Ecrit par Emma TRITSCH
Louis Vallière, âgé de 27 ans, est issu d’une famille aristocrate royaliste destituée de ses titres suite à la Révolution de 1789. Hostile à la République et aux révoltes populaires qui ont lieu dans la capitale, il explique dans une lettre la situation politique en France à son ancien amant Gabriel Montfort, 28 ans, un aristocrate qui a émigré avec sa famille en Angleterre il y a dix ans de cela, qu’il supplie de ne pas rentrer au pays. Fontainebleau, 13 mars 1850 Mon tendre Gabriel, Quelle joie me submergea, lorsque votre lettre me fut parvenue ! Vous semblez bien vous porter en Angleterre, et vous m’en voyez ravi. Je fus fort aise de vous lire Gabriel, la douceur et la richesse de votre conversation m’avaient manquées. J’aurais aimé venir directement vous voir en Angleterre et vous annoncer la nouvelle en face, mais je n’eus point le courage. C’est en couchant les mots sur le papier que je vous informe donc de mon imminent mariage. Elle s’appelle Marie, elle est une fille de bonne famille, pure, belle, idéale d’après mon père. Nous nous marierons la semaine prochaine, et partirons en voyage en Provence dès la fin de la cérémonie. Je serai sans doute très occupé, c’est la raison pour laquelle je prends le temps de vous écrire maintenant. Aux yeux de mon père, tout semble parfait quant à ma situation maritale. Pourtant, je ne saurais vous parler de ma vie sans vous dire que les événements qui la constituent sont d’un tragique sans nom. Je lisais Balzac récemment, et dans la Physiologie du mariage il est dit que cette nuptiale saison est une période “pendant laquelle la vie n’est que douceur et ravissement”. Néanmoins, je me permets d’en douter avec ardeur. Je ne ressens rien à l’égard de cette douce Marie, mais l’attachement viendra au cours du temps, me dit-on. Certes, ce mariage ne me plait guère, toutefois je ne peux point aller à l’encontre de mon père, à qui je dois le respect. Mon père pressa certainement ce mariage dans le but d’anéantir tous soupçons qu’il portait à mon égard... Mais cum dicto opus est, impigre dicere, et, cum tacito opus est, libenter tacere. De ce fait, je me contrains à le laisser faire.
Si seulement vous saviez à quel point vous me manquez, Gabriel. Il n’y a un seul instant où je ne pense point à vous, et mon cœur, qui, autrefois fut si gai ne cesse à présent de se morfondre dans le désespoir. J’ose espérer que la douleur soit rédemptrice, auquel cas, je vois déjà les portes du Paradis m'accueillir grandes ouvertes. Je dus à maintes reprises résister aux tentations de la fée verte. Je tente, en vain, d’être vertueux et digne de mon père. Cependant mes troubles sont si nombreux, que je ne saurais par où commencer. Dans votre lettre, vous en étiez venu à me demander des nouvelles de mon père. Il est vrai que mon pauvre père était déjà fort malade lors de votre départ, mais après être devenu veuf, sa santé s’est davantage dégradée encore. Bien que son cœur se comble de joie à l’idée de mon imminent mariage, sa santé demeure très fragile. En outre, il semblerait que les événements qui se déroulent à Paris n’aient de cesse de l’épuiser. Voilà maintenant dix ans que vous êtes parti, et si les nouvelles que je m’apprête à vous conter n’ont point déjà fait le tour de l’Europe, alors je doute que quelqu’un d’autre que moi vous y fasse prendre part. A Paris, tout a changé. Vous voilà parti il y a dix ans de cela, à une époque où la France était toute autre. Elle était encore sous le règne d’une monarchie, constitutionnelle certes, mais quand bien même une monarchie. Mais ce temps est révolu, Gabriel. Cette monarchie s’est révélée décevante et inefficace. Nous croyions en elle, nous étions prêts à la servir corps et âmes, nous étions dévoués à elle. Tandis que nous voyions en elle une manière de remettre de l’ordre dans le pays, cette misérable monarchie ne servit, en fin de compte, guère nos intérêts. Louis-Philippe trahit la monarchie, et donna l’occasion au peuple de se révolter une nouvelle fois. Par ailleurs, je ne veux point fraterniser avec ce peuple. Le peuple est un rebelle instable, un éternel insatisfait. D’après moi, ces révolutions populaires n’ont point de sens, et n’ont lieu qu’en vue d’honorer un esprit de contradiction avec la monarchie en place. Le peuple semble, à mon sens, davantage manifester un mépris envers le mot “monarchie” qu’envers le régime-même. Le peuple dit vouloir s’affranchir d’un système désuet, et assurer une continuité, d’une part avec 1789, d’autre part avec les penseurs dont 1789 s’est inspirée. Pour ce qui est des ces penseurs, je me sens en phase avec eux, étant donné que ce-dernier prônait l’avènement des “sages” au pouvoir, ceux qui seraient les plus riches et les plus instruits. Mais le peuple n’est pas instruit, il paraît de ce fait naturel qu’il ne soit point positionné en décisionnaire. Le peuple se doit de rester à sa place. Quant à 1789, quelle année de malheurs! Je ne veux point soutenir les révolutions populaires, ni aucune cause rattachée aux souffrances de ma famille, qui injustement nous destitua de tous nos biens et de nos titres. Vous êtes aussi une victime de la Révolution Gabriel. C’est la raison pour laquelle je vous encourage à ne pas revenir en France. Ne revenez pas, Gabriel. Mon cœur se déchire au moment-même où j’écris ces quelques mots, pourtant, vous êtes un honnête homme et je vous dois la vérité. Restez en Angleterre. Ce n’est point le moment de songer à un quelconque retour, et je ne sais point quand la situation se fera propice en vue de cela. Nous ne sommes plus en accord avec ce siècle, Gabriel. Dieu merci, vous n’avez point eu à assister aux horreurs auxquelles j’ai dû faire face. Sachez, Gabriel, que dès le 23 février 1848, et ce jusqu’au 2 décembre de cette même année, une révolution vit le jour à Paris, encore. Jusqu’en juin, la révolution se voulut pacifique, mais à l’instar de la Révolution de 1789, ces espoirs de paix populaire relèvent d’un certain idéalisme. Dès juin, la révolution prit un tout autre tournant. De manière semblable à 1789, la révolution devint nettement plus radicale. Quelle chance vous avez, de ne pas avoir eu à assister aux violences de ces sauvages. Partout dans Paris, des barricades, partout du sang dans des rues jonchées de milliers de morts. Les révolutions populaires mises en place n’ont guère d’intérêts, je vous le clame, et j’attends l’affirmation de la prochaine monarchie avec une délicieuse impatience. Le peuple justifiait sa colère par un certain nombre de revendications. La haine de la monarchie et celle du système censitaire se superposaient, mais ces monstres révolutionnaires semblaient oublier que la Révolution fut aussi censitaire de 1795 à 1804. Le peuple est contradictoire, vous dis-je. Il ne sait point de quoi il parle, mais quand il parle il se fait tonitruant. Il ne faut point donner le pouvoir à cette girouette sonore! Au moment où je rédige cette lettre, la France continue de s’abaisser. Elle ne s’élève plus au monde mais se replie sur elle-même. Gabriel, la France se trouve actuellement dans un état pitoyable; elle se voit désormais être plongée dans une catastrophe abyssale, comme si elle creusait déjà sa propre tombe. En effet, cela fait deux ans que nous sommes contraints de vivre dans une période républicaine, déjà deux années de trop. Une république, comprenez-vous? Gabriel, je ne pourrais point être plus sérieux, je vous implore de rester en Angleterre. La France ne veut point entendre parler d’aristocratie, de monarchie et de prestige pour le moment. Vous savez à quel point mon père porte la monarchie dans son cœur. Cette grandeur Française dont il était si fier n’existe plus, Gabriel, je le crains. La situation est telle qu’il m’est insupportable de me promener dans Paris sans sentir jaillir en moi une sombre colère. C’est pour cela que je tente de prendre un peu de recul, et vous écris depuis Fontainebleau, un lieu très symbolique, me diriez-vous. Que de délicieuses promenades nous y fîmes... Vous souvenez-vous de ce tableau représentant Fontainebleau que nous aimions tant ? Dès lors que je le contemple, je ne peux m'empêcher de songer à vous. En fait, il me semble trouver en Fontainebleau ce qu'il n’y a plus à Paris: un souvenir désormais lointain d’une monarchie belle et grande, une certaine harmonie vraisemblablement, loin des troubles ravageurs parisiens. Trouverons-nous un jour la paix Gabriel ? Les années n’ont pas été tendres avec nous. D’un point du vue politique, l’histoire semble se répéter. Nous fûmes si confortables sous la monarchie, jusqu’à cette terrible Révolution qui fit fuir chacun de nos amis, et nous déposséda de tout. Puis, on ne peut dire que Napoléon, qu’il fusse Napoléon Bonaparte ou Napoléon Ier, ait particulièrement contribué à nos intérêts. Et dès lors que la monarchie fut enfin restaurée, la création d’une charte fut imposée. Lorsque le peuple jouit de trop de libertés, voilà à quoi cela conduit. Louis XVI de son temps n'était point assez ferme, puis c’est Louis-Philippe qui s’est vu écrasé par un peuple devenu foule, une foule enragée et sanguinolente. Ais-je même encore besoin de parler de la république qui nous condamne à la bassesse ? Nonobstant ces affreuses souffrances, la monarchie a toujours fini par reprendre le dessus. Après l’Empire napoléonien, la monarchie a tout de même refait surface, sous une forme différente sans doute, mais elle était bien là. Ainsi, j’aime à imaginer qu’à la fin du siècle la monarchie sera de nouveau de vigueur. De ce fait, bien que je ne puisse point garantir l'anéantissement total de ces troubles populaire, je me montre optimiste et vous affirme que même en 2020, nous célébrerons tous, fièrement, l’avènement d’un futur Louis XXXIII sur le trône! Mais j’ose espérer que votre famille et vous aurez eu l’occasion de revenir sur vos terres bien avant cela. En attendant, que Dieu vous préserve, Gabriel.
Bien à vous,
Louis
Post Scriptum: Bien que mon cœur se comble de joie à l’idée de vous revoir un jour, peut-être devrions-nous désormais nous contraindre à ne plus nous aimer ? Paris n’est pas la seule à avoir changé, Gabriel. Je me fais violence, mais sachez que cette lettre est la dernière. Ici, l’heure n’est point au réjouissement, et il semblerait préférable que nous laissions tout l’attachement que nous portons l’un envers l’autre n’être qu’un moment de divertissement futile et fugace qui combla notre jeunesse.
Nous emporterons ce secret dans la tombe, Gabriel, soyez-en certain.
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