poniatowski, Masséna, Kellermann, Jourdan, Brune, Lefebvre, Victor, Suchet et Murat – comme si perpétuellement sous les ordre du grand aigle ! – encerclent la ville impériale, formant un siège immuable sur l’Histoire. Saint Cyr, Augereau, Oudinot, Moncey et Pérignon ont eux déjà pris place dans les rues de la ville. Seuls ont été expulsés Marmont (pour avoir abandonné Paris en 1814), Grouchy (pour n’avoir pas été présent quand il le fallait à Waterloo) et Bernadotte (pour avoir troqué son bâton de maréchal de France contre la couronne de Suède).

 

Au centre de la ville, l’arc de triomphe apparaît pour ce qu’il est : un poinçon, un label napoléonien ! L’avenue de la grande armée se rehausse, tel un titre de propriété du passé sur le présent. Wagram, Austerlitz, Iéna, Rivoli ou Eylau balafrent en artères la cité, et nombre d’anciens généraux dominent les ponts, les rues, les places, prêts à ressurgir à nouveau devant nos yeux écarquillés de spectateurs amnésiques.


Le second empereur, avec Alma, Malakoff, Sébastopol, Solferino et Magenta semble poser d’une manière plus restreinte sa patte monumentale sur la ville. Aidé de Mac Mahon, Napoléon, le petit-neveu, mange pourtant tout autant le territoire de Paris. Ne l’a-t-il pas redessiné intégralement cette ville, avec l’appui du baron Haussmann ? Ne l’a-t-il pas, pour des siècles, transfiguré par ses parcs et ses avenues ? Prolongeant ma promenade le long de quais victorieux, m’allongeant sur l’herbe rase de pelouses guerrières, sous le regard de canons pris à l’empire du Tsar Alexandre, je regarde les nuages faire des compositions de neige, m’emporter mélancoliquement vers les blancheurs hémoglobines de 1812.

 

Les cavaliers de marbre m’observent du haut de leurs chevaux fatigués... Non, cette ville n’est pas habitée seulement de vivants ! Les morts, nombreux, tout rougis comme au plus beau des vieilles batailles, s’y croisent, s’y bousculent, comme un rendez-vous de sang ; récitent des « Ah ! Ça ira » et des « Chant du départ » ; grouillent d’idées, formidables un jour, désastreuses le lendemain... puis s’endorment dans le tumulte et l’absence...

 

Du haut de sa colonne, l’auguste Napoléon veille sur son domaine ainsi qu’un dieu rigide et glacé...

 

***

 

Pour ça que j’ai accepté tout de suite le voyage de la Manif pour tous, ce grand barnum refusant le mariage homosexuel. Cinquante euros l’aller-retour en car, c’est ça qui m'avait plu. Je m'étais dit… « même si c’est pas du tour opérateur, j’verrais une fois de plus la Tour Eiffel et autres monuments captivants. Tout ça pour cinquante balles !... »


Le diocèse du coin est derrière l’exode. Occase en or… je me vois déjà déambuler de Montparnasse à Montmartre. Dire « Ciao, bonsoir » au cureton dès les premiers pavés parisiens… filer en douce à Pigalle ou Barbès… coller mon cul sur un banc à écouter des pigeons roucouler… Hélas, les directives du cureton dans le car sont sans appel : faut rester ensardiné tout le trajet et chanter des alléluias ! Celui qui sort du groupe rentre par ses propres moyens. Moi je m'y étais pas collé pour le périple chrétien !


Dans le car ce qui me surprend, c’est les sourires figés illuminant les visages… Devant mon siège une femme se plaint d’un mal de tête. Sa voisine fissa sans ordonnance lui fait une imposition des mains puis la déclare guérie !... suivie d’un grand alléluia ! en chorale venant de tous les passagers. Je me cale sur mon siège et attend la capitale...

 

On arrive  à Denfert-Rochereau. Descente massive du car. Je vois une foule se former, une houle humaine déborder les trottoirs. Zieutant la marée humaine, je veux soudain en être… ça sent la corrida !... L’appel instinctif de la meute me gagne… ça hurle de partout avec des têtes de conquérants !... des grognements de vainqueurs !…

- Taubira !...ta loi !... on en veut pas !...Des langues pendantes, toutes sorties de bouches arrondies !... des airs de débarquements en Normandie… ça n’est pas la guerre mais ça a tout de la mobilisation ! Le flot irrésistible provient de tout côté… avec du bleu… du rose… des drapeaux… des centaines de drapeaux… Images de libération !... de prise de Bastille !... de révolution nioulouque !... Tayaut !... tayaut !... ça va saigner du nez !... ça va casser du cadenas !... Bombardés de mots, ils marchent droits et fiers… les yeux écarquillés… les bouches montrant des dents toutes blanches… y a d’la gronde ici !... d’la colère et du trop-plein !...


Ça respire la révolte virginale !... le courroux défloré !... gare à l’hécatombe précoce !... Y a pour sûr quelque chose comme du maquis là-dedans, je le sens bien ! C’est où qu’on prend les armes que j'ai envie de gueuler !... et la foule !... rien à voir avec la populace du car !... une sorte de mobilisation générale… On pourrait tous crever ici ! En v’là une idée qu’elle est bonne ! Cette guérilla est sublime !... renverse toutes les révolutions apprises ! C’est pas du conscrit qui rapplique… pas de la carabosse !... pas du jambon !... pas du galeux !... C’est tout le contraire des guérisseuses du car !... c’est d’la pépite à seins pointus !... d’la vie, bordel !... d’la vie !...


Voilà c’qu’y me fallait !... d’la gonzesse trop plein au mètre carré… de la baby doll… et d’la bonne !... d’la bien nourrie, d’la jeune dinde chaperonnée. Tout ça ficelé, encordé à des certitudes christiques… Mon dieu, qu’c’est bon tout ça ! Heureusement qu’il fait froid, sinon y aurait risque que j'bande… partout, ça se sauve en gueulant… un renard dans un poulailler, que j'me rêve !... en famine gloutonne !... Toutes ces poitrines !... ces seins bombés… y a d’la pensée lubrique à volonté !... forcé, je gueule comme les autres… plus fort même !...

- Taubira ! Ta loi ! on n’en veut pas !

C’est fatal ! Voilà qu’un abruti m'hurle à son tour, hilare, dans les oreilles le slogan taubiresque… moi qui était au nirvana… muré de rêves érotiques… le gueulard m’a ramené à la lourde législation terrestre ! Il me regarde comme en transe… je cherche à l’absoudre le Che Guevara !… le Robespierre !... le Bonaparte !... même le Staline ou le Hitler !... Un chef à suivre !... mais rien… non rien… juste du bourgeois… du bourgeois gueulant contre du bourgeois… pas pour des sous hein… forcément je me réveille.

Des familles entières rugissant de formules sexuées :

- Un papa ! Une maman ! C’est un droit pour un enfant !

J'écoute :

- Ces politiciens feraient bien d’assurer la sécurité des français qui est mise à mal comme jamais ! Jusqu'à présent on a vu seulement des postures et des comportements de provocateurs !

- Le mariage pour tous, c’est le mariage homo imposé à tous !

- Vous nous devez le respect !

- Ça va finir par péter !... on va plus voter pour vous !...

 

N’en jetez plus !... c’est assez !… Ça a perdu en vocabulaire les séditieux !... En fait là y a quoi ?... Une nuée de poussettes !... une foule marchant au roulis des poussettes !... une révolution en layettes !... et tous ce monde tiré à quatre épingles !... les honnêtes gens !... des sourires charmants qui découvrent la rébellion !... peut-être même que c’est une petite manière de solidarité… un effet de groupe… un entrainement exalté… une evening party… un mai 68 sans pavés, ni CRS SS… une révolte bien calée sur des rails… pas du tout hors des clous… une révolte contre plus bourgeois que soi… contre un peu plus bohème… avec rien à casser… rien à conquérir… juste préserver une idée… une manif pour une idée… z’ont jamais dû avoir la dalle ces planqués !

Pourtant ça y est, je suis coopté. Intégré. Assimilé. Un des leurs. Ça braille en chœur contre le mariage homo… Très prémâché comme discours : s’agit de charger les tantes et les goudous.

- Quand on reviendra au pouvoir, vous allez voir, on changera cette loi infâme !... mugit un type derrière moi.

Je me demande qui est ce « on »… me retourne… Y a là aucune grosse légume à écharpe tricolore. Juste un type qui s’est cru député un moment… le même « on » que celui des stades… le « on » des cons ! Tout à fait le genre à préparer des listes, à créer des comités d’épuration, à s’appeler résistants. Tout d’un coup j'ai une sensation de Kollabation avec un beau K allemand.


Du haut des balcons et longeant le parcours, des offusqués partisans du mariage fessier, invectivent rageusement avec des tronches de commissaires du peuple !... prenant des photos avec leur portable… autant de preuves pour le peloton espéré !... On sent dans leurs yeux que s’il existait un dieu de la peste, les foldingues seraient toutes à genoux pour prier qu’il fasse qu’elle s’abatte sur les manifestants !

Depuis la route, ça fait un pataquès terrible, la vue de ces miradors !... ça lorgne vertical !... Moi, je lorgne horizontal les gros nénés… les balcons de chair goulue !... Depuis les étages, s’égosillent les pires brutes !... ça malmène la foule de mots orduriers !... les uns répondent aux autres… Ils jouent au crétin qui pisse le plus loin… Quand le dialogue est inintelligible, un ou deux doigts d’honneur font office de langage des signes.


Depuis le pavé, des bras d’honneur sont adressés en retour. Quelques quenelles aussi. Quelques tirages de langues enfantins… Parmi la foule du bitume… purée, le raffut aventureux... ça cause du grand soir terrible !... que cette fois, c’est la goutte d’eau qui fait tout déborder !... Y sont persuadés que le but ultime du ramdam gouvernemental est de faire de tous des travelos forcés !... tous en jupes, qu’ils se voient déjà. !... devenus des semi- pédés ou des semi-gouines !... qu’on pourra plus se retenir à rien !... que la pédale avance par paliers !... d’abords le pacs… après le mariage… et puis quoi encore? ... La semi-enculade obligatoire qui viendra, c’est couru d’avance !... Mais ça change avec la tombée de la nuit.

 

Ils avancent à pied toujours... Tout le long du parcours – et au champ de Mars plus encore ! – y a la flicaille. La bonne et éternelle flicaille !... celle qui sort quand y a pas de coup à prendre… qui bombe le torse devant des poussettes et des mères de famille… du poulet vermicelle quoi !... les mains sur les hanches et l’œil menaçant… des kilomètres de flicailles comme une diarrhée bleue. Castaner a chié du flic sur les trottoirs et ça schlingue la connerie. Pour pas se faire embarquer, faut pas sortir du groupe… ou plus raisonnablement avoir l’air agressif !... Si vous portez un polo Lacoste, une cravate ou une jupette, vous y coupez pas ! Seule porte de sortie, rester dans le wagon humain.

 

Comme souvent en ces cas-là, c’est le soir que la connerie se démocratise. Qu’elle se répartie équitablement entre flicaille et manifestants. Puis c’est notre arrivée à l’esplanade des invalides. Là ça devient cocasse ! Les bombeurs de torse de l’après-midi ont muté, laissant la place à des scarabées casqués. Des silencieux ceux-là. Des méchants. Des bardés d’armures, la bave aux lèvres et venus tout exprès pour cogner. Matraques et boucliers à la main, les gladiateurs sont repartis aux arènes de Rome pour casser du chrétien… La nuit est tombée. L’entraînant avec elle, le masque sur le visage de l’Etat tombe aussi. La milice policière grouille soudain, arrivant comme une nuée de sauterelles, bouchant les artères menant à la place. Alors le spectacle grandiose !... Des enfants tapageurs assis sur le sol, chantent des "Macron démission", bousculés, matraqués, traînés par les pieds par les hommes de Castaner Pilate. Je regarde alentour m’attendant à voir venir à tout moment des lions affamés pour nous dévorer… Comme presque toujours, les casseurs ont rejoint la manif... blackbloks !... skinheads !... torses nus et gueules ouvertes !... vociférant !... abreuvant d’insultes les gros scarabées !... Putain !... qu’est-ce qu’ils se mettent ! Tout le paquet !... le gros paquet !... tapineurs à marrons !... Avec les casseurs, c’est différent des blablatas sociaux... y a peu de théorie et beaucoup de gnons à prendre... Ces violents sont armés de barres de fer, de cocktails Molotov, de pavés bien lourds. C'est plus la fête… les flics se battent plus pour être au premier contact… L’orgie de coups qui arrive tient de l’extase christique, du martyr des premiers disciples. Et de part et d'autre, quelle haine dans les coups portés… On sent bien toute la rancune du petit flic raté, celui qui n’a eu que cette solution pour emploi, voie de garage scolaire... et celle de l'exclu qui n'a rien d'important à perdre... qui se fout bien de la taule et des égratignures.

 

De loin, ça fait comme une nuée de cafards rebondissant sur une nuée de sauterelles !... chacun choisit ses insectes !... Pas téméraire, je quitte le no man's land avant que tout ne file en sucette... avant de finir au ballon, filant silencieusement… perdu sur les trottoirs… à fuir vers les bus me ramenant à ma province, très tard dans la nuit. Finie, la fringale des cocards nocturnes !... finies, les batailles de Verdun constamment récidivées !... parce qu’à l’esplanade, ç’avait été tranchées contre tranchées !... tout 14 !... tout pareil ou presque… à part barbelés et mitrailleuses !... et puis comme toujours le message simpliste des médias, le bien contre le mal !... selon la tranchée à laquelle on appartient !... et en vaincu, la chair à canon !... ça regorge de volontaires à baffes là-bas !... ça en déverse plein les rues !... La force de la loi des puissants contre le nombre pléthorique des opposants… comme depuis toujours !... j'ai pas eu envie de finir ébouillanté !... saccagé total !... écrabouillé par leur milice !... c’est pour ça que j'ai bifurqué, direction le car…

 
 
 

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