1815 "poèmes centenaires"
- Christian Tritsch
- 16 mars
- 20 min de lecture
LE GENERAL CAMBRONNE
Dirigeant la garde impériale de l'île d'Elbe – 3 janvier 1815
Il nous faut oublier le suprême avril !
En vain, on guette le soleil dans cette ile,
Ce petit caillou sur la méditerranée !
Ce lieu est inconnu, même des vieux bergers…
Car nos aurores sont une succession de nuits !
Comment ont-ils pu nous faire mourir ici !
LE PRISONNIER DE L’ILE D’ELBE
1er février 1815
Depuis les bals enjoués de Vienne,
On méconnaît la colère et le tourment
Qui ont fait de cette race îlienne
Un brasier à l’orée du continent.
On disserte un lopin de terre,
Une récompense ou une place ;
Chacun y va de son ministère,
Réclame, encore, un droit de chasse !
Nul ne pense plus à Buonaparte,
Ce résidu de la révolution ;
Et l’on prépare une belle charte
Qui produira justice aux nations !
D’ailleurs, on pense même quelquefois
Eloigner bien plus loin l’usurpateur ;
L’océan atlantique a bien des endroits
Qui conviendrait mieux à ce voleur !
Et puis quoi ! Il faudrait aussi lui payer
Une rente de plus de deux millions !
Se croit-il encore le premier berger ?
Non, nous ne sommes plus ses moutons !
Tous ces bruits inondent l’ile-bagne,
Et Napoléon se lève et regarde au nord ;
« Cet Empire était mon pays de Cocagne,
Puisqu’il en est ainsi, regagnons le port ! »
RETOUR DE L'ILE D'ELBE
20 mars 1815
J'auscultais fréquemment les cieux évacués
Du soleil éteint ; partout, la noire nuée
Du roitelet mesquin, infâme et miteux ;
Déserteurs autocrates, est-ce-là votre dieu ?
Un an ! Année terrible et cruelle !
Voici à terre, piétinée, l'ère nouvelle !
Un an que l’empereur est sur l’île au loin ;
Un an, et chaque jour est un jour de moins !
Le bruit du réveil de l’empereur approche,
Immense ; tout s'illumine sur cette roche
Et comme le chuchotement devient torrent,
On dit : - Il revient ! Je dis : - Il est temps !
Le voici enfin ! Brave parmi les braves !
J'ai attendu, usé, ce regain qui lave
De la honte de notre sort présent ;
Et partout, c’est un hymne ! Quel chant !
Le vieux soldat pleure sur son passage
Et on découvre dans ses larmes, l'outrage
Fait à la gloire mutilée ! Son front, son nez,
Ses yeux qui regardent hier s’effacer ;
Tout son visage marqué du blasphème,
Des sarcasmes moqueurs, du crépuscule blême !
C’est fini ! Enfin ! Là-bas, Napoléon vient !
Ses pas annoncent l’illustre lendemain !
On croyait l'arbre mort ; ce n'étaient que ses branches !
Tout recommence, nous voici, page blanche !
O Louis, dont le nombre est peu important,
Observe l’éblouissant mouvement !
Napoléon Bonaparte ouvre les plaines
Où mêlées, la peine et la sueur gouvernent
Les hommes abandonnés. Le roitelet fuit
L’homme-phare ! L’aigle chasse la fleur de lys
Qui s’éloigne dans la grande épouvante ;
Sa cohorte le suit, images désolantes
D'exécrables insectes ! Ils paieront leurs crimes
Lorsque viendra, tout proche, le châtiment sublime !
Ils dénudent, dans leur coulée énorme,
Ce sentiment affreux : l'honneur difforme !
Un brasier, est leurs têtes gonflées qui pleurent ;
Un vertige consume la ternissure qui meurt !
Alors, engourdis, crapules nécrophages,
Austères instants du superbe naufrage,
Les vieux volcans lugubres sont anéantis
Ayant cru – une année – renaître à la vie !
ALFRED DE VIGNY
21 mars 1815
Cette bordée printanière est avilissante !
Mort ! Ténèbres ! Démons ! Accompagnez la tourmente
De notre calèche qui caracole vers le nord !
On présage les armées qui tomberont encore,
Et l’on ne peut rien pour barrer la catastrophe !
Dans le livre de France, l’empire est apostrophe !
Fallait-il que l’ogre ait encore faim de français ?
Qu’à l’étroit sur son île, il revienne aux aguets ?
Je suis aux côtés d’une couronne qui sommeille
Alors que le cadavre de l’empire, veille
A sa propre renaissance ! La gloire sans éclat !
C’est l’ennemi qui a rendu facile cela !
Pendant que je chevauche en honteuse escorte
Le roi engourdi, un royaume s’exporte
Aux frontières de l’honneur ; aux frontières de la France !
Je regarde en arrière et pleure en silence.
NAPOLEON
AU PALAIS DES TUILERIES
Soirée du 22 mars 1815
A peine descendu de l’attelage,
Soulevé, hissé aux épaules,
Heurté, bousculé, le nouveau mage
Réclame le silence, prend la parole.
Puis, souriant avec nervosité,
Fermant les yeux cachant ses larmes,
Tendant des mains couvertes de baisers,
Napoléon soulève de l’empire, le charme.
Applaudissant comme au théâtre,
Les vieux compagnons et les judas pressés,
Défilent en brebis devant le pâtre,
Sous l’œil de princesses émues ou mortifiées.
LE SUICIDE DU MARECHAL
LOUIS-ALEXANDRE BERTHIER
1er juin 1815 –Bamberg, Bavière
La terre austère qui accueille le Judas Iscariote,
Boxe silencieuse (Y a-t-il une fin plus sotte ?)
La chair ensanglantée. C'est l'agonie aussitôt.
Tombé sur le terne pavé, il s'y rompit les os.
– Si j'avais eu Berthier, je n'aurai pas eu ce malheur !
Déclarera après Waterloo, le vieil Empereur.
C'est en terre d'exil que l'aigle regrettera le moineau !
Mais revenons en arrière, quelques instants plus tôt...
Monté en un point culminant du château de Bamberg
Malheureux dément, reclus dans ce coin de Bavière,
Berthier, le maréchal félon, observe l'horizon.
Il scrute la troupe russe venir aux lointains coups de canon ;
Sur le balcon, tout vrille ; Le temps, les heures lourdes
Depuis que l'aigle est reparu ; La mortelle bourde !
Jamais, il n'a anticipé l'immensité du seuil...
De ce jour désormais, l'infranchissable écueil.
Toujours ivre, de sombres charognards emplissent sa tête :
Les souvenirs, croquemitaines des anciennes conquêtes !
Berthier s'est éloigné au crépuscule. Loin de l'aigle,
Il se cache honteux de son reniement. Pour seule règle,
L’œil de Caïn le poursuit de son tourment. Tard,
Il comprend enfin ! En s’éloignant de son phare,
Il s’est trop perdu. Sa vie embrasse sa mort,
Quand se penche dans le vide, tout le reste de son corps.
LE PRESSENTIMENT
Du général Jean-Baptiste Girard
A la bataille de Ligny
16 juin 1815 – Campagne de Belgique
J’ai vu cette chose, en ce jour étrange,
Ma vie qui s’enfuit, sans que rien ne change ;
Mes amis captifs du loup affamé ;
J’ai vu tout cela en cette fin de journée !
A quoi bon mentir, mon bon camarade ?
Je l’ai vu venir, accoster notre rade,
Ce pressentiment a tout de certain ;
Je le dis, je le sais, je vais mourir demain !
Alors, donc salut, puisque l’on me délivre !
Ce pressentiment me dit de le suivre
Au soleil brulant des derniers adieux,
De noirs séraphins, descendant des cieux !
WATERLOO
18 juin 1815 – Campagne de Belgique
Franchissant le Rubicon,
La frontière sacrée du nord,
Les derniers conquistadors
Suivent le grand Napoléon !
Le mouvement magnifique
Ebranle toute la nature,
Et l’on croit à une peinture,
A un voyage romantique.
Songeant aux belles conquêtes
Du temps des jeunes années,
Des équipages entiers
Ont, ravi, rejoints la fête !
Les anciens d’Austerlitz,
Les vainqueurs de Wagram,
Ensemble ont noués leurs âmes
A celle de leur patrie.
Quelques maréchaux flétris,
Vieillis par trop de gloire
Laissent la fin de l'histoire,
A la jeunesse éblouie !
Murat, Moncey, Masséna,
Soldats des premières guerres,
Que faites-vous ? C’est le désert
Partout ailleurs, qu’à quatre-bras !
Les deux armées se soupèsent ;
Elles se palpent de la vue ;
Et l’enfer, lui n’en peut plus
Des âmes qui le rendent obèse !
Les vieux généraux, bousculés
Par d’intrépides lieutenants,
S’étonnent d’être encore présents
En cette ultime journée.
Voyez les dieux désabusés !
Ils ne présument plus de rien
Puisque les triomphes anciens
Mènent à ce jour damné !
L’artillerie ouvre le feu
Et cinq bataillons colorent
De rouge, le vert de la flore
Pour le spectacle lumineux !
Les morts, rangés en colonnes
Que l'on mitraille gaiement,
Tombent un à un, puis béants,
Trébuchent au clairon qui sonne ;
Le maréchal Ney se présente !
Grandeur silencieuse d’abord,
Une masse de chevaux se tord
Et mute en une ligne mouvante !
Huit mille géants s’élancent,
Comme autant de centaures
Dont l’éclat du galop dévore
L'hallali qui commence !
La terre tremble sous les sabots
Qui engloutissent la prairie !
Partout retentit ce seul cri :
- Vive l’Empereur ! Tayaut !
Foudroyées par les boulets,
Les premières lignes françaises
S’effondrent, carrés de glaise
Face au métal anglais !
Ney, Achille devenu fou,
Voit son cheval tomber sous lui !
Le sang de l’animal jaillit
Sur l’homme aux cheveux roux
Et faire luire sa cuirasse ;
Il prend une autre monture
Et malgré les blessures
Se relance dans la nasse !
On ne sait plus qui l’on tue
Dans cette bouillasse humaine !
Les cadavres s’enchainent
Formant un glorieux humus.
Des milliers de flammèches
S’extirpent des canons bouillants,
Croquant tous les êtres vivants
Que le feu embrasse et lèche !
Wellington attend Blücher ;
Des chevaux soudain surgissent
Et sur les bêtes qui hennissent
Les cavaliers en pleine lumière !
Perçant le grand rugissement
De la bataille décisive,
La blanche nuée arrive
Et recouvre le grondement ;
La vieille garde espère ;
- C’est Grouchy ! Victoire ! Hourra !
Hélas, brisant tout le flanc droit
C’est la couleur de Blücher !
Une pile de cadavres grandit
Devant les lignes prussiennes ;
Fournaise ! Torrent ! Géhenne !
Et la défaite s’accomplit !
Les rangs, perdus, ravagés,
Tanguent et balancent par moments,
Tel le blé, pliant sous le vent,
Ne pouvant rien lui opposer !
C’est un théâtre effrayant
Que ce sol jonché de sabres
Où quelques visages glabres
Semblent sommeiller lourdement…
Ces plaques d'hommes rassemblées
Sur la pointe des baïonnettes
S’élèvent au-dessus des têtes,
D'où jaillissent des chevaux affolés !
Wellington, nouveau Pilate,
Accourt aux champs de Waterloo,
Laissant Blücher et ses corbeaux
Voler sur l’aigle écarlate !
- Que n'ai-je eu Lannes ! Kleber !
Bessières ! Berthier ! Lassalle !
Pleurait Napoléon au bal
De la déroute toute entière…
LE DEPIT DU GENERAL
PIERRE CLAUDE PAJOL
19 juin 1815
Dans ses yeux des étoiles animales
Lancent des feux brasier infernal
En direction de Mont-Saint-Jean
Vision sinistre du lieu affligeant
Dans le brouillard les singes affolés
Se ruent en chemins escarpés
Et en collines rougeoyantes
Tout est désormais en pente
Il ne suffit plus de couper des têtes
Quand on est rejeté de la grande fête
Qu’on se gonfle comme une amphore
Qui n’a plus d’eau pour renfort
Qui asséché soupèse le néant
L’immense floraison du vide béant
Qui beugle dans la nuit indécise
Les phrases depuis longtemps apprises
Le rossignol n’essaye plus de chanter
Les astres tristes regardent les noyés
Au tournant de cette ferme de stupeur
Où tout est immobile de malheur
Pajol avait traversé toute l’Europe
Côtoyé le valeureux et l’interlope
Et voyait s’enfuir au maquis
La victoire cette sorcellerie
Qui emprisonne dans ses cheveux déroulés
Le valeureux, le couard l’hiver et l’été
S’en allant sur des routes meurtries
Il voit l’honneur et la chance réunies
Assises au bord du chemin troué
Ayant mal au ventre ayant mal au pied
A briller doucement les lumières se taisent
A ne pas oser la plage devient falaise
Et les vieilles femmes restent demoiselles
A ne pas entendre les ritournelles
Il fallait comprendre les bruits sonores
Des montagnes fouillées par les chercheurs d’or
De ces rangées immobiles de blancs chérubins
Tombés depuis quatre-vingt-treize pauvres jacobins
LETTRE DE BENJAMIN CONSTANT
A MADAME RECAMIER
20 juin 1815
Les nouvelles paraissent être pour nous affreuses,
Excellentes pour vos amis ; voyez comme
Je me trouve en disposition fâcheuse
D’avoir suivi pour une fois le grand homme !
Ne me fuyez pas, je bénirai nos désastres !
J’ai recommencé à rallier le parti battu ;
C’est alors qu’il s’éclipse, que j’ai suivi l’astre !
A quoi me servent bien mes anciennes vertus ?
On a une tendance superbe à se laisser prendre
Quand les malheurs horribles se confirment !
Je n’ai donc plus rien, sauf une âme à vendre.
Et encore ! Cette âme, sans vous est infirme…
AVEZ-VOUS ENTENDU TOMBER L’EMPIRE ?
22 juin 1815
Avez-vous entendu tomber l’Empire ?
Rien n’a troublé le repos de ces lieux ;
Il s’est abîmé pourtant sans prévenir,
Laissant le mont olympe sans son dieu !
Les quelques printemps téméraires,
Où plus haut que les rois et les reines
L’empereur commandait la Terre,
Versent leurs larmes dans la Seine.
Je regarde le trône expirant
Evanoui comme les vieilles chimères
Et pleure ce qu’il y avait de grand
Dans l’idée révolutionnaire !
Transporté loin des théâtres bruyants,
Nous voici au bord du tombeau !
Aussi haut et silencieux qu’un océan,
Napoléon ressasse Waterloo…
Les rois tombés n’aperçoivent pas
Ce que voit aujourd’hui, ce jour glorieux !
Un peuple entier qui ouvre les bras ;
Et l’homme seul qui lui dit adieu.
ROCQUENCOURT
Dernière bataille des guerres napoléoniennes
Livrée par les généraux, comtes de l’Empire,
Rémy Exelmans et Hippolyte-Marie-Guillaume Piré
Le 1 juillet 1815 – Campagne de Belgique
Ayant pour jambes, le mépris et la haine,
Le maréchal Blücher, fonce dans la plaine
D’où déguerpissent de décharnés lieutenants,
Rescapés égarés de leurs vieux régiments ;
Du désastre de juin, ils ont la démarche ;
Se hâtent et trébuchent, plutôt qu’ils ne marchent ;
Suivis de prussiens avides de conquêtes,
Ces quelques français ressemblent à des bêtes !
Ayant passé la Seine, le vieux maréchal
S’aiguise l’appétit du haut de son cheval ;
– Vorwartz, bons soldats ! Nous approchons de Paris !
Demain leurs fiers palais seront nos écuries !
Napoléon voit, l’imprudente avancée,
Sollicite des hommes, quémande une armée
Pour recoudre l’ignominie de Waterloo ;
Pour les pleutres de Paris, c’en est déjà trop !
L’empereur éteint, que personne ne croit plus,
Connait le sort des vainqueurs, lorsqu’ils sont vaincus !
Les conseillers déconseillent, les amis ferment
La porte, et les souvenirs plantent leurs germes.
Deux généraux français, enfants du grand aigle,
Se lancent sur Blücher, refusant la règle
Qui voulait faire de Waterloo le point final ;
Et à leur côté, pas l’ombre d’un maréchal…
Rocquencourt, terre bénie ! C’est là que tomba
Anéantie, toute une brigade sous le poids
Des grognards d’Exelmans et de Piré ;
La dernière bataille en fut une de gagnée !
LA BARONNE JULIE DE KRUDENER
PYTHIE D’ALEXANDRE 1er DE RUSSIE
13 juillet 1815
Elle semble parler à toutes les chimères,
Sorcière céleste, adulée du grand tsar ;
Le soir, dans Paris brisée, elle s’égare
Et prophétise alors le grand mystère.
« Voici ! L’empereur de Russie est l’ange blanc
Charger d’écraser l’antéchrist Bonaparte !
Tel Moïse, le pharaon il écarte,
Et libère Paris du joug dur du tyran !
Car l’ange noir, issu de la révolution,
Est tombé en face du second Abraham,
Venu dans la neuve Egypte infâme
Porter la croix, face au noir Napoléon !
A BORD DU BELLEROPHON
17 juillet 1815
Les rois qui s’assemblent ont décidé du sort
Du soldat flétri (aux pâles lueurs réelles)
Et l’illustre race, de sa vigueur nouvelle,
Appelle le destin au rendez-vous encore !
Désormais sur les mers, comme l’antique Ulysse,
Napoléon emporte vers son exclusion,
La gloire, le souvenir et les grandes invasions
Vers l’île lointaine. Ménès d’une neuve Memphis !
Sur le bateau du nom qui tua la chimère,
Sur le dos de Pégase et puis sur l’océan,
C’est encore un mirage qui tombe à présent ;
Dans le ventre de Bellérophon, l’aigle vocifère !
AU GENERAL PIERRE-AUGUSTIN HULIN
Comte de l’Empire
Banni par Louis XVIII le 24 juillet 1815
De la bastille évaporée, aux brumes de Waterloo,
Comme un Adonis éthéré revenant des enfers,
Il s'est arraché pantelant, du putride tombeau
Où le retenaient les griffes féroces de Lucifer !
En ouvrant les yeux, il aperçoit l’ancien royaume
Revenu des abimes ! Le vieux monarque visqueux,
Posé sur le trône, renverse la nouvelle Rome
Et convoque un cortège funeste et hideux !
Le guerrier étrillé par le gros frère de Louis XVI,
Observe les ans accumulés, engouffrant sa gloire ;
Aujourd’hui, abattu, l’ancienne comète ne pèse
Guère plus qu’une vapeur au musée du soir ;
Alors – éclatante vision ! – il fuit le théâtre troublant
De la terre fertilisée par l’illustre conquérant !
LE RETOUR D’UN ROI
Pensées de Louis XVIII
30 juillet 1815
L'empire ? Fausse grandeur ! Misère réelle !
En bon brigand, dans l'immensité profonde
Bonaparte a vécu. Toi soldat, sonde
Ton cœur et tu verras l'aplomb avec lequel
On t’a fait suivre les vils pas du dictateur...
L'astre solaire a ses ombrages, ses lueurs,
Que l'homme troublé suit. Cécité sincère !
Si la victoire anglaise est amère
Pour le fier français, la gloire s'amourache
Quelquefois de l'honneur perdu et s’entache ;
Hélas ! Ma honte vaut bien ce Royaume !
Pour demain, je réciterai quelques psaumes...
Je suis François 1er ; je suis Henri IV ;
Je suis le bon Clovis que l’on idolâtre,
Qui offre à Rome une fille aînée !
Je suis le roi soleil, et mon frère tué.
Je suis Philippe le bel, je suis Louis IX le saint,
Qui partit pour combattre les durs sarrasins !
Lui, qui est-il, sinon un corse sans grade ?
Moins qu’un Robert d’Artois, verrue téméraire !
Pourtant, ma victoire me semble si fade,
Devant la perte de l’armée trentenaire…
L’ASSASSINAT DU MARECHAL
GUILLAUME BRUNE
2 août 1815 – Avignon
Là, l’odeur du sang déferle dans la ville !
Le maréchal Brune, fantôme tranquille,
Apparaît en surplomb du grand peuple criard ;
Cet ogre-cannibale réclame, soudard,
Le beau héros de Bergen et de Vérone…
Louis XVIII, à nouveau, éructe du trône !
Dans la chambre d’hôtel, le soldat cafardeux,
Distingue hébété, d’autres temps, d’autres lieux :
Belles conquêtes disparues, ou êtes-vous ?
Jetterez-vous un ancien feu parmi les loups ?
Les bêtes percent la porte et grognent là !
L’une le met en joue, mais le coup ne part pas !
On crie. On se bat et on déchire l’homme.
Les nouveaux Adam broient encore la pomme !
Un fusil mis sur l’épaule d’un ivrogne
Brule son feu contre la tête qui cogne
Sur le sol ; le corps du maréchal est offert
Au peuple qui bruyamment s’en désaltère !
La chair du combattant, piétinée et trouée,
N’est guère que lambeaux disloqués et vidés
De son âme ! Rhône, fleuve royaliste,
Augmente l’infâme et grondante liste
Des éminents engloutis dans ton lit défait !
Il faut voir ton eau, elle recrache du français !
Un prochain bientôt, sur la berge laiteuse,
Ensemble, le tombeau, la haine fiévreuse,
Rendront la masse des Caïn et Jézabel
Qui vivent en diables et désignent le ciel !
Tous ces êtres – dont la hardiesse vient du nombre –
Cuvent jusqu’au matin le souvenir sombre
D’une noirceur qui se prolonge trop longtemps.
Que diront-ils à leurs fils, au dégrisement ?
PRIERE DU CAPITAINE
POLONAIS PIONTKOWSKI
Aux autorités anglaises
Pour le laisser suivre Napoléon en exil
7 août 1815
Le soleil change d’hémisphère,
Alors ne me laisser pas en nuit
Et pour me satisfaire,
Il vous suffit de dire « oui ! »
Déjà, vous faites le tri
Entre les derniers apôtres ;
Chacun espère être choisi,
S’entendre dire « il est des nôtres ! »
Ce jour s’étale comme une défaite ;
Il saigne les ombres du maigre empire.
L’exil est une continuelle retraite,
D’où les rêves ne peuvent fuir !
On réclame partout dans l’Europe
La punition antique pour le cannibale ;
Qu’il soit un ultime cyclope
Eloigné de son peuple tribal.
Je suis d’un autre peuple que le sien
Et n’ai pas de sang français ;
Il ne se lève de mes mains
Que cette prière que je vous fais.
L’EXECUTION
DE CHARLES DE LA BEDOYERE
Lieutenant-Général
Et aide de camp de Napoléon à Waterloo
Le 19 août 1815, âgé de 29 ans
Il y a parmi les pairs, de nombreux traitres !
Depuis dix ans, on n’entend que leurs voix basses ;
Les festins renversés, ils reprennent leurs places
Auprès du vieux Roi, redevenu leur maître.
Quoi ! Fallait-il que je renonce à l’honneur ?
Il est des saisons qui passent, et celles qui demeurent !
Aujourd’hui, nous sommes à la saison du courage !
Faut-il que l’on suive les plus abjects mages
Puisque partout on braille d’ignobles fables ?
Ce qui fut honteux, deviendrait admirable ?
Eh bien, non ! Je ne me romprais pas les genoux !
Je sais le temps qu’il me reste à être debout ;
Ma vie a glissé comme sur un torrent furieux !
Enivré de gloire, Icare trop près du feu !
Mais, vieille moustache, je n’ai pas d’appréhension
A me faire laver les cheveux avec du plomb !
LA REDDITION
DE LA GARNISON DE HUNINGUE
Commandée par le général Barbanègre
26 août 1815
Derrière les murs qui gardent leur retraite,
Les hommes de Barbanègre sentent la mort
Qui renifle partout, et déjà s’apprête
A prendre son repas aux alentours du fort.
La place de Huningue, face aux assiégeants,
Est une armée forte de quatre cent hommes !
Trente mille autrichiens forment le régiment
Qui, de l’Empire, écrit le dernier tome !
Sans que rien n’arrêtent l’audace des français,
La marée meurtrière avance nonchalante,
Et le destin magnifique s’accomplissait :
Un roc debout face à une déferlante !
Est-ce braver le ciel que de se croire encore
Une proue, alors que l’on est plus que radeau ?
Ecumant, Barbanègre, général retors,
Dit que la seule chose sûre, est le tombeau !
- Alors, va pour le tombeau, et le ciel plus loin !
S’écrit un capitaine à la lueur d’un feu ;
Nul ne peut savoir où il couchera demain ;
A l’ombre d’une femme ou à celle d’un dieu !
Et quand le vif piquant des balles pénètre
Dans les viandes rougies des glorieux défenseurs,
C’est une masse compacte qui s’enchevêtre,
Pour se garder au chaud, en dernière lueur.
On épie les vagues fumantes de blessés ;
Quand dehors, la farouche harde s’abime
Sur les murs noirs de Huningue, comme empressée
A mourir dans ces circonstances sublimes !
Et la ville n’est bientôt plus qu’une ruine...
Baignée de sang, les places sont abandonnées
Et les boulets sifflent, tombent en fine bruine
Sur les maisons éventrées et sur le clocher.
Barbanègre fait le décompte des tombés ;
Un à un, disparaissent les superbes dieux !
Il écoute l’archiduc venu le supplier :
- A un contre cent, il n’y a guère plus d’enjeu !
Ayant obtenu l’honneur de quitter la place,
Le brave général consent à capituler ;
Et c’est tout un Empire qui se déplace
Et non cinquante moribonds accidentés !
C’est ainsi qu’apparait, le fier Barbanègre ;
Un visage de roc et une force de diamant !
Sous le regard surpris d’autrichiens trop maigres,
Faisant une haie d’honneur au nouvel ottoman !
LETTRE DU MARECHAL
BON-ADRIEN JEANNOT DE MONCEY
Duc de Conegliano
Adressée au Roi Louis XVIII
30 Août 1815
Sire, placé dans la cruelle alternative
De vous désobéir ou de trahir mon cœur,
Je vous avoue sans crainte, ni goût de l’esquive
Que je ne peux juger un homme de tant d’honneurs !
Le maréchal Ney, brillant astre de gloire,
Attend dans une geôle que la sentence résonne.
Lui que jugera mieux demain notre histoire,
Qui juge pareillement le soldat et le trône…
Croyez-vous donc que la mort soit redoutable
Pour celui qui, hardi, la brava si souvent ?
Ney sauva bien des nôtres d’une mort misérable
Au passage de la bérézina ! Comment ?
Il faudrait oublier que tant de nos amis
Et de nos parents – de vos soldats, majesté –
Doivent à la vaillance du maréchal leur survit !
Non, Sire, je ne peux à cela m’abaisser !
S’il ne m’est pas permis de sauver mon pays
Ni ma propre existence, je sauverai l’honneur !
J’ai survécu à la gloire de ma patrie,
J’ai donc trop vécu ! C’est là tout mon malheur !
Quel est l’homme d’honneur qui ne peut regretter
De n’être pas tombé aux champs de Waterloo ?
Nul ne doute que si Ney avait agrippé
La victoire, les mêmes célèbreraient un héros !
LE PRUSSIEN MALHEUREUX
5 septembre 1815
De son entrée en France avec les armées d’invasion,
Walter Koenig, savoureuse vision,
Se voit Charlemagne en sa province ;
Le gros soldat s’imagine beau et mince.
Il baille, la bouche humide de vin français
Et s’endort aussitôt que la nuit se fait.
Quand il se couche sur cette terre,
Il rêve de Hanovre et il empierre
Ce souvenir dans sa tête toute molle ;
« Les filles ici, sont faciles ou folles ! »
Car il le devine ; chaque œillade
Tendue vers lui est une ambassade
A la haine de ce peuple de sauvages ;
Chaque ville conquise, un rivage
Où s’échoueront quelques amis,
Abrutis d’alcool dans ce pays de roumis !
LETTRE D’UN CONDAMNE
De Joachim Murat à son épouse, Caroline Bonaparte
Matin du 13 octobre 1815, un quart d’heure avant sa mort
Ma chère Caroline, ma dernière heure est atteinte ;
Ma vie fut bien pleine, je ne lui ferais de plainte.
Dans quelques instants, j’aurais cessé de vivre.
Tu n’auras plus d’époux, Dieu referme mon livre ;
Adieu Achille, Laetitia, Lucien et Louise ;
Ce n’est pas la mort, c’est votre absence qui m’épuise.
Montrez-vous au monde, toujours dignes de moi.
Je vous laisse sans royaume et sans biens ici-bas...
L’EXECUTION DU MARECHAL
JOACHIM MURAT
Roi de Naples
13 octobre 1815
Le royaume de Naples, encore abasourdit
De l’écho récent, du retour inédit,
S’empare de son roi ; sa magnificence
Éteinte est une enfant de la France.
Avec quelques hommes, l’ancien souverain
Croyait venir puissant, présumait de son bien ;
Et c’est dans un bourdonnement énorme
Que l’effondrement inattendu se forme !
Le roi stupéfié dirige l’enthousiasme
Du souvenir reculé et de son miasme !
Il contemple étonné le manque d’avenir
De ses quelques soldats, résidus d’Empire…
Les chevauchées lointaines et étonnantes ;
Tous ces tableaux noircis déjà s’agrémentent ;
Les réussites fourmillantes, les folies
Apparaissent brutales dans l’éclair des fusils.
Au moment ultime, à la seconde précieuse,
Joachim Murat et la mort silencieuse,
Bercés des triomphes et des victoires passées,
Ferment les yeux sur un monde brisé.
AUX VETERANS DES GUERRES PERDUES
28 octobre 1815
A la fin, les mensonges sont les seuls amis.
Ils offrent des clefs qui ouvrent toutes les portes ;
Ils murmurent des choses que l’oreille emporte
Au fond du cœur éclopé et endolori.
On voit au matin, sur des routes caillouteuses,
Quelques brigands avinés et quelques drôles
Qui montrent çà-et-là de larges épaules
Et marmonnent leurs rancunes malheureuses.
Ils psalmodient en silence d’étranges graals
Arrivant de l’autre flanc du Rhin germain ;
Le verbe culminant et le verre toujours plein,
Ils apostrophent quiconque leur est tropical.
SAINTE-HELENE
13 novembre 1815
L’étoile se lève dans la nuit immense ;
La mer, géante, englobe le rocher nu
Où, débris de l’Empire, le vieil aigle déchu
Contemple dans le noir, l’oubli qui avance.
Saillant, le vent entonne, en fanfare sonore,
L’impérial chant de la débâcle carnivore.
Bonaparte proscrit, sur le roc éloigné,
Séparé, isolé, négligé, écarté,
Saignant d’une blessure que plus rien ne soigne ;
La langueur consume l’ancien Charlemagne !
Reclus aux alentours d’un maigre potager,
L’ancien triomphateur ou le nouveau fermier,
Attend, espère, patiente ; mais rien n’efface
Le défilé des heures qui jamais ne passent !
Voici donc l’image pour toujours exhibée
D’un Empereur assis, bedonnant, gonflé !
Plus de nobles palais aux riches tentures,
Rien que le déshonneur et la pourriture !
Les ombres glorieuses ont reployé leurs ailes ;
Personne n’entend plus l’universel appel
Du hennissement farouche d’illustres montures,
De cuirassiers sanglants aux nombreuses blessures !
Murat ! Ney ! Lassalle ! Où êtes-vous partis ?
Voyez les vieilles dépouilles de nos mondes conquis !
Les nains couronnés, dans leur haine énorme,
Ont mis un océan, voulant qu’il s’endorme,
Entre l’aigle puissant et les moineaux inquiets !
Et pour gardien d’un seul, trois mille soldats anglais !
Alors, voyant la mer et son étendue pâle,
Ayant porté déjà la couronne impériale,
Napoléon saisit la couronne d’épines
Que lui tend l’Angleterre, cette nation vermine,
Sans savoir que l’infortune seule lui manquait ;
Du vaincu séquestré, le mythe resplendissait !
DESILLUSION POST IMPERIALE
Entre deux bourgeois
23 décembre 1815
Nous pensions couronner notre révolution
Quand de Bonaparte, nous fîmes Napoléon !
« Voyez le superbe Robespierre à cheval ! »
Rien n’était plus faux ! Comptez les infernales
Années depuis l’origine de l’Empire !
En quoi le Royaume français était-il pire ?
Monstrueux d’égoïsme et d’ambition effrénée,
Ce corse était, par caractère et en idées,
Un homme d’ancien régime ; Petite noblesse,
Gonflé d’orgueil et méprisant la bassesse
Du peuple. Il était plein d’infatuation
Aristocratique ! Quoi ! Lui, la révolution !
Le seul éclat qu’il eut est tout militaire
Et il ne put survivre que par la guerre !
LE DEMI-SOLDE
29 décembre 1815
Couché sur un banc de bois, le vieux convoque
Les souvenirs effacés, vieilles breloques
De ses jeunes années, maintenant disparu…
Les images s’attroupent dans son crane nu ;
Comme un feu d’artifice qui accélère,
Qu’il est froid, magnifique ce dernier hiver !
Des amants enlacés, tels de méchants vautours
Passent devant le banc, où l’homme aux contours
Malheureux se repose (ou est mort, qui sait ?).
C’est une masse immobile qui renait.
Il se lève, aidé d’une canne noire,
Le long des routes, il se cogne aux trottoirs ;
Va à la rencontre des jeunes promeneurs ;
Leur déverse ses guerres et hurle, hâbleur,
Le récit des troupes, conquérantes toujours !
Son auditoire pouffe, et le troubadour
Poursuit son chemin, maudissant la jeunesse
Et déjà espère la prochaine ivresse !
Hé ! Il lui semblait que d’un printemps à l’autre
L’espace était sans limite ! Et pourtant,
On ne voit aujourd’hui que vieillards chevrotant,
Dont les bouches résonnent de patenôtres.
« Où va-t-elle cette jeunesse qui parle ?
Comme une voleuse, elle a tout emporté !
Elle a fait main basse sur nos trente années !
Déjà, elle se courbe devant Louis et Charles ! »
Loin, dans l’ile perdue sur le noir océan,
Le souffle puissant ne nous parvient plus du tout !
Il respire encore ; pour combien de temps ?
Les longs jours s’enfilent et enserrent son cou ;
Tout est plat, tout est calme, tout est presque mort ;
Et Paris renie l’oiseau blessé qui s’endort…
Mais que sont-ils devenus tous ces inconnus
Qui ont su exister et qui n’existent plus ?
Combien d’âmes perdues contiennent les nuées ?
Sont-elles libres de courir ou bien aliénées ?
Est-il possible après tout, qu’elles s’endorment
Ailleurs que dans nos cœurs que l’on chloroforme ?
LA FIN DE L’EPOPEE
31 décembre 1815
Voyez les rives difformes du Dniepr
Et les plaines du brillant soleil d’Italie ;
Les pays sous le joug du vieux sceptre
Royal et les empires tombés depuis.
Voyez les pyramides d’Egypte,
Et le Nil, et les sultanats effacés ;
Pénétrez dans les vastes cryptes
Où les héros de jadis sont enfermés ;
Passez près de la blanche Madrid
Et de ses toits écrasés de chaleur ;
Voyez sur ses peintures les rides
Accumulées depuis sa splendeur !
Priez sous les murs de Saint-Jean d’Acre
Avec les fantômes rodant près d’ici ;
Ne craignez pas le doux simulacre
Des fous, des Saints, des érudits !
Respirez les parfums de Vienne
Et celui des rochers, et des fleurs ;
Pensez aux conquêtes anciennes,
Disparus sous les ans moqueurs ;
Galopez au hasard dans les forêts
Russes, hongroises ou allemandes ;
Parcourez le beau pays polonais
De Marie Walewska, belle offrande ;
Allez depuis la superbe Lisbonne
Jusqu’aux rivages de la Belgique ;
Que rien ne vous y étonne
L’Europe, avant...c’était l’Amérique !
Voyez les alpes suisses enneigés
Et la France aujourd’hui endormie ;
Partout, les fiers grognards sont passés,
Avec la puissance de l’incendie !
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