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1813 - 1814 "poèmes centenaires"

HARANGUE D’UN DESERTEUR FRANCAIS

AUX SOLDATS VENUS L’ARRETER

12 janvier 1813

 

Le tombeau de la France ! Voilà son forfait !

Car tout le legs qu'abandonne ce cœur mauvais

A notre terre est le fruit du déshonneur et de la guerre.

Ce monstre enfanté par la révolution

A jouer de nos discordes pour se faire

Non pas roi, mais empereur de toutes nations !

 

La France fut mise en coupe, et réglée

Comme les arbres d'une forêt : Chaque année,

Quatre-vingt mille jeunes gens furent abattus !

Il se voulu César, il ne fut que Néron !

Il laisse une génération sans instruction,

Qui ne sait qu'égorger et mendier dans les rues !

 

Nul français n'osa prendre la couronne de Louis ;

Un étranger se présenta : il fut choisi !

Le temps viendra, où la terrible barbarie

Ne se dissimulera plus derrière l'honneur,

Et les troupes françaises, naguère vainqueurs,

Laisseront place à la vengeance éblouie

Des royaumes de la Terre ! Alors, la France

Regardera les batailles comme un puits ;

Un cimetière encombré de souffrance !

 

Il est essentiel de dénouer les lianes

De la mystification ! Votre Buonaparte

A égaré nos colonies océanes

Et englouti nos admirables frégates ;

 

Voyez la révolution de nos vieux pères !

La liberté était alors le seul drapeau

Pour lequel ils parcouraient la vaste Terre ;

Napoléon a trompé tous nos idéaux !

 

Je ne suis pas soldat ; je suis militaire !

En ceci, je ne me sens plus tenu par lui ;

Je n’ai pas peur de mourir pour notre patrie,

Mais je lui défends d’user et miner ma chair 

Pour des triomphes vandales de satrapes !

Après mon sacrifice, prisez vos agapes !

 

 

 

LES GUEUX

13 janvier 1813

 

 

Ce qui frappe d’abord, c’est le nombre croissant

De gueux confluant sur les chemins fatigués.

Sillonnant sans cesse sur les routes cabossées   

Tel des spectres irréels vivant hors du temps,

Ils divaguent perdus, en grappes isolées.

Âmes froissées dans les nues et cœurs décrochés,

Profitant de quelques charrues généreuses,

Leurs pieds gonflés n’en peuvent plus…alors, ils creusent !

A même le sol ; à même, parfois, la lune,

Détroussant quelques-uns, et troussant quelques-unes...

Au gré d’un voyage sans but et sans cause,

N’ayant plus rien à être, pas même une petite chose,

Pas même un petit rien, ces ombres avancent.

Sans foyer certain et ayant pour subsistance,

La seule mendicité ou le brigandage.

Ce qu’on en pense ensuite, tient assez du naufrage.

 

              

 

 

LE DEPART DU CONSCRIT

JOSEPH MULLER

25 janvier 1813

 

 

Venant d’un hameau reculé de lorraine,

Loin des vastes assauts impériaux qui trainent,

Je suis là. Dans la salle communale, attentif,

Avec pour seule arsenal, le petit canif

Que m’a procuré mon vieux père pour mes quinze ans. 

J’écoute l’homme de la ville. – le numéro suivant !

Pourvu que mon nombre soit le plus grand possible…

Il le faut ! J’ai toujours cru en la sainte Bible !

Je ne pourrais manquer mes brebis et mes vaches,

Abandonner mon père à ces pénibles tâches ;

La conscription, ce monstre hideux et repoussant,

En mille-huit-cent-treize, mange de plus en plus souvent

La jeunesse des campagnes. Peut-il être un héros,

Celui qui a tiré le mauvais numéro,

Quand pour le village, qui part est un homme mort ?

Il n'y a pas de gloire, il n'y a pas de tort

A engraisser les troupes, sur un coup du hasard !

Mais, voilà mon chiffre qui vient. Alors ?...Je pars !

Est-ce que ces conflits me regardent, moi ?

Le curé lui-même me dit que j’ai le droit

De refuser cette guerre ! Ma mie, Catherine

Bouscule de colère la marmite dans la cuisine ;

Catherine ! Oh, Catherine, ne m’oublie pas !

Les joues pendantes, je porte notre croix…

Je pleure comme un enfant effrayé au soir.

En me voyant, on dit : - en voilà un qui part !

Au moment du jour où l’on fermait les portes,

J’aurais voulu, Catherine, que l’ennemi l’emporte

Pour que toute cette sauvagerie cesse.

Hélas, personne ne m’a tenu en laisse

Et ma liberté en ce jour ressemble à un martyr !

Je n’avais que l’honneur pour m’empêcher de fuir…

Mon horizon restait limité au clocher

De l'église et il me faut sitôt tout quitter...

Non pas pour cheminer à la ville voisine,

Mais pour une contrée d'une bien autre mine !

On me place les pieds nus sur le marchepied

D'une toise. Hélas ! Je n'ai point d'infirmité

Et n'ai pas à ma portée le remplacement...

Venez parents et amis ! Embrassez l'enfant !

Vous ne reverrez que l'homme...et peut-être un autre,

Puisque de la guerre, je dois être l'apôtre.

Gardez une trace de moi dans vos cœurs obscurcis.

Quand je m'éloignerai, ne pleurez pas en pluie,

La tentation de déserter serait trop forte !

Je ne dois pas rejoindre la vile cohorte

Qui erre, déchue, dans les forêts alentours.

Un jour viendra...un jour, peut-être...un jour toujours...

                        

 

 

LES CUISTRES

3 février 1813

 

 

Tels des valets d’église devant la sacristie,

Ils marchent les mains jointes dans la nuit

Qui s’apprête à enrober le vieil Empire ;

Ils n’ont pas même le déshonneur de fuir !

Ils calquent leurs pas dans ceux de Brutus

Et baissent la voix, silencieux chorus,

Ridicules et vaniteux, en quête d’un nouveau maître,

Ils ne disent jamais oui ou non; ils disent peut-être !

La longue cohorte de paltoquets imbéciles,

Prend sa place dans la longue file

De ceux qui préparent leurs nouvelles listes ;

Bientôt, c’est sûr, ils seront royalistes !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A CHARENTON

13 février 1813

 

 

Les dieux vendent les lauriers à l’homme et accrochent le malheur à son front. O, doux regards de désapprobations, je sais que vous pensez que le sommeil nous surprend au moment où la mer, mêlée au soleil, nous laisse un aperçu d’éternité. La vie est sévère et spontanée avec ses primates ; le cœur à soif et pourrait boire les trois océans !

 

L’indigence de la femme, cette ancienne fillette, est telle que, près d’elle, tout me manque, tout me frappe, tout m’altère. L’amour est une chenille dont la liberté est la chrysalide ; la liberté est l’hésitation, la liberté est le doute, la liberté est l’envie. J’étouffe et je ne fui pas la toile protectrice des mamelles.

 

Comme la neige est dure et pâle au contact des souvenirs ! La vie est-elle perpétuelle ? Les désirs sont nombreux et les plaintes misérables... qu’y puis-je ? Je connais mon travail ! Je veux qu’on me délivre de ma tête ! Il parait que je l’ai perdu ; pourtant, je réfléchis. Alors, ce sont les autres qui sont fous ! Ils m’ont enfermé dans un asile pour gens bien portants ! La vie est trop molle ici ; on veut me faire dormir ; jamais ! Vous entendez ! J’ai les yeux bien ouvert, je vois tout ce monde qui grouille autour de moi. Je ne cèderai pas !

 

Ah, mes compagnons d’enfance, si vous saviez où mène cette barque ! Je sais que le fruit tombe lorsque l’on secoue l’arbre ; mon fruit n’est pas mûr ! Pas encore !

 

Ils redoutent le passage que je connais ; je ne les y mènerais pas, non ! Quoi ! Je sais que vous avez bien autre chose à faire ou à penser, moi aussi après tout ! Connaissez-vous la colline juste à la sortie de la ville ? Il y a un bel érable au sommet ; oui, un arbre splendide ! On croirait une racine qui court vers le ciel ! J’ai fait ce que j’ai pu, maintenant il est temps que je dorme un peu !

 

 

 

                           

LE FILS DU GENERAL LOUIS ANDRE BON

3 mars 1813

 

 

 

C’est un enfant qui se prépare à la guerre,

Humble serviteur des nombreux coups de canons,

Qui quatorze années plus tôt ont pris son père

Quelque part en Egypte, parmi les pharaons.

 

Au carrefour des Alexandre, des César,

Le père s’est effondré lumière sanglante, 

Où les sépultures, pareillement aux bazars,

S’offraient généreuses, riches, abondantes ;

 

L’enfant est à Paris en mille-huit-cent-treize,

Et loin des citronniers et de l’arbre d’argan,

La haine souffle sur les très chaudes braises

Qui fusent de ses colères d’adolescent !

 

Larron d’un fruit abattu au soleil brulant,

La besace qui lui tient de tête se remplit

D’images héroïques ; et l’œil bafouillant

De triomphes blêmes, de rêves accomplis.

 

Car enfin, l’aigle voit le petit passereau

Et lui dégage les ailes sur l’Euphrate ;

Sur les pyramides vieilles, divins tombeaux,

Où le père, loin, tranquille, s’acclimate...

 

 

 

LA MORT DU MARECHAL

JEAN-BAPTISTE BESSIERES

Duc d’Istrie

Tué le 1er mai 1813 par un boulet de canon,

Près de Weissenfels – Campagne de Saxe

 

 

« Au fait, si un boulet doit m’enlever ce matin,

Je ne veux pas qu’il me prenne à jeun ! »

Au réveil glacé de la campagne allemande,

Le maréchal Bessières contemple la lande

Et plaisante avec ses soldats. Il ingurgite

Une pomme et rêve à demain qui s’invite !

Hélas ! Peut-être demain ne reviendra pas !

La plaine sombre, engorgée d’adversaires,

Semble modifiée en morbide sphère

Où chacun choisit un lieu pour s’accroupir.

Chacun augure en ce jour, sa vie déguerpir !

Bessières commande depuis la précaire fosse

Quand le premier boulet retire, véloce,

La figure consternée de son voisin !

Le second, barbare, lui fracasse une main

Et troue sa poitrine. L’empereur hèle

Bessières, qu’étreint la gloire immortelle.

« Il a vécu comme Bayard et est mort comme Turenne ! »

Dira Napoléon, claquemuré à Sainte-Hélène.

 

 

 

 

PIE VII A FONTAINEBLEAU

12 juin 1813

 

 

Napoléon court toute l’Europe en feu ;

La mort, dans son sillage, ouvre grand les yeux

Sur l’offrande soldatesque, charnue, grosse !

C’est de la chair humaine parmi la fosse !

A Fontainebleau, le pape prie pour ce fils,

Cet enfant têtu, dont la mort corruptrice

Invoque le nom sur les champs des batailles !

Napoléon ! Napoléon ! La mitraille

Est une prière qui frappe les hommes !

Une balle de fusil et puis le somme !

Pie VII le sait, la fin de l’aigle venue,

C’est le tombeau qui oubli le fumet tout cru

De la jeunesse patriote et fière ;

Qui allonge des vies, par dessous la pierre !

Cela fait quatre ans que le pape est captif

Et que partout s’envole l’aigle fugitif !

 

                               

 

 

VITORIA

21 juin 1813 – Guerre d’indépendance espagnole

 

 

Il fait jour. Deux enfants jouent, assis sur le sol.

Les nuages tonnent. Les masures alentours, molles,

Se découpent sous une pluie de campagne. Au fonds,

Quelques hommes dans les champs disparaissent,

Comme engloutis par la besogne, cruelle maîtresse,

Qui les avale comme toutes les fins de saisons.

Les enfants jouent dans une flaque d'eau, propice

A détenir un terrible océan factice ;

Ils s’amusent des débris de bois qui chavirent.

Leurs vaisseaux se noient sous leurs yeux et leurs rires…  

Les mères des enfants, les mains sur le nez,

Immobiles sangsues devant leurs yeux fermés,

Prient pour le retour prochain de leurs maris.

Hélas ! Si Dieu les entend, le doute est permis...

Pauvres femmes de soldats ! Quelle hideuse

Idée ! L'homme va tomber là-bas ! La gueuse

A peut-être pris le compagnon aujourd'hui !

Ces mornes visions emplissent leurs tristes vies...

En terre espagnole, deux hommes dans le cloaque :

Ce sont les pères des enfants qui jouent dans les flaques.

L'aube noircit sous les coups de canons féroces ;

Un homme s'écroule, tué d'un coup de crosse.

L'autre, ayant perdu son frère, cours vers Bilbao

Rejoindre son épouse et la veuve de Pedro.

Il monte la colline, derrière laquelle se trouve

La maison de la veuve. Ici, la douleur couve !

Il s’avance d’un pas lent. Elle, en prières,

Attend son messager. Monstrueuse guerre !

Le malheur, tel un glaive, viendra couper en deux

Une femme de son époux, un enfant de son dieu.

Ça y est, il est là. Il parle à la mère

Tout bas. Il est démesuré, ce mystère !

Un enfant qui joue près d'une dame épaisse,

Ignore encore le hasard qui le laisse

Orphelin. Sa mère ne lui dira la chose

Que demain. Avant, il faut qu'elle se repose...

L'enfant, que le sommeil explose, est endormi

Contre son ventre. Tout est calme. Il fait nuit.

 

 

LA FOLIE DU GENERAL

JEAN-ANDOCHE JUNOT

29 juillet 1813

 

 

Je suis vide. Je crois que je me suis perdu.

Jamais je n’ai plié ; aujourd’hui, j’ai rompu !

En moi, tant d’images dépassées débordent 

Et envahissent ma tête ; faut-il que je torde

L’ennemi intime qui me commande ?

Faut-il que j’accepte le tourment et l’amende ?

Le faut-il ? Alors ? Soit ! Ouvrons la fenêtre 

Et voyons l’autre monde et ce qu’il peut être !

 

 

 

LES CORPS ALLONGES

DES BELLES JEUNESSES

13 août 1814

 

 

Les corps allongés des belles jeunesses

Me font souvenir, manque de politesse,

A un temps de jadis, temps disparu,

Où mon corps, lui aussi, me disait « tu » ;

 

Puis, resplendit sur les ombres anciennes

La cavalcade d’antiques chaines

Qui laissent un goût moisi d’inachevé 

Entre qui je suis…et qui j’ai été.

 

Les corps légers de ces adolescents

Me ramènent au vieux firmament,

Aux vieilles chroniques lentement perdues

Et toutes ces cliques m’harponnent, me tuent !

 

Les muscles tendus des bras juvéniles

Sont pour moi désormais, une lointaine île

Où la nature sèche a tout dévasté ;

Mes hivers, mes printemps, mes automnes, mes étés !

 

 

 

LA BATAILLE DE GROSS BEEREN

Le 23 août 1813 – Campagne de saxe

 

 

La terre rejette comme une urne gorgée d’eau,

Les averses torrentielles noyant les coteaux,

Les vallées, les collines ; rien ne contrarie

La sauvage énergie de trébucher ici !

 

La jeune garde française, ces Marie-Louise,

Dans l’ombre des grognards, percent leurs chemises

D’éphémères trous auréolés de rouge ;

Confondus dans la boue, ces vers de terre bougent ;

Ils avaient tout vécu, le tangible et le rêve,

Au crépuscule rougit de ce jour qui s’achève

Sur les derniers soldats de leur première guerre ;

 

La mêlée abominable, cruelle, sévère,

Renverse Oudinot, le maréchal courageux !

Les drapeaux déchirés lui arrachent les yeux !

 

Sur ses hommes penchés le maréchal, stoïque,

Encourage les ombres à cette mort héroïque !

Il les regarde choir, tel le cultivateur

Regarde sa récolte, moissonnée à l’heure !

 

                               

 

 

 

 

                               

LA NOYADE DU MARECHAL

JOSEF ANTONI PONIATOWSKI

Prince polonais

19 octobre 1813 – Campagne de Saxe

 

 

L’âme du chef est passée dans son âme !

Sa vie, c’est la gloire et l’immense flamme…

Le nouveau maréchal, sabrant à tout fendre,

Accourt à Leipzig, chevauche parmi les cendres,

Rejoint dans l’austère campagne prussienne,

Napoléon, muré des peuplades germaines,

Russes et suédoises ; ces entières nations

Se toisent pour la prochaine explication !

C’est le combat des rois contre l’Empire français ;

Venant des rives glacées, c’est un polonais

Qui illumine les vastes espaces allemands ;

Les alliés se brisent sous son commandement.

Au milieu de cette affaire, alors se lève

Belzebuth d’où se répand l’illustre sève

Sur le sol que travaille les corps soldatesques !

Partout, sabres, lances, contre les vies grotesques…

L’alliance contre-nature des peuples et des rois

Contre l’ogre français, pesait de tout son poids.

Les saxons – mercenaires germains aguerris –

Avaient retourné, et leurs canons, et leurs fusils,

Contre l’empereur superbe ! Noire traitrise !

Hé, voici où mènent les alliances grises !

Tout chancelle, tout s’enfuit, tout se détruit !

Les cavaliers, les fantassins, dans une bouillie

Multicolore traversent l’Elster blanche 

Pour fuir le spectacle sur lequel se penchent

Les dieux en furies ! Le maréchal polonais

Tombe dans ce puits et lentement disparait…

Des malheureux lancent des cris déchirants,

Voyant le maréchal dans ce torrents ;

On ne distingue plus que bras et têtes

A la surface des flots avec des regards de bêtes

Allant à l’abattoir ! La rivière en est pleine…

Poniatowski mort, une branche manque au chêne !

L’âme du chef était passée dans son âme !

Sa vie, c’était la gloire et l’immense flamme…

 

                               

 

 

 

 

TOUJOURS LA MORT POUR FINIR

25 octobre 1813

 

 

Assis en contrebas de la bataille passée,

Le colonel, qu’oppressent de noires pensées,

Attend le moment où il sera englouti.

Les souvenirs ravagent son cœur et il cri :

« Et puis quoi encore ! La gloire ! L’honneur ! 

Pour mon nom sur une pierre, faut-il que je meurs !

A quoi bon tout cela puisque déjà on m’oubli ;

Je ne suis qu’une monture de cavalerie !

La mort, cette garce, me fait sa danse du ventre !

J’ai froid, elle m’attire, elle veut que j’y entre ;

Elle me prend aujourd’hui tout ce que j’aime.

Les montagnes, le soleil, les douleurs mêmes.

Jamais plus je ne reviendrai sur cette terre,

Et les millions d’humains qu’indiffère

Ma mort est un supplice insupportable ;

Je veux recommencer autrement cette fable !

Mon corps et tout mon être disparaitra ;

Je veux une épaule où étendre mon bras ;

Je veux un sourire et pouvoir l’emporter ! 

Que ce monde expire, si je dois succomber ! »  

 

 

 

LA FIN DU GENERAL

CLAUDE CHARLES AUBRY

DE LA BOUCHARDERIE

8 novembre 1813

 

 

Oiseau flegmatique

Sur une branche cassée

L’anémone et le coquelicot

Se courbent sur ton dos

Et alignent des yeux ronds et vitreux

Dans le brouillard épais

Ils musiquent ensemble

 

Baisse tes paupières

Ne les regarde plus

La douleur te rend fou

On ne te comprend plus

Hier encore jaillissaient des rêves

Et des victoires multicolores

Et tout cela un boulet l’a emporté

Loin

Parfois

Quelques secondes

Tu te souviens

A la limite des lisières

Là où tu inventais un langage

Avec cette fille si peu sage

Qui nidifie dans ta tête

Ses cheveux sont défaits

Longs

Alors brille ta mémoire

Qui te transporte si bien

Qui te promène si bien

Dans le pays de ton commencement

L’haleine tiédie tes lèvres s’écartent

Et un filet rouge glisse sur ta joue

Et tu t’en fous

La voix terrible des bouches muettes

Exhalent des cris attendrissants

Qui heurtent les triomphaux cantiques

Tu t’endors dans ce verger

Il est mort

 

LES MARIE-LOUISE

12 janvier 1814 – Campagne de France

 

 

Comme ils vont, obscurs, la nuit solitaire,

Vers les lieux sacrés et déjà glorieux !

Ceux que la mort prend en impôts de guerre,

Déposent les autres en spectres honteux !

 

Maintenant que sur le plancher de France

S’agrandit la vague de vils ennemis,

Dans nos régiments, qu’est-ce une absence ? 

Peut-elle être autre chose qu’une infamie !

 

Alors, viens, ma mère, enlace ton enfant !

Le boulet méchant qui prend ma figure

N’est rien à côté des yeux larmoyants 

De ton beau regard : belle sépulture !

 

Que l’on me prépare ma belle chemise,

Et mes gros souliers et mon beau drapeau !

Si la guerre est une colossale banquise,

Le déshonneur est un désert trop chaud !

 

 

BRIENNE

29 janvier 1814 – Campagne de France

 

 

Au bord mystérieux où l’Empire finit,

Penché sur le temps qui efface le grand roi,

Un cosaque s’élance et vise le foie

De l’homme qui apparait soudain démuni !

 

Ivre de colère, le général Gourgaud,

Se présente devant le slave audacieux,

Et d’un coup de pistolet, tue le prétentieux 

Qui croyait produire d’un dieu, un agneau !   

 

Éteint de porter les triomphes modestes

Dans cet austère fourbi, blanc et funeste,

Le bienveillant Gourgaud voit le charnier natal ;

 

Il devine au lointain, les affres du temps ;

Retarde, rêveur, le gâchis monumental

Et contemple les nains maudire le volcan !

 

 

 

MONTMIRAIL

11 février 1814 – Campagne de France

 

 

Un Janus entouré de titans ! L'océan !

Voilà ce qu'était l'Empereur à Montmirail.

Au crépuscule venu, on approche souvent

L'éblouissement du destin et l'on trésaille ;

 

Éteint le vulgaire ! Éblouit jusqu'à Rome !

Épouvanté, l'adversaire perd ab libitum ;

Mais des ravins trop étroits bordent le chemin

Qui mène aux victoires passées. Tomber est certain !

Vaincre aujourd'hui, c'est fléchir un peu plus loin.

 

Le chant de l'aigle se fond dans la nuit fermée...

Montmirail ! Belle affaire ! La trace de ton nom

Resplendira tel un glaive coulé dans le plomb...

Qu’a-t-il manqué à Montmirail, crénom de nom ?!

Peu...c'est à dire tout ! L'aigle s'était envolé...

 

                               

 

LES LARMES

DU MARECHAL CLAUDE-VICTOR PERRIN

Alors que son gendre mourant

Le général Château est dans ses bras

Bataille de Montereau – 17 février 1814

 

 

Je vous aime, disait-il sans attendre de réponse ;

L’ombre qui nous dirige, jamais ne renonce

Et il ne faut pas que se referme le tombeau

Par le point qui rougeoie le ventre en lambeaux. 

Car vous êtes pour ma fille une âme complice,

La douleur que je vois, vos paupières qui se plissent 

Comme des flocons de laine coulent de vos yeux.

Promettez-moi que ce n’est pas un adieu.

Que pourrais-je dire à notre Victorine

Qui a bien assez de pensées qui chagrinent ?

Les brebis s’en vont et les loups les dévorent

Reprenez-vous, mon fils, soyez loup encore !

Pour que sourie encore celle qui nous attend

Dissimulez-vous un peu aux spectres latents

Qui errent partout à la recherche de corps ;

Demain, bon dieu, promettez-moi d’être encore !

 

 

 

LA REVANCHE

DE GEBHARD VON BLUCHER

30 mars 1814

 

 

- Ainsi, la chose est faite ! Le vieux général

Impérieux pénètre dans la capitale

Éreintée et malheureuse ; il frissonne,

Songeant à Iéna et, la victoire gloutonne,

S’apprête à digérer cette ville qui l’accable !

Paris ! Bastion de l’Empire abominable !

Combien de fois a-t-il rêvé de ce moment 

Où Paris, à genoux, humilié et rampant

Ne serait plus qu’une bourgade anonyme ?

L’aigle est tombé et avec lui ses nombreux crimes !

Mais c’est en vieillard malade qu’il avance

Dans la ville. Les fumées noires de l’alliance

Des rois est un plaisir amer à l’invalide ;

Il revoit la Prusse et les défaites morbides !

Alors, il traverse les rues désarticulées

Jonchées de charrettes ça-et-là écartées ;

Le souffle malingre qui sort de sa bouche

Sourit aux vaines et ridicules escarmouches

Des derniers soutiens du lourd Napoléon !

Les guerres sans fin, finissent toutes de cette façon !

  

 

                      

LA TRAHISON DU MARECHAL

AUGUSTE VIESSE DE MARMONT

Duc de Raguse

31 mars 1814 – campagne de France

 

 

Le visage de la débandade atroce,

Apparaît immonde colorée de douleur ;

Le maréchal Marmont, en désenchanteur,

S’apprête à entrer dans la mortelle fosse…

 

Cette fosse dont les parois sont la honte,

L’ignominie et le vil abaissement ;

Cette cavité boueuse qui posément

Ingère le prestige et le démonte ;

 

La bataille exaltée du pont de Lodi !

Marengo et la conquête de l’Egypte !

Tout s’enfonce dans l’ébène crypte

De ce jour où il s’habille d’infamie !

 

Marmont quitte Paris avec vingt mille grognards,

Etonnés et étourdis par l’illustre soldat ;

Résignés ou indécis, ils mettent leurs pas

Dans celui de Marmont, aveuglant phare !

 

 

 

                           LE CHATEAU DE FONTAINEBLEAU

1er avril 1814

 

C’est une vaste demeure, pompeuse et délicate,

Aux lambris or sculptés à la Germain Boffrand ;

De larges frises, où des amours s’ébattent

Chapeautent les murs, couleur de safran.

C’est une symphonie de toutes choses belles,

De roses, fleurées, dans des vases d’argent,

Où tout semble avoir une vie éternelle,

Et où tout le passé s’impose au présent.

Ces portes ont claquées sur tant de secrets,

Et tant de mystères y ont leur intimité

Qu’au profond de ce lieu, sait-on désormais

Qu’un empire engloutit s’y est refermé ?

 

 

 

LETTRE DE L’IMPERATRICE

MARIE-LOUISE A NAPOLEON

Orléans, 10 avril 1814

 

 

Tout le monde demande à nous quitter…

Cela me dégoûte ! Ces âmes mal nées

Ne sont que des ingrats et des lâches !

Ils renient ton nom et, oublieux, crachent

Sur dix années pleines de récompenses ;

Ils disent qu’un roi est mieux pour la France !

Pour moi, que m’importent les frontières,

Ces lignes noires sur quelques pierres…

 

 

TENTATIVE DE SUICIDE

DE NAPOLEON

13 avril 1814

 

 

En prise avec d’effrayantes convulsions,

Semblant expirer, le Dieu-Sire Napoléon

Avait pris tous les traits initiaux d’un mourant :

Lèvres contractées, regard figé et teint blanc !

Sous la clarté tremblante et irrégulière

D’une bougie posée, le météore fier

Pleure l’hideuse ingratitude des hommes ;

La mort n’est pas cruelle, ce qui l’est, c’est le somme !

Qui voudrait tous les matins au noir réveil,

Que la bassesse humaine fut le seul soleil

Qui calcine les pensées et broie la raison ?

Ce repos est une trêve entre deux prisons ! 

Détournant sa tête lourde avec dégoût,

L’Empereur allongé, le nouveau Michapoux,

Ne veut pour souvenirs, que des triomphateurs !

Pas de mesquins attraits, vils entremetteurs 

De la guerre tardive, ce grand ennemi,

Qu’est l’exil intérieur qui baisse et avilit !

C’est le tombeau ouvert et sans cesse renaissant,

Des faussetés saumâtres qui mangent le temps.

Ce sont les maisons brûlées, les joies profanes,

Les gloires endormies et les courtisanes ;

C’est surtout cette blessure : l’hypocrisie !

Les proches qui vous blasphèment et vous renient !

Alors, il s’endort, espère-t-il pour toujours,

Monument décharné, de la sournoise cour.

Mais le frisson premier ne veut pas mourir,

Et c’est l’Egypte qui vient ; et c’est l’Empire ;

Moscou à ses pieds ; et Berlin et Lisbonne ;

La force lui revient quand ce tocsin sonne !

Les bords enchantés des terres étrangères

Sont les fruits prometteurs de lendemains prospères ;

Scindant son front ardent, une couronne de lauriers 

Redresse son corps joyeux et son sourire volé ! 

 

 

                               

LA FUITE DE ROUSTAM RAZA

Le mamelouk de Napoléon

14 avril 1814

 

 

Au matin sombre de la nuit

Le dernier infidèle s’enfuit

Et profite du brouillard

Pour abandonner son césar

Dans ce gouffre d’amertume

L’homme aux beaux costumes

Goûte à l’hideuse saveur

Qui laisse un haut-le-cœur

Ô mamelouk de l’alcoran

Le fleuve honteux te prend

Et tout s’efface et pourrit

Tout se délabre aujourd’hui

Le crépuscule t’emporte Roustam

Vers d’autres putrides sésames

Et murmure au réveil l’aigle surprit

- Ainsi donc lui aussi…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LA RENIEMENT

DU MARECHAL AUGEREAU

16 avril 1814

 

 

S’est-on jamais élevé plus haut ?

Un fils de domestique est maréchal de France !

Les colliers et les parures paonnent d’appartenance

Au monde illuminé des châteaux.

 

La bourrasque gauche de l’ancien soldat

Trahie en cette heure le puissant taureau ;

Et les passants rougissent d’effroi

Quand le torrent se fait caniveau.

 

On a vu souvent les Brutus, les Caïn,

Rompre les serments, refuser le pain

Des imperators finissants ;

 

Augereau dénonce ses propres crimes

Quand de sa bouche  il expulse le nom de tyran

Et croque, amer, le goût de l’abîme !

 

 

                               

L’ARBRE

22 avril 1814

 

 

C’est un tronc détaché au milieu d’une prairie

Que les grands corbeaux, survolent sans s’y poser ;

La guerre a fracassé le vieil arbre endormi

Qui repose silencieux sur des feuilles de laurier.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’HUMILIATION

26 avril 1814

 

 

Echevelé, se tordant en de vains sanglots,

L’impériale chaire, voit le noir îlot

Qui avance vers lui dans le soir étouffant.

Car demain il sera retranché des vivants !

Pour l’instant, il arrive dans le froid village

Avec en mémoire le terrible orage

De Fontainebleau qui ne cesse de tonner.

Tous les éléments semblent vouloir s’acharner

Sur l’aigle crispé ; Napoléon est fini !

Dissimulé sous sa redingote, banni,

L’ex-empereur tremble dans cette Provence !

Un mannequin pendu, à sa ressemblance,

Est – ignoble ! – badigeonné de sang de porc !   

Dans cette foule haineuse, aucun réconfort !

Un attroupement se forme tout autour de lui ;

Hurlements, bousculades et de luxuriants cris

Accompagnent l’arrivée de l’ancien César.

A travers ses yeux clos, il voit les barbares

Lui cracher à la figure. Un paysan nommé

Durel, l’attrape par le devant de son habit et

Lui crie, bavant, au visage : « Vive le Roi ! »

Saisi d’épouvante, livide, l’aigle croit

Qu’on va le frapper ;  il gémit : « Vive le Roi... »

Sous les rires amusés des gens venus là ;

La masse se moque de ce maigre corbeau,

Qui hier encore portait sceptre et flambeau

Et qui frissonne devant quelques paysans !

Même les chevaux sont pris d’un hennissement,

Tel un éclat de foudre tordant la terre ;

La mort, cela n’est rien ; la honte, c’est l’enfer !

Napoléon ouvre les yeux sur l’extase

Qui secoue les gueux ! Le mannequin s’embrase

Et Orgon est alors un nouveau Golgotha !

On renie et on rit à la fin du faux roi !

Chargé de silence, l’ex-souverain oubli

Les croix plantées et les hommes ensevelis

Par quarante batailles ! Il ne voit que ça,

Cette haine affreuse qui serre son bras !

Quelques soldats viennent, amusés, à son secours

Et délivre celui qui suppliait ce jour

De clore tout, comme une belle délivrance ;

C’est la tête boxée, qu’il quitte la France !

 

 

 

 

 

ENTRÉE DE LOUIS XVIII A PARIS

Vue par le prince Klemens Wenzel Von Metternich

4 mai 1814

 

 

Depuis une fenêtre de Montmartre,

Je vois passer le cortège royal.

Qui dans la ville nue s’étale

Et, déjà, on parle de désastre.

 

Le roi, fidèle à son cœur aimable,

Répond à l’attitude contrastée

D’une foule hier encore opposée,

Par de grands sourires convenables.

 

Assis sur le trône (en punition,

Le roi ne put consentir à le taire):

« Napoléon était un bon locataire,

Tout est arrangé à la perfection ! »

 

 

 

L’ASSASSINAT DE L’IMPERATRICE JOSEPHINE

Au château de Malmaison

29 mai 1814

 

 

De superstitieuse mémoire, on se souvient

De la mauvaise maison du temps des anciens,

Qui puise le malheur, sombre édifice,

Et distille dans les cœurs son maléfice.

 

Depuis le retour du gros monarque ventru

Dans les palais de l’aigle, voleurs, malotrus,

Chacun entend les rumeurs accusatrices :

Un Roi peut-il tolérer une Impératrice ?

Lui qui est revenu aux sabres étrangers,

Les titres de noblesses sont-ils mélangés

Entre duc de Dantzig et duc de Bourgogne ?

Et la France, un bout d’Empire que l’on rogne ?

 

Non, l’Empereur est loin, et son épouse aussi ;

Aussi, Joséphine ne peut demeurer ici

A quelques kilomètres de la capitale !

L’ombre de l’Empire aurait un piédestal !

Un Roi peut-il accepter sans rechigner

Une tiare plus haute que la sienne, posée

Au front d’un empire plus vaste que son royaume ?

L’aigle n’est plus là, mais elle est son fantôme !

Peut-on offrir aux yeux des Cours européennes

L’étonnant spectacle d’une plus grande Reine

A trois lieux de Paris, régnant sur ses rosiers !

Et suprême supplice, comment la nommer ?

Et puis son fils Eugène, Prince d’un Empire !

Il faut trouver un remède pour tout finir !   

 

Le dix mai, brusquement, sa santé vacille ;

Elle ressent dans sa gorge comme une aiguille.

Sa figure altérée voudrait dire : - je vais bien !

Ne vous inquiétez pas, tout ira mieux demain.

Le lendemain vint et, dans sa promenade,

Joséphine tremble, et vraie gasconnade,

Calme les alarmes de ses dames d’honneur ;

La journée n’est bonne qu’aux empoisonneurs !

Ils l’entourent de mots, dors Impératrice,

Le poison pour arme, l’hypocrisie complice !

 

Le quatorze mai, après le déjeuner,

A nouveau dans le parc arboré,

Joséphine fut prise de nouveaux malaises ;

Derrière, l’ombre d’un Roi ; devant, la falaise…

Croyant un moment qu’elle allait s’évanouir,

Elle ne sombra point, par la grâce de souffrir !

 

En proie à d’obscurs présages, elle appelle

Son médecin qui lui tint cette ritournelle :

- C’est un simple rhume, il vous faut du repos !

Buvez donc vos tisanes, et coucher vous tôt.

 

Un nouveau mal de gorge, très vite est son  maître ;

La fièvre, un peu plus, chaque matin la pénètre.

Le docteur n’est pas au chevet de sa malade ;

Attend-il, lui aussi, la funeste escalade !

Au soir du vingt-cinq mai son état s’aggrave

Et la mort déjà, grignote cette enclave.

 

Le vingt-neuf, l’œil perçant, le tsar Alexandre

Est à Malmaison, choisit les tableaux à prendre.

Visite l’ancienne Madame Bonaparte,

Qui s’endort à l’étage et qui déjà s’écarte

Du monde des vivants et des sonores ;

Il est des démarches qui déshonorent…

 

Désormais sans force, elle sombre dans l’ivresse

Et Louis XVIII voit disparaitre une altesse…

De l’Impératrice morte, on ne doit plus parler ;

Ce titre même, donne au Roi, la nausée !

En ce printemps où la France, toujours sous le joug

Des armées étrangères, tombait à genoux,

On aurait pu dire : - Nous aurons un Roi demain !

Nous aurons surtout, une impératrice de moins… 

                  

 

 

LES FANFARONS

3 juin 1814

 

 

Plusieurs vieux débris de l’armée sont au tripot,

Pendant que, hilares, maréchaux et généraux

Viennent prêter obéissance à Louis XVIII ;

 

Dans la taverne crasse, rencontre fortuite !

Douze gaillards, beaux officiers de toutes armes,

Noient dans le vin, la colère, le vacarme,

Le vieil empire qui s’effondre là, sous leurs pieds !

Quelques mètres plus loin, dix-huit russes attablés

Chantent l’éclipse qui ombrage la France ;

Le soleil est éteint ; aussi, l’espérance.

Puis la horde de slaves aux babines avinées,

Riant de plus belle, voit l’un des siens hurler :

« Ecoutez, mes amis ! Je voudrais un grand bol

Où nulle lèvre de français n’y a bu d’alcool ! »

Le rouge monte au visage d’un jeune capitaine ;

L’échauffement grandit et aussi, la haine.

Puis, un colonel des grenadiers à cheval

Sort précipitamment, et revient dans ce bal

Un pot de nuit à la main, qu’il pose brusque

Devant les russes, éclaboussant tous leurs frusques ;

« Vous voilà servis à souhait ! Jamais français

N’a bu là-dedans ! Vous y boirez à présent ! »

 

Révoltés à la vision du vase encrassé,

Les russes se lèvent, et le sabre tiré

S’avancent sur les douze images impériales ;

Un nouvel Austerlitz pour grand cérémonial !

On se retrouve donc au bois de Boulogne

Pour un bout de guerre, agréable besogne

Aux trente soldats réunis sous les arbres.

De là, douze russes dormiront sous le marbre !

Les autres supplient déjà qu’on les épargne

Etonnés par l’assaut et la grande hargne.

 

Ce spectacle cocasse a vécu quinze jours !

L’empereur de Russie, au milieu de sa cour,

A son frère venant lui annoncer, effrayé,

La perte constante de nombreux officiers,

Répondit les paupières closes, agacé,

Sur un ton définitif, presque familier :

« Car je ne les ai pas comptés en arrivant   

Je ne les compterai pas plus en m’en allant ! » 

 

 

 

L’AMOUREUSE

13 juillet 1814

 

 

Elle libère son bras de ce jeune soldat

Au beau milieu de l’été et des champs fleuris ;

Les baisers qu’il lui donne, véritable armada,

Envahissent son cou, obstinés colibris.

Les tiges qu’il arrache et offre à la belle,

Ont le parfum léger des amours débutantes ;

Le silence se fait entre la demoiselle

Et le doux capitaine aux mains conquérantes.

Elle rit de ce rire éclatant des enfants,

Jouant à de la rivière en fin de journée ;

Puis le vent les surprend, cheveux ébouriffant,

Et souffle sur leurs dos, les faisant frissonner.

 

                               

 

LE VIEILLARD SOLITAIRE

4 août 1814

 

 

Les enfants ne l’aiment pas, ils en ont même peur ;

La vieillesse est un spectacle hideux à leurs yeux 

Et ils s’abstiennent de s’apitoyer, bon Dieu,

Sur cette charpente dont le souffle se meurt !

Ce n’est pas un caprice ni une fantaisie ;

L’enfance est un âge où la mort est un puits.

 

- Pourquoi me chassez-vous de vos passions trop sèches ?

Moi aussi, j’ai été un enfant étourdi !

Je sais bien que déjà, se raccourci la mèche

Mais je veux jusqu’au bout m’embraser de la vie !

Aucun baiser si doux n’atteint plus ma bouche,

Le soir, vous dormez ; et le soir, je me couche !

 

Déjà le jour s’enfuit et était-ce un songe ?

J’étais devant vous, tristesse appesantie,

Par l’infini exil qu’est devenue ma vie

Et par vos rires insensés qui me rongent...

                               

 

 

 

LETTRE DE NAPOLEON

A SA SŒUR, ELISA

Porto-Longone, Ile d’Elbe, le 17 septembre 1814

 

 

L'édifice de la société est miné.

Tout y est politique et va s'écrouler.

Aucune force humaine n’est capable

De retenir le mouvement implacable

Et obstiné des hommes et de leur nature.

 

Semblable aux fruits qui tombent étant mûrs,

Les états se dissolvent à leur automne

Et l'Europe bascule dans ce monotone

Déplacement de royaumes insignifiants !

Tous au même point, à l’approche du néant !

 

L’orage de révolution qui s’est formé

En petits nuages sur la France passée,

Se répandra dans une nuit effroyable

Sur toute l’Europe, forte, admirable !

Les éléments agités ne se calmeront

Que lorsque les hommes en épuiseront

Les matières pareillement combustibles ;

Le pouvoir. Les conquêtes. La mort. La Bible.

Le monde sera ruiné par un baptême

De sang qui emplira de ses péchés, même

Ceux qui souhaitent voir un avenir demain.

Nous aurons, nous aussi, nos vandales, nos huns !

 

Personne, hormis moi, ne pouvait sauver le monde !

L’assaut des mœurs dégénérées et immondes

Provoquera sa décadence très bientôt.

Nous croupissons déjà dans ces ténébreux flots…

Je voulais vider le calice tout d’un bout ;

Ils le feront petit à petit, avec dégoût !

 

Je connais mon siècle et les hommes ;

Ils sont avides de gloire, de décorum !

Ils m’accusent d’en avoir fait des esclaves,

Courbés à mes pieds, parlant d’une voix suave !

Pouvais-je faire un seul pas sans marcher

Sur eux ? C’est pourtant leur manière de ramper

Après les titres et après l’or, qu’ils dénoncent, 

Ces moucherons affamés qui renoncent !

 

Puisque les esclaves avaient besoin d’un maître,

Je n’avais pas besoin d’otages à soumettre !

Que pensera-t-on de quarante millions d’hommes

Qui se plaignent qu’un seul, s’était pris pour Rome ?

 

 

 

 

VIVE LE ROI

Par Claude Joseph Rouget de Lisle

15 décembre 1814

 

 

Quelle est loin, cette république manquée !

Froide et austère, telle une statue zébrée

Par les abondantes secousses de l’Empire,

Elle est défunte née, ayant pour seuls sbires

Quelques généraux en quête de victoires…

Combien sont morts pour rougir une page d’histoire ?

 

En plein cœur de Strasbourg, avant le clair matin,

Est né ce chant de guerre pour l’armée du Rhin

Que nous chantions à tue-tête en campagnes !

Rien ne nous stoppait ; les mers comme les montagnes

Etaient des espaces souhaitant nos exploits ;

On criait « vive nous, et advienne que pourra ! »

 

Aujourd’hui, je suis vieux et n’ai plus la force ;

L’Empire français, c’est moins que la Corse !

J’ai tant de peine désormais, pour écrire,

Que mon « vive le roi » sonne faux et transpire

Le raccommodage avec une jeunesse

Lointaine, dont les innombrables promesses

Ont été vaines et sans cesse corrompues !

Je voulais le jour de gloire ; je ne le veux plus.

 
 
 

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