1799 - 1805 "poèmes centenaires"
- Christian Tritsch
- 16 mars
- 30 min de lecture
Dernière mise à jour : 16 mai
18 BRUMAIRE
9 novembre 1799
Il y avait bien longtemps que Joséphine
Encourageait le jeune général corse.
Il détiendrait, ou le pouvoir ou la ruine,
Elle présageait toute l'étendue de sa force.
Bonaparte en France ? Joie générale !
Pouvait-il y avoir de matin plus heureux
Que ce matin effaçant les soleils pâle ?
Ses partisans ? Confiants ! Ses adversaires ? Peu !
La foule criait – vive la république !
Les jacobins, eux, redoutaient le dictateur.
Les royalistes finissaient – l'Amérique
Vaut mieux que ce sycophante et ses censeurs.
A Fréjus, un lieutenant avait annoncé :
« L’ami de la France est dans notre rade ! »
Le long de la route, l'enthousiasme né
Hurlait à tous : « C’est notre camarade ! »
A Paris, le conseil des cinq-cents en frayeur
Du nouveau prophète, du futur empereur,
Cri : « Hors la loi ! Hors la loi ! » Devant le soldat ;
Lui, bafouille trois mots, veut son frère du bras.
A cet instant troublé, tout pourrait survenir !
Ou il conquiert un trône, ou il peut mourir !
Le général tremble, hésite, enrage !
Il sait qu’il doit être le feu, non l’otage !
Des bouts de discours giclent de sa poitrine
Oppressée. Sa vérité le fuit. Romulus
Affronte les hommes de la guillotine...
« Si je suis un César, soyez donc mes Brutus ! »
Dit alors le général. « A bas le tyran ! »
Répondent les hommes perchés en tribune.
Quand les députés se levèrent de leurs bancs,
Tout semblait perdu, sauf les dures rancunes !
C'est alors que Murat, disciple de toujours,
A la tête de grenadiers se fait suivre.
La garde s'ébranle, tandis que dans la cour
De l'Orangerie, fuient ceux qui veulent vivre !
« Foutez-moi tout ça dehors ! » Tempête Murat.
Les gros messieurs savaient qu’on en resterait là…
« La farce est jouée ! » Dirent les uns, amers ;
La nuit tomba tôt, en ce dix-huit brumaire.
LA CONSTITUTION
DU 25 DECEMBRE 1799
« La confiance vient d’en bas,
Mais le pouvoir vient d’en haut ! »
Quand Sieyès pensait en droit,
Bonaparte jugeait en niveau !
La classe ignorante n’exercera plus
Son influence néfaste et malheureuse.
Ni sur la loi, ni sur l’élu.
Cette clique est odieuse !
Tout se fait pour la masse !
Tout se fait en son nom !
Le peuple toutefois agace
Par sa frustre prétention !
Rien ne se fait par lui :
Ni le juste, ni le fort ;
Sous sa dictée irréfléchie
On guillotinerait encore !
Nous avons fini le triste roman
De la révolution française !
Commençons en l’histoire maintenant
Et oublions ces vieilles fadaises…
Il ne faut rêver que le réel ;
Ne vouloir que le possible.
Notre république est belle
Quand elle se borne à l’accessible !
LA DERNIERE NUIT
DE JEAN-FRANCOIS MARMONTEL
Encyclopédiste 30 décembre 1799
Jaloux des laps courts qui ne le rejoindront plus,
Marmontel inspecte la brume de son passé
Et goûte, saumâtre, les nombreuses vertus
Que produisent la vie ; et l’hiver, et l’été !
Le siècle s’endort et emporte dans sa nuit
Les blêmes souvenirs, quasiment effacés ;
Les écrits de Voltaire, paroles éblouies,
Carillonnent à la porte du presque curé !
Quelle grâce superbe que le temps – ce doux roi,
Qui au crépuscule, soudain tout embellit ;
Et s’anime la flamme, une dernière fois,
Et ce feu est un âtre ; tout est accompli !
Qu’est-ce donc que la mort ? Un passage bruyant !
Une incursion effrénée vers le lendemain !
Un mystère barbare et parfois amusant !
Nul ne peut l’affirmer puisque nul n’en revient…
Si la mort, après tout, n’était qu’un changement ?
Et que lorsqu’elle appelle, il faut lui dire bonsoir ;
Ne doute pas, rien ne périt entièrement.
On ne meurt qu’une fois, c’est de ne pas savoir.
Frôlé par les ombres, hâtives, coupables
De vouloir déjà éteindre toute lumière,
Marmontel murmure : vient, mon abominable
Inconnue ! Je t’attends, là dans ma chaumière.
Vieillard honnête, écoute donc le vent souffler ;
Il conte ton histoire, et c’est toujours la même,
Des microbes nombreux, piquants et affolés,
Qui calcinent à la gloire et aux diadèmes !
VICTOR DE L’AVEYRON
L’enfant sauvage – 6 janvier 1800
Débusqué et expulsé hors de la forêt
Où n'habitent que les bêtes et les feux follets,
Tu mimes un esprit de femme pécheresse,
Et tous t'évitent, ne te voyant aucune laisse.
Es-tu venu chercher un aïeul trépassé ?
Au bord du précipice, les autres sont intrigués ;
Quelquefois tu leur semble chanter en espagnol,
Certains même prétendent que tes cris sont des geôles.
LA RENCONTRE DE NAPOLEON BONAPARTE
ET DE GEORGES CADOUDAL
Mars 1800
- Il me semble que le sang, encore coule à flots
Dans votre province royale et reculée !
Ne trouvez-vous pas maintenant qu’il est bien tôt
D’éteindre ces souffrances vieillottes et passées ?
- Le sang coule encore, mais l’unique morsure
Qui saigne semblable à un flot infini,
Ce sont vos durs hurlements et non nos murmures !
Rappelez vos soldats et plaignez nos filles !
Je ne romprais pas avec un roi millénaire
Pour mettre mes pas, dans la fange et la boue ;
Vous êtes le pourquoi de notre calvaire ;
Vous êtes césarien et nous…nous sommes tout !
LA MORT DU GENERAL DESAIX
14 juin 1800 – Marengo
2ème campagne d’Italie
La frondaison docile formant un beau linceul,
Le guerrier s’y endort, le passant s’y recueille.
Car l’orage est passé, et la pluie en mitraille,
Récolte et couche en blés, les hommes pris en tenaille.
Tant de futurs, ici, n’ont jamais pu éclore !
Combien de fantassins ont grossi de leur mort
Le ventre hideux de l’ogre thuriféraire ? Dédain !
Il avale ceux qui viennent et vomit leurs destins…
C’est ainsi que Desaix, mon ami est parti ;
Emporté par la bête, vorace, cruelle, impie !
Pourquoi donc ne m’est-il pas permis de pleurer
La dépouille de ce corps, désormais étranger ?
Anéantie, une part de moi-même à fuit
Le vêtement percé. Quoi ! Parle donc, ami !
Mais ne juge pas l’homme à l’aune du militaire.
Car l’homme est en vie quand le soldat est en terre !
Desaix était soldat avant que d’être homme ;
Il était mon ami ; nous avons vaincu Rome.
Car lui s’en est allé vers l’exquis pâturage,
Marquant de son sceau, l’exaltant naufrage
Des humains fracassés par autant de furie.
Doux sera son repos et ma mélancolie.
LE SUPPLICE DE SULEYMAN EL-HALABY
17 juin 1800 – le Caire, campagne d’Egypte
Etais-tu un seldjoukide ?
Un haschischin syrien ?
Un musulman séide ?
Un va-nu-pieds, un vaurien ?
Etais-tu un nouveau martyr ?
Un résistant à l’ennemi ?
Venais-tu de Damas ou Tyr ?
Personne ne l’a su depuis…
Un coup de poignard dans le cœur,
Et le vieux général Kléber,
Qui d’Héliopolis, en vainqueur,
Apparaissait encore hier,
Tombe sur le sol à jamais !
Alors, sépulcre encore humain,
Profané par de vils français,
Tu entreprends le dur chemin…
On te couche sur le ventre
Après t’avoir brûlé les poings.
Barthélémy te place au centre,
Puis tire un couteau de ses mains ;
Une large incision à ton cul,
Et on y approche le pal.
On t’embroche vivant, dodu ;
La civilisation s’installe !
Tu vécus, planté là, quatre heures,
Comme une affiche publicitaire.
- Il faut bien exhiber aux leurs
La juste punition salutaire !
Dit alors un spectateur égayé…
Barthélémy se retourna.
Je voulu te désaltérer ;
A l’instant même, tu expiras !
DES CŒURS DE BOURREAUX
13 juillet 1800
Nous avons des cœurs de bourreaux…
Car pour démêler le vrai du faux,
Nous sommes prêts à la torture !
Voyez, cette difforme figure…
Est-elle celle d’un coupable innocent ?
Ou celle d’un ingénu méchant ?
On tourmente celui qui est accusé
Pour que le crime soit avoué ;
Mais comment croire ce qu’il nous dit ?
Est-ce un mensonge ? A-t-il compris
Qu’on questionne pour une certitude ?
On tue souvent par mansuétude,
L’innocent qui a choisi de fuir
La douleur affligée du martyr.
CONSPIRATION DES POIGNARDS
10 octobre 1800
Devant un comptoir, quelques ivrognes
Parlent fort et haut de la vile charogne :
Ce premier consul qui a violé la France !
Et les verres s’accumulent, en abondance !
Ils refont le monde, ils refont les guerres ;
Vomissent les fous, ces révolutionnaires
Qui ont permis l’outrage par leur amorce
De livrer la France à ce maigre corse !
Alors, ils chantent, ils hurlent, ils débattent,
Et leurs pensées se font soudain acrobates
Et assassinent, ravies, ce Napoléon !
Et ils boivent, et ils rient, sans prêter attention
Aux oreilles autour qui déjà répètent
A Fouché les paroles, dès lors peu secrètes ;
Et la police vient déjà les arrêter !
On les traine dehors, on les voit frissonner !
Fouché aperçoit tout le pouvoir possible,
Abattre les hauts murs jadis inaccessibles
Par l’imprudence de trois ou quatre ivrognes !
Se montrer au consul : première besogne !
On parle de poignard, juste après l’opéra ;
C’est là, c’est sûr, qu’ils voulaient faire ça !
Que valent des innocents – et l’étaient-ils d’ailleurs –
Quand enfouis sous la terre, par le fossoyeur,
Ils permettent l’avancée, ô belle carrière,
Du premier policier, grâce à quelques bières…
LA FIN DES BRIGANDS D’ORGERES
Chartres, le 12 octobre 1800
C’est le douze de ce mois, trois heures après-midi,
Que vingt-un brigands d’Orgères ont expié
Sur l’échafaud chartrains leurs lourds forfaits commis ;
Et cette double dizaine, l’avait bien mérité !
Presque tous ont fait voir à cette heure, un sang-froid
Et une allégresse digne d'une bien meilleure cause.
Quelques-uns seulement ont semblé aux abois ;
Les autres ont plaisanté jusqu'à la froide chose !
- Nous allons aux vendanges, s’amusaient quelques-uns !
- Nous sommes prêts, allez ! Disaient encore les autres.
Cette étrange société jouait au plus malins ;
Cohérents d’épouvante, du Malin les apôtres.
On est moins effrayé des crimes qu’ils commettent,
Que des dangers nouveaux que l’on croise ici.
La débauche et la faute rarement nous inquiètent ;
Ce qui fait peur, c’est eux ! Et pour Dieu, leur mépris !
FORET DE HOHENLINDEN
Victoire décisive du général français Moreau
Sur l’archiduc Jean-Baptiste d’Autriche
3 décembre 1800
A l’approche de Munich, un plateau boisé
Entre deux rivières, sur un sol gelé,
Forme le décor ténébreux et austère
Où se tiendra le choc ; beau quadrilatère !
Les généraux Grouchy et Ney dans le centre
Se ruent devant eux et, voraces, éventrent
De jeunes autrichiens, déjà éparpillés !
A l’approche des centaures ravitaillés,
De vies offertes au renom de leurs faces,
Ce n’est plus une guerre : c’est une chasse !
La vallée du Danube voit, victorieux,
Les hommes de Moreau, guerriers harmonieux,
Faucher les armées de la vieille Autriche
Et ne reste de ce blé, que quelques friches !
Tout ce qui hait le Premier Consul répète :
« Pourquoi pas celui-là ! Moreau à notre tête
Pour que face au consul, un autre général,
On puisse opposer une renommée à cheval ! »
Mais c’est Bonaparte qui recueille le succès
Que Moreau a extirpé de cette forêt
Et déjà l’heure de la grande paix approche ;
La paix générale : celle du feu, celle des cloches.
LE SIECLE SE FERMAIT
14 décembre 1800
Le siècle se fermait – éclat assourdissant ! –
Et les visions détestables, l’odeur du sang,
Tout cela paraissait finalement se clore !
Comme une nappe ne pouvant plus m’atteindre,
Je voyais la plage, doucement s’éteindre,
Debout sur le vieux pont, songeant parfois encore,
Que le bateau est en mer, et moi, à son bord.
Des vieilles montagnes à jamais disparues,
Je m’en étais pourtant si longtemps souvenu,
Dans la spacieuse mer et dans les vastes cieux.
Ces vestiges du passé, se dévastaient en moi,
Pareil à des lambeaux chiffonnés d’autrefois,
De décharnés haillons, posés devant mes yeux,
Mais qui sur l’océan, ont la force du feu !
Anciennes images du flou évanoui,
Tel un rêve dont la cage, souvent me proscrit,
Ce n’est pas un exil, pas même un voyage ;
Une insuffisance ou une promenade,
J’étais en forêt et parlais aux dryades,
Par un jour insolite, tel un doux naufrage,
Le siècle se fermait...et avec lui, ma rage.
ATTENTAT DE LA RUE ST-NICAISE
24 décembre 1800
Fatigués des combats incessants qui perdurent,
Des trop maigres succès en ces jours de froidure,
Quelques conspirateurs royalistes tempêtent :
- Il faut bien en finir ! Il faut frapper la tête !
Les anciens de Vendée, savent le prix superbe
Qu’il faudra payer pour le mettre sous les herbes,
Ce jeune général, transformé en César,
Ce moderne tyran qui se proclame tsar !
Le 3 nivôse an IX, dans son blême carrosse,
Oui, le premier consul entrera dans la fosse
Et avec lui quelques traîtres à l’ancien royaume !
En idée, on enterre ! En idée, on embaume !
On loue une jument, une vieille charrette,
Et un grand tonneau à vin que l’on affrète
De poudre jusqu’à trop plein : la machine infernale !
Avant son opéra, il ira bien au bal !
On estime un point dans la rue St-Nicaise,
Au nord d’un beau palais – pour mourir à son aise ! –
Près de l’ancien carnage du vil 13 vendémiaire ;
Ah ! Le faire en cette place, quelle superbe manière !
La fillette d’une marchande, primeur quatre-saisons,
Dont l’innocent visage est la meilleure cloison
Entre les criminels et l’œil de la police,
Empoche ses douze sous sans se savoir complice
Involontaire de ces royalistes chouans ;
Juste quelques minutes, retenir la jument…
Et puis, boum ! Tout explose ! La fillette et la foule !
C’est une vague de morts, que cette hideuse houle
Apporte dans les rues en plein cœur de Paris !
Le silence est immense, après la boucherie ;
Là, des corps démembrés étendus sur le sol ;
Là, des mares de sang s’écoulant en rigoles.
Le désastre ; la poussière ; le colérique silence.
Cette rue est un roc, condensé de la France !
Bonaparte est indemne ; face aux dieux, il regarde
La mort, toujours gloutonne, qui lentement musarde
Et happe pour son bonheur les attardés du soir.
Quand la fumée se lève, le curieux encensoir
Qui parcourt et serpente au milieu de la rue.
Bonaparte s’écrit : « Je promets face aux nues,
Face aux hommes présents, un cimetière vengeur !
Ce sont les jacobins, la cause du grand malheur
Qui encore vient répandre son relent noir saumâtre !
Ils sont de république, fanatiques ! Idolâtres ! »
Fouché dirige tout, et l’enquête est habile ;
Il dénoue un à un tous les liens puis jubile
En avisant, certain, le premier Bonaparte :
« Les coupables jouaient avec bien d’autres cartes !
Le crime vient de Vendée, de cette terre insoumise !
Le cœur chouan brodé, est sur toutes leurs chemises !
Et il est avéré qu’ils soient les assassins ! »
Mais le premier consul ne veut croire ce latin.
Les jacobins seront les uniques coupables
De ce forfait odieux, infâme et misérable !
César ordonne alors de les faire disparaître,
Ces laids républicains, agissant comme des prêtres !
LE MILLEFEUILLE
1er janvier 1801
La vie est un millefeuille
C’est une superposition de « moi »
Qui du berceau jusqu’au cercueil
Ont tué celui qui était là
Je me souviens de cet enfant
Ou est-il passé désormais
Il existait pourtant
Et ne devait disparaitre jamais
Ce « moi » les mains dans les poches
Sautillait tel un frêle moineau
Avec sur le dos une sacoche
Et dans le cœur un drapeau
Ce vieux passé est une ombre
Une cathédrale effacée
Parvenue sans encombre
Au bout d’une vie fatiguée
Qu’une chose pareille naisse du temps
Semble un songe tout abstrait
Et ces hommes de vingt et trente ans
Sont une vague qui disparaît
Comment juger une vie entière
Cette multitude de serrures
Qui ouvrent et referment la chair
Sur les plaies et les blessures
Comment comprendre notre temps
Nous éphémères nous limités
Etant épis dans un champ
En passe d’être moissonnés
CREATION DU ROYAUME D’ETRURIE
PAR BONAPARTE
9 février 1801
Semblable à un dieu, taillant une carte,
Il malaxe les fleuves et les continents ;
Il broie les lois, les troquant pour une charte,
Offre un royaume aux ibères infants !
Il mélange même, les âges et le temps
Puisqu’il partage, et nul ne s’en offusque,
Pour un bout d’empire du nouveau continent,
L’ancestral territoire des fiers étrusques !
LE PAUVRE CONTENT
2 mars 1801
Je n'ai ni charges, ni biens ;
Du voleur, je ne crains rien
Et au contraire, je l'invite
Au dedans de mon gîte
A partager mon pain.
Je n'ai nul besoin de confesses,
De pardons, de promesses.
Les valeurs, les vertus,
Me sont afflictions inconnues.
L'abbé ignore mon adresse !
Une femme au doux moment
Me confia, parfum mordant,
Cette chose volontaire,
(Un baiser) dépositaire
Du plaisir d'être vivant !
MADEMOISELLE RAUCOURT
3 avril 1801
Mademoiselle Raucourt plante et pique
Des rhododendrons et puis des frangipaniers
Dans son jardin de spécimens exotiques,
Des boutons aux douces senteurs domestiquées.
Elle se promène là, avec indolence...
Les grandes répliques oubliées de ce temps,
L’ancienne tragédienne, dans le silence
Naturel des arbres complices, les entend !
Les fortes passions ont pris toute sa sève,
Et c’est vide, que mademoiselle rêve…
REGIME CONCORDATAIRE FRANCAIS
15 juillet 1801
L’église catholique est miraculée !
Elle reparait aux palais – mais réglementée
Par les désirs de l’impériale décision ;
Et évêques et abbés font leur soumission...
Pie VII doute, tremble au moment de sceller
L’accord entre révolution et papauté ;
La France existe encore aux yeux de Dieu !
Réfractaires et constitutionnels font vœux
D’êtres les enfants de Paris et de Rome ;
Le compromis né, est une sainte gomme !
HENRI BEYLE
1er août 1801 – campagne d’Italie
Il haïssait l’abbé, il haïssait son père ;
Il haïssait plus encore la religion toute entière.
Quoique disent ces hommes, ce n’est que tromperie,
Paroles effacées et vérités amaigries !
Un jour est venu le pape de la guerre,
L’ecclésiaste des victoires, belles aumônières,
Rédempteur des nations qui, soulevant la France,
L’installa plus haut que Rome et Byzance !
Ce n’est pas une conquête, c’est un cérémonial
Quand Henri admire avec les yeux de Stendhal !
L’EXILE
2 août 1801
Dans cette ravine sauvage, tu te caches
Loin du Césarion proclamé et de ses sbires ;
Les mots insensés, qui pour tant d’autres attirent
Les belles attentions et les belles moustaches,
Tu te les répètes en sourdine, famélique.
Ta jeunesse éclatante, ton âpre exil,
Dressent de beaux autels aux promeneurs tranquilles
Qui négligent leur part, aux fureurs étatiques !
LE RETOUR D’EGYPTE
Vu par le lieutenant Vigo-Roussillon
10 août 1801
Ainsi se termina cette campagne,
Elle ne pouvait avoir d’autre issue.
Et, laissant veuve leur compagne,
Nombreux n’en revinrent plus.
Ayant gardé l’honneur des armes,
J’en suis revenu invalide !
Ce n’est pas la guerre et son vacarme ;
C’est la peste, ce climat torride !
Fallait-ils que nos chefs soient bien bêtes !
Chacune de nos victoires – par nos morts,
Par leurs navires bloquant toute retraite,
Nous unissait à la défaite encore !
LES REGRETS DE STANISLAS FRERON
14 décembre 1801
La vie est parfois une chose étrange ;
On vit pour le centre, on pleure pour la frange !
Voilà que le régicide désabusé,
Lui qui a engendré tant et tant d’accusés,
Voilà donc celui-là, ce Stanislas Fréron
Ayant présidé à l’effroyable Toulon
Et ses répressions en massacres de masses,
Voilà celui-là que les regrets pourchassent !
Il se souvient du faste d’un roi de Perse !
(C’est ce qu’il était, en ces jours qui renversent
Les couronnes et la noblesse de France)
En ce temps-là, comptait seule l’arrogance !
Il avait connu l’étoile turbulente,
La gloire d’un dieu et l’ivresse opulente,
Quand le cœur repus, il éprouva le besoin
De se donner entier à cette fille du loin ;
Cette fille de quinze ans, venant de Corse,
C’est un arbre millénaire sans écorce,
C’est un chef d’œuvre, à peine encore ébauché,
C’est un médicament, à sa vie débauchée !
Car elle a les cheveux blonds, les lèvres rouges
Et voluptueuses qui, lorsqu’elles bougent,
Eclairent son visage sur des dents blanches ;
Cette fille, c’est l’amour ! C’est une revanche
Contre tous ceux qui ne voit en lui que la mort !
Et Pauline – c’est son prénom – est un trésor,
Une cure formidable de jouvence ;
Et qu’importe son frère et ce qu’il pense !
C’est ce qu’il croyait en tout cas, pauvre Fréron !
Pauline est sœur du général Napoléon
Et depuis l’Italie, celui-ci querelle
Cette écervelée qui, puisque trop belle,
A tourné la tête à ce futur vaincu !
- ça, pour beau-frère ! Jamais ! Jamais ! M’entends-tu !
Tel ton père, tu as visé trop haut, pauvre Fréron !
Pour l’un, Voltaire, pour l’autre, Napoléon !
Rappelé à Paris et renié de tous,
Fréron voit son temps qui déjà se rebrousse,
Accusé d’avoir atteint l’immortalité
Du crime ! Il sait bien que tout est terminé !
Il n’est désormais plus rien et n’a plus d’emploi ;
La révolution est morte et cette loi
Qui donne au frère le pouvoir suprême,
C’est comme une farce qui le laisse blême.
On le repousse, et bientôt le méprise ;
La vie est parfois une étrange surprise !
Il se terre et oubli le mariage
De Pauline et d’un général ; Courage !
Il faut essayer de finir ce naufrage !
Ecœuré de dégoût, il mendie, enrage
D’être devenu ce vieux monsieur pénible !
Et pas même, le doux secours d’une bible !
Son unique joie, est de se glisser parfois
Dans un spectacle quand il sait qu’elle est là
Pour entrevoir loin, comme un éblouissement,
Pauline et un autre, malheureusement...
Demain, elle prend le bateau pour Saint-Domingue
Et à son bras, c’est un époux qu’il distingue ;
Il n’a pas le cœur de se montrer à celle
Qui lui donna le sien, alors jouvencelle...
Pauvre, meurtri, humilié et subalterne,
Au moment d’embarquer, il crie : « balivernes ! »
RENE
François-René de chateaubriand
8 mars 1802
Elle avait les jambes longues et les pieds nus ;
Sa jupe était courte, son corset dévêtu ;
Elle avançait courbé avec les bras croisés,
Nous montions ensemble un chemin escarpé.
Pour souffler, sa bouche ronde s’entrouvrait ;
Sous ses épaules chargées, son sein, je voyais ;
Elle tournait la tête un peu de mon côté,
Je vis d’abord ses yeux, puis son visage halé ;
Elle donnait envie de lui dire des roses,
Elle donnait envie de lui dire ces choses…
L’ENFER HAITIEN
Massacre des colons français du village de Verrettes
9 mars 1802 – Campagne de St-Domingue
C’est une matinée, dans l’ile verdoyante,
Où surgit, entre soleil et eaux dormantes,
Cette vision d’hommes et de maisons calcinés
Par les troupes haïtiennes ! Beau défilé
De cadavres montrant leur tout dernier moment ;
Agenouillés, mains ouvertes et suppliants
La raideur n’a pas effacé leurs gestes…
Et des implorations émergent de leurs restes !
Des petites filles à la poitrine déchirée
Paraissent réclamer pour leurs mères, pitié ;
Des mères embrassent dans leurs bras cassés des fils
Egorgés, où les animaux se nourrissent.
Les soldats français veulent incinérer les corps ;
Rien ne peut les défaire de l’odeur de la mort !
Tout le village n’est plus qu’une grande scène
Où la putréfaction des corps tient en haleine
Les hommes debout, face aux hommes allongés.
Le parfum des cadavres a tout imprégné.
Les vêtements, la peau, tout renifle la mort !
On a beau se nettoyer, tout pourrit encore !
On croirait que les morts concurrencent les vivants,
S’éparpillant partout, dans les têtes, dans le vent…
LE GENIE DU CHRISTIANISME
François-René de Chateaubriand
14 avril 1802
Je suis chrétien comme le bœuf qui rumine ;
J’ai pleuré et j’ai cru, foi divine ;
Ma conviction est sortie de mon cœur !
Désabusé de tout, sauf du Seigneur
Qui veille sur moi tel un ange muet
Plein de sagesse ; il est là, je le sais.
Vous chinez des preuves, réalités
Palpables de l’être souverain !
La nature ne s’est-elle pas apprêtée
Pour exhorter les hommes en vain ?
L’homme chrétien, est le plus poétique !
Le monde lui doit tout : la liberté,
L’éclat, les poèmes ossianiques
Et l’espérance en l’immensité !
Quelles preuves lorsque l’on a les fleurs,
Les arbres, les ruisseaux et la pensée !
Effacez donc le délit et l’horreur,
Petits humains, vous qui savez aimer !
MATOUBA
28 mai 1802 – Guadeloupe
Est-ce toi, avenir
Parmi ce climat charmant,
Qui lance ce soupir
De cet air impudent ?
A l’univers tout entier,
Le beau cri de l’innocent
Il faut proclamer :
Voici notre sang !
Au pied de la colline,
Vers St-Claude, l’ardente,
Lentement s’illuminent
Les âmes volantes.
CANTIQUE NOCTURNE
3 juillet 1802
Les roseaux, troublés par quelques rainettes,
Semblent des tours dressées jusqu’aux cieux
Où des amphibiens, aux couplets mystérieux,
Psalmodient d’étranges cantiques à tue-tête !
Parmi la caravane chantante
Des poules d’eau et du martin-pêcheur,
Des bécasses et des ratons-laveurs
Remercient le long des eaux dormantes,
Les montagnes, les lacs et les bois ;
Plus loin, le long murmure des hommes
Et la peur qui la nuit emplie leur somme.
Ils remercient pour tout à la fois !
LA FIEVRE JAUNE DU GENERAL
ANTOINE RICHEPANSE
3 septembre 1802 – Guadeloupe
Aux côtés de Kleber, aux côtés de Desaix !
Tu t’endors et demain, réveilleras en paix
Les malheurs de cette île dont tu sais les contours !
Regarde ton entrée risquée, au point du jour.
Le peuple noir croyait la grande liberté ;
Par-delà l’océan, franchissaient les idées ;
Les idées ne sont rien face au glaive puissant,
Car seuls lui sont plus forts, la patience et le temps !
LA MORT DU GENERAL
CHARLES VICTOIRE EMMANUEL LECLERC
1er novembre 1802 – l’île de la tortue, Haïti
Campagne de St-Domingue
Les français se déversent sur Saint-Domingue
Comme des sauterelles affamées
Où mulâtres et noirs du peuple bilingue,
Guette les progrès de leur meilleure alliée :
La fièvre jaune ! Elle mange quinze-mille hommes,
Abat ces brindilles comme un ouragan.
Elle les prend debout ou dans leur somme ;
Elle recrache morts les anciens vivants !
L’armée puissante n’est qu’une maigre escorte
Qui se replie, usée, sur l’île de la tortue ;
C’est là que Leclerc succombe, à la porte
D’une conquête dont il fut vaincu.
SUSPICION DE LOUIS BONAPARTE
3 décembre 1802
Après avoir cassé par hasard la glace
Du portrait de son épouse, l’homme chasse
Les pensées qui s’infiltrent, poison sinueux ;
Il pâlit et s’écrie que cela ne se peut :
Sa femme, c’est sûr maintenant, est infidèle…
C’est le signe du miroir ; maudit soit-elle !
Déjà, il voit des apparitions nocturnes
Et le soir, dans le salon, il fixe l’urne
Où il dissimule toute sa fortune.
Les bougies concurrencent en ce soir, la lune.
Au milieu d’un profond silence, les revenants,
Tout comme le dernier hiver, s’habillent de blanc
Autour de l’âtre pendant que de la fumée
S’élève et sèche le bois dehors entassé.
Ses yeux lancent des éclairs et ses narines
Se dilatent à la pensée adultérine !
Il éventre les fauteuils, brise les plantes,
Taillade les tables, hurle sa tourmente !
Mais pourquoi ne restent-elles pas des bourgeoises ?
Au lieu de cela, elles se moquent et nous toisent !
Elles feraient mieux de travailler de l’aiguille
Et non de la langue, ces petites filles !
TOUSSAINT LOUVERTURE
Mort au Fort de Joux le 7 avril 1803
Quand il regarde les murs humides des pierres,
Toussaint Louverture, maigres bras sous la terre,
Revoit l'île lointaine, oubliant les décombres
Qui s'empilent dans sa tête et dans ce puits sombre.Les vertus impériales, maléfices nécessaires,
Ont mis l’animal-homme, en exergue, en lumière ;
Voyez ces guerriers, Achille, Hector et Pâris,
A l'aune de nos jours, ils ont de nombreux fils...
Évaporée sous la lune blanche des caraïbes,
La froidure du fort, que le vent exhibe
Emporte l'éveilleur et son infortune.
D'âmes séquestrées, il n'y en a aucune !
LE LIVRET D’OUVRIER
12 avril 1803
C’est un petit cahier, livret de surveillance,
On l’on note les chemins parcourus en France
Par l’ouvrier, ce domestique nomade,
Afin de faire cesser ses arlequinades !
C’est un petit cahier distinguant le vagabond
Du travailleur fatigué, du néfaste moribond,
Et qui précise surtout, le nom de son maître ;
L’argent, l’armée, la police : les nouveaux prêtres.
RAPPORT DE L’ASTRONOME
JEAN-BAPTISTE BIOT
Après la chute d’une météorite
26 avril 1803 – 13h
Les habitants des fermes ont vu le nuage
Au-dessus de leur tête, étrange barrage,
Entre ce que l’œil perçoit et l’oreille entend !
Le charme de la terreur alors les surprend.
Un globe de flammes, d’un éclat très brillant
Perce l’atmosphère, franchit le firmament,
Et illumine le ciel, qu’il coupe en deux ;
D’un côté le tonnerre et de l’autre le feu !
Les moutons sont saisis d’une grande frayeur
Et se serrent tous ensemble, dans leur blanche couleur,
Sur le pré qui voisine l’astre profane.
Une pluie de pierres tombent, et cette manne
Apparait aux hommes un roulement d’éclairs !
« La chose vient de Dieu ? » « Du profond des enfers,
Car ces pierres exhalaient une odeur de soufre ! »
Désagréable et immense était le gouffre
Laissé par la plus grosse des roches du ciel.
Il est avéré que les mondes soient pluriels !
LA VENTE DE LA LOUISIANE
30 avril 1803
Tout le territoire, à l’ouest de la vaste mer,
Passait devant mes yeux abasourdis
Où les rêves anciens de nos grand-père,
Ont été travestis d’un immonde prix !
O, Louisiane, terre du prénom de nos rois ;
Voit la révolution, au-delà d’un océan,
Pour quelques fusils, perdre la foi
Et pleurer ses derniers enchantements.
BARATARIA
Le royaume de Jean Lafitte
5 mai 1803
Las de poursuivre en flibustier des mers chaudes,
Des routes océanes aux noms parfumés,
Le marin des côtes de Louisiane, bercé,
Tient son trésor des chairs, nouvelles émeraudes.
Le golfe lumineux des matins d’Amérique,
Où l'étendard français vient juste de tomber,
Ni royal, ni consulaire, tout fut inventé !
Et l’on cherche en vain un trésor dans les criques.
Barataria, terre torride du couchant ;
Avec tes palais de sable sous les grands ventsTu es une perle des joyaux venus d’Afrique !
Dans l’océan fébrile, tes trois-mâts se tendent
Et dans leurs cales sombres, les hommes se piquent
A des fragments de bois et des clous qui pendent.
JE RESTE AVEC VOUS
13 juillet 1803
Depuis que le soir a brillé de ses étoiles,
Que quelques insectes me survolent sans attention
Je regarde les heures passer et s’installe
L’éternité du deuil et de la séparation.
La mort, c’est une chambre fermée,
Sans fenêtre, sans parfum, ni mémoire ;
La vie, faut-il le rappeler,
C’est une gare.
Les amis, les amours, tout passe et s’oublie
Dans l’humus où l’on se désagrège ;
La mort, c’est un puits ;
Une vie, c’est un manège.
Vos robes sont riches dans leurs velours,
Mais qui a-t-il de réel en tout cela ?
Nous sommes tous à nos carrefours,
Mais l’arrivée est le même chemin froid.
Si d’aventure, on s’amusait
En laissant des messages sur des pierres,
Gravez sur la mienne désormais
Je reste avec vous en prières.
LA BATAILLE DE VERTIERES
Du général François Capois
18 novembre 1803 – campagne de St-Domingue
C’est un « Achille » noir sur un cheval blanc
Qui s’élance, mort, sur le fort de Vertières
Et demande qu’on le suive, criant :
« En avant ! En avant ! » Et tombe à terre…
Parmi les tombés qu’on assassine,
Loin de son cheval couché au boulet de canon,
Il repart à l’assaut du fort et s’achemine
En criant « en avant ! » à plein poumons.
Fauché par les mitrailles, les nombreux morts
Décorent la colline de perles d’ébène ;
Alors Capois court et cherche des renforts
Et crie « en avant ! » telle une chanson vaine.
Son bonnet garni de plumes est emporté
Par un boulet frisant ses cheveux noirs ;
« En avant ! » cri-t-il, levant son épée,
Pour le quatrième assaut du soir.
D’une voix puissante, venant du fort,
Le général Rochambeau envoie ses compliments
Et offre un cheval au superbe stentor
Qui redouble son cri : « En avant ! En avant !».
LA RENCONTRE DE LA REINE HORTENSE
ET DE CHARLES DE FLAHAUT
2 mars 1804
Comme mourait la musique au dernier pas de danse,
Tel un pimpant jeunot, applaudissant Hortense,
Il découvrit ému, presque déconcerté,
Le regard réjouit de la reine délaissée.
MORT DU DUC D’ENGHIEN
21 mars 1804 – fossés du château de Vincennes
Un détachement de dragons était venu
Aux premiers éclats du jour.
Les portes enfoncées, et ils ont cru
Reprendre la Bastille depuis ma cour !
On m’accuse d’un attentat sur un tyran ;
Je ne suis pourtant en rien dans l’affaire...
Que l’on interroge mon âme et mon sang ;
On n’y verra qu’un prince en terre étrangère.
Questionné de nuit ; arbitré de nuit ;
Le sacrifice horrible se consomme dans l’ombre.
Les soldats qui alors pointent leurs fusils
Tremblent plus que moi près du mur sombre.
Revenu au temps de Robespierre,
Voilà la farce de Napoléon
Qui pouvait, lui aussi, se dire fier
De n’être pas avare du sang des bourbons !
Et tout à coup ce bruit terrible et affreux !
Depuis cet instant, je n’existe plus ;
De ce jour où j’ai fermé les yeux
J’emporte l’honneur que vous avez perdu.
La mort a soufflé sur moi par surprise
Et les fantômes qui m’accompagnent,
Ruissellent dans cette terre grise
Où la mélancolie vous gagne.
La fosse est remplie et close ;
Annonce les prochains ossements ;
L’endroit lamentable où je repose
Proscrit moins la proie, que l’exécutant.
PROMUGATION DU CODE CIVIL
21 mars 1804
Les coutumes de Paris sont nos lois !
Du sud de la France, puisons le Droit !
Erigeons des règles les citoyens !
Nous sommes une famille du même pain !
Le droit des biens, le droit des personnes ;
Celui de la famille, basque, bretonne,
Alsacienne, corse ou provençale ;
Que partout, un semblable droit s’installe !
LE SUICIDE
DE JEAN-CHARLES PICHEGRU
Le 5 avril 1804 – Paris, prison du Temple
Droit, autant qu’un mourant se peut l’être,
Tout le rend statue pour maintenant se soumettre,
Le gisant général, désinvolte et aigri
Attend, le cœur céleste, la profonde nuit.
Intarissable ruisseau d’où s’écoulent ses fautes,
Telle d’une ruche liquide, dépassée et sotte,
Les larmes funestes et nombreuses du prohibé,
Se jouent du renom et des victoires passées !
L’homme s’écroule alors, et presque cocasse,
Ce destin est une élégie, digne d’Horace !
Ses yeux vides s’emplissent des noires ténèbres
Du sommet de son crâne à sa moindre vertèbre.
LA MORT DE CADOUDAL
25 juin 1804
Armé de la terrible colère,
Cadoudal, combattant téméraire,
Rejoint son ombre, en France ;
Il faudra bien que la chance
Lâche ce maudit Bonaparte,
Se dit l’ogre devant une carte
Des rues étroites de Paris.
Demain, ce gredin sera puni !
Le plan est simple en idée ;
Le tyran doit être enlevé
Et amené en Angleterre.
Le succès dépend du mystère.
Dans une chambre rumine
Le stentor qu’illumine
Une chandelle sur l’étagère.
Le neuf mars, la police repère
L’ancien capitaine vendéen.
Cadoudal court vers son destin
Et la poursuite commence ;
Le Consulat ? Une idée rance
S’exclame le titan en fuite !
Deux policiers à sa suite
Dévalent les pavés gris
Qui les sépare de lui.
La proie s’engouffre dans un carrosse,
Et la chasse devient féroce
Entre la loi et le crime ;
Où finira l’abime ?
Un agent prend la bride des chevaux ;
L’autre veut monter et bientôt
Est tué froidement d’un coup de pistolet !
Cadoudal, aujourd'hui, se montre tel qu’il est !
Rattrapé par plusieurs limiers,
L’ogre est sitôt enfermé.
On lui dit qu’il vient de tuer un père !
- Alors, envoyez-moi des célibataires
Et il n’y aura pas d’orphelin !
Les agents le frappent à pleines mains.
Lors de son interrogatoire,
En sentences expiatoire,
Il s’accuse de tout et ne livre personne ;
Il connait la chanson et il la fredonne…
Il évoque un prince lointain,
Et l’on suppose « le duc d’Enghien »,
Ce qui a mené le jeune Bourbon
Au bout des fusils du peloton
Avant la fin de mars !
Et voilà la farce !
Par amour d’un roi, il a causé la perte
D’un prince, d’un royaume inerte
Depuis plus de dix ans ;
L’été commençait seulement…
LA PREMIERE LEGION D’HONNEUR
14 juillet 1804
Alors que s'avance le soldat fatigué,
Vers le nouveau César qui se penche vers lui,
Une mêlée observe et s'incline vers celui
Qui va recevoir la couronne de lauriers.
Il y a dans cette scène – quel ordre précis –
Tous les représentants du pouvoir de la guerre ;
Il y a le prélat, la veuve, le militaire,
La foule bigarrée et le mamelouk conquis.
Le mahométan plante un œil acéré,
Ni trop fort, ni trop loin, prêt à tout devancer,
Sur celui qui marche vers son glorieux maître ;
Il le tient du regard comme on tient un peut être...
Alors, le vieux soldat approche pas à pas ;
Puis, s'abandonne dans la cohue qui le noie.
LE DESASTRE DE BOULOGNE
20 juillet 1804
Se pâmant devant des navires accostés,
Bonaparte sourit au milieu de l’été
Et demande à un contre-amiral surpris
De prendre la mer qui s’annonce en furie !
Il veut sa flottille entière sous les voiles
Et la colère s’empare du contre-amiral
Qui refuse de mettre en péril tant de vies
Pour un caprice, fut-il venant de celui
Qui avait conquis l’orient et la France ;
« Mes soldats méritent mieux que de la chance ! »
L’officier intrépide tient tête à l’Empereur,
Met sa main à l’épée, protège son honneur.
Colérique devant l’audace insolente,
Bonaparte rugit sur le soldat et vante
La puissance de sa marine grandiose !
Elle ira sur les mers, qu’importent les choses
Et les éléments déchainés ! Quoi ! Elle le peut
Et rien n’arrive aux hommes devenus des dieux !
Un autre officier, moins brave ou vaillant,
Ordonne à la flotte sous le vent violent
De prendre la mer pour la belle procession ;
La tempête prend ceux qu’offre Napoléon !
Les vagues renversent les chaloupes brisées
Dans un vacarme de cris et d’horreur mêlés
D’où émergent, suppliantes, des mains tendues !
Là où étaient des hommes, il n’y en a plus…
L'été étouffe la plage de Boulogne.Tout est mort. Quelques marins, dormant, se cognent
Sur les roches dans un roulis perpétuel.
Les vagues les apportent dans un obscur fiel…
De ces tombes flottantes, nouveau goémon,
Se soulèvent souvent de tous petits poissons,
Jouant autour des corps alanguis et lascifs ;
Ils furètent entre mer et les humains récifs.
Sur les plages envahies de lamentations,
Des veuves aux pieds nus, dansent en révolution
Autour de l’Empereur qui se jette à l’eau !
« Il faut les sauver ! Qu’ai-je fais, matelots !
Je le reconnais ! J’ai péché par orgueil !
Je voulais un défilé, non tous ces linceuls
Qui s’amarrent en bataillons sur le noir sable…
Je disais, c’est sûr ; J’aurais dû dire, probable ! »
JULIE CANDEILLE
Cantatrice et comédienne
3 novembre 1804
Comment ne pas être vivant
Devant cette citadelle ?
Hélas, les hommes sont vaillants
Et cette femme est belle.
Sa voix, pareille à son visage,
Vous noue plus fort qu’un collier ;
Et c’est en hardi otage
Que l’on reste prisonnier.
Les hommes lèvent des ponts
Pour passer les rivières ;
Mais quelle autre élévation
Quand elle baisse les paupières !
LE SACRE DE L’EMPEREUR
Cathédrale de Notre-Dame de Paris
2 décembre 1804
Superbe tableau de l’illustre David !
Le sacre de l’empereur parmi ses séides
Est un tombeau ouvert qu’on aperçoit !
La mort marche, splendide, parmi les rois ;
César pose une couronne sur l’épouse répudiée ;
C’est la gloire de l’homme, c’est la vie peuplée
De courbettes et de courtisans perfides.
Admirable tableau de l’illustre David !
Ce sont des squelettes encore pleins de viande ;
Ce tableau est un cimetière où descendent
Plusieurs renégats et quelques suicidés ;
Un futur proscrit s’adresse à des assassinés ;
Ce panorama pu la mort putride !
Étonnant tableau de l’illustre David !
C’est un tableau plein d’épouvante,
De monstruosité militaire et virile ;
De modernes Hector, Ulysse et Achille
Au bord du gouffre qui les tente.
Des troncs, encore sur leurs membres,
Se penchent ventrus et flasques,
Et acclament par bourrasques
Le dieu nouveau de décembre.
Loin encore de l’implacable hiver,
Le lustre des victoires sublimes
Promit aux conquêtes éphémères,
Arrose ce tableau, plein d’abîme !
Déjà, s’approche la prochaine tourmente
Dans ce tableau plein d’épouvante !
C’est un tableau, grenier mystique,
Où les héros, puissantes cliques,
Se promènent dans un paysage connu :
Antichambre de la mort avant la crue !
Assis sur la marche sacrée d’un monde,
L’empereur vorace et flamboyant fonde
Un futur dont il se suppose le sultan
Avec la foi crédule d’un mahométan !
LE PORTRAIT DE MADAME RECAMIER
PAR FRANCOIS GERARD
1805
Son sourire étrange en fait un être familier ;
Sur un fauteuil vous attend, Madame Récamier,
Lascive dans sa toilette, éthérée et blanche,
Son bras gauche repose sur sa fine hanche.
Telle une vénusté de l’antique Grèce,
Quiconque la voit, se demande : - Qui est-ce ?
Car ses cheveux sombres, en boucles aériennes,
Sont pour le regard de remarquables chaines
Qui amarrent le promeneur à son navire.
De là, le voyage...et le souvenir.
LA BATAILLE DES QUINZE-VINGT
Au large du cap Finistère,
Entre l’amiral Pierre de Villeneuve et l’amiral Robert Calder
22 juillet 1805
Le brouillard est immense dans l’après midi
Qui voit les navires, nouveaux hétéroptères,
Passer en bandes et enfoncer de leurs fers
Les épaisses cargaisons, encombrées de vies !
Quatorze pavillons français et six espagnols,
Dans les fumées des canonnades lyriques,
A l’assaut de quinze bâtiments britanniques,
S’enivrent savamment de leurs larges épaules !
Les fragrances suffocantes et voraces,
Fossoyeuses naturelles des marins aguerris,
Calfeutrent les yeux, de visions ébahies
Sous lesquelles se referme l’indécise nasse.
Las des paysages éclaboussant les eaux,
Quiconque rentre chez soi, perdu et pâle,
Se souvient de l’instant où, dessous les voiles,
La bravoure est un glaive, et la vie un roseau !
ELCHINGEN
Victoire du Maréchal Michel Ney
Sur les troupes autrichiennes
14 octobre 1805
Ciel froid, qu'avons-nous accompli
En ce jour, en ce lieu béni ?
Une victoire ? Non, leur défaite !
Ce jour désormais sera fête !
Je m'étais figuré, vois-tu,
Voir la cohorte des battus,
Fallait-il les coups de sabre ?
Hélas ! Paysage macabre...
Tout est fixe, les hommes et la terre !
Rien ne résout le mystère…
L'orage était tombé sur la
Ville. L'un disait : – est-ce là
Tout notre pain ? Viens ! Car bientôt
Emplira, joyeuse, les caveaux
La nuée d’où pleuvront des tombes !
Alors, voilà ! La mort en trombe
Va ! Ô destin indulgent !
Absout ceux que Thanatos prend !
Partout, la lumière emportée,
Auxiliaire de vies giflées,
Pose son aile charmante.
La mort jubile de sa rente !
On peut voir des spectres rêveurs
Attaquer les champs de batailles,
Et les multiples funérailles
Accroitre le nombre de rêveurs...
- Un homme à cheval ! Dis-tu,
Et, jumeau au cavalier,
Tu t'avances dans le sentier
Où tant d'autres se sont perdus...
Leur sort ne t'effraie point pourtant ;
Qu'importe la cloison des cieux
Quand tout l'horizon qui s'étend
Propose un parcours radieux !
LA REDDITION D’ULM
20 octobre 1805 – Campagne d’Autriche
La neige se mêle à la pluie incessante
Et partout on perçoit l’ombre menaçante
De grenadiers qui cheminent sans aucun bruit ;
Demain, l’aube blanche aura tout détruit !
L’empreinte des pas, recouverts de flocons,
Conduisent tout droit au grand Napoléon
Entourant la ville de ses fatals couperets :
Les maréchaux voraces de l’aigle français.
Toute cette masse enveloppe par ruse,
Le vieux monde croyant aux anciennes muses
De la guerre et d’un temps désormais révolu ;
C’est un gouffre béant qui, lentement, se rue.
Pauvres hommes ignorant le prophète
Plus forts que Vandales ou autres Massagètes !
Qui, un christ en pierre, qui, un cierge laiteux,
Qui, une madone peinte ; ils prient tous un Dieu.
Devant le grand crucifix de l’éminente église,
Une foule silencieuse est brusquement éprise
D’une complète et nouvelle religiosité.
C’est que le diable est dehors, et qu’il veut entrer !
Les murs de la cité, noyés dans la brume,
Pèsent sur eux, telle une énorme enclume
Qui empêche qui que ce soit de s’échapper ;
Voilà le général Mack, dans Ulm séquestré !
Il choisit de se rendre à son infortune.
En face du soleil, il n’était que la lune !
Défilant graduellement, corps après corps,
Les vaincus avançaient. Il en venait encore.
On ne peut avoir l’idée de ce beau spectacle !
Trente mille autrichiens qui marchent et renâclent
En jetant leurs fusils et leurs sabres en un tas !
Ces visages sévères semblaient sortis des bois !
Cette solennité se consacra tout le jour ;
L’Empereur se tenait sur la colline pour
Régner avec ivresse sur la grande victoire
Qui était vers Vienne, le premier promontoire !
TRAFALGAR
La flotte franco-espagnole
De l’amiral Pierre de Villeneuve est détruite
Par la flotte britannique du vice-amiral Horatio Nelson
21 octobre 1805
Ca y est ! Elle est là, cette campagne !
Après de longues semaines sur l’océan
A jouer une folle course, naviguant
De Toulon vers les Antilles, puis l’Espagne !
Les embarcations semblent de porcelaine
Et le l’on croirait saisir une chasse à courre ;
La fuite de moineaux suivis de grands vautours
Aux museaux reniflant, soufflant leurs haleines !
Quand cette guerre commence, elle est finie !
C’est une fête foraine – tir de canard –
Et pour Villeneuve, l’ultime cauchemar,
Puisque la mort refuse son corps alangui !
Le fracas des chaloupes désarticulées
Exalte, propage, les vivats, les hourras ;
Abandonnant alors sa tête sous son bras
Villeneuve frémit sous le ciel constellé.
« Voyez mes grands vaisseaux, disparus et enfouis,
Sombrer lentement sous le ciel exotique !
Chantez, matelots grivois et faméliques ;
Le succès est bref ; la défaite, infinie ! »
Couvert de tombes, le navire amiral,
Ne sait plus ni vaincre, ni mourir en marins !
Il baisse son pavillon, prend l’hideux chemin,
Rompt son câble et s’éloigne, sous des regards pâles...
Le silence lugubre du vieil océan,
Résonne bien plus fort que mille trompettes ;
Nelson se meurt, la vie le rejette,
Tel un vieux Moïse, au suprême moment.
AUSTERLITZ
2 décembre 1805 – Campagne d’Autriche
Austerlitz est surtout une marche corsée
Dont les armes premières sont de très bons souliers
Et deux litres de vin ; quand on peut une viande...
En bordure des chemins, dieu ! Quelle sarabande !
Quand les hommes ne sont plus que des pieds qui avancent,
On se sent étonné, de l’infinie mouvance
Que rien ne peut garder, qui fonce dans la nuit.
Ce grand mille-pattes laisse, qui le voit, ébloui !
Alors que les uns chantent, les autres pleurent, espèrent
Quitter cette contrée trop inhospitalière
Où la force apparait pour unique horizon ;
Ceux-là savent l’odeur et le bruit du canon !
Les distances parcourues depuis le matin clair
Montrent des paysans, des manœuvres, des bergères ;
Mais point de combattants, de victoires, de hourras ;
L’ennemi affligeant, ce sont les nombreux pas !
Aux hasards de pesants régiments fatigués,
Cette forêt humaine, dès demain élaguée,
Laissera sur les routes, combien donc de ses branches ?
Hélas, la rivière d’hommes, déjà n’est plus étanche !
Car le premier décembre, en s’endormant le soir,
Se soulève la guerre, ce grand équarrissoir,
Qui souffle son venin, son haleine mortelle,
Sur des têtes figées, au renom éternel !
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