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1809 - 1812 "poèmes centenaires"

LE TIR DE THOMAS PLUNKET

Soldat irlandais

Cacabelos, 3 janvier 1809

Guerre d’indépendance espagnole

Il avait servi sous les plus grands maréchaux ;

Lannes, Murat, Bessières et le troupeau

Entier des soleils d’Egypte et d’Italie !

Auguste Colbert est général aujourd’hui.

Il revoit les villes auréolées de gloire :

Austerlitz la grande, ce superbe phare

Eclairant l’uniforme jusqu’au simple soldat !

Saint-Jean-D’acre et Marengo. Ulm et Iéna ;

Il se revoit colonel, au cœur de Paris,

Condamnant le duc d’Enghien, tout près de minuit ;

Participant à la commission militaire,

A la mort sinon juste, du moins nécessaire !

Il y a deux jours, l’Empereur lui promettait :

De hautes destinées et d’immenses victoires !

« Dépêchez-vous, Sire, car mes trente ans sont faits

Et je suis déjà bien vieux de guerres barbares ! »

C’est du haut d’un cheval, un matin de janvier,

Qu’une balle au front vint finir son aventure.

Sur une route d’Espagne, froide et enneigée,

Le tir de Thomas Plunket, est de ceux qui clôturent !

EMPORTEMENTS DE NAPOLEON

A L’ENCONTRE DE TALLEYRAND

28 janvier 1809

Vous êtes un voleur, un lâche, un homme sans foi !

Vous ne croyez pas à Dieu, en aucune loi !

Vous avez trompé et trahi tout le monde !

Il n’y a rien pour vous de sacré, immonde

Impudique qui pourriez vendre votre père !

Je regarde en vous, et y voit au travers ;

Vous supposiez que mes affaires en Espagne

Allaient si mal, qu’il ne se peut que j’y gagne !

Et vous dites à qui veut l’entendre que toujours

Vous avez blâmé mon entreprise ! Moi, sourd

A vos conseils, alors que c’est vous qui m’avez

Donné en bien des choses la première idée ?!

Le Duc d’Enghien ! Vous avez osé prétendre

Etre étranger à sa mort ! Vous en défendre !

Et la guerre en Espagne, n’est-ce pas vous aussi

Qui me l’avez vivement prôné par écrit !

Quels sont vos buts, diable d’homme ? Qu’espérez-vous ?

Osez le dire ! Sortez de ce silence mou !

Tenez ! Je vous le dis par devant vous et bien droit ;

Vous êtes de la merde dans un bas de soie !

EL DEMONIO

Défense de la ville de Lugo (Espagne), du 18 au 23 mai 1809

Par François Louis Fournier

L'impétueux cavalier reclus dans Lugo,

Parle à l'ange de la nuit : «Viens ! Panse mes os ! »

Hélas, nulle trace dans la nuit noire ibère,

D'un ange quelconque que l'étau enserre.

Partout, le silence et le désert grondent ;

Chancelant vers l'abîme, un autre monde

Apparaît à l'observateur halluciné…

Car l'homme en colère propose ce marché :

« Viens, être de la nuit ! Que tu sois ange, démon

Ou farfadet, fais-moi enjamber l'Achéron !

Le bord de l'enfer, n'en est que la frontière,

Et en ce soir béni, floraison est l’enfer... »

Alors, à un contre dix, la bataille amorce

Son cortège de défunts ; sûr de sa force,

Le cavalier charge les vies, futurs tombeaux,

Et partout retenti ce cri : « el demonio ! »

LA MORT DU MARECHAL JEAN LANNES

Duc de Montebello

31 mai 1809

Deux amis marchent sur la verte colline

Cotonneuse et superbe, tout à coup baignée

De boulets flottants et silencieux ; déchiré

Par les sphères, le paysage s’illumine,

Formant dans le vaste espace, des traits radieux…

Les deux hommes se tournent vers les beaux boulets

Semblables à un essaim volant disgracieux,

Regardent soudain éclore les morts muets

Que propulsent maintenant le mortel feu ;

Sur la noire colline, les deux soldats sont inquiets…

Une balle perdue, repère le crane proche

Et s’y enfonce, inopinée, joyeusement ;

A bonds répandus, un gros boulet ricoche,

Et frappe aux genoux le compère survivant ;

Sur la rouge colline, la moisson approche.

Glorieux soldats ! Votre maréchal Lannes

S’ouvre aux cieux glauques et toujours méprisants !

Lui, sut plaire cependant à la méchante liane

Qui emporte avant tout, les volcans éblouissants !

Jasmins, printemps, lilas, chantez sa gloire profane !

LA BATAILLE DE RAAB

14 juin 1809

Au nord-ouest des majestueuses contrées hongroises

Trépignant de batailler, l’archiduc d’Autriche toise

Avec quelques généraux, gigantesques de dédain ;

« Qui est ce prince Eugène ? Une pâle copie, un vaurien !

Demain, nous le démolirons, lui et son armée française ;

Ce seront des bêtes égarées que personne n’apaise

Et qui gouterons affolées à notre impatience féroce !

Les plus chanceux parmi eux, auront quelques bosses… »

Eugène de Beauharnais aborde fatigué et maussade

Les marches nécessaires vers la bataille de Raab,

A grands coups de baïonnettes, de fusils et de sabres.

Il connait tous les pas de cette danse macabre !

…En apprenant la déroute de l’archiduc d’Autriche,

Napoléon dira au soleil qui s’affiche :

« Le prince Eugène vient par ce combat de héros

D’enfanter la petite-sœur de Friedland et Marengo ! »

ARRESTATION DE PIE VII

PAR LE GENERAL RADET

Nuit du 5 au 6 juillet 1809

C’est dans la noirceur qu’ils sont venus me chercher,

Armés de certitudes, d’honneur ébréché,

Me demandant de rendre ce que Dieu donne :

La souveraineté temporelle. Donne ?

Croyaient-ils vraiment que l’on mégote la foi !

Je n’ai pas choisi ! Comme Pierre, autrefois,

J’ai été appelé par le fils de l’homme

Pour régner sur les âmes ; régner sur Rome !

Qui est ce général d’une nation d’athées

Qui m’ordonne de le suivre ? Moi ? Enfermé ?

Ils ont forcé mon palais et mes fenêtres,

Mais ne peuvent me sommer de ne pas être !

C’est dans une allée sombre qu’ils m’emportent

En France ; croient-il que la foi se déporte…

LE SUICIDE

DU GENERAL JEAN BOUDET

14 septembre 1809

Capitaine au siège de Toulon

Et en guerre de Vendée

Lieutenant-Colonel en Guadeloupe

En guerre contre les anglais

Où il devient général

Et se marie

Il revient en France

Et combat en Hollande

Belle transhumance

Quelle sarabande

Ensuite c’est l’Italie

Et les actions d’éclat

Marengo Lodi

Sont passées par là

Départ pour Saint-Domingue

Et les révoltes noires

Encore il se distingue

Et revient en victoire

Puis encore la Hollande

Puis encore l’Italie

Et l’Autriche et la Prusse

Et enfin la Russie

Un jour près de Wagram

Il perd son artillerie...

L’aigle brise le charme

En lui lançant un cri

Rien ne l’a fait vaciller

Ni les guerres ni les mers

Mais l’œil impérial a cligné

Ivre de colère

Alors il prend son pistolet

Et regarde les nuages

Et fait ce qui doit être fait

Dans un tel naufrage

LE GESTE DE FREDERIC STAPS

Schönbrunn, 12 octobre 1809

Je voulais que la noirceur fût éternelle,

Que le deuil couvre de ses horribles ailes

Ce despote, ce tyran, ce petit César,

Dussé-je finir en offrande dérisoire…

Je ne suis qu’un grain de sable qui réclame,

Pour mon peuple candide, un beau mélodrame !

J’ai osé approcher le grand dominateur,

Puis j’ai pris mon couteau, voulant viser le cœur !

Il est temps que ma main féconde sa besogne

Et que je brise et détruise cette vile charogne !

Que l’on me tue ou non, cela m’indiffère…

L’aigle vorace croule tout dans notre univers !

LE DIVORCE DE L’IMPERATRICE

15 décembre 1809

Voici cinq ans qu’est posé sur ma tête

Le diadème illustre des rois d’antan ;

Hélas, je n’ai pas pu offrir un enfant

Qui sur l’avenir, est la vraie conquête…

Si mon ventre n’est plus fécond, que suis-je,

Sinon une altesse fanée sans dynastie ?

Une reine déchue par manque de vie ;

Pas même une fleur ; juste une tige.

Va, mon époux ! Reprend tes palmes et lauriers ;

Je n’en ai plus besoin, j’ai déjà trop pleuré

Pour supposer que tout reste possible.

J’ai pris plus que ma part dans notre aventure,

Et je regarde demain comme un beau futur

Où ton nom restera sonore et terrible !

QUE L’EGYPTE ETAIT ÉTONNANTE

3 février 1810

Etions-nous des géants, des voleurs, des ombres ?

Nous étions quelques-uns en face du surnombre !

Nous étions conquérants d’un inconnu mythifié,

Et ce rêve pourtant, nous l’avons bonifié...

Prenant la grande mer comme les anciens grecs,

Vers ces peuples anciens aux hauts salamalecs,

Vers les pyramides et le pays d’Alexandre ;

Sachez que le désert aussi, sait être méandres !

Il est impossible d’avoir sillonné ce monde

Et de n’en pas revenir l’âme vagabonde,

Languissante des splendeurs mahométanes !

Alors attablés, les nouveaux bibliomanes,

Se repaissent dans les livres d’images déjà vues,

Car ce que l’œil connait, le cœur en est pourvu !

LA FILLE DU VIGNERON

12 mars 1810

Dans une ville de province, tel un cloitre sombre,

Où les murs sont des ruines que les rues encombrent,

Et les forêts éclaircies, des parcs arborés,

Vivaient quelques humains aux bonheurs timorés.

Chacun regrettait une jeunesse en haillons,

Parti on ne sait où, loin de ce moussaillon

Qui promettait tantôt un avenir, tantôt un passé ;

Maintenant, tout cela était débarrassé.

Dans des salles basses, aussi basses que les songes,

Grouillaient des vérités, frères du mensonge,

Qui ornaient les murs caressés par la pluie ;

Tous le savaient : il gèlera cette nuit.

Alors les langues se déliaient lentement,

Comme les braises d’un feu à l’approche du vent,

Comme des vignerons, face aux tonneliers ;

Le liquide est bon, il faut le faire couler.

On parle de ce père, pleure-misère, avare,

Qui n’aime que son argent et ses hectares,

Et dont la fille est belle à en sangloter ;

Elle est magnifique comme un banquier !

Chacun espère son fils, en clé de cette famille ;

Ils en parlent et les mères ont les yeux qui brillent ;

Les commentaires achètent déjà la ménagère ;

Il n’y a qu’un ennui : et l’ennui c’est le père !

Chacun s’assied devant sa porte et attend

Le passage de la blonde et de ses vingt ans,

Puis du vieux monsieur qui s’essouffle derrière ;

Cette fille n’est pas l’amour : c’est une carrière !

On bombe le torse, on parle bien fort.

Les muscles saillants sous le bel effort,

Les dents sont rares mais en bonne santé ;

Les têtes s’échauffent, ébouillantées

Par les idées et par le décompte.

Elle est du métal qui vous propulse comte !

Puis un jour arrive de la capitale

Un cousin éloigné de la belle vestale,

Et dans l’embrasure des maisons jalouses

On maudit le revenant de la future épouse !

On la trouve moins belle, petite intrigante ;

Pour un peu, elle parait déjà arrogante

Quand elle s’attache au bras du mauvais cousin !

Ils lui trouvent, pour sûr, un regard d’argousin

Devant des cambrioleurs avant leurs forfaits ;

Le crime, ils en ont eu l’idée, mais ne l’ont pas fait !

LA RUPTURE DU ROI DE HOLLANDE

LOUIS BONAPARTE ET DE SON EPOUSE

HORTENSE DE BEAUHARNAIS

1er mai 1810

La folie nuptiale a pris toute la place !

Le vide béant, que le silence glace,

Au milieu du couple, encore consacré,

En poison invisible, hardis s’est rué !

Le tumulte nourrit des rancœurs immenses ;

La bête monstrueuse, la vilaine souffrance !

Si la chair convoque le souvenir d’anciens soirs,

Les heures pesantes, semblables à un pressoir,

Mettent en lambeaux les ravissements passés ;

Tout n’aspire aujourd’hui qu’à se refermer !

Les rires se sont éteints, désormais pollués

Par l’ivresse du venin furtivement diffusé.

Louis, dont les poils se hérissent, s’emporte ;

Il écoute et devine, caché derrière une porte ;

Il se lève en tonnerre et recule soudain ;

Le mal qu’elle lui fait, comme il en a besoin !

Hortense, à l’autre bout de la guerre,

Regarde par une fenêtre, terrible de colère !

L’INCENDIE

De l’ambassade d’Autriche à Paris

Dimanche, 1er juillet 1810

Dans les grands jardins de l’ambassade d’Autriche,

Tout ce qui compte ici, en cette nuit s’affiche

Au bras d’une grandeur, d’un duc, d’un général.

Le prince de Schwartzenberg offre aujourd’hui ce bal.

De beaux rideaux de soie, de blanches mousseline,

Accueillent les invités, jaillissant de berlines

Opulentes qui noient dans la foule bigarrée

Ceux qui arrivent là, et qui restent hébétés

De dorures, de peintures, de superbes écrins !

Sur les murs sont fixées des glaces de St-Gobin

Posées en demi-lustres, en appliques éclatantes !

La lumière se répète à l’infini, puissante !

Cette lumière éclaire la salle de réception ;

Soixante-treize lustres, suspendus au plafond,

Sont saturés chacun de quarante bougies !

Si ce n’est pas le jour, cela n’est plus la nuit !

De très fines étoffes, disposées en guirlandes,

Emerveillent en « Oh ! » la noble sarabande.

Au centre de la salle, montés sur une estrade

Des trônes en velours sont prêts pour la parade,

Commandant les banquettes disposées près des murs.

La ronde des danseurs aura bien fière allure !

L’Empereur est heureux, parlant avec chacun,

Souriant aux danseuses et aux beaux musiciens,

Quand, sans témoin, soudain, une bougie céda

Et que la draperie aussitôt s’enflamma !

Puis, en quelques secondes, une trombe de feu,

Dans un bruit de tonnerre, embrase tous les yeux !

On s’affole et l’on court ; on marche sur les robes,

Effrayé, apeuré ; quelle effroyable aube !

C’est un encombrement de personnes renversées,

Dont les coiffures ne sont que lambeaux enflammés

Sur épaules cramoisies et des cous déjà noirs !

Tout masque les entrées et obstrue les couloirs.

Tous s’accrochent et trébuchent, et enfin tous s’effondrent ;

Tous appellent au secours, et personne pour répondre !

Dans cette bousculade, certains sont piétinés ;

L’Empereur, chef de guerre, emmène cette armée

Dont la chevelure tombe, les toilettes s’affalent,

Quand le parquet recule, et que le sol avale

Tel un ogre affamé ! Ces cris abominables !

La mort qui vient, rapide, est un luxe appréciable !

Les habits en désordre et la tête échauffée,

Napoléon regarde le grand feu dévorer

La belle-sœur du grand prince, femme au rare courage,

Et il pense à Louis XVI et au sombre présage…

INTERNEMENT DU MARQUIS DE SADE

A CHARENTON

3 juillet 1810

Combien faut-il de remords,

De souvenirs mélancoliques et ingrats,

De profondeurs noires encore,

Pour que leur vertu me croit ?

Ils me disent abominable,

Débauché et dépravé ;

Je ne suis pourtant coupable

Que de suivre ma volonté.

Une obésité immense

M’empêche de me déployer ;

Et c’est une souffrance

Pour qui ne peut plus aimer…

La plus dangereuse des folies

M’enferme dans son bocal

D’où j’écris plus que je ne vis

Mon désordre monumental.

Que de la surface de la terre,

Je disparaisse sur le champ !

N’étant dans vos longues guerres,

Ni de l’un, ni de l’autre camp !

La fosse qui sera mon linceul

Me retrouvera dans ses fourrés ;

Serais-je alors toujours bien seul

Ou vous serez-vous dévoilés ?

LA FILLE DE JOIE

5 novembre 1810

La fille de joie au regard triste,

Nonchalante, asticote le passant

Qui baisse les yeux et entend

Les mots d’amour de l’artiste.

On l’appelle péronnelle

Et l’on moque son accent ;

De quel pays vient cette enfant ?

Murmure-t-on sous les ombrelles.

Paris est gris en novembre ;

Elle, elle est grise toute l’année.

Le froid engourdit ses membres,

Pendant qu’elle glisse dans les allées.

Parfois, elle est conquise

Par un lieutenant ou un sergent,

Dont les vapeurs l’alcoolisent

Et puis, c’est tout un régiment…

Mais peu lui importe alors,

Puisqu’en fermant les paupières,

Par procuration, elle dort

A l’ombre de glorieuses guerres !

LE VIEIL HOMME EST MORT

14 décembre 1810

Le vieil homme est mort,

Il s’est couché cette nuit.

Il a dormi trop fort

A rêver à la pluie

Qui tombe sur les hommes

Attablés en ce monde,

Et c’est durant son somme

Qu’il a quitté la ronde ;

L’appeler en riant

Et l’appeler encore ;

Car si vous êtes vivant,

Le vieil homme est mort.

LE SIEGE DE TORTOSE

Par le Général Louis Gabriel Suchet

2 janvier 1811 – guerre d’indépendance espagnole

Baignée par l'Èbre, la place de Tortose,

Adossée aux montagnes, est peu de chose

Devant des régiments entiers de français ;

Le soleil flétri les os durs et inquiets.

Les rochers escarpés, dominant les ravins,

Observent amusés, en silencieux témoins

Le face à face sanglant, franco-espagnol ;

Il n’y aura ni saints, ni belles auréoles !

Et la lutte commence ; et la mort en rit ;

Elle moissonne, prospère, les copieuses vies

Offertes à sa gourmandise affreuse !

Beau général ! Sèment tes stèles nombreuses !

Les regards noyés jusqu’au bord du fleuve,

Unis par la même geôle, la même épreuve,

Les espagnols épient les lents mouvements

De vies éphémères balayées par le vent.

Tortose abandonne et baisse les bras ;

Suchet, victorieux, magnanime et droit,

Promène son prestige au cœur de la ville.

Il ne veut pas des succès beaux mais inutiles.

L’ENTERREMENT

23 février 1811

Le soleil pâle traverse les maigres nuages

Et ne réchauffe rien, ni la terre, ni les cœurs ;

Quelques arbres frissonnent, tout est dans ces visages !

C’est la mort qui impose, le moment et l’heure.

Des grappes de gens, en corbeaux domestiques,

Avancent d’un pas docile et retenu ;

Et les souvenirs forts, soudain se fabriquent,

C’est une mère qu’on enterre, la vie n’en voulait plus.

Dans l’église serpentent, badauds et anonymes,

Les amis, les enfants et l’époux stupéfié

Que le monde continu quand l’épouse s’abime,

Que les autres encore puissent respirer !

Lui, ne respire plus ; il fait seulement semblant,

Et se dit en lui-même, qu’elle est loin, ma jeunesse !

Car le temps qui passe, en venimeux serpent,

Profite du désastre et de l’énorme détresse.

La vie est un caprice ; c’est sur un coup de tête

Qu’elle s’en va pour ailleurs un jour, une nuit,

Et personne ne croit à ce sombre prophète

Qui annonce quelquefois, un prochain paradis.

HECTOR BERLIOZ

3 mai 1811

L’enfant écoute, apprend et déclame

Les mélodies sacrées qui toujours enchantent ;

Les poètes latins que son père acclame ;

Sa mère Antoinette est catholique fervente.

Il n’entend ni les canons, ni les fusils ;

Hector récite et déroule son enfance.

Dehors, c’est une prison ; ici, c’est un nid

A l’abri du tonnerre qui gronde, immense.

VICTOR HUGO AU COLLEGE A MADRID

10 mai 1811

Le verbe divin est soufflé par les bouches ;

La croix, en fusil et les langues en cartouches,

Le collège madrilène forge dans les chairs

Les raisonnements permis aux pensionnaires

Qui peuplent ces murs. Des enfants, pas des hommes !

C’est ainsi que le veut le maître de Rome !

C’est dans ce lieu frappé du soleil ibérique

Que Victor voit la face cadavérique

D’un Empire épuisé par trop de grandeur !

Chaque victoire ressemble trop à un leurre !

Et son père : un général désabusé !

Quand cela va-t-il donc finir par arriver ?

Car, la déroute est certaine à l’enfant ;

D’ailleurs, il l’a prévoit dans l’œil de ses parents !

Tout est sombre, tout est noir, tout est affligé !

Il entend : « C’est fini ! Ton monde est effacé ! »

Puis, il épie le regard creux de son père

Puiser dans les larmes froides de sa mère...

LES BOTTES DE GABRIEL OUVRARD

1er juin 1811

Voyez ces pieds, blottis dans leurs belles chaussures !

Ils savent la distance, sans berline, sans voiture,

Que feront leurs jambes traversant la Prusse.

L’effet sera coriace lors de l’hiver russe…

Les chaussures d’Ouvrard avec leurs semelles,

Seront le point de blizzard, trouées par lesquelles

Les vies s’enfuiront. Allons ! En marche, soldats !

Vous vaincrez sur les hommes ! Pas sur le froid…

DISETTE

26 juillet 1811

L’été approche ; la moisson ne promet rien

Qui vaille. L’ondée et le grand vent, malandrins

Notoires, s’abattent sans cesse sur les champs

Où les graminées se cambrent ! Jeu violent,

Que celui que la dure nature propose ;

Bientôt, ne demeurera que peu de chose

Dans le grenier à provision. Alors, viendra

Le temps du manque qui loge dans les estomacs !

La récolte épouvantable

Videra les sombres tables

De tout aliment,

Et le mal monstrueux

Qui gonflera les yeux

Rira de toutes ses dents !

MES LONGUES ESPERANCES

4 octobre 1811

Parmi les collines couvertes de bois,

Se trouve un hameau où mon cœur se noie,

Dans cet lieu ouvert, où mon âme vibre

Voyez mes pensées vagabondent, libres !

Les arbres y prospèrent et les fleurs aussi ;

Car tout l’univers semble ici choisi :

Pas l’être puissant, tout y est parfait ;

La terre, les rivières ; les hommes et la paix.

Ces images vues nourrissent mon cœur.

Tout homme que je suis, alors oui je pleure.

NAISSANCE DU DUC DE MORNY

Fils de la reine Hortense et de Charles Flahaut

Petit-fils de Joséphine et demi-frère du futur Napoléon III

21 octobre 1811

Les rideaux de la voiture étaient fermés.

- Plus vite ! ordonnait Flahaut au grand cocher

Qui détalait parmi les ombres couche-tard ;

Hortense gémissait en mordant son mouchoir.

- Tu es presque aussi pâle qu’un jour de brume ;

Sur ton front perlent des gouttes d’amertume !

Lui dit son amant, songeur et inquiet ;

L’enfant portait en pointe ; elle le redoutait.

- J’en ai assez ! Je ne veux plus de ces douleurs !

L’homme à ses côtés, tournait la tête, en pleurs…

Arrivé dans une chambrette vétuste,

L’enfant caché vint au monde à minuit juste

En criant rageusement ! Hortense, faible,

Devant le nouveau neveu du grand aigle,

Lui montra son père du doigt. – le voici !

Vous pouvez vous retirer, et le prince aussi !

LA SALPETRERIE

DE BERNARD COURTOIS

3 novembre 1811

Dans les temples tonitruants de la guerre,

Ces lieux de combats entre ciel et poussière,

La poudre à canon est le sang des êtres

Et la race fauchée, est fruit du salpêtre.

En chimiste je sais, qu’en médecine militaire,

Il faut trouver du sang, ce nouvel univers ;

Et je moissonne les plages ocre de Bretagne,

Le mélange d’algues brunes – et la mort m’accompagne !

Comme un ivrogne assoiffé le fait de coutume,

Ma démarche fait sourire, au matin sous la brume,

Et c’est l’allure étrange que parfois je radote ;

Je dis : - je donnerai tout, mes livres, mes bottes,

Pour encore quelques grammes de ce subtil nectar !

Que m’importent les matins, si je découvre les soirs

Ce que je prospecte, depuis tant d’aurores.

Du salpêtre ! Du salpêtre et du salpêtre encore !

Car si les grandes victoires, sur terre et sur les mers,

Sont celles des généraux et des soldats leurs frères,

C’est le canon qui, seul, décide des batailles,

Et le chimiste qui, de loin, nourrit cette piétaille !

LA CAPTIVITE ANGLAISE

DE ROCHAMBEAU

7 décembre 1811

Mort le 20 octobre 1813 lors de la campagne de Saxe

Après la bataille des nations (Leipzig)

Quiconque a dormi sur le sable, sous la lune,

Quand le cœur désolé oubli l’infortune,

Mesure l'outrage du retenu captif ;

Rochambeau s’endort. Comment être rétif ?

Il traque l'ennemie au dedans de son âme,

Étendu tout du long, sa défaite se pâme,

Divine, sournoise, et lentement confesse

Que tout est perdu et puis alors le blesse.

Il croit voir l'empereur d'un éclat blondissant !

- Vole, mon cœur ! Guide mes atermoiements

Et dans la fournaise où mon rêve bruni,

Voilà la seule pensée qui pèse sur ma vie !

Puis, son front disparaît sous sa main qui tremble ;

Car il voit réunis par un Dieu qui rassemble,

Les êtres tourmentés tombés sous son bras !

Rochambeau aperçoit ceux qu'on ne voit pas.

Demain, il sera libre. - Des hommes, non des morts !

Que celui qui dessine, quand l’œil s'éteint encore,

Voit amusé le claustré, fixé dans l'étau,

Et trace un trait complice de son cruel pinceau !

LES ARAPILES

Défaite des troupes françaises du Maréchal Marmont

Face aux troupes britanniques, espagnoles et portugaises

D’Arthur Wellesley

Salamanque, le 22 juillet 1812

C’est l’été espagnol. Les rayons du soleil

Frappent les hommes et abîment leur sommeil.

Les pierres cognent dans des pieds devenus lourds

Par les distances énormes ! C’est dans ce four

Que se forment le désespoir et le courroux !

Nomades combattants, égarés dans ce trou,

Tant d’efforts qui ne conduisent plus nulle part.

Ces hommes démodés sont les nouveaux grognards

De Marmont ; ils tentent la mort et sa moisson !

Derrière, les poursuivent les noires colonnes

De la meute Babel d’Arthur Wellington,

Sur des chevaux hirsutes et plein de colère !

Les premières escarmouches, et Marmont, à terre,

Observe blessé la manœuvre audacieuse !

Wellington imite Bonaparte et creuse

Dans l’armée française. Telle une bille d’acier

S’enfonçant dans la glaise, tout est effrité :

Les vastes triomphes des plaines autrichiennes !

Les exploits sur les rois de l’Europe ancienne !

Loin de l’ombre colossale de Napoléon,

Se dissipe la lumière pâle de Marmont…

Et l’on entend gémir quelques soldats :

Ah ! Si seulement Bonaparte était là !

LE PRINCE EUGENE DE BEAUHARNAIS

A LA BATAILLE D’OSTROVNO

25 et 26 juillet 1812 – campagne de Russie

Entre le ciel brûlant et les terres incendiées,

D’ensommeillés squelettes croulent, déroutés,

Oubliés dans les décombres d’anciens géants,

Et augmentent le nombre des spectres vivants !

Le prince Eugène arrive, plein de cette force,

Disjoint des crânes, et tranche la charnelle écorce,

Brandit un sabre lourd, tel l’antique Achille,

Esquissant des cercles, de son bras d’argile.

D’éminents cavaliers enjambent en furies,

Emplissent la voûte ; le désastre frémis

Face aux belles offrandes, quota habituel,

Ces cadavres étendus, monnaie sacrificielle !

La mort a emmêlé dans cette plaine slave,

Pour l’admirable gloire, cette immuable enclave

Entre la vie heureuse et la vie trépassée,

Tout l’infini des hommes et leur l’éternité !

Quel pesant souvenir, que celui des conquêtes !

La victoire est un puits – et sa fille la défaite ! –

Ecrasent tout ensemble ; depuis ce promontoire,

Eugène laisse venir ses morbides regards.

HONORE DE BALZAC

12 août 1812

Interne au collège des oratoriens,

Il regarde les cumulus et leurs courbes

Evoquer le valeureux et le fourbe,

Admirables dans le pays lituanien !

Son père est directeur des vivres à Paris,

Mais que le renom est loin de cette place !

C’est le monde ancien que sa tête chasse

Et où s’écroulent les lumières qui s’enfuient.

Alors, il scrute le ciel bleu ou ébène ;

Des gens réels existent ! ici, c’est plus rien…

Et c’est en alchimiste qu’il fait le chemin

Vers ce glorieux là-bas, perdu dans les plaines !

Demain, il sera Adam croquant la pomme

Ou Christophe Colomb sur une caravelle !

Demain, Dieu c’est sûr, la vie sera plus belle !

Demain, il fera jour ; demain, il sera homme !

BORODINE ET MOSKOVA

7 septembre 1812

Voit ces hommes en décombres,

Revenus de plus loin qu’un océan ;

Leurs yeux sont deux perles sombres,

On y voit le monde béant !

L’un dira « j’étais à la Moskova ! »

L’autre : « Moi, à Borodine ! »

Mais quoi qu’ils disent, passant, incline

Toi devant ces braves soldats !

Les chocs ont été nombreux ;

Le carnage exhale son parfum.

La boue colle encore aux yeux

Des soldats aux visages bruns.

Certains entonnent d’une voix forte,

Comptant leurs compagnons défunts,

Dans le vent slave qui les emporte,

La mélopée d’anciens refrains.

MOSCOU

15 septembre 1812 – Campagne de Russie

La cité, boueuse, s'était vidée de ses hommes

Enragés. Moscou dégonflait. Couverte d'un dôme

De flammes d'où émergeaient des merles embrasés,

La ville hurlait. Les cimetières étaient meublés.

Le feu était partout. Il pouvait venir là,

Avec une clarté affreuse. Il tendait son bras,

Éteignant les nuits boudeuses changées en midis.

- Alors, mon lieutenant, que fait-on dans ce puits ?

Nous en étions là ce quinze septembre…Et zou !

Des morts respirant ! Des vifs chancelant ! C'est tout…

Comme une prière, Moscou s'offrait aux mourants ;

On dormait à même nos tombes, un maigre champ.

Que faire ? Rester ici ? Un conseil de lion !

Autour, l'ennemi grondait. Cruelle position...

Un sergent était collé près d’une embrasure.

- Attaquons ! me dit ce drôle. Mais qui ? Seul un mur

Éventré exhibait sa figure. Aucun homme !

Pas de bruit, pas de lance pour offrir le somme

Qui bientôt nous était promis. Encore une fois,

Nous en étions là...C’est alors que, telle une proie

Conquise à son funeste sort – là – s’est avancé

L’enfant boiteux. Jumeau aux mystères de jadis,

J’ai vu dans cet être frêle, l’image de mon fils !

Il m’implorait d’éteindre les feux. De finir

Cette guerre. De tout emporter et de partir…

Car personne ne se bat plus, tous sont déjà morts.

Le tué dans la tombe, le vivant pas encore…

LA CONSPIRATION DU GENERAL MALET

Dans la nuit du 22 au 23 octobre 1812 – Paris

Depuis quatre ans qu’il rumine en cellule,

Le général Malet sent le crépuscule

De l’aigle agonisant en terres slaves.

C’est une terre consacrée, car l’enclave

Qui enserre le noir volatile, le tue !

Demain l’aigle sera mort. Mort puisque vaincu !

Etant détenu sous de faibles consignes,

Malet s’échappe sans mal, y voit un signe

Même dans la facilité qu’il rencontre.

Il se flaire élu, le destin le démontre !

Il annonce alors, la mort de l’Empereur ;

(Chose sûre et certaine, en cette heure)

Vêtu de son uniforme de général,

Il proclame le sept octobre, « jour fatal »

Pour Napoléon au rivage de Moscou !

Une mer de feu, enfin, a brisé son cou !

Puis, il se présente, muni de faux ordres

A d’autres généraux émus du désordre

Qui menace la France sans Bonaparte.

Le péril est énorme, rien ne l’écarte !

Malet s’oriente vers le quartier général,

Et l’entière colonne montée à cheval

Ordonne ferme qu’on lui cède la place !

Le général Hulin comprend qu’on le chasse

Et refuse d’obéir au nouveau Brutus !

Mais Malet ne prospecte pas le consensus !

Il tire au pistolet dans la mâchoire

De ce Thomas qui refuse de le croire !

Un brave soldat se jette sur le tireur,

Le désarme, le frappe ; soudain la stupeur

Gagne la cohorte des judas étonnés !

On sent encore les ailes de l’aigle planer.

Dans quelques jours, c’est un mur, et puis la stèle...

Puis l’oubli, endormi sous quelques asphodèles.

LA DESERTION

24 octobre 1812 – retraite de Russie

Le bruit augmentait alors que nous approchions

Et annonçait une rixe sérieuse. Avouons !

Depuis longtemps, j’épiais avec anxiété

L’occasion d’abandonner une armée usée,

Dont je pressentais la perte et les malheurs.

Vendée ! Patrie chérie sur laquelle je pleure !

Que ne t'ai-je oublié afin d'atténuer

L'horreur de crouler ici. Vain supplicié

De l'aigle français qui est cause de mon infortune...

Il étend ses ailes, me laisse dans les blanches dunes !

Chouans, j'avais combattu la jeune République !

C'est âgé de trente-et-un an, âge magnifique,

Que j'ai renoncé à moi et rejoint le corse ;

Ma foi ? Mes opinions ? Ma vie vaut cette entorse !

Ma jeunesse épousera encore d'autres causes...

Croyez bien, je ne pensais pas à autre chose !

Par circonstance, une providentielle accalmie

Me permis de voir mille peuples en furie ;

Échouant, ébranlé par l'antique combat,

Dois-je mimer la mort, de peur qu'elle ne me voie ?

Soumis et intégré sans réelle conviction

A l'Empire, il me faut cuver ma décision :

Partir ! Allez vers le puissant général russe

Koutousov ! Ou bondir et filer vers la Prusse...

Mes forces fuient, hier le drapeau, aujourd'hui l'homme !

Assez ! Trois fois assez ! Je ne veux plus de Rome !

Je suis décidé à finir ma guerre ici ;

Ou l’ennemi perce mon corps, ou je réussis !

Alentour, des myriades de héros s'empilent...

On voyait mille Léonidas aux Thermopyles !

A sa table, Koutousov, le vieux renard du nord,

M'accueille en prince. - Buvons et trinquons d'abord

A la neige et au froid, combattants patriotes

Et aux soldats pétrifiés qui n'ont plus de bottes

Pour vêtir leurs pieds meurtris ! Il en meure partout...

- Aux français enterrés ! A l'armée à genoux !

L'alcool me vivifiant, je dis ces mots en fourbe.

Hélas ! Ma voix entonne, et mon honneur se courbe,

Immolant mon âme sur les steppes russes enneigées

De Kalouga. Allons ! Il faut boire et chanter...

O MA SOPHIE

De Victor Fanneau de la Horie,

Fusillé à Paris le 29 octobre 1812

En tant que complice du Général Malet

A l’intention de Sophie Trébuchet

O ma Sophie, ne grelotte pas ce beau soir…

Le crépuscule arrive et l’heure de l’au-revoir

Qui nous était promis est là. Viens faire un tour

Dans l’antre où je ne serais plus. C’est l’amour

Qui m’emporte et non ce fusil, c’est son dard.

O ma Sophie, emporte notre doux secret ;

Jamais « toujours » ne m’est apparu aussi vrai !

Vois-tu, notre fortune, c’est nous ! Maintenant !

Je dormirai tranquille car en nous invoquant

Tu auras l’asile de l’enfant, je le sais…

O ma Sophie, garde cet enfant près de toi.

Je lui ai lu Tacite, je lui ai lu les rois,

Et mon manque ne lui sera pas un méchant tort…

Va ! Eloigne de ses yeux l’annonce de ma mort.

Victor, mon fils, n’aura que son prénom de moi…

DOMINIQUE-JEAN LARREY

Chirurgien en chef de la grande armée

23 novembre 1812 – retraite de Russie

Je n’ai dans la mémoire que des amputations !

Cette terre nous recrache ! Quelle évacuation,

Que l’hiver russe ! Dans notre longue ambulance,

Où s’endormir dans le froid est une chance,

Chacun caracole dans cet immense pays ;

On trébuche, on se couche, et enfin c’est la nuit !

Affamés et gelés, certains mangent des mains !

Qu’importe l’honneur, on aura honte demain !

Aujourd’hui, les bêtes combattent les hommes ;

C’est un tableau affreux, que ce blanc décorum

Qui voit les chevaux être proies des bipèdes,

Buvant le sang que la chair ouverte cède !

Vous, malades ; vous, blessés ; fermer vos yeux creux !

Les cosaques qui arrivent égorgeront les gueux

Ayant eu la stupidité de ne pas mourir !

Quand on ne peut continuer, il faut savoir finir !

OUDINOT

Le Maréchal aux vingt-quatre blessures

24 novembre 1812

Tel un preux chevalier offrant son arrogance,

Le maréchal Oudinot – belle transhumance –

Rejoint au grand galop les neiges immaculées

Où un Empire tout entier vient de s’écrouler !

Dans son poing dur, un sabre ; dans ses yeux, le tonnerre.

La victoire, sa maitresse, a commis l’adultère

Et s’est exhibé dans des bras slaves et froids

De cosaques violents, le laissant aux abois !

Est-ce les deuils, les tombes, ou déjà la défaite,

Que la mort engloutie dans sa nasse, satisfaite ?

Quand la blanche lumière, commence-t-elle à descendre ?

Car déjà le silence s’apprête à tout reprendre !

Nous avons chaviré bien souvent des Bastilles

Pour que ce continent fait de rois pacotille

Et ses troupeaux de chiens arrêtent de nous mordre !

Ils vont nous faire payer tout ce foutu désordre !

LES PONTONNIERS

DU GENERAL EBLE

Les 26, 27 et 28 novembre 1812 – Campagne de Russie

Toutes les nations qui façonnaient notre armée,

Avançaient sans se plaindre. Les mains, les pieds gelés,

Les hommes se défendaient du froid blanc assassin

Qui par vagues entières emportait les destins...

Nous fuyions Wittgenstein et ses pâles cosaques.

La neige s’abattait, formant de grandes plaques

De glace autour de nous. Mais comment donc poursuivre

La route sous la menace continuelle du givre ?

Nous arrivâmes enfin à la Bérézina.

Le temps s'adoucissait. Seule la rive, ce jour-là,

Était gelée. Parfois, l’eau charriait des glaçons.

Chacun voulait passer. Il n'y avait qu'un pont.

D’où un affreux désordre. Nul n’était plus guerrier !

Nous étions devenus, insectes affolés

Fuyant dans un trop grand tohubohu sonore.

Derrière nous, féroce, c’est l'armée russe encore !

L'encombrement extrême sur le pont nous fît craindre

Qu'il ne se rompe net. Le jour venait de poindre.

Nous distinguions les feux des russes. Ils recouvraient

Le rebord opposé, occupant les marais.

« Il faut franchir cela ou nous sommes déjà morts ! »

Aboyaient les premiers. Mais à quoi bon alors ?

Nous y périrons tous, pensais-je dans ma peine.

Au loin, cinq à six cents cosaques dans la plaine...

Des colonnes se ruaient sur le pont pour passer.

L’effroi devant les russes était accentué

Par l'absence de chef ; tout n’était que fatras.

« Il faut construire deux ponts, ou nous resterons là ! »

Les pontonniers allèrent dans le fleuve malgré

Les gros glaçons coupants, les chairs ensanglantés !

La rivière soudain, surpeuplée de noyés,

Semblait une fabrique mangeant ses ouvriers !

Sur la berge partout, couvertures, oreillers,

Robes et argenterie, tout est éparpillés !

Et l’odeur de la chair noircie sous les narines !

Et cette faim qui enfle ! Les idées qu’on devine !

Les pensées nécrophages ! On referme les yeux,

Ces petits sarcophages de l’appétit honteux !

« Arrière ! » semblaient nous dire ceux des flots en otages ;

La glace était trop prise pour passer à la nage,

Trop peu pour y marcher, voilà notre malheur !

Tous ceux-là s’effondraient dans ce berceau d'horreur !

Ils demeuraient comme pris dans un liquide étau

Se cognant tour à tour, aux caissons, aux chevaux.

Une forte gelée survenue dans la nuit

Raffermi le tombeau et la rivière permit

Aux pénibles convois de franchir le cercueil !

De prendre le chemin bordé de mille linceuls !

Les pontonniers superbes du général Eblé

Durant toute une nuit avaient donc travaillé !

Ces hommes-là, de l'eau jusqu'en haut des épaules,

S’étaient tous sacrifiés, en saints sans auréoles !

Les figures endormies par l’invincible froid,

Aux lueurs du matin gisaient loin des combats ;

Ces figures passées n’avaient plus rien d’humain !

On s’espérait tous morts pour le surlendemain !

Tachées du sang de tous, là les quelques pelisses

Surplombaient des visages qui montraient le supplice

De vivre encore un peu ! Car, le plus vil et bas

Est cette indifférence que désormais l’on voit

Au spectacle des morts qui tous nous apostrophent.

Ne vous y trompez pas, car nous n’étions plus saufs !

Les ponts s'étaient rompus, mis en feux par nos troupes !

L'ennemi approchait, il fallait que l'on coupe...

C’est un éclat terrible de trainards, de civières !

« Enjambons les cadavres pour passer la rivière ! »

C’est le troisième jour que j'entendis ce cri !

Cet appel extirpé croirait-on de la nuit !

Ce cri indéfini ! Cette oraison sonore !

C’était comme si les êtres épousaient tous la mort.

SOUS LE GIVRE

Retraite de Russie – 1er décembre 1812

Sous le givre où il repose,

L'homme s'endort une dernière fois.

Tel un sphinx, il va dans la chose,

Par le corridor blanc et froid.

La pâleur de son visage,

Miroitement clair des cieux,

Montre aux passants, le rivage

D'un abîme feutré et vieux.

On trouvera dans son veston,

Ou plié au creux de sa main,

Une feuille – un dessin de Manon –

Et ce mot : Revient moi demain !

DES CLAMEURS CREPITENT

DANS LES RUES DE PARIS

18 décembre 1812

Des clameurs crépitent dans les rues de Paris ;

L’Empereur est tombé et ses aigles avec lui !

Partout, les femmes se regardent et frissonnent,

Apeurées et ravies de l’énorme nouvelle ;

Qu’importe la défaite, amère et cruelle !

- Il est l’heure ! Il est l’heure ! Que le tocsin sonne !

Nos hommes reviennent ! Cette phrase qu’elles répètent

Semble un ouragan noir, dont nul ne s’inquiète.

Un carrosse file dans les plaines, anonyme,

Rudoyant l’aigle blessé et tout s’abime ;

Friedland, Austerlitz, Eylau, ombres anciennes,

Que valent aujourd’hui vos morts et vos longs tourments !

Dors-tu content, sur les routes qui te ramène

Dans le froid blanc de décembre ? Dors-tu content ?!

Tout petit Alexandre, dévisages-tu

Ces momies affolées qui ne font que marcher ?

Ce sont nos époux que l’immense froid nous tue

En grand silence pendant la saison gelée.

Les clameurs redoublent et le grand édifice,

S’effondre au moment que la foule croit propice

Au renouveau des rois ou des républiques ;

« Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse » !

Monsieur le député, ou encore, votre altesse,

Tout vaut mieux que ces guerres qu’on nous applique !

Mais soudain, il est là ! Le rapace est entré

Dans la ville aux abois qui l’avait renié

Et dont en insectes hébétés face au soleil,

Ils parlent en vaincus et ravalent leur fiel !

Car personne n’a suivi le terrible carrosse,

Et quand l’aigle descend, on descend dans la fosse

Où sont restés les hommes perdus en Ukraine,

Plaines slaves où vacillent et tombent les mourants ;

Des ombres livides se jettent dans la Seine,

L’espoir affalé, elles sont veuves maintenant !

Elles rejoignent en cela la maudite rivière

Dont le bras et le lit, a pris aussi les frères,

Et ce nouveau passage d’une mer écarlate,

Laisse au pharaon brisé, une victoire ingrate !


 
 
 

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