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Interlope

 

Christian TRITSCH

 

« Interlope »

(Il y a des jours

où je me crois soigné)

 

1

 

Il y a des jours où je me crois soigné. Assis au milieu de ma vie. Même si milieu est un terme qui ne convient pas. Il dit mal le temps qui reste. Il présage trop, ne se base que sur une statistique. Je sens que ma vie réelle est éternelle. Ma vie est d'un seul tenant, d'un seul jour. Et ce jour est sans fin, ne se renouvelle pas, ne passe pas. Il est. Il reste. Il ne croît ni ne diminue. C'est une suspension congelée. Un lac rigide et glacé. Une banquise. Les milliards de jours passés ou de jours à venir sont des imaginations que je me fais. Des rêveries splendides. Des prospectives depuis mon présent figé. D'où que je pense, je me situe toujours sur ce fil tendu : aujourd'hui.

 

Je me sens l’étoffe du Monde. A la fois maillon et toile entière du patchwork. Amibe d'humanité, je pressens en être le TOUT. Le TOUT sans gloriole. Le TOUT clone de huit milliards autres TOUT.

 

Mon rôle, seule Loi sur Terre, est de multiplier l’espèce, de propager mes atomes et de m’effacer à plus ou moins brève échéance, la date de cette anéantissement n’ayant aucune importance. Le temps qui a lieu après cette Loi de l'Espèce est un temps en surplus, un temps non nécessaire.

 

Je ne me sens partie d'aucun rite, le centre de rien du tout, seulement l'auteur d'autres moi-même à perpétuer, le fruit d'ancêtres s'étant évaporés dans le néant humain. Plus d'un demi-siècle déjà de brûlé et ma vie est bicoque finie.

 

J'ai obéi à la Loi de l'Espèce. Je me suis démultiplié. La Nature s'est repue de son dû. Comme Ulysse après Troie, je patauge un voyage retour dans une vie Odyssée gorgée de tentations et de supplices. Ithaque sera mon mirage.

 

Je m’appelle Henri Rougier. Avant, je braillais n’avoir pas d’ancêtres... être dernier né de géniteurs anonymes. Avant, je gémissais cette litanie : "Ô toi, mon arbre, je ne te vois que des branches pourries ! Ta race est froide et sans ingéniosité ; elle n’a rien découvert, elle n’a rien conquis, et par là, elle n’a rien perdu. Elle ne s’est pas révoltée, elle n’a fait que suivre". Je rêve à ce qu’aurait été ma vie si j’avais pu compter sur l’héritage mémoriel d’aïeuls puissants. Hélas, il n’y eu ni oncle, ni grand-père, ni même un cousin éloigné ! Seulement des moutons bêlant !... aucune force surhumaine, aucune pointe d’esprit n’est venue jusqu’à moi pour attester de son existence ! Nul premier n’a porté mon nom ; exclusivement des anonymes !... je me suis résigné d’abord, puis ai pris la chose avec délice. Il n’est pas donné à tous la chance d’être soi-même l’ancêtre !... il faut faire ma couche sur la boue qui me précède. Rien ne sert de lutter face aux millénaires dont l’empreinte n’a pas marqué mon front ni déterminé mon présent. Puisque c’est ainsi, soit !... que je sois l'ancêtre !

 

Avec le temps, cela m’est passé. J’ai compris la vanité des généalogies, ces cosmogonies humaines. Comme si le sang valait sceau ! Comme si le sang n'était pas que gras et rouge ! Comme si le sang surtout, n'était pas miscellanées ! Je m’esclaffe devant le lierre long qui escalade les siècles. Ces derniers nés croient-ils réellement que personne n'est venu tremper dans leur lignée ?!... qu'aucun coup de trique ne soit venu brouiller leur soupe ?!... que depuis des siècles les mamelles de leurs mères sont des mamelles sèches et sans passion ?!... Je suis loin de ces mythologies... je sais mon arbre envahit de lierres et de lianes... des buissons lèchent son tronc... les oiseaux y nichent par volières pleines.

 

L'arbre réel est mon futur. C’est là que je voudrais finir. C'est le plus bel humain de notre planète. C’est l’enfant des anges et de la mer. C’est la montagne qui ouvre sa main sur la plaine, et c’est le chant des oiseaux dans les sous-bois. Le peuple forestier se rue dans les vallées, court les chemins et les sentiers campagnards, se penche et se mire au-dessus des lacs en hiver, dans les glaces formées par les eaux et le brouillard. C’est un roi dont le trône est la Terre. C’est un puissant, immobile et fier, tortueux ou droit ; il vise le ciel et raidit ses branches comme pour bénir.

 

 

2

 

 

J’en suis à l’été indien de ma vie. J’ai la bougeotte et trace un trait jusqu’au sud-ouest sur la carte routière… Je sais les Vosges naines ne pouvoir rien empêcher de ma transhumance. Depuis trop d’années je veux vivre en France de l’intérieur comme disent ceux de ma race. Bergerac est loin de l’Alsace, et c’est nécessité ce déracinement. J’ai besoin d’un fleuve, et je sais que la Dordogne pourra remplacer avantageusement le Rhin. La Dordogne bisoute l’océan, hante les châteaux promontoires, porte des canoës multicolores et, depuis les cieux, regarde l’effleurer des montgolfières légères et grosses. Le Rhin, vu de trop près et depuis trop longtemps, est une autoroute commerciale au mieux… au pire, une frontière vécue belliqueuse, malgré l’endormissement définitif des guerres allemandes. J’ai attendu au-delà de la mesure pour fuir ce paysage aimé, le seul que je connaisse, celui de ma famille depuis des siècles. Je sais qu’il me manquera… Peut-être est-ce aussi cela que je suis venu chercher en Dordogne : le manque de l’Alsace.

 

Dénicher un pied à terre fut aisé. Bergerac est une ville qui vieillit, sans jeunesse ou presque, une ville-village pittoresque. Le nouveau venu n’a pas à  combattre en duel pour son terrier. Il répond à trois annonces et est harcelé par deux soupirants. Les maisons ici ont des colombages qui rappellent le faciès des maisons du Rhin. La transplantation est moins brutale, moins coupante. Comme si les maisons avaient voulu m’amadouer et me faire de l’œil… comme si je n’avais rien quitté.

 

La statue de Cyrano est blanche et menteuse. Cyrano n’a jamais mis une botte à Bergerac. Cyrano est de Bergerac comme Cécile est de France. L’usurpation de notoriété est toute mercantile, à l’attention de touristes hébétés qui n’auraient pas fait le détour autrement. Autrement, ils auraient fait saute-mouton sur la ville pour passer de la cathédrale de Périgueux directement aux grottes de la préhistoire et aux villages moyenâgeux bord de Dordogne. Qu’on m’apprendrait que le canard d’ici est une poule d’eau avec un faux bec, que je n’en serais pas plus surpris que ça… Je comprends vite qu’il faudra pas compter sur l’office du tourisme pour l’authenticité. Que le décor carton-pâte est partout pour masquer les usines fermées. Que les restaurants et les supérettes font légions comme ailleurs. Qu’il faudra prendre mes bâtons, sac à dos et chaussures de marche pour m’enfoncer dans le paysage et connaître vraiment ce pays. A Bergerac, je m’approche des murs, touche les crépis et les bois. Je m’attends presque à renverser ce décor d’Hollywood.

 

 

3

 

 

Je fais un tour des lieux de cultes. Quoi de mieux pour sentir l’âme d’une cité médiévale ? Je commence par le plus ancien que j’escompte le plus authentique : l’église Saint-Jacques-le-Majeur. Sa réfection date des mousquetaires et de Louis XIII. Elle est sur la route de Compostelle, du beau pèlerinage, d’où son nom. Pourtant, je me méfie terrible.  Sur la placette jouxtant l’édifice, la seconde statue du faux héros de la ville, en couleur et en clinquant cette fois, prend l’air bravache du mensonge qui s’affirme haut et fort ! Ça présage mal la visite du lieu sacré attenant. J’entre malgré tout. A l’intérieur, tout est gris et frais. J’en suis ravi. C’est l’idéal pour les prières et le recueillement. Trop d’églises se prennent pour des cathédrales. Trop se prennent pour des musées. Trop se maquillent comme si elles étaient à vendre. Trop se prennent au sérieux. Dieu, s’il existe, doit se sentir délogé bien des fois de sa propre maison. Bien des fois, Jésus semble cloué sur la croix uniquement pour l’empêcher de sortir…

 

Je quitte l’église en quête d’un sandwich. Face à une mini supérette de quartier, un type en loque… cheveux hirsutes… gueule de père fouettard… visage bruni de soleil et de crasse. Il a un air malade. Genre dégringolade ses tifs. Il est sapé clodo et fouette un peu. Faudrait l’asperger. Pas même un clebs avec lui. J’ai pas très envie d’aller lui parler.

 

Des mains pleines de courses le frôlent. Il regarde le sol. Il a honte j’imagine, c’est bon signe. Je lui lâche une pièce d’un euro, sentiment d’abbé Pierre d’avant la révélation vicieuse. Resto du cœur à moi tout seul, je remets mon larfeuille gonflé de biftons dans ma poche intérieure, grisé du geste bienfaiteur. Oust j’me tire, Ponce Pilate heureux.

 

« J’ai rien demandé » qu’y m’dit l’ingrat… pas agressif du tout… Juste qu’il a rien demandé.

 

Je ne lui réponds rien. Tout au fond de moi, j’ai comme un gros caillou sur l’estomac… J’me dis que j’ai bien fait de pas suivre l’intention première qu’était de lui filer le double à ce connard ! J’avais un peu hésité avec une pièce de deux euros… j’avais soupesé le geste, la donation sublime… Et puis, comme par instinct, je m’étais ravisé, avais songé que ça ferait trop… Les autres ils avaient qu’à raquer aussi !... c’est qu’y faut pas compter seulement sur moi pour faire ripaille !... Que dix gogos donnent un euro, et ça suffira pour le type !... pourquoi que j’en donnerais deux à moi tout seul… Je suis pas Midas !

 

Je justifie l’avarice. J’ai quand même lâché un euros ! 6 francs cinquante de ma jeunesse ! Faut dire qu’le type m’a adouci parce qu’y m’rappelle un de mes oncles, un pauvre hère aperçu un jour claudiquant maladroitement, sachet plastique en main. Sachet contenant sans doute l’ensemble de ses biens.

 

J’ai jamais su ce qu’il était devenu jusqu’à l’avis de décès dans le journal. A l’époque, j’ai pas osé l’aborder. Ça faisait des années que je l’avais pas vu. Alors là, sur le trottoir en face, cette petite ressemblance à mon père qui trébuchait lamentablement… C’est pas d’opulence qu’il clamsera, fut ma seule réflexion à l’époque ! Quand j’l’ai vu comme ça, je m’disais que Darwin avait fait fausse route… que les hommes descendent pas du singe… mais plutôt du chat de gouttière !... qu’ils en ont gardé cette habitude de fouiller les poubelles !...

 

Quand l’homme à faim, y a toute la fierté qui s’écroule, qui capitule sans gloire. Je croyais que l’homme n’était que viscères, os et vanité. J’oubliais que c’est avant tout un ventre !... Le tonton sur le trottoir en face, je voulais surtout pas lui faire causette. C’était qu’un chnoque ! Un concentré de vilenie !... Alors… demi-tour… discrètement… Qu’aurais-je pu lui dire de toute façon… Comment vas-tu ? Que deviens-tu ? J’avais pas la volonté de l’aider !... et j’étais sur mes gardes, effrayé qu’il me demande où que j’habite, qu’il déboule ensuite chez moi ivre mort, qu’il me fasse honte, qu’il veuille que je trinque avec lui et qu’il m’abreuve de bobards auxquels il faut que je fasse mine de croire… mine de m’intéresser à lui !... Mais il ne m’intéressait pas du tout !... C’est pas glorieux comme attitude… De ce point de vue-là, je ne ressemble en rien à mon père qui, lui, aurait recueilli la terre entière… qui, lui, a ramené souvent un pauvre bougre chez nous pour le réchauffer et le nourrir. Je ne me suis jamais senti plus réellement dans une église que dans l’appartement de notre enfance, avec mon père et ses trouvailles. Mon père se prénommait Jacques, et lorsqu’il est mort, je suis sûr qu’il est monté au ciel direct. Pour moi, l’église Saint Jacques de Bergerac, je la dédicace au seul Jacques dont je suis sûr qu’il fut un Saint. Et je l’ai vu de mes yeux porter sa croix, et celle de quelques autres. Je ne me retourne pas, et pense à l’oncle anéantit par ma lâcheté familiale… Je me sens infect.

 

 

4

 

 

Y a pléthore de loustics pareils étranges dans mon arbre. Des durs et des improbables. Gérard par exemple ! C’est un pigeon voyageur. Je me souviens bien, c’était avant mon périple ici. C’était en 2018. Il m’a cueilli par surprise, le cousin bohème. Au détour d’un message Facebook il a pris contact comme d’autres prennent des bouées de sauvetage. Ça fait bien quarante ans que je l’ai ni vu ni entendu. C’est un remous des profondeurs son coucou ! Je m’en souviens comme d’un Don Juan en couple avec une simili princesse slave… une beauté inouïe !... Poudre à enflammer tous les artifices !... pas radine en décolletés ni en blancs sourires !... tambourinant à tous les cœurs !...

 

J’étais mioche quand j’ai connu ce premier émoi à peut-être six ans, jouant aux petites voitures sous la table du salon. Elle vint s’y asseoir, y dérouler des jambes nues et longues avec du rouge criard aux orteils. A plus de la moitié de ma vie d’homme, ce rouge carmin revient à ma mémoire par le biais du cousin bohème. Il m’apprend coup sur coup son divorce avec la princesse slave (qui est en fait ouzbèke), ses mômes disséminés en Allemagne, en Hollande et sur les îles Canaries… Ses voyages en Thaïlande, en Espagne, à travers le monde quasi… Son remariage incandescent à Cuba.

 

Lui vit seul en Hollande parce que sa femme a pas les papiers qu’il faut… Parce que c’est compliqué… beaucoup trop administratif !... Il a trop voyagé sans jamais penser aux conséquences. Depuis cinq ans, il vit en Hollande mais peut pas faire le rapatriement de sa moitié puisqu’il est français de papier. Il faudrait faire sa demande depuis la France,  mais comme il vit pas en France, la France le renvoie vers la Hollande où il réside pour faire sa demande, qui le renvoie vers la France… et pendant ce temps, sa moitié poireaute caliente à Cuba. C’est insoluble qu’il gémit !… il aurait besoin d’un refuge français d’où faire la supplique. D’avoir un pied à terre provisoire au moins. Je comprends mieux son « coucou » !... me méfie un peu… le laisse dérouler sa plaidoirie. Je sonde le parcours, la vie. Il dit qu’il a monté une sorte d’agence de voyages à Cuba. Qu’il y a vécu près de dix années. Y a trimballé un fils quelques temps, celui qui vit désormais aux Canaries… mais que lui depuis sa retraite, il a aucun droit à rester à la Havane. Il a été forcé fissa de revenir en Hollande là où crèche sa fille… Il écrit qu’il y possède une maison grande... que si je veux, je pourrais venir le visiter un peu… et aussi sa moitié restée sur son île !... qu’il lui parlera de moi !... qu’elle connait des plans de premières mains !... et que je pourrais aussi aller en Espagne, sur les îles là où bosse son fils !... qu’il est trop content d’avoir retrouvé sa branche française !...  

 

Moi, voulant montrer que j’avais pas fait piquet non plus, je lui vante mes périples réguliers vers les moulins de Castilla-La-Mancha, vers ma Dulcinea de l’époque et mes châteaux en Espagne. Je baragouine espingouin pour lui montrer mon savoir… Lui, répond pareillement. En vrai, c'était un peu une manière pour moi de vérifier son historique… de me confirmer son laïus. Sa vie semble efficacement féérique... le crapahutage sauterelle sur la planète m'éblouit... les playmates ouzbèkes et cubaines... la progéniture éparpillée. Tout le cursus fait écho à mon goût de bohème. En un quart de seconde, j’invite le revenant à revenir. Lui propose une piaule chez moi. Pour quelques jours. Le temps pour lui de faire les demandes officielles. Le temps que sa cubaine puisse rembobiner Christophe Colomb.

 

On se file rencard devant la gare de Mulhouse à midi pile un mercredi. Entre-temps j’avais raconté le rendez-vous 4ème dimension à ma mère. Elle me blablate des détails qui me perturbent la confiance… que le cousin bohème, ça serait une sorte de pigeon voyageur sans volière… qu’y finit toujours par nicher dans les nids d’autrui… qu’il l’a déjà fait de nombreuses fois… que c’est risqué terrible comme locataire… pas méchant, ni dangereux… mais genre coucou dévastateur de tranquillité.

 

Lorsque je le rejoins à la gare, il arrive d’un bus ayant toussé toute la nuit… dit qu’il a passé quatre heures à la gare de Bâle à pioncer dans le hall glacé. Je le retrouve presque comme dans mon souvenir de gamin, le remets tout de suite, malgré les rides et la maigreur. Mais mon idéal samba fout le camp tout de suite. Ma raison m’engueule  parce que le type en face de moi c’est une loque !... Trempé de misère et d’une vie pas facile !... un loup-garou perdu et épuisé !... En voiture, je comprends en l'écoutant que sa villa en Hollande est un squat occupé par six... il m'annonce fièrement que ça fait dix-huit ans qu'il a pas craché un loyer... que rien ne vaut la liberté !... il me psalmodie la fable du loup et du chien... Chez moi, il roucoule la filiation et le rembobinage des années…

 

Il est là depuis deux heures que j’ai des migraines de regrets… des projections de malmenages inévitables… Le bourgeois que je récusais farouchement vient tambouriner dans ma caboche en brasier… il réclame le licenciement de l’autre extravagant !... le peloton d’exécution familial !... la déportation des bons sentiments… Hésitant, je derviche en rond autour de la table… Lui, voit bien le manège de mon cerveau… il a l’habitude de ça chez les autres. Il sait les peurs et les lâchetés qu’il engendre. Finalement, j'ordonne froidement qu’il doit déguerpir. Qu’il restera pas, ni lui ni son baluchon… que puisque je lui ai promis quelques jours, je vais tenir parole en lui offrant l’hôtel quelques jours. Que ça devrait suffire. Que je suis désolé mais que c’est pas possible. Que j’m’étais cru trop fort. Que j’suis pas prêt à vivre avec un inconnu !... parce que c’est la réalité de ce qu’il est !... un inconnu !... un type que je n’ai pas vu depuis quatre décennies !... Le cousin bohème, il répond qu’il comprend… qu’il avait senti ma gêne… me demande s’il peut malgré tout dormir une nuit chez moi… que demain, il partira… qu’il veut pas de mes aumônes d’hôtel. J'accepte pour remblayer les cailloux sur ma conscience, lui dis qu'on va aller tout de suite voir à la mairie pour ses papiers. Je me sens à la fois honteux et soulagé lorsque je l’accompagne. Coup de chance terrible, il obtient le sésame demandé. Il en semble exagérément heureux.

 

Moi, je sais bien que ce chiffon sera jamais suffisant… que la cubaine restera encore des lustres sur son île... lui aussi sans doute. Une manière de me faciliter son licenciement. Il n’a plus besoin de refuge. Il a trouvé ce qu’il était venu chercher en document. En famille, sûrement pas… je l’ai ramené à la gare.

 

Le cousin bohème est ressorti de Pandore trois mois plus tard. Pareil à la première giclée !... facebookeries et fariboles !... y me raconte son dernier périple… qu’il y est retourné à Cuba, chez sa félicité !... sûrement parce qu’elle lui vend des vaudous auxquels il cherche jamais à résister. Je peux comprendre. Le rêve, c’est quasi son dernier pion. Il s’espère pas guérir... même qu’il y a transbahuté sa gamine de trente ans ! Un mois complet ils ont paradisiaqué là-bas !... 

 

Forcé, la gamine a connu le même sort que le padré… un love-boat tropique… un horizon possible d’Europe contre une façade d’exotisme. La toute puissance des sornettes qu’on baratine dans les moments de frissons charnels… ça freine jamais dans le crâne !... ça hurle toute sirène dehors !... ça dépenaille toute la raison et laisse que des lambeaux de logique… parce que c’est fissa terminus pour la logique, quand les hormones sortent de leur coquille… 

 

Et puis il a bien fallu reprendre sa quarantaine… rentrer au bercail… zéro vie-caraïbe et reprendre les Tchou-Tchou réguliers. En vrai, ça m’agace un peu qu’il ait trempé sa gamine dans son marécage… Pour moi, c’est tout pareil aux sacrifices humains des civilisations néolithiques son billet d’avion. L’aurait pas dû la bringuebaler dans son schnouf…

 

Depuis, elle change régulièrement ses photos de profils Instagram… y étale un rêve entraperçu et puis colle des ribambelles de cœurs et de déclarations définitives sous des photos au soleil. 

 

Le cousin, lui, y me psalmodie des messages obscurs… rien l’intimide !... Il m’informe que puisque sa cubaine pouvait pas le rejoindre en Europe, elle a saute-moutonnée clandestine illégale pour le Chili… qu’avant, il lui a filé la moitié de son pognon… qu’y supporte plus de rester comme ça !... qu’il est pour l’heure à l’aéroport de Düsseldorf direction la Sardaigne… qu’ensuite il ira en Corse, car il doit faire un contrôle de bronchite… bref, un blablata incompréhensible complet…

 

Il ajoute qu’y veut retourner à Cuba… qu’elle va finir par brûler ses chandelles et comprendre qu’elle a fait une zouaverie énorme… que c’est une hystérie passagère… Sa télénovéla me passionne plus guère. Je réponds rien et supprime mon compte Facebook.

 

 

5

 

 

C’est pour fuir ça tout en bloc que j’ai tracé mon trait entre l’Alsace et la Dordogne. Je me tortille dans ce paysage pour rayer mon sang et mes repères. Ici tout est neuf et personne sait rien de moi. Je peux m’inventer ou choisir de parler à personne. Y a zéro vie familiale à la ronde. Après Brantôme, Sarlat, Montpon, Limeuil et Monpazier, je somnole anonyme sur la plage du lac de Pombonne à Bergerac. C’est pas trop grand cette ville.  C’est pourtant la plus grande du département, à égalité avec Périgueux. C’est à Bergerac que je veux m’oublier un peu. Sur les bords du lac, de petits parasols blancs, pareils à des champignons vénéneux, sont plantés aléatoirement, masquant des corps luisants luttant contre les morsures du soleil. Les cuirs dorés sont offerts en sacrifice.

 

Je ne peux m’empêcher de penser aux émissions animalières où enfant j’observais émerveillé la migration des gnous dans les plaines du Serengeti. Gare aux crocodiles !  

 

Relevant la tête, je vois trois jeunettes tenir la pose. Maillot blanc, vert fluo et noir. Les pieds et les mains maquillés et leurs bracelets glissant le long de cous ravissants et cuivrés.  

 

Ma pensée s’assoupit au ronron du murmure caressant de leurs voix. S’affalant vers moi telle une langue de caméléon cherchant à me happer, leurs silhouettes sont jeunes et riantes. Le jeu des coquines est suivi par trois mâles partant à l’abordage de la trilogie contraire. Ils ont trouvé en cette plage leur champ de bataille. Ce type de bataille ne manque pas de soldats ! Quant à moi, j’ai perdu l’âme d’un partisan depuis longtemps et referme des yeux amusés sur les belligérants. Car sur cette plage se joue pour la énième fois la biographie humaine.

 

Pour dire le fond de ma pensée, je me fais zéro illusion sur la nature masculine. Je sais comment est l’homme depuis caverne. Il a guère changé quelle que soit l’époque et la latitude !  Dépravé pareil à toujours. Le plus souvent… pour presque tous… aucune chasteté choisie !... il parle et se gonfle, mais sa réalité est sèche ! Peu de gaudriole pour lui… Pas de dépravation brute de décoffrage… car en dépravation aussi, même en cela, il est médiocre !.... quasi rien de palpable ! Que de la rêvasserie d’adolescent sans fin !... Quéquette en berne ! Fornications à tous les étages, mais levées de zigounettes seulement devant Internet, immense bordel mondialisé. Chacun dégoulinant devant son peep-show… à reluquer les fantasmes en pagaille… en bouillie !... Cloaque virtuel ! Maisons closes toujours ouvertes ! Mélanges de chairs nues ! Mixture globalisée ! Pornographie capitaliste ! Vice complet ! Luxure de dès qu’on peut jusqu’à la tombe, l’homme zieute son prêt à niquer !... de l’industriel… du grossier !… du vulgaire !… de la nitroglycérine spermatique !... assauts acrobatiques !… montages de toutes sortes !… califourchonnés !… orgasmiques !... aspirations gloutonnières !... céans dressés !… poitrines méga-cosmiques ou petits lolos tout roses !... les touffes yulbrunerisées !... le bourbier de 14 que c’est !... une fange masturbatoire !… du tribalisme !… du saphisme gargantuesque !… des trans et des transes !... de la baise truiesque !... bandage au quart de tour !... quels gourdins !... gourdins d’ébène !... du vice et la pourliche au vice !… partouzes hilares !... décharges lubriques !... marécages viciés puant la vision honteuse !... images corruptrices et enculages à tous les clics !... lap danseuses à gogo !... cravaches au poing !... infection tout ça !... pas franc !... toujours pernicieux !... levrettes géantes !... chairs fétides s’entrechoquant !… perversité onaniste !... braquemarts cosmiques !...  embouteillages de vagins !... partout grosses miches à l’air !... tantouzes et goudous surmultipliées !... vinasse foutresque !... tout de la boue musculaire !... horizon pestilentiel !... jouissance repoussante !... ignoble !... abjecte !... la berlue que ça fout !... ça se culbute !... ça fait des mimiques !... mille coïts optimistes !... ça existe pas les pannes !... on sait d’avance qu’y en aura zéro panne !... revanche sublime de l’homme sur la bête !

 

Le fléau subi, c’est de partager tout ça… d’être en connivence malsaine. D’accompagner le vice des autres. D’être pas tout seul avec le sien !... Et attention, tout bien camouflé !... le slibard aux chevilles caché derrière l’ordi à remuer cette merde tout schlass, comme un chat de gouttière pissant dans sa litière… Pas grand chose à faire pour y réchapper ! Quand on commence, on regarde tout !… ce qui écœure comme ce qui ragoûte !... on laissera notre peau sur le web !... le web, c’est le bordel de grand-papa à portée de clic ! Mais lui malaxait de la chair véritable quand nous n’ensemençons que des kleenex !... épuisés, on se fabrique des nuits peuplées de multiples pollutions nocturnes… De ce magma d’images sont nées des tares gigantesques. Et cependant il faut le confesser, il ramène à l’essentiel de l’humain, à ce pour quoi tous les hommes se sont battus.

 

Le secret du monde humain, il est entre les jambes des femmes !... Tout le reste est babil romantique et charme désuet. C’est Courbet qui a vu juste. Rien n’égale l’atour de ce triangle de chair !... Il est l’origine du monde !

 

Malgré que je sois hors jeu, je regarde encore avec appétit les femmes sur les plages. Surtout sous les canicules. Quand c'est strip-teaseuses et accroupissement partout !... Faut les voir faire civières les vacancières !... c'est quasi féerique comme planches !... moi, je sais qu'il y a de la secte dans l'offrande docile de corps nus et huilés. J’adore venir aux balustrades observer la carte postale. Je déplore juste que les miches en avant, ça soit fini depuis lurette... Avant, ça culminait peinard à des épaisseurs de pastèques... là... c'est pour ainsi dire chair-radine et transe-maigre... ça ne donne plus chandelle ni trompette... ça fait banalement camps de scouts. C'est la faute aux deux-tiers de ma vie qui est derrière moi sûrement. Parce qu'y a plus place pour personne dans mes bandaisons nocturnes... qu'y a rien à empêcher... que c'est juste les années qui ont planté leurs hallalis sur la force qui jadis faisait farandole dans mes veines. Et que les écuries et les manèges - je dois bien le constater ! - c'est maintenant du souvenir baratin.

 

 

6

 

 

Je prends mon sac à dos et pars dès l’aube. Ce matin j’étais à Bergerac. Je pars pour ne pas revenir tout de suite, je veux marcher jusqu’à épuisement complet. J’ai besoin d’une bonne fatigue physique, mais avec la nature et le silence autour. J’aurais trop des envies de meurtres dans une de ces dizaines de salles de gym qui pullulent partout. Ce sont des fabriques de sueur et d’ego. Y a autant de miroirs que de machines musculaires dans ces clapiers ! La seule fois où j’y ai mis un pied, je me suis cru à un concours canin. Trop de monde, trop de bruit, trop de musique, trop de grimaces. Et puis, payer pour suer alors que les chemins et les pieds sont gratuits, c’est pas compréhensible pour moi.

 

Je crapahute travers champs et forêts depuis des heures. J’ai mal calculé mon temps et me retrouve au milieu de nulle part quand la nuit arrive. Ce sera une première. Une jolie première à la belle étoile. Il fait bon et pas de pluie de prévue, alors ça se passera bien. Je dors à même l’herbe, déroulant un plaid que j’avais dans mon sac. Il me reste du saucisson, un quartier de fromage et un quignon de pain. Un dernier coup de rouge aussi. La nuit sera tranquille.

 

Je me réveille avec le soleil, endolori et humide de rosée. Je reprends la route et après une très longue errance j’arrive devant des ruines. Pour se rendre compte de l’état, faut quasi être sur le pont-levis. A cent mètres, ça fait château fort moyenâgeux, comme si on avait remonté les siècles en douce ou qu’on serait au milieu d’une reconstitution. D’après ma carte IGN, c’est le château des Tours en Gironde, au large du village de Montagne. Je suis à 70 km de Bergerac ! Cette forteresse est une cuirasse abandonnée. Derrière une grille fermée, l’imagination glisse sur des pierres blanches et grosses.

 

Depuis une chapelle ouverte et dévastée, sans doute l’ancien prieuré du domaine, je remarque une fenêtre brisée au premier étage du château. Les herbes hautes masquent les pièges du terrain et il s’en faut de peu que je me torde une cheville en cherchant à pénétrer le sanctuaire vide. Un petit cri de douleur de ma part, et rapplique un gars se trouvant déjà à l’intérieur. Il  se penche du haut de la fenêtre brisée et me fait signe de venir. Je rejoins la grille, veux pousser le verrou mais la porte rouillée ne bouge pas. Depuis sa fenêtre, l’autre escaladeur sourit et dit qu’il faut passer par-dessus, qu’y a aucun danger puisque lui l’a fait. Il dit s’appeler Éric et être fana de photos, de nature et de lieux pittoresques. Pour ça qu’il est ici. Il dit que chaque week-end, il fait conquête d’un nouvel Eldorado. Éric explique, riant, que son dada c’est l’exploration urbaine de ruines et de trésors cachés. Que les quatre tours colossales donnant leur nom au château résisteront plus très longtemps aux ultimes conquérants ayant l’audace de prétendre lever un siège ici : les urbexeurs. C’est un peuple d’amoureux de lieux évaporés, de monuments vides et dissimulés. Éric fait partie de cette armée éparpillée et solitaire, appareil photo en bandoulière, soldats grimpeurs et adeptes des cabrioles, dévoilant jamais leurs coins à champignons. Les champignons des urbexeurs, ce sont des manoirs poussiéreux, des usines désaffectées, des bunkers engloutis et recouverts de verdure. Quelques cahutes en forêt et aussi des villages fantômes… Alors un château abandonné, c’est irréel et jouissif comme rapine ! C’est rarissime et à garder pour soi. Bien sûr, un château même abandonné, c’est jamais trouvaille miraculeuse. Ça s’oublie pas un château !... ça ne disparaît pas derrière 3 chênes et deux érables… Mais pouvoir y grimper, prendre cent photos et disposer d’une heure avant que quelqu’un ne rapplique, c’est paradisiaque.

 

Comme il voit que j’ai passé l’âge de jouer à l’homme araignée, il descend me rejoindre, dit qu’il a pris les photos qu’il y avait à prendre. Il veut me montrer son shooting comme si j’avais été cabri moi aussi. Les clichés défilent et son torse bombe d’une fierté sèche et méritée. Il ne s'arrête pas aux photos de l’intérieur du château… il montre tout… un moulin perdu près de St-Martial, un barrage sur l’Isle, une gravière à côté de Périgueux, une ancienne abbaye en ruines. Il montre aussi les dizaines de clichés de son chien mort il y a trois ans. Son clebs en balade, son clebs en forêt, faisant chien éclaireur d’Urbex avec lui ! Même qu’il avait un flaire hors pair pour ça !... Je vois une larme couler de son œil à sa barbe quand Éric range soudainement son appareil photo, me salue et part de son côté, disparaissant derrière une haie de platanes.

 

Je me rends compte que tous les endroits dont m’a parlé Éric, j’y ai mis les pieds déjà… mais que j’y ai rien vu de ce qu’il m’a montré. Que ce que moi j’y ai vu, c’est toujours du pareil à ce que je voyais aussi en Alsace. Je m’interroge sur la suite du voyage. Après la Dordogne, je vais où ? Ça pourra être qu’un retour qu’y reste à faire. Ça sera demi-tour d’une manière ou d’une autre. Seule certitude, je ne veux pas de la hâte du train. C’est  trop rapide comme locomotive, je louperai forcément des trucs. Pas d’auto-stop non plus. Je suis pas fan des discussions obligatoires. Alors quoi ? Éviter les routes droites… couper dans les villages… voguer sur les départementales… zigzaguer en France. La boussole vers n'importe où. Y a rien de mieux.

 

Mais j’oublie de me décrire. Je ne ressemble plus en rien à l’homme que j’étais. Arrivé tout en bas de mes lassitudes, assénant aucun conseils ni avis sur la vie des autres. Après quelques semaines d’errance, je suis un barbu tout frais moulu, un vétéran du monde civilisé !... ayant prononcé trente phrases peut-être depuis mon départ !....  faut imaginer la dégaine va-nu-pieds… heureux comme Robinson avant Vendredi. A ne plus demander à quoi je pouvais servir !... à ne plus faire de diplomatie avec personne  !... Sur l’échiquier, j’ai troqué le statut de pion à celui de fou, et c’est bonheur !... peu importe si y aura personne à me regretter !... Je me suis consentis l’égoïsme global !... Les autres n’existent plus !... ça n’est que buées disposées autour de moi !... J’utilise des verbes à l’impératif. Marre de l’indicatif. Marre de l’imparfait.

 

De toute façon je parle très peu. Je fais que penser. Ça fait autant de mensonges en moins. Les mensonges grisent. Je génocide  mon  Pinocchio ! Je le musèle ! Je l’excommunie ! Comme le ciel est moins dur ! Je ne  plante plus de bornes à bonheur pour les autres ! Je décline en déclinologue ravi, comme tous les déclinophiles ! J’ai les pensées en roue libre ! Je les paye en verres mes abus de pensées ! Que vaut ce que je suis devenu ? Peu importe… La vie me nuit, mais pas plus qu’avant… pas plus qu’aux autres… A ma décharge, on me déclare pas très saint d’esprit ! Avec des pensées blasphèmes tombant des nues.

 

Depuis peu, je fuis même les églises. Avant, j’y allais pour l’architecture, pour le silence, pour la transmission, pour Christ en croix et la lumière sur des vitraux remplis d’art. Je n’y entre plus. Les messes, religieuses ou pas, sont des laisses invisibles… des invitations à en découdre avec soi-même jusqu’à ce que l’on flanche et que l’on se couche !... jusqu’au rampage complet devant l’Éternel ! L’humain crie famine ! Toujours ! Famine physique, spirituelle ou sentimentale ! Je préfère ma banquise aux prairies malodorantes. Exquise banquise. Qu’y a t-il de meilleur ici-bas. J’ai assassiné mes vieux bonheurs, et repris l’instinct du chasseur. L’instinct du tueur de gibier. Je pèse moins lourd au fur et à mesure que je pense davantage. Lien de causalité évident. Je suis la brebis égarée du troupeau ! Celle qu’on annonce dévorée aux autres encore dans la bergerie. Je suis prêt à témoigner contre moi si ça peut calmer. Ou à faire silence de plomb ! Avant de se reconstruire (grande lapalissade !) il faut se démolir ! C’est pour ça que je me suis mis en quarantaine, tel un flamand rose éloigné des marécages boueux et pourtant plein de poissons. Je sais bien que ma voix ne porte nulle part… qu’on met le troupeau en garde contre moi !... que les harangueurs de foules dociles me nomment oisif et rêveur. Moi je crie vive Darwin ! Tous chimpanzés ! Rien de plus ! Chimpanzés complets !

 

J’ai décidé de bouter le monde hors de moi !... je vais m’y faire de plus parler… je vais m’y plaire dans ce silence ! Y a trop d’interlocuteurs ! Trop de bouches !... y a deux fois plus d’oreilles pourtant et on est envahi de bouches ! L’aurait fallu un contrôle sur le pléthorique nombre humain !... Sur la civilisation mondiale née de la machine  !... sur la civilisation télégénique !...

 

Réfléchissez et parlez vous aussi qu’en cas d’utilité vitale, de nécessité absolue. Vous aurez comme moi tout d’un Bernardo ! Les paroles sont presque toujours inutiles. Facilement remplaçables par un geste ou un  grognement. La parole c’est toujours le tremplin du mensonge. Je crois que dans un monde de muets, les guerres n’existeraient pas. La langue est le plus vil des organes du corps. C’est la fourche du diable. Dès que l’on cesse de parler, on se met à penser… Seule la société nécessite la parole. Dès lors que l’on se tait, on approche la vérité nue de soi. Par la panne sèche du mensonge véhiculé par la langue. La parole est vaniteuse. L’échange verbal porte en germe le conflit larvé par la soumission rêvée de l’une à l’autre des parties.

 

Les hommes sont des bouffeurs de viandes et l’autre, toujours, à des degrés divers, est vu comme un steak à griller ou une côtelette à engloutir !...  C’est pour ça que je parle seulement lorsque c’est obligatoire. La voix que j’entends lorsque je parle me semble provenir d’un autre gosier que le mien. Si je parle en dormant, je me réveille aussitôt de l’ébahissement provoqué par le son de ma propre voix. On l’oubli avec facilité, le son de sa propre voix quand on cesse de parler…

 

 

7

 

 

Je trotte à ma guise à travers une forêt épaisse, une sorte de paradis originel que rien ne distingue des  bocages moyenâgeux. Je suis Robin dans Sherwood… à la différence près que pour moi, le shérif de Nottingham ce sont tous les autres….

 

Aucun bruit humain ici, si ce n’est celui de ma respiration ou celui de mes pas sur le bois sec. Pour la première fois depuis longtemps je suis heureux… pleinement heureux. Retiré… posé dans le jardin d’Eden… sentant intensément les aménités de nature Biblique… Un Noé sans déluge que je me sens ici !... Allez faire comprendre ça au monde ! Personne comprendrait… Clochard !... qu’il ricanerait le monde… Asocial !... Malfaisant !

 

Pour vivre avec rien, faut être presque rien !  C’est de pas comprendre ça que le monde meurt. Tout le monde veut être quelqu’un… alors forcément y a besoin de plein de choses… et c’est le début du vice, de la pourriture en nous… de la civilisation.

 

Le paganisme a vu juste. Y a pas un Dieu mais plusieurs. Qui sont aussi des diables. Comme les humains. Plein. Un régiment. Un wagon complet. La vérité est païenne. La religion Paulienne a tout saccagé. La prière du monde s’infuse en mon âme. Je suis électricité. Je suis mon père. Mon père était le fou de l’asile. Je suis le fou hors d’asile.

 

 

8

 

 

Oh surprise, j’ai faim ! Vraiment faim !... Pas une de ces fausses faims fabriquées… pas celles qui vous viennent sans s’annoncer au détour d’une boulangerie au four chaud ou d’une friterie fête foraine. Là, j’ai une fringale d’antan. Une de celles qui creusent à petit feu l’estomac… une vraie famine de pauvre. Depuis le matin elle s’annonçait, carillonnait à mon ventre son tocsin ancestral.

 

« Faut manger quelque chose » : c’est là toute ma réflexion. Y a rien d’autre à cogiter. Plus de méthode de Descartes, plus rien. J’ai faim, donc je suis un ventre ! Je suis revitalisé. Mais j’ai pas l’instinct de survie du chasseur ou du guerrier. Je suis juste un consommateur en cure de désintoxication, avec la sensation de m’enfoncer, d’être complètement paumé en moi. Plutôt proie que prédateur. C’est moi qui risque de finir bouffé dans ce paysage ! Elle se planque où la biche ? Avec quoi je la bute d’abord ? Avec une pierre ? Quand bien même Bambi se suiciderait à mes pieds par bonté d’âme, je la mange pas cuite ? Je l’ouvre avec mon canif ? Je la vide ? Je l’éviscère ? Je suis ni Cro-Magnon ni Neandertal.

 

Solution de repli, je me décrète herbivore. Je broute pissenlits et trèfles, ruminant des heures. Bovin comme toute l’espèce humaine, mais je dégobille tout derrière. Repas non mangeable ou contaminé de pisse de renard. La faim fout le camp direct !... Elle a les jetons de ce que je lui file pour la ravir !... Je bouffe ensuite des trucs qui semblent des champignons. Pas ceux des boîtes de mon enfance. Pas des petits blancs de Paris, les seuls que je connaisse. Je la jauge peu sûre, ma cueillette… mais  bâfre quand même, sans réfléchir. C’est un suicide à la roulette russe, avec des champignons sauvages dans le barillet du révolver.

 

Et là, hallucination sensorielle ! Je pars pour un trip du tonnerre ! Bonaparte est devant  moi !... J’ai froid !... Je grelotte !... ou je suis !? Reclus dans l’hiver 1812 terrible !... je reconnais aux souvenirs un tableau de la galerie des batailles… Il y a du blanc et du rouge… Je veux me réveiller mais je peux pas !... trop engourdi !... peut-être blessé !... je ne sens plus rien !... Je vois des hommes avec des brodequins percés. Des hommes courbaturés par d’interminables marches. Des hommes entourés d’une meute de cosaques terribles et se nourrissant du cadavre tiède de chevaux pelés, décharnés… pour finalement disparaître aux alentours d’un fleuve destructeur. Et sur les berges, à la lueur des flammes… les fusils !... les couvertures !... les oreillers !... l’argenterie !... les robes !... tout éparpillé pêle-mêle !... un trésor sans voleur. Une armée à la dérive. L’odeur de la chair charbonnée partout. La faim qui vide les ventres. Qui encourage les mauvaises pensées cannibales.

 

J’ai compris. Je suis parmi les fuyards de la Bérézina. Toutes les nations qui façonnent l’armée impériale avancent sans se plaindre. Les mains, les pieds gelés, les hommes se défendent du froid blanc assassin qui par vagues entières emporte les destins. Nous fuyons Wittgenstein et ses pâles cosaques. La neige s’abat, formant de grandes plaques de glace autour de nous. Menace continuelle du givre !... L’eau charrie des glaçons. Chacun veut passer. Il n'y a qu'un pont. D’où un affreux désordre. Nul n’est plus guerrier ! Nous sommes devenus insectes affolés fuyant dans un tohubohu sonore. Derrière nous, féroce, c’est l'armée russe encore !

 

L'encombrement extrême sur le pont fait craindre qu'il ne se rompe net. Le jour vient de poindre. Nous distinguons les feux des russes. Ils recouvrent le rebord opposé, occupant les marais.  « Il faut franchir cela ou nous sommes déjà morts ! » aboient les premiers. Mais à quoi bon alors ? Nous y périrons tous, pensais-je dans ma peine. Au loin, cinq à six cents cosaques dans la plaine... Des colonnes se ruent sur le pont pour passer. L’effroi devant les russes est accentué par l'absence de chef ; tout n’est que fatras. Il faut construire deux ponts, ou nous resterons là ! Les pontonniers vont dans le fleuve malgré les gros glaçons coupants, les chairs ensanglantées ! La rivière soudain, surpeuplée de noyés, semble une fabrique mangeant ses ouvriers ! Et l’odeur de la chair noircie sous les narines ! Et cette faim qui enfle ! Les idées qu’on devine ! Les pensées nécrophages ! On referme les yeux, ces petits sarcophages de l’appétit honteux ! Arrière ! Semblent nous dire ceux des flots pris en otages.

 

La glace est trop présente pour passer à la nage, trop peu pour y marcher, voilà notre malheur ! Tous ceux là s’effondrent dans ce berceau d'horreur !  Ils  demeurent comme pris dans un liquide étau… se cognant tour à tour, aux caissons, aux chevaux. Une forte gelée survient dans la nuit et raffermit le tombeau et la rivière permettant aux pénibles convois de franchir le cercueil ! De prendre le chemin bordé de mille linceuls ! Les pontonniers superbes du général Eblé durant toute une nuit  avaient  bien  travaillé !

 

Ces hommes-là, de l'eau jusqu'en haut des épaules, s’étaient tous sacrifiés en saints sans auréoles ! Les figures endormies par l’invincible froid, aux lueurs du matin gisaient loin des combats ; ces figures passées n’avaient plus rien d’humain ! On s’espère tous morts pour le lendemain ! Tachées du sang de tous, là les quelques pelisses, surplombent des visages qui montrent le supplice de vivre encore un peu ! Car le plus vil et bas, est cette indifférence que désormais l’on voit au spectacle des morts qui nous apostrophent. Ne vous y trompez pas, nous ne sommes plus saufs ! Les ponts se sont rompus, mis en feux par nos troupes ! L'ennemi approche… il faut que l'on coupe... C’est une suite terrible de trainards, de civières ! « Enjambons les cadavres pour passer la rivière ! » C’est le troisième jour  que  j'entends ce  cri !   Cet  appel  extirpé croirait-on  de  la  nuit !   Ce  cri  indéfini !   Cette  oraison sonore !... comme si tous les êtres épousaient la mort…

 

 

9

 

 

Je me réveille, espace vital envahi. Trois gamines pas bégueules m’font les poches ! J’en chope une par le chignon… deux gifles, trois insultes et les jambes à son cou… Revenu complètement à moi, j’me demande si j’ai eu la berlue… si les nénettes, c’est pas le résidu d’un rêve érotique tendance sado-maso qui aurait mal tourné à cause des champignons. Je me demande si elles n’avaient pas voulu, dans mon fantasme tout chaud, me faire du gringue, les jeunettes !... tout ça m’émoustille terrible !

 

Ben non, patatras  !... c’est réel. Y me manque du pognon grave ! Oh, pas tout, mais quand même… Je suis bien clair maintenant. Plus du tout envie de bander !... Les garces !... les crevardes ! Les arnaqueuses !... C’est fou comme l’âme de propriétaire me revient d’un coup avec l’envie de bastonner aussi sec ! Suivie de près de tout l’attirail  civilisé : justice, milice, expulsion de mon territoire… C’est  pas  gagné non !... c’est pas gagné.

 

Bien que j’ai zéro idée d'où les débusquer, je mets pas longtemps à les ravoir sous le nez, les chapardeuses… Au sortir du bois, y a un camp de gitans. Oh, les bobines foireuses  !... J’en mène pas large, moi avec ma barbe fluette… isolé dans cette clairière… avec une vingtaine de caravanes occupées peut-être par cent assassins ! Je suis pas très frais… pas loin de me pisser d’sus. Curieux mélange de  trouille (j’ai quand même fichu quelques torgnoles à leur progéniture) et de joie de rejoindre le troupeau humain.

 

Tout de suite, un mec, mélange de tronche de nordaf et de chintok, se dirige vers moi. Il me tend la pogne et veut me rendre mon fric. J’en veux pas… j’le lui dis !... c’est l’amende que j’me suis auto-infligé pour les méchantes gifles… Panachage de réalité et de stratégie. Beau joueur, que j’veux paraître. En fait, s’il me rend l’argent, je crains les représailles… de finir castagné direct par  ces canaques  !... J’fais un peu nabot face aux malabars…

 

Il se marre, garde le fric et repart vers sa caravane. Après discussion avec trois types aux tronches de porte-flingues, il me fait signe de venir les rejoindre. On m’offre un café. Personne me questionne. Je crois que peu leur importe qui je suis, où je vais, ce que je cherche… Ils  demandent si j’ai faim. « Faim ? Oh oui ! » je réponds. Je gobe deux assiettes, mange pire qu’un animal… protège ma bouffe !... Une fois repu, j’ai  honte de ma fringale mais personne me fait le moindre reproche. Juste des sourires amusés. J’écoute leurs histoires, leurs chants, leur façon de jouer de la guitare. Tout ça me fout un cafard grandiose. J’en vois revenir avec quelques larcins sous le bras… y se cachent pas… Je suis pas flic, j’en ai rien à foutre... Je me souviens en souriant de mon  ancienne vie de conseiller en assurances, de tous ces dépôts de plainte qu’on amenait pour des cambriolages. J’ai l’autre face de la pièce sous les yeux.

 

C’est une fourmilière humaine ce camp. Y a des laveuses avec des tronches de Joconde. Des artistes les guitares plein les doigts. Des voleurs. Pas de poules, ça rapporte zéro les poules. Des administrateurs, ceux qui font la parlotte avec les communes, les relations publiques quoi… Mais y a pas d’assureur… pas besoin… j’suis inutile ici… un germe nocif. Le soir, images d’Épinal : feu de  camp !… guitares !… danseuses gitanes !... Baila  et compagnie !… Tout le folklore. Gipsy King et Chico ! Toute la troupe y passe !

 

Est-ce pour moi, pour satisfaire mon goût d’exotisme ? Je ne crois pas. Après une heure ou deux de ce spectacle, les plus petits rentrent sous la couette, dans les roulottes modernes… sous les regards d’hommes devenus complètement maîtres de la nuit. Les trois chapardeuses dansent encore, elles, toujours autour du feu. Envoûtement visuel. Comme je bats la mesure en rythme, l’un des guitaristes me tend son instrument, demande si je veux jouer un truc. Ça leur paraît évident que je dois savoir gratter. Y a zéro espoir que je rivalise en dextérité. Je suis forcément moins bon qu’eux, malgré des années de pratique. Le meilleur nageur sera jamais qu’un piètre poisson, ça c’est certitude. Alors, je tente un stratagème. J’ai mis en musique il y a des années un poème de Verlaine qui s’intitule « Grotesques ». Ça parle des romanichelles, des bohémiens, de tous les vagabonds de la route… Je sens que ça pourrait leur plaire… Je repose la guitare… prends mon souffle et récite sans musique. Au coin du feu, et avec les volutes dessinant des ombres dans la nuit.

 

Voilà comment ça commence :

 

Leurs jambes pour toutes montures, 

Pour tous biens l'or de leurs regards,  

Par le chemin des aventures, 

Ils vont haillonneux et hagards.

 

Les regards s’embuent… ma voix seule emplit la nuit. Je poursuis le poème jusqu’au bout.

 

Voilà comment ça finit :

 

Tout vous repousse et tout vous navre,

Et quand la mort viendra pour vous

(maigre et froide) votre cadavre,

Sera  dédaigné par les loups !

 

Le poème achevé, je me mets à chialer pour du bon. Debout sur leurs cannes et en silence, les uns les autres posent une main sur mon épaule et vont se pieuter. Une vieille voûtée aux chicots aléatoires, caricature de cartomancienne de foire, chuchote dans son coin : toi, tu mérites pas d’être un gadjé. C’est ce soir-là que je me guéri de mes envies tziganes. En étant près d’eux… en geignant avec eux… Je sens que même sans être un gadjé, je ne serais jamais un des leurs… Je ne souffre pas. J'ai juste un caprice de bourgeois.

 

Les chemins que j’ai pris, ça fait du grabuge dans ma tête !... Je n’ose pas poursuivre mes réflexions de peur de trouver face à moi le visage de mes enfants. Visages qui me toisent tout le temps depuis mon départ !... Visages tout bouillants de colère !... Je m’emballe peut-être, mais ces visages sont des visages vampires  !... visages me suçant le cerveaux !... visages organisant des défilés !... dix mille revendications ! des visites impromptues !... des mystères !... ça fait bien des vingt-minutes que je suis avec ces frimousses dans mon ciel quand j’entends ce bruit familier. Un ressort qui grince. Un matelas farfouillé. Deux soupirs venant de la nuit des temps. Toujours ces frottements malhabiles. Je m’éloigne des caravanes pour dormir belle étoile.

 

Il y a un papy qui rapplique. Il veut parler. Il s’appelle André Berger, mais dit que je peux l’appeler Rollmops. Que c’est comme ça qu’on l’appelle aussi loin qu’il se souvient. C’est sa mère qui lui a fourgué le surnom parce qu’il est gros et petit depuis toujours. Qu’on dirait qu’il est bardé de lard. C’est pas méchant, c’est juste rigolo selon lui. C’est Rollmops pour l’éternité.

 

Il me parle de ses collections. Il bosse dans la ferraille et adore restaurer les anciens tacots. Façon de parler. Car quand il me demande de le suivre pour me montrer son dernier projet, je découvre une Torpédo Delahaye de 1927 ! C’est ça son tacot ?! Il dit que les chromes sont légèrement patinés mais qu’il a une solution pour ça… Il a 69 ans Rollmops, et une allure de mioche ravi. Il a une moustache à la Errol Flynn, un chapeau de cow-boy qu’il ne quitte que pour dormir, et une ceinture à la Rocky Balboa. Il veut maintenant me montrer sa collection de Vinyle, une fournée complète de 33 tours d'Elvis Presley. Ce sont des originaux dénichés quatre coins du monde. Il dit qu’il a visité trois fois Graceland, la demeure du King au Mississipi. Que Memphis est telle qu’il la rêvait !... il fait tourner « That’s when your heartaches begin » sur sa platine. Il fait l’exégèse du morceau. C’est le tout premier disque d’Elvis. Un Elvis de 18 ans seulement. L’enregistrement date du 18 juillet 1953. Y a qu’une voix et la guitare. C’est Elvis qui joue et c’est assez mauvais. En même temps, c’est juste un cadeau de celui qui deviendra le King pour sa mère. C’était pas prévu pour être écouté 70 années plus tard… Ça raconte l’histoire d’un type qui trouve sa nana dans les bras de son meilleur ami. « C’est à ce moment-là que vos chagrins commencent »… Rollmops veut ensuite me faire écouter la version en français de Johnny… mais hésite car dit que ça le fait chialer à tous les coups. Je demande s’il vit seul. Rollmops monte le son de sa chanson. Apres deux bières, il me propose de finir la nuit dans sa caravane, sur un canapé bancal où sommeille déjà un vieux chien.

 

Le lendemain matin, je reprends la route. Je les observe de loin, arrangés à leur manière, ni pire ni meilleure que la nôtre. Un système hiérarchique tout pareil… plus tribal sans doute… moins sociétal… prémices de la société quand même… Je fous le camp, clochard pédestre ayant besoin urgent de se laver. Ça gratte la tête. Ai-je des totos !... c’est bien fini les good looking d’avant  !...

 

La vérité, c’est que je m’y suis pris beaucoup trop tard. Mon périple, c’est un pétard mouillé ! C’est du temps de sa jeunesse qu’on doit tenter les choses pour les réussir ! Après ça peut virer que grotesque. Quand l’horloge est sur six heures du soir, faut pas croire qu’il est six heures du matin !... On mastiquerait bien avec des dents neuves, mais nos chicots sont déglinguées et fausses. On fera que des sorties autorisées. C’est l’hospice des idées et des jours devant nous !... tous ceux qu’y vous disent le contraire, c’est du mensonge à gober !... Les grands destins, c’est toujours des jeunesses. Napoléon il était général conquérant l’Italie à 24 ans ; à 28, il ravageait l’Egypte et l’orient ; à 30, il prenait le pouvoir en France ; au firmament d’Austerlitz, il avait 36 ans !... Son neveu, Napoléon III est moqué en Napoléon le petit par Victor Hugo ; c’est Napoléon le vieux qu’il aurait dû l’appeler !  Car Napoléon III se proclame Empereur à 44 ans !... A ce même âge, Napoléon 1er abdique et son œuvre est derrière lui. Les grands révolutionnaires sont tous morts avant 40 ans ! St-Just avait 27 ans ! Robespierre, 36 ! Dans le camp d’en face, Marie-Antoinette et Louis XVI, 38 et 39 ans ! Les principaux généraux de la révolution étaient pas même trentenaires !... Bien avant eux, Richard cœur de Lion avait 32 ans lors de la 3ème croisade, le chevalier Bayard, lors de la bataille de Garigliano, son plus grand fait d’arme, avait 28 ans ! Jeanne d’Arc a péri sur le bûcher âgée de 19 ans ! Ce qui est vrai en art militaire l’est pour tous les arts. Rimbaud a clos sa poésie à 20 ans ! Céline a écrit son voyage au bout de la nuit à 36 ans ! Les Beatles ont fini leur histoire avant d’avoir trente ans… Elvis, c’est à 20 ans qu’il a déferlé sur le monde. Michel-Ange, il avait 33 ans lorsqu’il démarre sa fresque à la chapelle Sixtine. Van Gogh à seulement 35 ans lorsqu’il peint sa nuit étoilée. Bizet écrit sa première opérette à 18 ans et Carmen à 36, avant de mourir. Mozart est mort à 35 ans, laissant son œuvre derrière lui. Même le Christ avait terminé son œuvre trentenaire… Aujourd’hui, on reste en langes jusqu’à 60 ans. Nous sommes un peuple de vieillards avec des grabataires à sa tête. Un peuple de capricieux refusant de sortir des crèches. Où est passé la jeunesse hurlant aux hommes : faites-nous place !

 

Voilà. J’ai fait le tour du cadran. Où suis-je maintenant ? Y a que des coups à prendre… des dégrisements à redouter… Elle commence à me courir, cette évasion intellectuelle ! En plus, ça sent la fin des ressources. Ça schlingue la rapine. La mendicité. Je gamberge des tonnes, me bricole des idées… Les idées, c’est comme les fringues, ça habille un homme… ça le réchauffe et lui donne un genre. Le risque en idées, plus encore qu’en fringues, c’est d’avoir 55 ans et se vêtir d’idées vieilles, passées de mode. Etrange impression d’avoir déniché ses idées à la brocante. De les avoir chinées aux puces et les vides greniers et d’avoir rafistolé un vieux savoir usé !… ça crée un malaise cette dissonance. Je me sens aussi inutile que le vieil utérus des mères qui n’enfantent plus.

 

J’en suis tout retourné… nerfs à vif. A quoi bon tout ça !… tout ce rien grotesque, bien plus grotesque que les tziganes de Verlaine. C’est trop de barbouillis dans ma tête. C’est trop de méprise. Je me prépare de la perplexité pour  des années. Les psys seront ravis de m’écouter dégouliner mes lubies.

 

Les autres diront que je me suis flanqué d’une randonnée toute inutile… vont jubiler les autres ! Y vont m’traiter de drôle d'oiseau… de tête de moineau  !... ça brocardera dans tous les coins !... pourquoi qu’j’suis allé faire le zèbre loin de mon trou ? Les ploucs y m’feront voir les trente-six chandelles !... ça s’ra un concert de jurons !... ça s’ra moqueries à plus finir !... un klaxon de vilénies… honte à mes trousses !... et puis ça servira à rien de se cabrer… y prendront leurs airs entendus les Lucifer !... riront sous la lune rousse !... Ils se sont jamais mouillés eux, alors y m’traiteront de bellâtre !... de vaniteux !... En ont-ils eu des muses et des égéries eux ? La vérité, c’est qu’y z’ont eu que des méchants farfadets !... pour ça qu’y bavent… qu’y disent que j’ai enquillé les conneries.

 

Voilà c’qu’on dit déjà dans mon dos !... que je me suis vu Magellan et me suis fait bouffé tout cru. Ça n’est que des dédains pour moi !... on cause de mes arrogances !... de la morgue que j’ai !... de mes airs comme des insolences !... pire qu’un mépris  de caste !... une fierté de peigne-cul !... l’orgueil des toujours ratés !...

 

Ça gigote dans mon crâne !... tout freluquet que je suis !... tout blafard !... y parait que j’ai l’air maladif… de la peluche sur les os  pas plus… C’est c’qu’on dit de moi quand je passe… tout flapi. On murmure que j’ai tourné fou. Ils réclament mon internement d’office. Hôpital  psychiatrique… sur les traces du père… Calmants acidulés pour bonbons friandises.

 

 

10

 

 

Dans le nomadisme, on peut pas accumuler. Quand bien même on voudrait, on le pourrait pas. J’ai  peut-être le cœur tzigane.

 

Tel un scaphandrier, je descends au plus profond de ma mémoire, à la recherche de mon temps perdu, joli temps sans nul autre pareil. Et c’est un meurtre qui refait surface ! C’est tonton René qui déboule face à moi ! Qui réclame d’être un souvenir lui aussi ! Le tonton René, celui-là, c’est à Fleury-Mérogis qu’il a clamsé. J’ai que des souvenirs de gamin apeuré avec ce type. Je m’souviens de lui montant les escaliers jusqu’au troisième étage. C’est dans un perchoir que nous logions à l’époque. Chaussé de lunettes de soleil faisant de ses yeux deux trous noirs dans lesquels se reflétaient les miens, il paraissait aveugle et infirme !... attention, deux trous noirs hiver comme été !... 

 

Il montait les marches deux par deux… main gauche sur la rambarde... sifflotant gaiement. Moi, assis sur le palier, je le regardais monter à travers les barreaux de l’escalier colimaçon. Ma mère disait de rentrer illico !... refermait le verrou derrière !… silence et surtout plus bouger. Moi, planqué sous la table. Lui, tambourinant à la porte. Il veut voir son frère. Ma mère répond que mon père n’est pas là. Il patiente un peu… puis s’en va dans un juron en alsacien. Déjà ivre… 

 

Un soir, il a buté avec un complice le vieillard qui habitait au premier étage. Un vulgaire cambriolage qui aurait mal tourné. J’ai appris plus tard qu’ils avaient attaché le vieux à une chaise et l’avaient bâillonné un peu trop fort… Lorsqu’ils sont partis le vieux ne respirait plus. Vingt ans de taule. Il en fera pas dix. Il est mort avant. Nous, on était devenus la famille de l’assassin. Pas facile à porter. L’arrivée d’un petit frère rendant le logement familial trop exiguë fut l’occasion rêvée de nous éloigner des lieux du crime. 

 

Pour tonton René, la vie ç’avait été un pet entre deux néants !... Mon père expliquait le frangin surtout par la guerre d’Algérie. L’anarchie vinassière peuplée de chants de garnisons ! L’habitude prise de la bouteille et de la mort. Y parait qu’en Algérie, les soirées étaient châtaigneuses… Ça me filait un coup terrible à mon patriotisme enfantin… ça collait pas du tout avec le courage et l’honneur. La guerre en vrai, c’était moins mirobolant qu’avec mes petits soldats. Parce qu’en vrai, les hommes y z’ont peur de mourir !... Alors tonton René il a comme qui dirait explosé en vol… Il est revenu tout tordu dans son crâne !... avec pour amis, la bouteille et la faucheuse. Y a malheureusement pas de morale à chercher là-dedans. Tous morts. Rien à comprendre. L’homme est incurable. Pas vouloir le guérir… Vouloir guérir l’homme de son mal est un délire de charlatan !...

 

Alors ! Le moment de bonté arrive quand ! Je chasse l’oncle assassin… mais je sais qu’il reviendra comme toujours. Que je dois laisser son image en friche, pas l’arroser d’affection, mais que c’est ma terre natale et que c’est ainsi.

 

Je fais le tour de quelques souvenirs et idées. La vie n'est digne qu'avec la gaieté du partage. Une gaieté onaniste finit toujours par se renier. C'est un nombrilisme. Seule la joie de l'autre permet d'exister en vérité. En amour, plus qu'en spiritualité encore, ne cherchez aucune preuve. Surtout pas. Aucune preuve n'a jamais convaincu qui que ce soit. Il est des domaines où tout est affaire de foi. Je pense à cette femme qui m’attend quelque part... Mon amour, tu es belle comme la nuit, telle qu'on la voit quand le jour tombe... tu imposes ton désordre dans mes pensées. La vie est merveilleuse et fragile.

 

La vraie force, c'est protéger plus faible que soi. Cogner est à la portée de n'importe quel marteau.

 

Un pissenlit s'éveille dans la campagne. Il se tord vers le soleil. Un rondelet rouge-gorge déploie mille chants agressifs dans sa solitude. Plus loin, un ruisseau pleure en rythme et en sourdine. Tout le paradis est là. 

 

J’écris sur un calepin : nous sommes le 13 mai 1469. Je voulais l'écrire une fois. Je sais que je suis un vieil enfant. Que le purgatoire dure de ne pas le savoir. 

 

Chère inconnue, vous m'aviez conquis Gare de l'Est. Vous étiez de dos, je ne vous voyais pas, et vous étiez plus belle encore que dans mon imagination.

 

Quand les cimetières sont trop bruyants de silences éparpillés et de pensées rampantes, des platanes affectueux étendent leurs bras somptueux au-dessus des rescapés accablés des marbres gris. 

 

"Quand viendra la saison nouvelle, Quand auront disparu les froids,

Tous les deux, nous irons, ma belle,

Pour cueillir le muguet au bois ;"

 

La villanelle des nuits d'été de Berlioz est un paradis d'images, d'odeur et de musicalité. Je me noie dans la nouvelle saison, la vie valait la joie d'être perdue.

 

Je me souviens ; dans le train, mallette de voyage sur les genoux, le paysage courrait vers une blondinette. Les troncs se flouaient au passage de mon attente.

 

La cave du musée Rodin buissonnait d'un peuple statique. Là un buste, là une main... là une danseuse, d'anciens bouts de quelqu'un... Des âmes-empreintes endolories stagnant dans les bronzes, les pierres et les plâtres, camisolés dans une lourde patine éternelle. Ce monde rêve d'un jardin aérien, imagine un Éden romantique, depuis qu'il entend murmurer dans le colimaçon, cette litanie des visiteurs, comme un frisson : ce baiser en pleine lumière est une œuvre érotique ! Ma blondinette, je l'aime depuis mille ans... ou même avant... je l'aime comme un enfant aime un tambour.

 

 

11

 

 

Ma vie vue de près est un édifice se fissurant, et je ne suis pas formidable maçon. Je n’ai pas le goût des constructions ni celui des Mikado. Du sable, ça il y en a ! Mais peu de mortier ou de ciment.

 

Je préfère ramper dans les espaces clos et ciselés par la nature, balbutiant mes psaumes en mélopées joyeuses. Un hibou déployant ses ailes semble y bénir le profane consacré. Jamais, je ne me suis senti autant humain de la Terre qu’au moment de cette bénédiction animalière. Alors, je veux croire en cette église nouvelle,  tel un prophète égaré avant la révélation, avant la sainte onction. J’avance dans la forêt profonde. Des rythmes endiablés résonnent dans mon âme comme sur une essence de chamane retrouvé. Je ne suis qu’une grosse caisse, un gramophone d’artères et de sang. M’allongeant sur le sol, la racine d’un chêne me triture le dos. Une odeur de mousse et de champignon envahie mes orifices faciaux. Je pleure avec de gros reniflements sonores... Ce qu’on nomme le destin est un amoncellement de choix faits et de choix non-faits !... je regarde ma vie et observe l’édifice obtenu… les années se sont extirpées hors de moi avec l'aisance de l’eau qui disparait dans les craquelures du sol.

 

Pour vous comme pour moi, chaque matin, tout reste possible !... Vermine ou Prophète, c’est selon. Loup ou agneau ? Seules les fables séparent nettement les bêtes… L’aventure humaine est plus indécise… elle amalgame souvent… dispose sur les miradors ou entre les murs, selon des circonstances extérieures bien plus fortes que ce que les hommes (une fois les guerres finies et gagnées) appellent à posteriori le courage, la volonté et l’honneur…

 

La Dordogne, c’était une évidence… J’avais atterri ici, aimanté par la spiritualité des flots, par le roulis des villages-grottes, et d’un vieux peuple millénaire et prudent… Dans les yeux des ancêtres d’ici, aucune intrigue !... ni avant, ni après !... zéro entourloupe !... juste le vécu direct !... et furoncle tout le reste !... Ça change de mon peuple frontière allemande. Là-bas, c’est égoïsme et racisme ! C’est villages queue-leu-leu d’extrême droite. Dès que t’es pas du coin, prends ton auto et t’arrête jamais pour visiter. Surtout si t’as une gueule de sarrasin. Seules les trois grandes villes sont cosmopolites. Chez elles, c’est tout l’inverse. Si t’es trop blanc on te regarde de travers la nuit. Les rues sont plus du tout sûres pour toi. Difficile de dire qui à raison et qui à tort…

 

Les villages de Dordogne, ce sont des mini oasis dans un désert blanc, vert, pourpre, noir. Les âmes du coin, elles errent en silence. Je suis resté des mois à les observer… toutes les matinées… toutes les nuits… tous les lendemains encore, ébouillantant l’une après l’autre chaque minute. Je voyais en ces vielles femmes et ces hommes courbés aux creux des villages, une image recommencée de mon passé… de mon père surtout… Je voyais des similis sorciers et des fées miraculées… Des Saints pour tout dire.

 

C’est souvent qu’alentour les caravanes fleurissent. Le charme des gitans est un spectacle grandiose, avec dorures et chants très forts… une cérémonie complexe, comme un débarquement du merveilleux ! Il y a ici tout un peuple à genoux, prosterné devant le fleuve et les cavernes.

 

Même si quand même, après deux jours et deux nuits à brailler avec eux, je décrète que tout ça fait un peu trop folklore de bohémiens… L’immersion dans le rivage des rives périgourdines, ça me parle de moins en moins…

 

Protégé pareille à une force immense, une sorte d’anticorps spirituel auto-injecté, je régurgite d’un bloc tout le ramdam… reviens au plus près des images d’avant ma naissance… ne fais plus de grimaces du tout !... me berce pour plus rien !...

 

Les autres boutiques ne me refourguent plus leurs abîmes… y a plus mèche chez moi pour la voilure des autres, je le déplore. Je flaire bien que ça finira en massacre !... qu’y aura jamais de cataplasmes assez gros !... que ça fera énième rafistolage !... mille fois mieux mon chemin perso, même parsemé de rocailles ! Où qu’on soit, c’est toujours un chemin perso. Pour ça que j’ai délaissé leurs guitares au coin du feu et ai rebroussé chemin.

 

Adieu Rollmops.

Je t’emporte avec moi.

 

Je sens que je ne peux bosser que sur mon nombril, m’introspecter fond de comble. Moi qui me croyais si fainéant, j’ai beaucoup sué finalement. C’est bien fini, pépère bonne franquette.

 

Je crains quand même les terribles quiproquos quand je cherche et trouve de travers.  J’ai eu un matin mon taf en dégoût. Pour ça que j’ai viré sorcier dans les bois. Qui sait qui sera mon prochain trucidé. Pour moi, le taf, c’est avant tout de la sueur et des mains qui s’agitent. Et les mains j’ai senti très vite que c’étaient surtout des griffes !

 

C’est dans des décombres en équilibre que je  trouverai ma Bible !… mon De Profundis !... l’écho donnant mon la… Je dois revenir à l’enfance de l’humain…  rebiberonner l’Afrique primitive.  Mettre à l'air libre l’ancêtre barricadé en moi. Déjà, j’entends de moins en moins ma fausse note. Ma partition parait aller moins de traviole !... Je l’aurais ma symphonie !... L’ancêtre au fond de moi me filera deux paires de taloches !... des bonnes et des méritées !... des qui attendent depuis dix mille ans et plus !...

 

Voilà la vérité... la simple et belle vérité. Y a rien à chercher !... Avant même que je vienne au monde, j’étais !... Peut-être bien que ma carabine est un fusil à un coup, mais ma poudre est immortelle. J’exagère pas. Le corps disparaît, mais ce que je suis reste, parcelle de tous. Le corps est dépouille dès le berceau !… c’est de nos dépouilles dépouillées qu’est fait notre lait.

 

Mon âme n’est pas sortie du tombeau de ma mère. Le ventre maternel n’est qu’un câble à électricité. La chair dès l’origine est une plaie !... une glaire à cracher !...

 

Alors fouette cocher !... fais voir ton cinoche !... présente tes émotions !... mais le corps qui bouge, ça n’est qu’une cuirasse !... il n’y a personne aux commandes. Dès qu’on s’imagine davantage que ça... dès qu'on chouine qu'on est autre chose, on se goure... on se fourre les dix doigts dans l’œil !... receleur de sa propre fausse-monnaie !... ce que j’essaie d’expliquer, c’est qu’il est juste de dire « je ressens de la tristesse »… juste de dire « je ressens de la joie »… mais qu’il est très faux de dire « je suis triste » ou « je suis heureux » ! C’est tout différent. Tous baudruches ! Vents puissance dix mille !... Chacun est son propre noyau. Pas le fruit qui l’entoure. Pas essentiellement. Chacun est la mer, pas le grain de sel qui lui donne un petit goût. Chacun de nous ne fait pas partie d’un tout, chacun de nous est ce tout !...

 

Je sens que le temps ne défile pas… on le croît… mais non… on perçoit des images qui changent… mais non… c’est interprétation mentale… De même on croît se déplacer, mais non… personne ne bouge… c’est une méprise… c’est un film… Je sais mes déplacements légers et illusions… Le film se déchire… la lumière qui projette le film est la seule réalité… le film est  chimère. On est présence pure avec rien à chercher, rien à acquérir, rien à protéger, rien à améliorer.

 

Quand on se forge qu'on est ce qu’on voit, c’est panique !... on devine que tout ça va disparaître !... les choses, les amis, la famille, les objets… Le corps est corsage moulé. Armure entravant le chevalier que nous sommes. Notre loi est d’être troubadour. D'être luth où souffle le vent. Il y a des jours où je me crois soigné.

 

 
 
 

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