top of page

1799 - 1805 "poèmes centenaires"

Dernière mise à jour : 16 mai

18 BRUMAIRE

9 novembre 1799

 

 

Il y avait bien longtemps que Joséphine

Encourageait le jeune général corse.

Il détiendrait, ou le pouvoir ou la ruine,

Elle présageait toute l'étendue de sa force.

Bonaparte en France ? Joie générale !

Pouvait-il y avoir de matin plus heureux 

Que ce matin effaçant les soleils pâle ?

Ses partisans ? Confiants ! Ses adversaires ? Peu !

 

La foule criait – vive la république !

Les jacobins, eux, redoutaient le dictateur.

Les royalistes finissaient – l'Amérique

Vaut mieux que ce sycophante et ses censeurs.

A Fréjus, un lieutenant avait annoncé :

« L’ami de la France est dans notre rade ! »

Le long de la route, l'enthousiasme né

Hurlait à tous : « C’est notre camarade ! »

 

A Paris, le conseil des cinq-cents en frayeur

Du nouveau prophète, du futur empereur,

Cri : « Hors la loi ! Hors la loi ! » Devant le soldat ;

Lui, bafouille trois mots, veut son frère du bras.

A cet instant troublé, tout pourrait survenir !

Ou il conquiert un trône, ou il peut mourir !

Le général tremble, hésite, enrage !

Il sait qu’il doit être le feu, non l’otage !

 

Des bouts de discours giclent de sa poitrine

Oppressée. Sa vérité le fuit. Romulus

Affronte les hommes de la guillotine...

« Si je suis un César, soyez donc mes Brutus ! »

Dit alors le général. « A bas le tyran ! »

Répondent les hommes perchés en tribune.

Quand les députés se levèrent de leurs bancs,

Tout semblait perdu, sauf les dures rancunes !

 

C'est alors que Murat, disciple de toujours,

A la tête de grenadiers se fait suivre.

La garde s'ébranle, tandis que dans la cour

De l'Orangerie, fuient ceux qui veulent vivre !

« Foutez-moi tout ça dehors ! » Tempête Murat.

Les gros messieurs savaient qu’on en resterait là…

« La farce est jouée ! » Dirent les uns, amers ;

La nuit tomba tôt, en ce dix-huit brumaire.

 

 

 

 

LA CONSTITUTION

DU 25 DECEMBRE 1799

 

 

« La confiance vient d’en bas,

Mais le pouvoir vient d’en haut ! »

Quand Sieyès pensait en droit,

Bonaparte jugeait en niveau !

La classe ignorante n’exercera plus

Son influence néfaste et malheureuse.

Ni sur la loi, ni sur l’élu.

Cette clique est odieuse !

 

Tout se fait pour la masse !

Tout se fait en son nom !

Le peuple toutefois agace

Par sa frustre prétention !

Rien ne se fait par lui :

Ni le juste, ni le fort ;

Sous sa dictée irréfléchie

On guillotinerait encore !

 

Nous avons fini le triste roman

De la révolution française !

Commençons en l’histoire maintenant 

Et oublions ces vieilles fadaises…

Il ne faut rêver que le réel ;

Ne vouloir que le possible.

Notre république est belle

Quand elle se borne à l’accessible !

 

 

 

 

                               

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LA DERNIERE NUIT

DE JEAN-FRANCOIS MARMONTEL

Encyclopédiste 30 décembre 1799

 

 

Jaloux des laps courts qui ne le rejoindront plus,

Marmontel inspecte la brume de son passé

Et goûte, saumâtre, les nombreuses vertus

Que produisent la vie ; et l’hiver, et l’été ! 

 

Le siècle s’endort et emporte dans sa nuit

Les blêmes souvenirs, quasiment effacés ;

Les écrits de Voltaire, paroles éblouies,

Carillonnent à la porte du presque curé !

 

Quelle grâce superbe que le temps – ce doux roi,

Qui au crépuscule, soudain tout embellit ;

Et s’anime la flamme, une dernière fois,

Et ce feu est un âtre ; tout est accompli !

 

Qu’est-ce donc que la mort ? Un passage bruyant !

Une incursion effrénée vers le lendemain !

Un mystère barbare et parfois amusant !

Nul ne peut l’affirmer puisque nul n’en revient…

 

Si la mort, après tout, n’était qu’un changement ?

Et que lorsqu’elle appelle, il faut lui dire bonsoir ;

Ne doute pas, rien ne périt entièrement.

On ne meurt qu’une fois, c’est de ne pas savoir.

 

Frôlé par les ombres, hâtives, coupables

De vouloir déjà éteindre toute lumière,

Marmontel murmure : vient, mon abominable

Inconnue ! Je t’attends, là dans ma chaumière. 

 

Vieillard honnête, écoute donc le vent souffler ;

Il conte ton histoire, et c’est toujours la même,

Des microbes nombreux, piquants et affolés,

Qui calcinent à la gloire et aux diadèmes !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

VICTOR DE L’AVEYRON

L’enfant sauvage – 6 janvier 1800

 

 

Débusqué et expulsé hors de la forêt

Où n'habitent que les bêtes et les feux follets,

Tu mimes un esprit de femme pécheresse,

Et tous t'évitent, ne te voyant aucune laisse.

Es-tu venu chercher un aïeul trépassé ?

Au bord du précipice, les autres sont intrigués ;

Quelquefois tu leur semble chanter en espagnol,

Certains même prétendent que tes cris sont des geôles.

 

                       

 

LA RENCONTRE DE NAPOLEON BONAPARTE

ET DE GEORGES CADOUDAL

Mars 1800

 

 

- Il me semble que le sang, encore coule à flots

Dans votre province royale et reculée !

Ne trouvez-vous pas maintenant qu’il est bien tôt

D’éteindre ces souffrances vieillottes et passées ?

- Le sang coule encore, mais l’unique morsure

Qui saigne semblable à un flot infini,

Ce sont vos durs hurlements et non nos murmures !

Rappelez vos soldats et plaignez nos filles !

Je ne romprais pas avec un roi millénaire

Pour mettre mes pas, dans la fange et la boue ;

Vous êtes le pourquoi de notre calvaire ;

Vous êtes césarien et nous…nous sommes tout !

                            

                    

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LA MORT DU GENERAL DESAIX

14 juin 1800 – Marengo

2ème campagne d’Italie

 

 

La frondaison docile formant un beau linceul,

Le guerrier s’y endort, le passant s’y recueille.

Car l’orage est passé, et la pluie en mitraille,

Récolte et couche en blés, les hommes pris en tenaille.

Tant de futurs, ici, n’ont jamais pu éclore !

 

Combien de fantassins ont grossi de leur mort

Le ventre hideux de l’ogre thuriféraire ? Dédain !

Il avale ceux qui viennent et vomit leurs destins…

C’est ainsi que Desaix, mon ami est parti ;

Emporté par la bête, vorace, cruelle, impie !

 

Pourquoi donc ne m’est-il pas permis de pleurer 

La dépouille de ce corps, désormais étranger ?

Anéantie, une part de moi-même à fuit

Le vêtement  percé. Quoi ! Parle donc, ami !

Mais ne juge pas l’homme à l’aune du militaire.

Car l’homme est en vie quand le soldat est en terre !

 

Desaix était soldat avant que d’être homme ;

Il était mon ami ; nous avons vaincu Rome.

Car lui s’en est allé vers l’exquis pâturage,

Marquant de son sceau, l’exaltant naufrage

Des humains fracassés par autant de furie.

Doux sera son repos et ma mélancolie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                     LE SUPPLICE DE SULEYMAN EL-HALABY

17 juin 1800 – le Caire, campagne d’Egypte

 

 

Etais-tu un seldjoukide ?

Un haschischin syrien ?

Un musulman séide ?

Un va-nu-pieds, un vaurien ?

Etais-tu un nouveau martyr ?

Un résistant à l’ennemi ?

Venais-tu de Damas ou Tyr ?

Personne ne l’a su depuis…

 

Un coup de poignard dans le cœur,

Et le vieux général Kléber,

Qui d’Héliopolis, en vainqueur,

Apparaissait encore hier,

Tombe sur le sol à jamais !

Alors, sépulcre encore humain,

Profané par de vils français,

Tu entreprends le dur chemin…

 

On te couche sur le ventre

Après t’avoir brûlé les poings.

Barthélémy te place au centre,

Puis tire un couteau de ses mains ;

Une large incision à ton cul,

Et on y approche le pal.

On t’embroche vivant, dodu ;

La civilisation s’installe !

 

Tu vécus, planté là, quatre heures,

Comme une affiche publicitaire.

- Il faut bien exhiber aux leurs

La juste punition salutaire !

Dit alors un spectateur égayé…

Barthélémy se retourna.

Je voulu te désaltérer ;

A l’instant même, tu expiras !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DES CŒURS DE BOURREAUX

13 juillet 1800

 

 

Nous avons des cœurs de bourreaux…

Car pour démêler le vrai du faux,

Nous sommes prêts à la torture !

Voyez, cette difforme figure…

 

Est-elle celle d’un coupable innocent ?

Ou celle d’un ingénu méchant ?

On tourmente celui qui est accusé

Pour que le crime soit avoué ;

 

Mais comment croire ce qu’il nous dit ?

Est-ce un mensonge ? A-t-il compris 

Qu’on questionne pour une certitude ?

 

On tue souvent par mansuétude,

L’innocent qui a choisi de fuir

La douleur affligée du martyr.

 

CONSPIRATION DES POIGNARDS

10 octobre 1800

 

 

Devant un comptoir, quelques ivrognes

Parlent fort et haut de la vile charogne :

Ce premier consul qui a violé la France !

Et les verres s’accumulent, en abondance !

Ils refont le monde, ils refont les guerres ;

Vomissent les fous, ces révolutionnaires

Qui ont permis l’outrage par leur amorce

De livrer la France à ce maigre corse !

Alors, ils chantent, ils hurlent, ils débattent,

Et leurs pensées se font soudain acrobates

Et assassinent, ravies, ce Napoléon !

Et ils boivent, et ils rient, sans prêter attention

Aux oreilles autour qui déjà répètent

A Fouché les paroles, dès lors peu secrètes ;

Et la police vient déjà les arrêter !

On les traine dehors, on les voit frissonner !

Fouché aperçoit tout le pouvoir possible,

Abattre les hauts murs jadis inaccessibles 

Par l’imprudence de trois ou quatre ivrognes !

Se montrer au consul : première besogne !

On parle de poignard, juste après l’opéra ;

C’est là, c’est sûr, qu’ils voulaient faire ça !

Que valent des innocents – et l’étaient-ils d’ailleurs –

Quand enfouis sous la terre, par le fossoyeur,

Ils permettent l’avancée, ô belle carrière,

Du premier policier, grâce à quelques bières…

 

 

 

LA FIN DES BRIGANDS D’ORGERES

Chartres, le 12 octobre 1800

     

 

C’est le douze de ce mois, trois heures après-midi,

Que vingt-un brigands d’Orgères ont expié

Sur l’échafaud chartrains leurs lourds forfaits commis ; 

Et cette double dizaine, l’avait bien mérité !

 

Presque tous ont fait voir à cette heure, un sang-froid

Et une allégresse digne d'une bien meilleure cause.

Quelques-uns seulement ont semblé aux abois ;

Les autres ont plaisanté jusqu'à la froide chose !

 

- Nous allons aux vendanges, s’amusaient quelques-uns !

- Nous sommes prêts, allez ! Disaient encore les autres.

Cette étrange société jouait au plus malins ;

Cohérents d’épouvante, du Malin les apôtres.

 

On est moins effrayé des crimes qu’ils commettent,

Que des dangers nouveaux que l’on croise ici.

La débauche et la faute rarement nous inquiètent ;

Ce qui fait peur, c’est eux ! Et pour Dieu, leur mépris !

 

                

 

FORET DE HOHENLINDEN

Victoire décisive du général français Moreau

Sur l’archiduc Jean-Baptiste d’Autriche

3 décembre 1800

 

 

A l’approche de Munich, un plateau boisé

Entre deux rivières, sur un sol gelé,

Forme le décor ténébreux et austère

Où se tiendra le choc ; beau quadrilatère !

Les généraux Grouchy et Ney dans le centre

Se ruent devant eux et, voraces, éventrent

De jeunes autrichiens, déjà éparpillés !

 

A l’approche des centaures ravitaillés,

De vies offertes au renom de leurs faces,

Ce n’est plus une guerre : c’est une chasse !

La vallée du Danube voit, victorieux,

Les hommes de Moreau, guerriers harmonieux,

Faucher les armées de la vieille Autriche 

Et ne reste de ce blé, que quelques friches !

 

Tout ce qui hait le Premier Consul répète :

« Pourquoi pas celui-là ! Moreau à notre tête

Pour que face au consul, un autre général,

On puisse opposer une renommée à cheval ! »

Mais c’est Bonaparte qui recueille le succès

Que Moreau a extirpé de cette forêt 

Et déjà l’heure de la grande paix approche ;

La paix générale : celle du feu, celle des cloches.   

 

 

                             

LE SIECLE SE FERMAIT

14 décembre 1800

 

 

Le siècle se fermait – éclat assourdissant ! –

Et les visions détestables, l’odeur du sang,

Tout cela paraissait finalement se clore !

Comme une nappe ne pouvant plus m’atteindre,

Je voyais la plage, doucement s’éteindre,

Debout sur le vieux pont, songeant parfois encore,

Que le bateau est en mer, et moi, à son bord.

 

Des vieilles montagnes à jamais disparues,

Je m’en étais pourtant si longtemps souvenu,

Dans la spacieuse mer et dans les vastes cieux.

Ces vestiges du passé, se dévastaient en moi,

Pareil à des lambeaux chiffonnés d’autrefois,

De décharnés haillons, posés devant mes yeux,

Mais qui sur l’océan, ont la force du feu !

 

Anciennes images du flou évanoui,

Tel un rêve dont la cage, souvent me proscrit,

Ce n’est pas un exil, pas même un voyage ;

Une insuffisance ou une promenade,

J’étais en forêt et parlais aux dryades,

Par un jour insolite, tel un doux naufrage,

Le siècle se fermait...et avec lui, ma rage.

 

           ATTENTAT DE LA RUE ST-NICAISE

24 décembre 1800

 

 

Fatigués des combats incessants qui perdurent,

Des trop maigres succès en ces jours de froidure,

Quelques conspirateurs royalistes tempêtent :

- Il faut bien en finir ! Il faut frapper la tête !

Les anciens de Vendée, savent le prix superbe

Qu’il faudra payer pour le mettre sous les herbes,

Ce jeune général, transformé en César,

Ce moderne tyran qui se proclame tsar !

Le 3 nivôse an IX, dans son blême carrosse,

Oui, le premier consul entrera dans la fosse

Et avec lui quelques traîtres à l’ancien royaume !

En idée, on enterre ! En idée, on embaume !

On loue une jument, une vieille charrette,

Et un grand tonneau à vin que l’on affrète

De poudre jusqu’à trop plein : la machine infernale !

Avant son opéra, il ira bien au bal !

On estime un point dans la rue St-Nicaise,

Au nord d’un beau palais – pour mourir à son aise ! –

Près de l’ancien carnage du vil 13 vendémiaire ;

Ah ! Le faire en cette place, quelle superbe manière !

 

La fillette d’une marchande, primeur quatre-saisons,

Dont l’innocent visage est la meilleure cloison

Entre les criminels et l’œil de la police,

Empoche ses douze sous sans se savoir complice

Involontaire de ces royalistes chouans ;

Juste quelques minutes, retenir la jument…

Et puis, boum ! Tout explose ! La fillette et la foule !

C’est une vague de morts, que cette hideuse houle

Apporte dans les rues en plein cœur de Paris !

Le silence est immense, après la boucherie ;

Là, des corps démembrés étendus sur le sol ;

Là, des mares de sang s’écoulant en rigoles.

Le désastre ; la poussière ; le colérique silence.

Cette rue est un roc, condensé de la France !

Bonaparte est indemne ; face aux dieux, il regarde

La mort, toujours gloutonne, qui lentement musarde

Et happe pour son bonheur les attardés du soir.

Quand la fumée se lève, le curieux encensoir

Qui parcourt et serpente au milieu de la rue.

 

Bonaparte s’écrit : « Je promets face aux nues,

Face aux hommes présents, un cimetière vengeur !

Ce sont les jacobins, la cause du grand malheur

Qui encore vient répandre son relent noir saumâtre !

Ils sont de république, fanatiques ! Idolâtres ! »

Fouché dirige tout, et l’enquête est habile ;

Il dénoue un à un tous les liens puis jubile

En avisant, certain, le premier Bonaparte :

« Les coupables jouaient avec bien d’autres cartes !

Le crime vient de Vendée, de cette terre insoumise !

Le cœur chouan brodé, est sur toutes leurs chemises !

Et il est avéré qu’ils soient les assassins ! »

Mais le premier consul ne veut croire ce latin.

Les jacobins seront les uniques coupables 

De ce forfait odieux, infâme et misérable !

César ordonne alors de les faire disparaître,

Ces laids républicains, agissant comme des prêtres !

 

 

 

LE MILLEFEUILLE

1er janvier 1801

 

La vie est un millefeuille

C’est une superposition de « moi »

Qui du berceau jusqu’au cercueil

Ont tué celui qui était là

Je me souviens de cet enfant

Ou est-il passé désormais

Il existait pourtant

Et ne devait disparaitre jamais

Ce « moi » les mains dans les poches

Sautillait tel un frêle moineau

Avec sur le dos une sacoche

Et dans le cœur un drapeau

Ce vieux passé est une ombre

Une cathédrale effacée

Parvenue sans encombre

Au bout d’une vie fatiguée

Qu’une chose pareille naisse du temps

Semble un songe tout abstrait

Et ces hommes de vingt et trente ans

Sont une vague qui disparaît

Comment juger une vie entière

Cette multitude de serrures

Qui ouvrent et referment la chair

Sur les plaies et les blessures

Comment comprendre notre temps

Nous éphémères nous limités

Etant épis dans un champ

En passe d’être moissonnés

 

CREATION DU ROYAUME D’ETRURIE

PAR BONAPARTE

9 février 1801

 

 

Semblable à un dieu, taillant une carte,

Il malaxe les fleuves et les continents ;

Il broie les lois, les troquant pour une charte,

Offre un royaume aux ibères infants !

 

Il mélange même, les âges et le temps 

Puisqu’il partage, et nul ne s’en offusque,

Pour un bout d’empire du nouveau continent,

L’ancestral territoire des fiers étrusques !

 

                  

 

LE PAUVRE CONTENT

2 mars 1801

 

 

Je n'ai ni charges, ni biens ;

Du voleur, je ne crains rien

Et au contraire, je l'invite

Au dedans de mon gîte

A partager mon pain. 

 

Je n'ai nul besoin de confesses,

De pardons, de promesses.

Les valeurs, les vertus,

Me sont afflictions inconnues.

L'abbé ignore mon adresse ! 

 

Une femme au doux moment

Me confia, parfum mordant,

Cette chose volontaire,

(Un baiser) dépositaire

Du plaisir d'être vivant !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

MADEMOISELLE RAUCOURT

3 avril 1801

 

 

Mademoiselle Raucourt plante et pique

Des rhododendrons et puis des frangipaniers 

Dans son jardin de spécimens exotiques,

Des boutons aux douces senteurs domestiquées.  

Elle se promène là, avec indolence...

Les grandes répliques oubliées de ce temps,

L’ancienne tragédienne, dans le silence

Naturel des arbres complices, les entend !

Les fortes passions ont pris toute sa sève,

Et c’est vide, que mademoiselle rêve…  

 

 

 

REGIME CONCORDATAIRE FRANCAIS

15 juillet 1801

 

 

L’église catholique est miraculée !

Elle reparait aux palais – mais réglementée 

Par les désirs de l’impériale décision ;

Et évêques et abbés font leur soumission...

Pie VII doute, tremble au moment de sceller

L’accord entre révolution et papauté ;

La France existe encore aux yeux de Dieu !

Réfractaires et constitutionnels font vœux

D’êtres les enfants de Paris et de Rome ;

Le compromis né, est une sainte gomme !

 

 

HENRI BEYLE

         1er août 1801 – campagne d’Italie    

 

 

Il haïssait l’abbé, il haïssait son père ;

Il haïssait plus encore la religion toute entière.

Quoique disent ces hommes, ce n’est que tromperie,

Paroles effacées et vérités amaigries !

Un jour est venu le pape de la guerre,

L’ecclésiaste des victoires, belles aumônières,

Rédempteur des nations qui, soulevant la France,

L’installa plus haut que Rome et Byzance !

Ce n’est pas une conquête, c’est un cérémonial 

Quand Henri admire avec les yeux de Stendhal !

 

L’EXILE

2 août 1801

 

 

Dans cette ravine sauvage, tu te caches

Loin du Césarion proclamé et de ses sbires ;

Les mots insensés, qui pour tant d’autres attirent

Les belles attentions et les belles moustaches,

Tu te les répètes en sourdine, famélique.

Ta jeunesse éclatante, ton âpre exil,

Dressent de beaux autels aux promeneurs tranquilles

Qui négligent leur part, aux fureurs étatiques !

 

 

 

LE RETOUR D’EGYPTE

Vu par le lieutenant Vigo-Roussillon

10 août 1801

 

 

Ainsi se termina cette campagne,

Elle ne pouvait avoir d’autre issue.

Et, laissant veuve leur compagne,

Nombreux n’en revinrent plus.

 

Ayant gardé l’honneur des armes,

J’en suis revenu invalide !

Ce n’est pas la guerre et son vacarme ;

C’est la peste, ce climat torride !

 

Fallait-ils que nos chefs soient bien bêtes !

Chacune de nos victoires – par nos morts, 

Par leurs navires bloquant toute retraite,

Nous unissait à la défaite encore !

 

 

 

LES REGRETS DE STANISLAS FRERON

14 décembre 1801

 

 

La vie est parfois une chose étrange ;

On vit pour le centre, on pleure pour la frange !

Voilà que le régicide désabusé,

Lui qui a engendré tant et tant d’accusés,

Voilà donc celui-là, ce Stanislas Fréron

Ayant présidé à l’effroyable Toulon

Et ses répressions en massacres de masses,

Voilà celui-là que les regrets pourchassent !

Il se souvient du faste d’un roi de Perse !

(C’est ce qu’il était, en ces jours qui renversent

Les couronnes et la noblesse de France)

En ce temps-là, comptait seule l’arrogance !

Il avait connu l’étoile turbulente,

La gloire d’un dieu et l’ivresse opulente,

Quand le cœur repus, il éprouva le besoin

De se donner entier à cette fille du loin ;

Cette fille de quinze ans, venant de Corse,

C’est un arbre millénaire sans écorce,

C’est un chef d’œuvre, à peine encore ébauché, 

C’est un médicament, à sa vie débauchée !

Car elle a les cheveux blonds, les lèvres rouges

Et voluptueuses qui, lorsqu’elles bougent,

Eclairent son visage sur des dents blanches ;

Cette fille, c’est l’amour ! C’est une revanche 

Contre tous ceux qui ne voit en lui que la mort !

Et Pauline – c’est son prénom – est un trésor,

Une cure formidable de jouvence ;

Et qu’importe son frère et ce qu’il pense !

 

C’est ce qu’il croyait en tout cas, pauvre Fréron !

Pauline est sœur du général Napoléon 

Et depuis l’Italie, celui-ci querelle

Cette écervelée qui, puisque trop belle,

A tourné la tête à ce futur vaincu !

- ça, pour beau-frère ! Jamais ! Jamais ! M’entends-tu ! 

Tel ton père, tu as visé trop haut, pauvre Fréron !

Pour l’un, Voltaire, pour l’autre, Napoléon !

Rappelé à Paris et renié de tous,

Fréron voit son temps qui déjà se rebrousse,

Accusé d’avoir atteint l’immortalité

Du crime ! Il sait bien que tout est terminé !

Il n’est désormais plus rien et n’a plus d’emploi ;

La révolution est morte et cette loi

Qui donne au frère le pouvoir suprême,

C’est comme une farce qui le laisse blême.

On le repousse, et bientôt le méprise ;

La vie est parfois une étrange surprise !

Il se terre et oubli le mariage

De Pauline et d’un général ; Courage !

Il faut essayer de finir ce naufrage !

 

Ecœuré de dégoût, il mendie, enrage

D’être devenu ce vieux monsieur pénible !

Et pas même, le doux secours d’une bible !

Son unique joie, est de se glisser parfois

Dans un spectacle quand il sait qu’elle est là

Pour entrevoir loin, comme un éblouissement,

Pauline et un autre, malheureusement...

Demain, elle prend le bateau pour Saint-Domingue 

Et à son bras, c’est un époux qu’il distingue ;

Il n’a pas le cœur de se montrer à celle

Qui lui donna le sien, alors jouvencelle...

Pauvre, meurtri, humilié et subalterne,

Au moment d’embarquer, il crie : « balivernes ! »

 

 

 

 

RENE

François-René de chateaubriand

8 mars 1802

 

 

Elle avait les jambes longues et les pieds nus ;

Sa jupe était courte, son corset dévêtu ;

Elle avançait courbé avec les bras croisés,

Nous montions ensemble un chemin escarpé.

Pour souffler, sa bouche ronde s’entrouvrait ;

Sous ses épaules chargées, son sein, je voyais ;

Elle tournait la tête un peu de mon côté,

Je vis d’abord ses yeux, puis son visage halé ;

Elle donnait envie de lui dire des roses,

Elle donnait envie de lui dire ces choses…

 

                          

L’ENFER HAITIEN

Massacre des colons français du village de Verrettes

9 mars 1802 – Campagne de St-Domingue

 

 

C’est une matinée, dans l’ile verdoyante,

Où surgit, entre soleil et eaux dormantes,

Cette vision d’hommes et de maisons calcinés 

Par les troupes haïtiennes ! Beau défilé

De cadavres montrant leur tout dernier moment ; 

Agenouillés, mains ouvertes et suppliants

La raideur n’a pas effacé leurs gestes… 

Et des implorations émergent de leurs restes !

Des petites filles à la poitrine déchirée

Paraissent réclamer pour leurs mères, pitié ;

Des mères embrassent dans leurs bras cassés des fils

Egorgés, où les animaux se nourrissent.

 

Les soldats français veulent incinérer les corps ;

Rien ne peut les défaire de l’odeur de la mort !

Tout le village n’est plus qu’une grande scène

Où la putréfaction des corps tient en haleine

Les hommes debout, face aux hommes allongés.

Le parfum des cadavres a tout imprégné.

Les vêtements, la peau, tout renifle la mort !

On a beau se nettoyer, tout pourrit encore !

On croirait que les morts concurrencent les vivants,

S’éparpillant partout, dans les têtes, dans le vent…

 

                    

 

 

LE GENIE DU CHRISTIANISME

François-René de Chateaubriand

14 avril 1802

 

 

Je suis chrétien comme le bœuf qui rumine ;

J’ai pleuré et j’ai cru, foi divine ;

Ma conviction est sortie de mon cœur !

Désabusé de tout, sauf du Seigneur

Qui veille sur moi tel un ange muet

Plein de sagesse ; il est là, je le sais.

Vous chinez des preuves, réalités

Palpables de l’être souverain !

La nature ne s’est-elle pas apprêtée

Pour exhorter les hommes en vain ?

 

L’homme chrétien, est le plus poétique !

Le monde lui doit tout : la liberté,

L’éclat, les poèmes ossianiques

Et l’espérance en l’immensité !

Quelles preuves lorsque l’on a les fleurs,

Les arbres, les ruisseaux et la pensée !

Effacez donc le délit et l’horreur,

Petits humains, vous qui savez aimer !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

MATOUBA

28 mai 1802 – Guadeloupe

 

Est-ce toi, avenir

Parmi ce climat charmant,

Qui lance ce soupir

De cet air impudent ?

 

A l’univers tout entier,

Le beau cri de l’innocent

Il faut proclamer :

Voici notre sang !

 

Au pied de la colline,

Vers St-Claude, l’ardente,

Lentement s’illuminent

Les âmes volantes.

 

 

 

 

CANTIQUE NOCTURNE

3 juillet 1802

 

Les roseaux, troublés par quelques rainettes,

Semblent des tours dressées jusqu’aux cieux 

Où des amphibiens, aux couplets mystérieux,

Psalmodient d’étranges cantiques à tue-tête !

 

Parmi la caravane chantante

Des poules d’eau et du martin-pêcheur,

Des bécasses et des ratons-laveurs

Remercient le long des eaux dormantes,

 

Les montagnes, les lacs et les bois ;

Plus loin, le long murmure des hommes 

Et la peur qui la nuit emplie leur somme.

Ils remercient pour tout à la fois !

 

                               

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LA FIEVRE JAUNE DU GENERAL

ANTOINE RICHEPANSE

3 septembre 1802 – Guadeloupe

 

 

Aux côtés de Kleber, aux côtés de Desaix !

Tu t’endors et demain, réveilleras en paix

Les malheurs de cette île dont tu sais les contours !

Regarde ton entrée risquée, au point du jour.

Le peuple noir croyait la grande liberté ;

Par-delà l’océan, franchissaient les idées ;

Les idées ne sont rien face au glaive puissant,

Car seuls lui sont plus forts, la patience et le temps !

 

 

                               

LA MORT DU GENERAL

CHARLES VICTOIRE EMMANUEL LECLERC

1er novembre 1802 – l’île de la tortue, Haïti

Campagne de St-Domingue

 

 

Les français se déversent sur Saint-Domingue

Comme des sauterelles affamées

Où mulâtres et noirs du peuple bilingue,

Guette les progrès de leur meilleure alliée :

La fièvre jaune ! Elle mange quinze-mille hommes,

Abat ces brindilles comme un ouragan.

Elle les prend debout ou dans leur somme ;

Elle recrache morts les anciens vivants !

L’armée puissante n’est qu’une maigre escorte

Qui se replie, usée, sur l’île de la tortue ;

C’est là que Leclerc succombe, à la porte

D’une conquête dont il fut vaincu.

 

 

 

SUSPICION DE LOUIS BONAPARTE

3 décembre 1802

 

 

Après avoir cassé par hasard la glace

Du portrait de son épouse, l’homme chasse

Les pensées qui s’infiltrent, poison sinueux ;

Il pâlit et s’écrie que cela ne se peut :

Sa femme, c’est sûr maintenant, est infidèle…

C’est le signe du miroir ; maudit soit-elle !

Déjà, il voit des apparitions nocturnes

Et le soir, dans le salon, il fixe l’urne

Où il dissimule toute sa fortune.

Les bougies concurrencent en ce soir, la lune.

Au milieu d’un profond silence, les revenants,

Tout comme le dernier hiver, s’habillent de blanc

Autour de l’âtre pendant que de la fumée

S’élève et sèche le bois dehors entassé.

Ses yeux lancent des éclairs et ses narines

Se dilatent à la pensée adultérine !

Il éventre les fauteuils, brise les plantes,

Taillade les tables, hurle sa tourmente !

Mais pourquoi ne restent-elles pas des bourgeoises ?

Au lieu de cela, elles se moquent et nous toisent !

Elles feraient mieux de travailler de l’aiguille

Et non de la langue, ces petites filles !  

                         

 

 

TOUSSAINT LOUVERTURE

Mort au Fort de Joux le 7 avril 1803

 

 

Quand il regarde les murs humides des pierres,

Toussaint Louverture, maigres bras sous la terre,

Revoit l'île lointaine, oubliant les décombres

Qui s'empilent dans sa tête et dans ce puits sombre.Les vertus impériales, maléfices nécessaires,

Ont mis l’animal-homme, en exergue, en lumière ;

Voyez ces guerriers, Achille, Hector et Pâris,

A l'aune de nos jours, ils ont de nombreux fils...

Évaporée sous la lune blanche des caraïbes,

La froidure du fort, que le vent exhibe

Emporte l'éveilleur et son infortune.

D'âmes séquestrées, il n'y en a aucune !

 

 

 

LE LIVRET D’OUVRIER

12 avril 1803

 

 

C’est un petit cahier, livret de surveillance,

On l’on note les chemins parcourus en France

Par l’ouvrier, ce domestique nomade,

Afin de faire cesser ses arlequinades !

C’est un petit cahier distinguant le vagabond

Du travailleur fatigué, du néfaste moribond,

Et qui précise surtout, le nom de son maître ;

L’argent, l’armée, la police : les nouveaux prêtres.

 

 

              

RAPPORT DE L’ASTRONOME

JEAN-BAPTISTE BIOT

Après la chute d’une météorite

26 avril 1803 – 13h

 

 

Les habitants des fermes ont vu le nuage

Au-dessus de leur tête, étrange barrage,

Entre ce que l’œil perçoit et l’oreille entend !

Le charme de la terreur alors les surprend.

Un globe de flammes, d’un éclat très brillant

Perce l’atmosphère, franchit le firmament,

Et illumine le ciel, qu’il coupe en deux ;

D’un côté le tonnerre et de l’autre le feu !

Les moutons sont saisis d’une grande frayeur

Et se serrent tous ensemble, dans leur blanche couleur,

Sur le pré qui voisine l’astre profane.

Une pluie de pierres tombent, et cette manne

Apparait aux hommes un roulement d’éclairs !

« La chose vient de Dieu ? » « Du profond des enfers,

Car ces pierres exhalaient une odeur de soufre ! »

Désagréable et immense était le gouffre

Laissé par la plus grosse des roches du ciel.

Il est avéré que les mondes soient pluriels !

 

 

 

LA VENTE DE LA LOUISIANE

30 avril 1803

 

 

Tout le territoire, à l’ouest de la vaste mer,

Passait devant mes yeux abasourdis

Où les rêves anciens de nos grand-père,

Ont été travestis d’un immonde prix !

 

O, Louisiane, terre du prénom de nos rois ;

Voit la révolution, au-delà d’un océan,

Pour quelques fusils, perdre la foi

Et pleurer ses derniers enchantements.

 

                          

 

BARATARIA

Le royaume de Jean Lafitte

5 mai 1803

 

Las de poursuivre en flibustier des mers chaudes,

Des routes océanes aux noms parfumés,

Le marin des côtes de Louisiane, bercé, 

Tient son trésor des chairs, nouvelles émeraudes.

Le golfe lumineux des matins d’Amérique,

Où l'étendard français vient juste de tomber,

Ni royal, ni consulaire, tout fut inventé !

Et l’on cherche en vain un trésor dans les criques.

 

Barataria, terre torride du couchant ;

Avec tes palais de sable sous les grands ventsTu es une perle des joyaux venus d’Afrique !

 

Dans l’océan fébrile, tes trois-mâts se tendent

Et dans leurs cales sombres, les hommes se piquent

A des fragments de bois et des clous qui pendent.   

 

                            

JE RESTE AVEC VOUS

13 juillet 1803

 

 

Depuis que le soir a brillé de ses étoiles,

Que quelques insectes me survolent sans attention

Je regarde les heures passer et s’installe

L’éternité du deuil et de la séparation.

La mort, c’est une chambre fermée,

Sans fenêtre, sans parfum, ni mémoire ;

La vie, faut-il le rappeler,

C’est une gare.

Les amis, les amours, tout passe et s’oublie

Dans l’humus où l’on se désagrège ;

La mort, c’est un puits ;

Une vie, c’est un manège.

Vos robes sont riches dans leurs velours,

Mais qui a-t-il de réel en tout cela ?

Nous sommes tous à nos carrefours,

Mais l’arrivée est le même chemin froid.

Si d’aventure, on s’amusait

En laissant des messages sur des pierres,

Gravez sur la mienne désormais

Je reste avec vous en prières.

 

                       

LA BATAILLE DE VERTIERES

Du général François Capois

18 novembre 1803 – campagne de St-Domingue

 

 

C’est un « Achille » noir sur un cheval blanc

Qui s’élance, mort, sur le fort de Vertières

Et demande qu’on le suive, criant :

« En avant ! En avant ! » Et tombe à terre…

 

Parmi les tombés qu’on assassine,

Loin de son cheval couché au boulet de canon,

Il repart à l’assaut du fort et s’achemine

En criant « en avant ! » à plein poumons.

 

Fauché par les mitrailles, les nombreux morts

Décorent la colline de perles d’ébène ;

Alors Capois court et cherche des renforts

Et crie « en avant ! » telle une chanson vaine.

 

Son bonnet garni de plumes est emporté

Par un boulet frisant ses cheveux noirs ;

« En avant ! » cri-t-il, levant son épée,

Pour le quatrième assaut du soir.

 

D’une voix puissante, venant du fort,

Le général Rochambeau envoie ses compliments 

Et offre un cheval au superbe stentor

Qui redouble son cri : « En avant ! En avant !». 

 

                                

 

 

LA RENCONTRE DE LA REINE HORTENSE

ET DE CHARLES DE FLAHAUT

2 mars 1804

 

 

Comme mourait la musique au dernier pas de danse,

Tel un pimpant jeunot, applaudissant Hortense,

Il découvrit ému, presque déconcerté,

Le regard réjouit de la reine délaissée.

 

                      

 

 

 

 

 

MORT DU DUC D’ENGHIEN

21 mars 1804 – fossés du château de Vincennes

 

 

Un détachement de dragons était venu

Aux premiers éclats du jour.

Les portes enfoncées, et ils ont cru

Reprendre la Bastille depuis ma cour !

 

On m’accuse d’un attentat sur un tyran ; 

Je ne suis pourtant en rien dans l’affaire...

Que l’on interroge mon âme et mon sang ;

On n’y verra qu’un prince en terre étrangère.

 

Questionné de nuit ; arbitré de nuit ;

Le sacrifice horrible se consomme dans l’ombre.

Les soldats qui alors pointent leurs fusils

Tremblent plus que moi près du mur sombre.

 

Revenu au temps de Robespierre,

Voilà la farce de Napoléon

Qui pouvait, lui aussi, se dire fier

De n’être pas avare du sang des bourbons !

 

Et tout à coup ce bruit terrible et affreux !

Depuis cet instant, je n’existe plus ;

De ce jour où j’ai fermé les yeux

J’emporte l’honneur que vous avez perdu.

 

La mort a soufflé sur moi par surprise

Et les fantômes qui m’accompagnent,

Ruissellent dans cette terre grise

Où la mélancolie vous gagne.

 

La fosse est remplie et close ;

Annonce les prochains ossements ;

L’endroit lamentable où je repose

Proscrit moins la proie, que l’exécutant.

 

 

                            

 

 

 

 

 

 

PROMUGATION  DU CODE CIVIL

21 mars 1804

 

Les coutumes de Paris sont nos lois !

Du sud de la France, puisons le Droit ! 

Erigeons des règles les citoyens !

Nous sommes une famille du même pain !

Le droit des biens, le droit des personnes ;

Celui de la famille, basque, bretonne,

Alsacienne, corse ou provençale ;

Que partout, un semblable droit s’installe !

 

 

LE SUICIDE

DE JEAN-CHARLES PICHEGRU

Le 5 avril 1804 – Paris, prison du Temple

 

 

Droit, autant qu’un mourant se peut l’être,

Tout le rend statue pour maintenant se soumettre,

Le gisant général, désinvolte et aigri

Attend, le cœur céleste, la profonde nuit.

Intarissable ruisseau d’où s’écoulent ses fautes,

Telle d’une ruche liquide, dépassée et sotte,

Les larmes funestes et nombreuses du prohibé,

Se jouent du renom et des victoires passées ! 

L’homme s’écroule alors, et presque cocasse,

Ce destin est une élégie, digne d’Horace !

Ses yeux vides s’emplissent des noires ténèbres

Du sommet de son crâne à sa moindre vertèbre.

 

 

 

LA MORT DE CADOUDAL

25 juin 1804

 

 

Armé de la terrible colère,

Cadoudal, combattant téméraire,

Rejoint son ombre, en France ;

Il faudra bien que la chance

Lâche ce maudit Bonaparte,

Se dit l’ogre devant une carte

Des rues étroites de Paris.

Demain, ce gredin sera puni !

Le plan est simple en idée ;

Le tyran doit être enlevé

Et amené en Angleterre.

Le succès dépend du mystère.

Dans une chambre rumine

Le stentor qu’illumine

Une chandelle sur l’étagère.

Le neuf mars, la police repère

L’ancien capitaine vendéen.

Cadoudal court vers son destin

Et la poursuite commence ;

 

Le Consulat ? Une idée rance

S’exclame le titan en fuite !

Deux policiers à sa suite

Dévalent les pavés gris

Qui les sépare de lui.

La proie s’engouffre dans un carrosse,

Et la chasse devient féroce

Entre la loi et le crime ;

Où finira l’abime ?

Un agent prend la bride des chevaux ;

L’autre veut monter et bientôt

Est tué froidement d’un coup de pistolet !

Cadoudal, aujourd'hui, se montre tel qu’il est !

Rattrapé par plusieurs limiers,

L’ogre est sitôt enfermé.

 

On lui dit qu’il vient de tuer un père !

- Alors, envoyez-moi des célibataires 

Et il n’y aura pas d’orphelin !

Les agents le frappent à pleines mains.

Lors de son interrogatoire,

En sentences expiatoire,

Il s’accuse de tout et ne livre personne ;

Il connait la chanson et il la fredonne…

Il évoque un prince lointain,

Et l’on suppose « le duc d’Enghien »,

Ce qui a mené le jeune Bourbon

Au bout des fusils du peloton 

Avant la fin de mars !

Et voilà la farce !

Par amour d’un roi, il a causé la perte

D’un prince, d’un royaume inerte

Depuis plus de dix ans ;

L’été commençait seulement…

 

 

 

                               

LA PREMIERE LEGION D’HONNEUR

14 juillet 1804

 

 

Alors que s'avance le soldat fatigué,

Vers le nouveau César qui se penche vers lui,

Une mêlée observe et s'incline vers celui

Qui va recevoir la couronne de lauriers.

 

Il y a dans cette scène – quel ordre précis –

Tous les représentants du pouvoir de la guerre ;

Il y a le prélat, la veuve, le militaire,

La foule bigarrée et le mamelouk conquis.

 

Le mahométan plante un œil acéré,

Ni trop fort, ni trop loin, prêt à tout devancer,

Sur celui qui marche vers son glorieux maître ;

 

Il le tient du regard comme on tient un peut être...

Alors, le vieux soldat approche pas à pas ;

Puis, s'abandonne dans la cohue qui le noie.

 

 

LE DESASTRE DE BOULOGNE

20 juillet 1804

 

 

Se pâmant devant des navires accostés,

Bonaparte sourit au milieu de l’été 

Et demande à un contre-amiral surpris

De prendre la mer qui s’annonce en furie !

 

Il veut sa flottille entière sous les voiles 

Et la colère s’empare du contre-amiral

Qui refuse de mettre en péril tant de vies

Pour un caprice, fut-il venant de celui

Qui avait conquis l’orient et la France ;

« Mes soldats méritent mieux que de la chance ! »

 

L’officier intrépide tient tête à l’Empereur,

Met sa main à l’épée, protège son honneur.

Colérique devant l’audace insolente,

Bonaparte rugit sur le soldat et vante

La puissance de sa marine grandiose !

Elle ira sur les mers, qu’importent les choses

Et les éléments déchainés ! Quoi ! Elle le peut

Et rien n’arrive aux hommes devenus des dieux ! 

 

Un autre officier, moins brave ou vaillant,

Ordonne à la flotte sous le vent violent

De prendre la mer pour la belle procession ;

La tempête prend ceux qu’offre Napoléon !

Les vagues renversent les chaloupes brisées

Dans un vacarme de cris et d’horreur mêlés

D’où émergent, suppliantes, des mains tendues !

Là où étaient des hommes, il n’y en a plus…

 

L'été étouffe la plage de Boulogne.Tout est mort. Quelques marins, dormant, se cognent

Sur les roches dans un roulis perpétuel.

Les vagues les apportent dans un obscur fiel…

De ces tombes flottantes, nouveau goémon,

Se soulèvent souvent de tous petits poissons,

Jouant autour des corps alanguis et lascifs ;

Ils furètent entre mer et les humains récifs.

 

Sur les plages envahies de lamentations,

Des veuves aux pieds nus, dansent en révolution

Autour de l’Empereur qui se jette à l’eau !

« Il faut les sauver ! Qu’ai-je fais, matelots !

Je le reconnais ! J’ai péché par orgueil !

Je voulais un défilé, non tous ces linceuls

Qui s’amarrent en bataillons sur le noir sable…

Je disais, c’est sûr ; J’aurais dû dire, probable ! »

 

 

 

JULIE CANDEILLE

Cantatrice et comédienne

3 novembre 1804

 

 

Comment ne pas être vivant

Devant cette citadelle ?

Hélas, les hommes sont vaillants

Et cette femme est belle.

Sa voix, pareille à son visage,

Vous noue plus fort qu’un collier ;

Et c’est en hardi otage

Que l’on reste prisonnier.

Les hommes lèvent des ponts

Pour passer les rivières ;

Mais quelle autre élévation

Quand elle baisse les paupières !

 

 

LE SACRE DE L’EMPEREUR

Cathédrale de Notre-Dame de Paris

2 décembre 1804

 

 

Superbe tableau de l’illustre David !

Le sacre de l’empereur parmi ses séides

Est un tombeau ouvert qu’on aperçoit !

La mort marche, splendide, parmi les rois ;

César pose une couronne sur l’épouse répudiée ;

C’est la gloire de l’homme, c’est la vie peuplée

De courbettes et de courtisans perfides.

Admirable tableau de l’illustre David !

 

Ce sont des squelettes encore pleins de viande ;

Ce tableau est un cimetière où descendent

Plusieurs renégats et quelques suicidés ;

Un futur proscrit s’adresse à des assassinés ;

Ce panorama pu la mort putride !

Étonnant tableau de l’illustre David !

 

C’est un tableau plein d’épouvante,

De monstruosité militaire et virile ;

De modernes Hector, Ulysse et Achille

Au bord du gouffre qui les tente.

 

Des troncs, encore sur leurs membres,

Se penchent ventrus et flasques,

Et acclament par bourrasques

Le dieu nouveau de décembre.

 

Loin encore de l’implacable hiver,

Le lustre des victoires sublimes

Promit aux conquêtes éphémères,

Arrose ce tableau, plein d’abîme !

Déjà, s’approche la prochaine tourmente 

Dans ce tableau plein d’épouvante ! 

 

C’est un tableau, grenier mystique,

Où les héros, puissantes cliques,

Se promènent dans un paysage connu :

Antichambre de la mort avant la crue !

Assis sur la marche sacrée d’un monde,

L’empereur vorace et flamboyant fonde

Un futur dont il se suppose le sultan 

Avec la foi crédule d’un mahométan !

 

 

 

LE PORTRAIT DE MADAME RECAMIER

PAR FRANCOIS GERARD

1805

 

 

Son sourire étrange en fait un être familier ;

Sur un fauteuil vous attend, Madame Récamier,

Lascive dans sa toilette, éthérée et blanche,

Son bras gauche repose sur sa fine hanche.

Telle une vénusté de l’antique Grèce,

Quiconque la voit, se demande : - Qui est-ce ?

Car ses cheveux sombres, en boucles aériennes,

Sont pour le regard de remarquables chaines

Qui amarrent le promeneur à son navire.

De là, le voyage...et le souvenir.

 

 

 

 

LA BATAILLE DES QUINZE-VINGT

Au large du cap Finistère,

Entre l’amiral Pierre de Villeneuve et l’amiral Robert Calder

22 juillet 1805

 

Le brouillard est immense dans l’après midi

Qui voit les navires, nouveaux hétéroptères,

Passer en bandes et enfoncer de leurs fers

Les épaisses cargaisons, encombrées de vies !

 

Quatorze pavillons français et six espagnols,

Dans les fumées des canonnades lyriques,

A l’assaut de quinze bâtiments britanniques,

S’enivrent savamment de leurs larges épaules !

 

Les fragrances suffocantes et voraces,

Fossoyeuses naturelles des marins aguerris,

Calfeutrent les yeux, de visions ébahies

Sous lesquelles se referme l’indécise nasse.  

 

Las des paysages éclaboussant les eaux,

Quiconque rentre chez soi, perdu et pâle,  

Se souvient de l’instant où, dessous les voiles,

La bravoure est un glaive, et la vie un roseau !

 

 

 

 

ELCHINGEN

Victoire du Maréchal Michel Ney

Sur les troupes autrichiennes

14 octobre 1805

 

Ciel froid, qu'avons-nous accompli

En ce jour, en ce lieu béni ?

Une victoire ? Non, leur défaite !

Ce jour désormais sera fête !

Je m'étais figuré, vois-tu,

Voir la cohorte des battus,

Fallait-il les coups de sabre ?

Hélas ! Paysage macabre...

Tout est fixe, les hommes et la terre !

Rien ne résout le mystère…

 

L'orage était tombé sur la

Ville. L'un disait : – est-ce là

Tout notre pain ? Viens ! Car bientôt

Emplira, joyeuse, les caveaux

La nuée d’où pleuvront des tombes !

Alors, voilà ! La mort en trombe

Va ! Ô destin indulgent !

Absout ceux que Thanatos prend !

Partout, la lumière emportée,

Auxiliaire de vies giflées,

Pose son aile charmante.

La mort jubile de sa rente !

 

On peut voir des spectres rêveurs

Attaquer les champs de batailles,

Et les multiples funérailles

Accroitre le nombre de rêveurs...

- Un homme à cheval ! Dis-tu,

Et, jumeau au cavalier,

Tu t'avances dans le sentier

Où tant d'autres se sont perdus...

Leur sort ne t'effraie point pourtant ;

Qu'importe la cloison des cieux

Quand tout l'horizon qui s'étend

Propose un parcours radieux !

                            

 

 

 

 

 

 

 

LA REDDITION D’ULM

20 octobre 1805 – Campagne d’Autriche

 

 

La neige se mêle à la pluie incessante 

Et partout on perçoit l’ombre menaçante

De grenadiers qui cheminent sans aucun bruit ;

Demain, l’aube blanche aura tout détruit !

 

L’empreinte des pas, recouverts de flocons,

Conduisent  tout droit au grand Napoléon 

Entourant la ville de ses fatals couperets :

Les maréchaux voraces de l’aigle français.

 

Toute cette masse enveloppe par ruse,

Le vieux monde croyant aux anciennes muses

De la guerre et d’un temps désormais révolu ;

C’est un gouffre béant qui, lentement, se rue.

 

Pauvres hommes ignorant le prophète

Plus forts que Vandales ou autres Massagètes !

Qui, un christ en pierre, qui, un cierge laiteux,

Qui, une madone peinte ; ils prient tous un Dieu.

 

Devant  le grand crucifix de l’éminente église,

Une foule silencieuse est brusquement éprise

D’une complète et nouvelle religiosité. 

C’est que le diable est dehors, et qu’il veut entrer !

 

Les murs de la cité, noyés dans la brume,

Pèsent sur eux, telle une énorme enclume

Qui empêche qui que ce soit de s’échapper ;

Voilà le général Mack, dans Ulm séquestré !

 

Il choisit de se rendre à son infortune.

En face du soleil, il n’était que la lune !

Défilant graduellement, corps après corps,

Les vaincus avançaient. Il en venait encore.

 

On ne peut avoir l’idée de ce beau spectacle !

Trente mille autrichiens qui marchent et renâclent

En jetant leurs fusils et leurs sabres en un tas !

Ces visages sévères semblaient sortis des bois !

 

Cette solennité se consacra tout le jour ;

L’Empereur se tenait sur la colline pour

Régner avec ivresse sur la grande victoire

Qui était vers Vienne, le premier promontoire !

 

                               

 

TRAFALGAR

La flotte franco-espagnole

De l’amiral Pierre de Villeneuve est détruite

Par la flotte britannique du vice-amiral Horatio Nelson

21 octobre 1805

 

Ca y est ! Elle est là, cette campagne !

Après de longues semaines sur l’océan

A jouer une folle course, naviguant

De Toulon vers les Antilles, puis l’Espagne !

 

Les embarcations semblent de porcelaine 

Et le l’on croirait saisir une chasse à courre ;

La fuite de moineaux suivis de grands vautours

Aux museaux reniflant, soufflant leurs haleines !

 

Quand cette guerre commence, elle est finie !

C’est une fête foraine – tir de canard –

Et pour Villeneuve, l’ultime cauchemar,

Puisque la mort refuse son corps alangui !

 

Le fracas des chaloupes désarticulées

Exalte, propage, les vivats, les hourras ;

Abandonnant alors sa tête sous son bras     

Villeneuve frémit sous le ciel constellé.

 

« Voyez mes grands vaisseaux, disparus et enfouis,   

Sombrer lentement sous le ciel exotique !

Chantez, matelots grivois et faméliques ;

Le succès est bref ; la défaite, infinie ! »

 

Couvert de tombes, le navire amiral,

Ne sait plus ni vaincre, ni mourir en marins !

Il baisse son pavillon, prend l’hideux chemin,

Rompt son câble et s’éloigne, sous des regards pâles...

 

Le silence lugubre du vieil océan,

Résonne bien plus fort que mille trompettes ;

Nelson se meurt, la vie le rejette,

Tel un vieux Moïse, au suprême moment.    

 

 

 

 

 

AUSTERLITZ

2 décembre 1805 – Campagne d’Autriche

 

 

Austerlitz est surtout une marche corsée 

Dont les armes premières sont de très bons souliers

Et deux litres de vin ; quand on peut une viande...

En bordure des chemins, dieu ! Quelle sarabande !

 

Quand les hommes ne sont plus que des pieds qui avancent,

On se sent étonné, de l’infinie mouvance

Que rien ne peut garder, qui fonce dans la nuit.

Ce grand mille-pattes laisse, qui le voit, ébloui !   

 

Alors que les uns chantent, les autres pleurent, espèrent

Quitter cette contrée trop inhospitalière

Où la force apparait pour unique horizon ;

Ceux-là savent l’odeur et le bruit du canon !

 

Les distances parcourues depuis le matin clair

Montrent des paysans, des manœuvres,  des bergères ;

Mais point de combattants, de victoires, de hourras ;

L’ennemi affligeant, ce sont les nombreux pas !

 

Aux hasards de pesants régiments fatigués,

Cette forêt humaine, dès demain élaguée, 

Laissera sur les routes, combien donc de ses branches ?

Hélas, la rivière d’hommes, déjà n’est plus étanche !

 

Car le premier décembre, en s’endormant le soir,

Se soulève la guerre, ce grand équarrissoir,

Qui souffle son venin, son haleine mortelle,

Sur des têtes figées, au renom éternel !

 

Posts récents

Voir tout
Poésies pour un monde à plat

LES MOTS EST UN JEU Dada révolution bombes à fragments Lancées par des hommes neutres En tranchées les moins pleutres Autodétruisent...

 
 
 
Poèmes aliénés

La folie est multiforme, l’amour en étant la forme la plus illuminée.     PSCHITT On pourrait s’en aller S'abêtir sur nos deux oreilles...

 
 
 

Comments


Post: Blog2_Post

©2019 par Chrishautrhin. Créé avec Wix.com

bottom of page