Circoncis

Christian TRITSCH

« Circoncis »

Taché de sang !... complètement enturbanné, mon ziguigui !... mes testicules sont encore là c’est bon !... en tout cas elles sont visibles !... mon entrejambe est gonflé mais sans aucune douleur pourtant !… Le chirurgien et l’anesthésiste ont fait un boulot formidable… c’est peu dire que je les remercie !... Depuis qu’je suis revenu dans ma chambre d’hôpital, je n’ai de cesse de soulever les draps… de regarder en dessous… Je me demande à quoi il ressemble le gugusse… J’imagine mon sexe décapité !... scalpé total de plein fouet !...

Je voulais pas d’anesthésie totale… Rester éveillé à tout prix pendant l’opération !... c’est trop perturbant ce type d’amputation !... j’voulais entendre le chirurgien couper… Je savais qu’il y aurait un drap m’empêchant de scruter l’opération en elle-même, mais quand même… Si je suis réveillé, y oseront pas saloper leur boulot ! C’est pour ça que j’ai choisi une péridurale… Impression étrange d’être un homme enceinte d’une vie qu’il lui reste à accoucher !... Après la piqure, j’ai senti une chaleur descendre depuis mon nombril jusqu’à mes orteils… puis plus rien… je sentais plus rien !... Devenu une sorte d’homme tronc, je pouvais plus bouger mes jambes !... Je pensais « remue le pied ! » et rien… aucun mouvement venait… sensation horrible… si je restais comme ça ! est la première chose qui me vint à l’esprit !... tout ça pour pouvoir faire le mariole avec sa quéquette !... le grand jeu en valait-il la petite chandelle ?!... j’en doutais à cet instant… je sentais comme une odeur de poulet frit… tentais une blague sur cette odeur de cramé... L’aide anesthésiste répondit qu’en gros c’était bien ça !... un poulet calciné !... Je fermais les yeux… ça n’en valait vraiment pas la peine !... quel risque stupide… après tout ça avait fonctionné très bien comme ça jusqu’ici !... Pourquoi j’ai voulu passer sous le bistouri d’un coupe zizi !...

Je regarde les infirmières s’afférer autour de mon bas-ventre ; j’imagine qu’elles s’afférent pareil autour d’un blessé de guerre… un peu mon état, ça blessé de guerre… Guerre de ma vie d’avant… J’avais été sacrifié sur l’autel d’un quart de siècle de vie conjugale !... c’est dire si les boulets avaient été nombreux !... s’ils avaient estropié toutes mes rêveries adolescentes !... si les mises au peloton avaient été abondantes !... C’est dire les mille coups de gégènes et les épouvantables strangulations !...

Alors… en amputant à cet endroit précis… j’ai mis une sorte de frontière charnelle entre avant et maintenant. La vérité c’est que j’ai toujours eu une gêne… oh rien de bien méchant… aucun véritable souci pour le nirvana ou la reproduction… Non, juste une imperceptible gêne… un tiraillement léger… mais permanent !… Pas de pirouette possible, y avait ce petit quelque chose qui m’empêchait d’être pleinement à la chose… Alors j’ai comme qui dirait tranché dans le vif !... Fallait profiter de l’abstinence forcée… reconstruire l’édifice humain par le petit bout de la quéquette… Y a tout un symbole là-dedans !…

J’ai voulu être totalement absent lors des légers tremblements… des éblouissantes secondes !… ça écrabouille toute ma pensée maintenant… ne me laisse plus libre de réfléchir à rien d’autre… Tout mon cerveau a émigré vers mon bas-ventre… Il faut le faire et tout de suite !... Je ne veux plus de cette gêne pour la gymnastique horizontale… plus vivre avec, ni devoir expliquer quoi que ce soit…

Qui peut comprendre pourquoi j’ai vécu 25 années avec ?… moi-même je pige pas !... C’est pour ça que j’ai franchi le pas. J’ai compté les personnes depuis l’entrée à la clinique. Il y en a eu douze. Les douze apôtres de mon petit Jésus. Je tourne ma tête vers une fenêtre donnant sur une rue semblant vide de population. Y a que des briques rouges et des voitures garées. Personne passe me voir ; ni infirmière ni médecin. A vrai dire j’en suis plutôt rassuré… c’est que tout va bien… on ne laisse pas un mutilé sans nouvelles sur sa santé !