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1806 - 1808 "poèmes centenaires"

L’EGYPTE

DE JEAN-FRANCOIS CHAMPOLLION

Lettre d’un jeune homme de 16 ans à ses parents

17 janvier 1806


Je suis tout à l'Égypte, elle est tout à moi !

Je veux faire de cette antique nation, ma loi !

Il y a ses rocs, monuments démesurés,

Qui parlent à mon rêve ainsi qu’à mes pensées ;

Les peintures sur les murs, neuves connaissances,

Décrivent un empire antérieur à la France

Qui fait douter des choses vues sur la terre...

Ce magma s’est-il engloutit sous les mers ?

Hélas, de tous les peuples que j’aime le mieux,

C’est celui-ci, qui fut trahi les dieux !

Il nous laisse du sable ; du sable et des pierres,

Et le parfum fumant de nuits entières

Courbées sur les siècles à jamais disparus...

Il y a tant de secrets dans cette langue inconnue !


L’ARC DE TRIOMPHE

Promesse de Napoléon

18 février 1806


Un arc de Triomphe aux couleurs éblouies, 

Sculpté de files de guerriers héroïques,

Maintiendra vos noms dans le souffle épique.

Vous rentrerez bientôt, officiers d’Austerlitz !  

Dans ces blocs de pierres, vertus mémorielles,

Gravons les trophées en conquêtes fossiles,

L’honneur sacré devant lequel on défile ;

Partout on chantera vos exploits éternels !


LA MORT DU GENERAL THOMAS ALEXANDRE DAVY DE LA PAILLETERIE Dit ALEXANDRE DUMAS


Le diable noir, abandonné par Napoléon

Lors de l’épuration de l’armée après l’insurrection de Saint-Domingue

26 février 1806 – Villers-Cotterêts

La rareté de l’air étouffe le vieux soldat

Qui regarde en arrière et pleure ce qu’il voit ;

Il distingue Saint-Domingue, au soleil craint des hommes.

Il voit les pyramides, les conquêtes et puis Rome ;

Il voit les peuples vaincus, les martyrs et les gouverneurs ;

Il voit toute l’étendue de l’immense grandeur    

Du jeune général disputant au grand Alexandre

Des triomphes illustres qu’il faudra bien rendre !

O, dieux jaloux des empereurs éphémères !

Pour les uns, les cieux ; aux autres, un bout de terre !

En attendant, il suffoque dans l’indifférence,

Oublié de l’empire, ce multiple de la France !

Il entend sonner les charges dans sa tête ;

Alité dans un lit défait,  il s’inquiète

Pour ce fils coloré, vieux de presque trois ans.

Un autre Alexandre, et lui n’est pas bien grand !

Adieu donc, puisqu’il faut partir aujourd’hui !

Il laisse quelques coups de sabre de cavalerie

Et un enfant qui devra choisir sa dure part

Entre un père général et un soldat noir.


VISION CELESTE

3 avril 1806


J'ai vu souvent, au-delà des murs émaillés, 

Des hommes changeant, ayant l’âme accidentée,

S’obscurcir devant un maître artificiel.

Comme des peintres frappés par la couleur du ciel !

Ils interrogent les autres d’un regard vide ;

Semblent des nains perdus, programmés au suicide ;

Des monstres froids dont la stature s’effrite

Et qui suivent épuisés, un merveilleux mythe !

Ils exhaussent les gestes, et cabrent leurs têtes ;

Que le maître toussote et soudain ils s’arrêtent ;

On peut voir quelquefois leurs combats étranges 

D’hommes inutiles se ruant dans la fange... 


LA MORT DU VICE-AMIRAL

PIERRE DE VILLENEUVE

22 avril 1806


De délicats soleils traversent ma chambre

Me laissant pillé par l’immense lumière ;

On chante l’apothéose de décembre, 

Et j’ai laissé ma gloire là-bas, sur les mers. 

Qu’est-ce, la vie ? – une fumée se dissipant !

Un songe grotesque, à peine consommé

Que déjà il faut dire adieu, au suivant,

Tel un noir orage aussitôt effacé !

Le ténébreux ennemi est dans mon crâne ;

Il refuse illico mes ajournements

Et limite les jours, ces vilaines lianes,

Qui entourent, étouffent ma vie à présent.

Il reste bien peu, de lendemains possibles ;

Mes jours sont flétris et mes aubes, cruelles !

Mes souvenirs accourent, nombreux, nuisibles

Comme autant de monstres laids, artificiels !

Mais qu’est-ce, la mort, sinon un doux breuvage ?

Je ne diffère pas de l’âme du chrétien 

Qui voit dans ce monde un fréquent outrage

Et dans l’autre, la haute victoire du bien !

Comme un cadran de mer tourné vers son pôle,

Tel un esclave se dégageant de ses fers, 

Je lève les yeux et savoure mon envol

Loin des clameurs criardes et passagères. 

Que l’on me retrouve demain, et l’on dira

Que j’ai choisi ma mort, que je l’ai appelé.

Qu’importe que ce soit vrai, ou ne le soit pas ; 

Six coups de poignards valent bien quelques noyés ! 


NOSTRAM UBERATOREM MOLITOREM

Gabriel Jean Joseph Molitor

15 juin 1806


Les murs de la ville résonnent de ce cri :

- Vive le libérateur, guerrier aguerri !

C’est l’âme, c’est le souffle, c’est la tornade,

Et ces mots ne sont pas des rodomontades !

Que les églises louent le nom de Molitor !

Que l’on apporte les plus belles amphores

Pleine du vin du doux pays de Raguse !

La guerre à son dieu, la victoire à sa muse !

Dites aux habitants de tous venir chanter !

Le général Molitor vient de supplanter 

Les ténèbres qui longeaient nos côtes et nos bois !

Le moment approche où tomberont tous les rois

Qui dominaient nos contrées et nos villages,

Car c’est un monde nouveau que l’on partage.

 

CATECHISME IMPERIAL

2 août 1806


Au milieu des doctrines catholiques

Images pieuses, vieilles reliques,

Apparait une icône nouvelle

Donnant elle aussi, accès au ciel.

Saint Napoléon ! Dans les calendriers,

Tu côtoie Gabriel, Simon, Noé

Et tes bienfaisances sont abondantes ;

Le serpent anglais, jamais ne nous tente !

Tu as notre amour et notre respect.

Les guerres sous ton aile, ont un goût de paix

Et les victoires, un parfum d’Eden !

Austerlitz fut une sainte cène ! 

Napoléon, que ton règne perdure !

Que ton nom illustre soit sanctifié !

Que ta volonté soit une armure

Protectrice contre les peuples ligués !

Délivre-nous du fléau de leurs rois

Qui arrivent aux frontières, vengeurs ;

Que peuvent-ils contre toi, le soldat

Que la gloire étendit à Empereur !

Ne nous soumet pas à la tentation

Et éloigne ces régiments barbares !

Car sinon, au cœur de notre nation,

La mort et le diable, vogueraient, hilares !

Dieu des vivants et des clémentes morts,

Veille sur les hommes qui te chantent !

Tels des taureaux face au matador,

Que tes ennemis voient leurs plaies sanglantes

Ruisseler sur un sol impur et froid !

Concède dans ta miséricorde

Une étincelle à leur désarroi 

Au moment où la mort les aborde !


LA PASSION CATHOLIQUE

15 août 1806


Comme le dattier ouvert aux vents

Et l’herbe couverte de rosée ;

Je suis envahi de doux serments,

Je suis enfant de la chrétienté.

J’appartiens à mon dernier soupir,

Celui qui en pont éphémère,

Consentira à mon avenir,

A mon corps d’épouser la terre.

Chapelles et couvents, églises romanes ;

Tendres sanctuaires, ancienne abbayes ;

Voyez venir à vous l’ancien profane

Qui parle de son Dieu, et qui lui obéit.


LA MORT DU PRINCE

LOUIS-FERDINAND DE PRUSSE

En combat singulier face au hussard

Jean-Baptiste Guindey

10 octobre 1806 – bataille de Saalfeld


C’est dans un champ labouré et germanique

Qu’ivres de guerre, ensemble ils se sont rués ; 

Soudain, le choc des sabots ! Les deux cavaliers 

Sont jetés à terre ; et voici la chronique :

Louis arracha ses pistolets de leurs fontes

Et déchargea son arme sur le preux hussard

Qui l’avait rejoint en ce point de l’histoire

Où Prince et soldat, sont deux mastodontes ! 

Blessé au visage, le hussard décoche

Quelques coups de sabre sur l’altesse sacrée 

Qui hier finalement, sur un piano léger,

Jetait ses doigts sans la moindre anicroche !

« Sieg Oder Tod ! » Et nul ne peux si méprendre,

Car les mots sont suivis d’un sabre à la main !

C’est au Prince prussien, le regard incertain,

Que le hussard confondu, prie de se rendre !

Les centaures se mêlent et l’un s’écroule ;

C’est le germain qui tombe et ferme les yeux.

Le hussard croit lui voir un sourire joyeux,

Etonné  de cette vie qui se refoule !


IENA

14 octobre 1806 – campagne de Prusse


Le plateau dominant la plaine d’Iéna

Est illuminée de bivouacs magnifiques

Dont les feux aveuglants et magiques

Forment des jours posés çà et là.

C’est au milieu de cette brillante fête

Que les sentinelles des deux côtés

Discutaient ensemble sans animosité

En attendant demain, jour de conquête !

Un épais brouillard enveloppa la nuit

Et l’empereur appela l’obscurité,

Belle amie permettant aux réserves d’arriver

Sur le lieu du combat quand le feu s’ouvrit.

Les deux armées ensemble s’avancent

A la confrontation l’une de l’autre ;

A distance de mousquets, les obus se vautrent

Simultanément, à la fortune, à la chance !

Apprenant l’arrivée des cavaleries

De Ney et Murat, les maréchaux terribles,

L’Empereur ordonna le magma horrible

Et bouillonnant des baïonnettes en furies !

Entremêlées dans cette masse piteuse,

Les hommes s’engouffrent sur des baïonnettes,

Aux rythmes des tambours et des trompettes,

Aux sillages noirs des sphères tueuses !


LUBECK

Jeudi, 6 novembre 1806 – campagne d’Allemagne


Le corps d’armée du maréchal Bernadotte

Reconduit les débris des vaincus de Iéna,

Arrive devant Lubeck, le sabre au bras,

La haine dans les yeux…et la boue aux bottes !

Les scènes de désordre, ville affligée,

Font honte au souvenir des dignes soldats !

Les maisons et les caves voient tout leur fatras  

Servir de grand feu aux bivouacs avinés !

On se bat dans des rues jonchées de cadavres ;

Le pavé, teinté de sang, en est encombré !

Des hommes, des chevaux, des canons renversés :

Tout dans ce tableau vous attriste et vous navre…

C’est pitié de voir tomber tous ces malheureux

Fermiers de Lubeck ; innocentes victimes !

Il faut que quelqu’un témoigne et imprime

Ce qu’il a vu ici, abandonné de Dieu !


JEAN-NICOLAS CORVISART

Médecin personnel de Napoléon

1er décembre 1806


Ayant parcouru la belliqueuse Europe

Et semblant surgir d’une fable d’Esope,

Le médecin, près de l’impératrice,

Contemple le placebo faire son office ;    

Fort d’un  pouvoir plus que millénaire,

Fait de mixtions pleines de mystères,

Corvisart avise, à l’égal des dieux,

« Prenez cela et vous irez mieux ! »

L’Empereur, fasciné devant le diagnostic,

Déverse les honneurs sur le docteur mystique,

Et écoute dire, comme un enfant innocent,

Les formules sacrées venues d’un autre temps.

Dans son château des tournelles, tel un mage 

Corvisart voit les décoctions dans leurs emballages,

Tels des glaives posés sur leurs étagères !

Des conquêtes plus durables que celles, militaires !


LE FILS 

D’ELEONORE DENUELLE DE LA PLAIGNE

19 décembre 1806


C’est un enfant, un petit bout de rien,

Né d’un de ces instants épicuriens

Au soir d’une rencontre fugace ;

C’est un enfant qui prend trop de place.

Venu en décembre, pour se cacher

Du soleil d’Austerlitz amouraché

De réussites autrement plus guerrières,

Ce garçon, qu’une lune éclaire,

Se prénomme – et c’est curieux – Léon ;

De son père, il n’a qu’un bout du nom ! 


MARIE WALEWSKA

Relais de poste de Broni, sur la route de Varsovie

1er janvier 1807.


«Un ange ! Son âme est aussi belle que sa figure,

Et son teint clair, rayonne d'un sourire sûr !»

C'est ainsi qu'elle apparait la première fois

Quelque part en Pologne, au cœur de l'hiver froid, 

Elle qui vient saluer le libérateur français !

Elle balbutie un compliment, et puis se tait. 

Parler ? A quoi bon. A rien ne servent les mots ;

Car qui prononce une parole, déjà promet trop...

Il ramasse un baiser et l'offre à sa défaite,

Ayant perdu, et sa volonté et sa tête...

Devant cette grande femme, aux rêves homériques,

Il croit aux silences, aux hasards héroïques…

Les vêtements, pareils à du linge superflu 

Glissent sur l'épaule lactée d'une inconnue... 

Oui ! Il augure dans ses mirettes le feu sacré !

Et du haut de sa tête jusqu'au plat de son pied

Sa beauté transparait. Étrange sentiment,

Que celui qui vous englouti dès le moment

Où une prunelle étrangère vous effleure...

Son regard, fidèle messager, raconte son cœur ! 


FRANCOIS PICAUD

Le véritable Edmond Dantès

8 février 1807


Que ce Dieu, qui nous observe, joue bien souvent

Avec les hommes entichés, tel des enfants !

Voici l’histoire réelle et toute ordinaire

De François Picaud, cordonnier, dont l’affaire

Ne fut que bien tardivement révélée.

C’est le récit des êtres et de leur vanité !

En mille-huit-cent-sept, François est amoureux

Et trinque avec quatre amis aux jours heureux

Qu’il partage avec Marguerite Vigoroux.

Elle est belle, jeune et, de plus, a le sou !

Gilles Loupian, son ami le félicite,

Lui offre à boire et encore l’invite

A lui parler de cette fille aux yeux si clairs ;

Le flot de paroles est pour lui un enfer !

Car quoi ! Marguerite pour ce simple cordonnier !

Est-il sérieux, croit-il vraiment l’épouser ?

Son comparse se révulse à la seule idée

De Marguerite pour l’autre, ce va-nu-pieds !

Dans l’esprit jaloux et avide de Gilles,

Nait le moyen certain de nuire à l’idylle.

L’empire hait les rois ! Il va voir les autorités

Et calomnie François, l’accuse d’être envoyé

Par l’escroc qui se fait appeler Louis XVIII.

Il convainc des amis de confirmer le mythe. 

Secrètement arrêté, jeté en prison,

François ne déchiffre pas la vile trahison

Et cri à la terrible erreur judiciaire !

Gilles épouse Marguerite et son lopin de terre.


EYLAU

8 février 1807 – Campagne de Pologne


Un jour pâle se lève sur les plaines de Pologne.

Nos chevaux lourds hennissent ; ils savent la besogne 

Dès que la nuit aura filé dans son mystère.

Perpétuellement : les tués et la guerre !

Ecrasé par une grêle de mortelle mitraille,

Le quatorzième de ligne, dépassé, se cisaille 

Et puis se réfugie au creux d’un cimetière ;

Que de gémissements contre les froids calvaires ! 

Dans ce lieu belliqueux, nous attendent, effarées,

Nos ombres chancelantes d’antiques grenadiers

Exhibant leurs lésions : - voyez donc nos morsures

Et nos pieds endurcis par l’immense froidure !

Il nous faut désormais prendre le cimetière !

Quoi de plus naturel quand on est à la guerre !

Puis le tenir ensuite, par ordre de Murat ;

Cet ordre tient du cran autant que de la foi ! 

Le maréchal perçoit la bravade terrible,

De ces bataillons russes, avançant, lourds, horribles,

Sur nos soldats presque tous démoralisés !

Est-ce le froid ou la peur, que ce gel meurtrier ?

Je chevauche alors dans la neige compacte,

Fuyant les corps criblés par d’abondants impacts,

Etendus devant moi ; et soudain ce bruit sombre !

Partout, des morts…partout ! Je n’en suis pas du nombre !

Je vois éclore enfin, le terrible cimetière !

Il est là, devant moi ; je plisse les paupières.  

« Enfin, je te rattrape comme une terre promise ! »  

Des sépultures. Des stèles. Des croix, et puis l’église ! 

Je partage sans relâche la monstrueuse consigne ;

Tenir et endurer ! Mourir et rester digne !  

Brutalement, le temps vire à l’averse noire,

Et c’est une furie, une périlleuse foire !

Car l’averse est énorme en insolents boulets, 

Ouvrant tous les caveaux où d’autres hommes dormaient !

Les globes, un après l’autre, redécouvrent la mort, 

Façonnant tout à coups, d’autres cassures encore !

Les immenses flocons obscurcissent le jour 

Livrant les hommes pris, à cet ignoble four, 

Au magma de métal, de flammes et de ténèbres, 

Éraflant tout de rouge ; les chevaux sont des zèbres !

Les frêles combattants, longtemps dissimulés,

Ordonnent qu’enfin se fige la tourmente d’acier,

Bâchant la neige de sang, car leur chance sommeille ; 

Ils surveillent les cieux mouchetés et vermeils.

« Quand allez-vous cessez, ce déluge, méchant dieu ?

A croire que le diable, est le plus fort des deux ! 

C’est à croire que l’enfer deviendrait désirable !

Il ne peut être pire que ce torrent palpable ! »

Car à quelques distances de nos débris de stèles,

Cloîtrée et confinée, sous un ébène ciel,

Une nuée de cosaques contemple satisfaits

Notre horrible ossuaire, et ce qu’ils en ont fait !

« Je ne leur vois aucune solution d’y survivre ! »

Crie une voix  de cosaque, que la rancune enivre ;

« Saluons Alexandre ! Portons le coup mortel !

Fondons comme des loups sur ce troupeau qui bêle ! »

Je reste ramassé dans l’ancien cimetière,

Je la vois, elle arrive, meute avide toute entière !

Moi, j’attends, adossé  aux quelques murets,

Pour m’endormir d’un somme sépulcral et parfait.

Quelques-autres grelottent et trébuchent dans la neige,  

Sur des corps engloutis formant le grand cortège 

Des futurs disparus perdus dans cette enclave ; 

Dans cet océan blanc, ils sont futurs épaves !

Dominants, de leurs selles, les furieux cuirassiers,

Alourdis de fer, et du sang sous leur nez,

Se préparent à l’assaut, cruel et admirable,

De ceux-là échoués à leur dernière table ! 

Les cosaques, maintenant, se pressent à l’attaque

Des noyés effondrés, trop loin de leur Ithaque,

D’hommes estropiés, absorbés dans les neiges

Barricadant leurs yeux pour ne pas voir le piège …

 

Mais voilà que Murat, profitant d’une brèche,

Admirable, se lance, et décoche ses flèches,

Arrive au cimetière, beau lieu tout ébloui

Par la fanfare entière de sa cavalerie !

Parmi toutes les croix, s’appuient les condamnés,

aux coups de baïonnettes, bienfaiteurs, espérés !

C’est un affrontement de géants, titanesque ;

Des hommes à chevaux sabrant tout ou bien presque !

Scindant devant mes yeux, des bras, des têtes, des mains,

Des abdomens, des jambes, jusqu’à ce que soudain

Tout ne soit que silence de la vie qui s’enfuit.

Ni vainqueurs, ni vaincus ! Juste une boucherie !

Totalement perdus, dépouillés sur le sol,

On croirait qu’ils s’endorment dans la fraîcheur molle ;

Pourtant…mais quel massacre ! Et tout cela pour rien !

Ou alors pour si peu ; quelques russes de moins !

Adossé à des pieds, des coudes ou des bedaines,

Formant comme des gravures faites de chair humaine,

Je m’endors, ballotté, par la mort qui furète,

Qui picore partout en ce beau jour de fête…


ADRESSE DE NAPOLEON A FOUCHE

AU SUJET DE MADAME DE STAËL

19 avril 1807


Cette femme est un véritable corbeau !

Elle se sustente d’intrigues et de folies 

Et face à la tempête, elle sourit, 

Attentive à y voir mon prochain tombeau !

Qu’elle s’en aille donc dans son foutu Léman 

Et piaille, courtisane avec ses amis ;

Démocrates ou patriotes aujourd’hui,

Et demain, bien sûr, royalistes véhéments !


DECRET SUR LES THEATRES PARISIENS

25 avril 1807


L’art de paraître est un art calomniateur.

Il dit moins sur les hommes que sur les âmes ;

Et c’est devant le comédien qui proclame

Que l’on saisit le parfum discret de l’auteur.

Il n’est point nécessité de tant d’haleines !

Gardons précieusement notre propre souffle ;

A dire les mots d’un autre, on s’essouffle ;    

C’est une grande liberté qu’on enchaine !

 

FRIEDLAND

14 juin 1807 – Campagne de Pologne

La chaleur pesante de l’été précoce

Avaient livré les uns au mordant féroce

Qui croque les chairs asphyxiés et bestiales

Et du cavalier, et du sombre animal ;

Approchant de l’endroit où les gloires naissent,

Les autres sentent la colonne épaisse

Des fantassins alignés ; et voici Friedland !

- Allons, vaillants soldats ! Acceptons l’offrande ! 

Démonté et foulé aux sabots des chevaux,

S’asseyant dans l’herbe au milieu des tombeaux,

Hachuré de coups de sabre sur la tête,

Le colonel Dommanget soudain s’arrête.

Il voit tout alentour, les courses effrénées

De montures suantes sous des cuirassiers ;

De toutes parts, assemblant l’humaine vase,

Les soldats s’entremêlent ; quelle extase !


LES DANSEURS DU PARC CACHE

3 juillet 1807


Dans un parc, à l’abri des indiscrets regards,

Deux ombres du passé se retrouvent le soir

Et dansottent les pas interdits par l’empire :

C’est un beau menuet, où la tristesse transpire.

Le jardin oublié du siècle nouveau,

Expose la souffrance, de ces deux écheveaux, 

Impressionnant quiconque parfois les aperçoit.

Assurément, ces deux regrettent le vieux roi !

Maigres et anguleux, mis de mode ancienne,

Un parfum désuet, une senteur bourbonienne,

Flotte dans cet enclos entouré de bosquets

Où le faux merveilleux se panache de vrai.

Se découvrant bien seuls, leurs trajets singuliers

Fait de longues séries, de cahots réguliers,

Et d’arrondissements de bras – tous ridicules – 

Sont d’un temps bien fini, qui se désarticule.


CATHERINE HUBSCHER

MADAME SANS GENE

Epouse du maréchal Lefebvre, duchesse de Dantzig

9 mars 1808


Les palais, les salons, et même les arrière-cours

Répètent partout – il faudrait être sourd – 

Les belles expressions émises par Catherine, 

Belles énormités que sa bouche illumine !

Les cancans se brodent entre neuves péronnelles,

Futur veuves impériales ou anciennes demoiselles,

Raillant, plaisantant sur le si peu d’instruction 

De l’épouse d’un maréchal du grand Napoléon ;

Faite par extraordinaire, duchesse de Dantzig,

Destin étonnant, qui toutes les intrigue,

La grosse femme venant des plaines d’Alsace,

Cherche dans les salons, une quelconque place.

Loin des danseuses venues de l’ancienne noblesse,

Reste assise dans un coin, dans sa robe épaisse,

Se moquant de ce monde, qui le lui rend bien,

L’alsacienne qui pour elles, sera toujours « rien » !

Alors, elle abuse de formules insolites

Sous les rires sournois de celles qui l’invitent

A dire toujours plus, et surtout, son opinion,

Espérant le grotesque, de la femme-bouffon !


LES EMPIRES STERILES

24 mai 1808


J’ai vu des hommes promettre de beaux destins,

Arroser de sentences la fin des festins,

Suivis d’une cour de suiveurs idolâtres,

Pareils aux statues, non de marbre mais de plâtre !

Car le premier choc, brise ces faux gladiateurs

Qui n’ont rien de Titans, et ont tout de menteurs ;

Ils molestent le réel, enfantant sans fin

De gracieux autels où ils ne sacrifient rien

Autrement qu’en pensées – triomphantes toujours !

Leurs épées, c’est la langue ; leurs guerres, les discours !

Aux rivaux qui de loin foulent nos campagnes,

Ils jurent : « demain, c’est le jour où l’on gagne ! 

Mais d’abord, du pain pour nos jours affamés !

Que l’on boive un verre, pourquoi donc se presser ! »

Soulevant le vin, et le portant aux lèvres,

Ils rêvassent au lointain, souffrant de la fièvre,

L’âme prête à partir, mais le corps trop lourd,

Ils chantent les hymnes, la patrie et l’amour !


BAYLEN

Du 12 au 19 juillet 1808 

Guerre d’indépendance espagnole


Nous étions repartis de Tolède le soir.

- Ah ! C’était donc la nuit ? 

– non, c’était le brouillard ;

Le général Vedel nous guidait, impuissant

A déceler le sort. Nous allions, parcourant

Le Royaume d’Espagne, vers l'immense fournaise…

Pendant cette semaine, Cordoue, à Dieu ne plaise,

S’est changée en enfer. « Vengeance ! » qu’ils mugissaient

A l’arrière de nos troupes. Mais peu nous importait… 

Nous saisîmes la route lumineuse de Baylen

Avec réel entrain. La gloire était bien pleine !

Les femmes étaient menées aux vainqueurs provisoires,

Se prosternaient devant l’impérial étendard ! 

- Ah ! C’est une aventure ! 

–  Attend, car j’ai bien peur  

Que la suite ne trouble ta figure ; car à l’heure

Où s’ouvrait devant nous un passage sublime,

Nous fûmes tous propulsés aux tréfonds de l’abîme !

Espagnols et wallons, irlandais et anglais,

Enfermaient tout Baylen. Les cinq assauts français

Pour percer le barrage furent tous désespérés.

Nos hommes s’effondraient, estropiés ou tués ! 

Ceux qui restaient meurtris sur le sol espagnol 

Tombaient aux mains de veuves devenues toutes folles !

Elles plantaient les aiguilles retenant leurs cheveux

Dans nos mains, dans nos seins et enfin dans nos yeux !

C’est alors seulement, qu’elles cessaient le calvaire ;

Et la mort nous prenait…

 – et c’était ça la guerre ?

- Non, c’était notre abysse…et leur grand firmament ;

Baylen, c’était hier. J’y suis encore pourtant. 

Ces infâmes vipères, mordant de leur venin,

Nous poussaient dans la fosse en nous liant les mains,

Et riaient bruyamment ! Réduit à une haleine,

Nous attendions vaincus, que la mort nous entraîne. 

Quand l’un était mort, elles tenaient un nouveau, 

Prélevé parmi nous, le docile troupeau !

Celui-là glorifiait l’improbable clémence 

De celle qui rognera sa terrible souffrance

Enfonçant le couteau, pointu et salvateur,

Dans l’omoplate brisé, dans le cou ou le cœur !


GEORGE SAND

16 septembre 1808


C’est une fillette de seulement quatre ans

Qui pleure son père en ce mois de septembre 

Où l’enfant s’endort, où la douleur la reprend… 

Quelle est triste et froide cette chambre !

De lieutenant-colonel du prince Murat

A conquérant de l’Espagne, de ses soleils,

A sa fille étonnée, le soldat papa, 

N’a pas baiser le front, ni prescrit de conseils.

Il est tombé d’un cheval puis s’est endormi

Et aucun n’a su relever le lieutenant ;

L’Espagne et ses soleils sont glacés et gris !

La vie est un souhait  qui parfois vous surprend…

Il est de ces destins, qui sont des offrandes,

Des souvenirs acres, des odeurs amères !

N’est-ce pas de ce jour, que tu fus George Sand, 

O toi, Aurore, beau prénom qui espère ?


LAURE JUNOT

Duchesse d’Abbrantes

6 novembre 1808


A l’hôtel d’Abbrantes, se retrouvent souvent

Ceux qui ont remplacé les anciens courtisans. 

Les réceptions sont brillantes et raffinées ;

Les sourires, nombreux ; la cuisine, soignée.

On y voit des maréchaux comme des colonels ;

Des poètes inspirés et des demoiselles.

Des étrangers de renom sont aussi présents

Dans cette vie de cour en dehors du temps.

Parmi cet agrégat compacte de vacarme,

Au détour d’une danse, valsant de son charme,

Laure Junot absorbe les regards envieux.

Elle sait sa beauté ; elle plait aux messieurs. 

Quadrilles costumés ; soupers pantagruéliques ;

Intrigues et médisances, ensemble s’appliquent

A ce monde bizarre, cette ruche bourdonnant

Autour d’une vénusté fêtant ses vingt-quatre ans.

Pour allumer une passion, les pires folies

Sont faites par les femmes ! Fuyons l’incendie !



 
 
 

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1   Colombine est sud-américaine. Du patelin d’Escobar. C’est comme ça qu’elle se présente. Parce qu’en vrai son paternel est aussi...

 
 
 
Moses, Igor et les autres

1 Elle avait tout pour être tranquille. Dormait depuis des lustres à l'ombre d'un passé glorieux. Elle est désormais engloutie. Elle,...

 
 
 

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