Gaz
- Christian Tritsch
- 15 mars
- 2 min de lecture
Christian TRITSCH
« Gaz »
Le raffut fait des ra-ta-ta-ta-ta-ta du tonnerre !... l’énorme bastringue dehors ! M’entends plus bosser !... pour ça que malgré la canicule je barricade le chenil… toutes fenêtres closes… Heureusement, atténuant légèrement le brouhaha des marteaux-piqueurs, y a le ronflement-locomotive du ventilo de mon bureau.
Ça fait des plombes que la route est secouée !... retournée en tout sens !... travaillée comme une pâte feuilletée !... soi-disant qu’y réparent des tuyaux les gugusses de la ville… Moi j’crois plutôt qu’y sont là depuis tant de temps qu’y z’ont oublié le pourquoi de leur béton-gruyère.
L’avantage du truc, c’est la clientèle qui doit se frayer un passage à pince, la rue étant impraticable depuis lurette. Ça décourage beaucoup. Grâce au boucan terrible les heures de taf semblent plus légères et supportables. Moins râleuses.
L'après-midi on n’est quatre de permanence. Le boss, deux collègues et moi. Avec la chaleur et le bruit. Manque le commercial qui blablate sa chanson dans les villages alentours et la frangine du patron, semi-retraitée qui vient bosser quelques matins pour l’argent de poche récolté. Elle, elle déteste cordialement tout le monde – surtout nous ! – et prend beaucoup de plaisir à venir quelques heures par semaines plomber l’ambiance et jouir de son petit pouvoir de nuisance. Le frangin l’a pas virée because le sang partagé. Il espère un miracle... qu’un jour elle abdique… qu’elle renonce et rende nos mâtinées moins grises. L’après-midi elle reste chez elle, son chez elle se situant à 30 mètres du bureau. C’est ça j'en suis sûr qui l'encourage à continuer à jouer au coucou de l’agence.
Tout à coup quelqu'un dehors qui gueule :
- Faut sortir de là tout de suite !... vous êtes combien ici ?
L’ordre et la question viennent d’un type de la compagnie du gaz. Malgré sa grosse voix il parait pas paniqué, alors les quatre on sort en silence… sans courir. Dehors personne a besoin d'expliquer. On pige tout de suite à l’odeur !... ça pue le gaz partout !... un des types a dû marteau-piquer là où il aurait pas dû…
On descend la rue jusqu’au bout, passant en premier le long de la maison de la frangine… enjambant plus loin les gravats de semaines de travaux sur la route cabossée. Tout en bas y a la clique entière du voisinage… piaillant… écarquillant les yeux !... bavardant sur tout ce qui est resté dans les maisons !... qu’y faudrait y retourner sans attendre !... le malheur si tout ça venait à sauter maintenant !...
Passant devant ce petit univers, j’aperçois presque étonné la frangine souriante qui a pas jugé bon nous avertir avant de s’éloigner du danger.
Elle a son petit chat dans les bras.
Elle a sauvé l’essentiel.
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