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1795 - 1799 "poèmes centenaires"

LE FRANC GERMINAL

7 avril 1795

 

 

La vieille livre Tournois est morte ;

Cette monnaie des rois a trop vécu !

Les siècles et leurs cohortes

De vilénies en ce jour sont vaincus.

La France se donne au franc germinal 

Et gonfle sous le poids des assignats ;

La monnaie est un fruit artisanal

Qui nourrit les nouveaux magnats !

 

DESIREE CLARY

Fiancée de Napoléon Bonaparte

21 avril 1795

 

 

Le corps voluptueux et la bouche blanche,

De la nature fière, où le cœur s’épanche,

Désirée, endormit, ô spectacle triomphant

Quand  l’œil est captif de son rêve dormant.

 

Il tourne la tête, vers ce lit que parfument,

Des cheveux onduleux, habilement décoiffés,

Et il sait que déjà tout son être s’accoutume

A respirer cet air presque à en étouffer ;

 

Toi, dont le nom de baptême est un doux aveu,

Tu dévastes les hommes en instants violents !

Vois dans ton sommeil figé l’immense feu.

Il est né sur une ile ; tu es son océan !

 

 

UNE INFINITE DE MONDES

3 mai 1795

 

 

Il n’est ni fins, ni bornes, ni limites aux choses ;

L’infini est le seul dieu qui toujours impose

Sa loi aux êtres ébahis de la nature.

On se croit roi ; on est que figure !

 

La vie terrestre n’est pas un purgatoire ;

Le réel transcende les mythes de l’histoire

Que nos pères ont, prudents, sur un trône élevé

A un dieu contemplé par une foule aveuglée !

 

De fourmillants mondes côtoient notre univers 

Et, restant prisonniers de nos sens en colère,

Nos feux voraces brûlent nos mers amoindries !

L’imaginaire de nos cervelles nous hurle « je suis » !

 

Mais pareille hérésie, aggravées par quelques autres,

Ont fait dire à mes juges « voyez comme il se vautre » !

Et l’empreinte sublime de mon souffle éphémère

Aura gonflé ma gorge, m’aura jeté à terre.

 

 

 

 

 

LE BAL DES VICTIMES

16 Août 1795

 

Tournant sur nous-mêmes comme des derviches,

Traçant des cercles fabuleux sur le sol,

Nous semblions devenus de folles lucioles ;

Des fakirs entourés de tentures riches !

 

Tel est notre apanage, nous muscadins,

Ici, l’on danse en toilettes de chagrin,

Le couteau de la guillotine, droit d’entrée

Pur échos de notre molle fraîcheur dorée.

 

Myopes, contrefaits et malingres, bossus,

Nous sortions du bal et courrions vers l’inconnu

Armés de gourdins, beau pouvoir exécutif,

Perruques blondes et chapeaux claques sur tifs.

 

Emplis de Déméter et de neuves Cérès,

D’étoffes légères, de bottes épaisses,

Les salons de Barras et Theresa Tallien

Ramenaient ce siècle aux premiers temps latins.

 

Les toilettes éthérées, gaz transparentes,

Ondulaient dans les bals et les jardins publics.

Les robes diaphanes semblaient indécentes

D’absolues nudités. C’est la république !

 

 

 

LA BELGIQUE FRANCAISE

1er octobre 1795

 

 

Les uns disent leur pensée toute entière :

"Le peuple belge est un peuple frère

Et il a droit à notre révolution !

Il nous faut le décider en convention."

D’autres réfutent ce grand chambardement :

"Il n’existe aucun lien entre ces gens ! 

Aucune conformité de religion 

Parmi ces flamands et ces wallons !

Ils méritent d’être libres d’esprits, 

De peur d’en faire une foule d’ennemis !"

Tour à tour, on empoigne la parole.

Les démences des uns, face aux idées folles !

"Les belges sont fiers de leur constitution !

Qu’ont-ils à faire de notre révolution ?

Si vous confiez ces peuples à eux-mêmes,

La guerre civile sera demain la même

Que celle que nous avons connue ici !

Les braves gens n’aiment pas être conquis !"

Et pourtant en ce jour magique...

La France gonfla d’une Belgique !

 

 

 

 

 

 

 

 

L’INSURRECTION ROYALISTE

DU 13 VENDEMIAIRE, AN IV

Réprimée par les généraux Bonaparte, Murat et Brune

5 octobre 1795

 

Préparez dans Paris nos quarante canons,

Et barrez tout, amenant à la Convention !

Vous, soldats aux vertus révolutionnaires,

Il dépend de vous, de poinçonner de vos fers

La vile peuplade royaliste en furie !

Voyez ces singes, accompagnés de leurs cris !

 

Mitraillez-moi donc l’intégrale racaille ;

Ces porcs et ces traitres, ces vendus, qu’ils s’en aillent !

Sabrez tout ! Pas de quartier pour la vermine !

Tuez les mères, ces pondeuses ! Après, on dine !

Nous fêterons ensemble la déculottée

Autour de quelques verres et de quelques pâtés ;

 

Mais d’abord, qu’on les égorge, qu’on les lacère !

Que je ne vois de libre, une seule civière !

Cette boue humaine ne mérite que votre mépris ;

Alors soyez précis, pointant votre fusil !

 

 

 

L’HUMANITE

2 novembre 1795

 

 

Plaqué à terre, bercé par une grande peur,

L’herbe mouillée me déloge de ma torpeur.

Blessé, au sol, sans nul remède ni appui,

Ne pouvant bouger plus, que l’oisillon dans son nid,

Une tache rouge enfle sur ma poitrine ;

Je voulais dormir, pour la nuit qu’on devine…

 

Soudain, je vis intrigué passer un monde ;

Il y avait là, luisant dans les ténèbres,

Un hibou hululant la nuit, que célèbre

Tous les êtres vivants que la vie féconde.

 

Cet appel, telle une trompe guerrière

Embrasa les ronces, les champs, la bruyère.

Les fourmis, les mouches, les vers, les araignées,

Engagèrent le conflit en sublimités !

Les campagnols, hauts mastodontes superbes,

Chargeaient en cavalerie à travers l’herbe !

Puis l’étincelle, sauterelle aguerrie,

Passa d'herbe en herbe, volant à demie,

Précédant l'envol de trois moucherons pressés,

Attirés par le ciel, sur les roses couché.

 

Personne ne put témoigner du manège

Nocturne, en ce jour que ma vie agrège.  

La lande blanchâtre, que les obscurités

De la nuit et de mon être avaient masqués,

Étaient le lieu d'une mort telle la nôtre.

Les bêtes sont des hommes comme les autres !

A l'aube, je m’assoupi dans la clairière

Abandonnant là, l'humanité entière.                               

 

 

JOSEPHINE DE BEAUHARNAIS

3 décembre 1795

 

 

Elle était grande et d’une beauté rare ;

Pareil à un feu, ses cheveux noirs

Attachés, semblaient une rivière

Fluctuant sur un cou blanc, une mer !

Sa démarche, sa voix, son sourire

Plantaient dans les cœurs mille souvenirs.

Tout en elle jurait la convoitise

Du bonheur durable, de l’emprise

Qu’ont toutes celles qui savent fauter…

Joséphine savait, toute sa beauté.

 

 

 

 

UNE ARMEE EN GUENILLES

Nice – 26 mars 1796

 

 

Masséna, Sérurier et Augereau guettent

Le freluquet qui les rejoint, les embête ;

Celui qui ne fut pas même un colonel,

Que peut-il connaitre des combats éternels

Qui font et défont les princes et les héros ?

Combien de telles gloires sont mortes trop tôt !

Augereau, soudard sublime, exubérant,

Tutoyeur aux allures de spadassin d’antan,

Se répand en propos graveleux, vulgaires,

Et promet de tout lui dire, de tout lui faire !

 

Puis, étonnant de force, arrive Bonaparte !

Il vient, il parle, et les trois autres s’écartent

Devant le ton impérieux et sec de l’éclair ;

Ils n’étaient que de bois ; il était de fer !

Alors, le soldat observe cette armée nue

Qui couverte de haillons, de gloire retenue,

Meure dans des baraques et dans des trous creusés !

Pas un n’avait le moindre tabac à priser.

On y manque de tout et surtout de victoires,

Cette belle musique, mortelle fanfare ! 

  

 

 

SOLDATS, VOUS ETES NUS ET MAL NOURRIS

Harangue de Bonaparte, général de l’armée d’Italie

27 mars 1796 – 1ère campagne d’Italie

 

 

Soldats oubliés de notre belle patrie,

Je ne peux rien vous donner aujourd’hui !

Le gouvernement vous doit beaucoup

Votre patience et votre courage sont tout, 

Mais ils ne vous procurent aucune gloire ;

Je veux que l’on évoque votre mémoire

Avec éclat et attention, mes braves,

Et vous conduire dans les bassins suaves

Qui n’attendent que votre hardiesse !

Etes-vous prêts à toutes ces richesses ?

 

 

 

MONTENOTTE

12 avril 1796 – 1ère campagne d’Italie

 

Car voilà tes premières palmes d’Italie,

Toi, spectre si grand dont les paladins conquis

Récitent la gloire ; moderne chevalerie !

Le monde entier semble ta nouvelle patrie !

 

                            

 

 

 

 

 

 

 

 

MILLESIMO

13 avril 1796 – 1ère campagne d’Italie

 

 

Au bord d’un château,

Tu t'amuses à la guerre

Entre les grosses pierres

Avec tes biscoteaux.

 

Sous les ordres d’Augereau,

Jeune général, devine

Qui grimpe la colline

Qui mène au tombeau…

 

Banel, tu n’as pas trente ans !

Les morts n’ont pas choisis les vivants

Qui tiendront belle compagnie

Pour la longue insomnie.

 

L’herbe est verte sur les coteaux ;

Ce printemps est superbe,

Et superbe d’à-propos,

Tu tombes dans l’herbe…

 

 

 

DEGO

14 et 15 avril 1796 – 1ère campagne d’Italie

 

Jadis, au soir, pas une étoile ne brillait ;

La voute n’était piquetée que de point blancs

Qui, tels d’anciens monarques se repentant,

Aux premières brumes de l’aube s’éloignaient.

 

Désormais, nous dansons, pareils aux étoiles,

Et nos âmes fluettes ne savent pas quand

Finira la chanson, s’éclipsera notre temps.

Alors, combattons ! La guerre est un bal !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LODI

10 mai 1796 – 1ère campagne d’Italie

 

 

Lodi n’est pas une cité, c’est un vilain pont 

Où se rue, hardi, le général « z’en avant »,

Dont la barbe rousse frisait les gracieux jupons.

Brave Dupas à la stature de géant !

 

Car si Augereau, Masséna et Sérurier,

Accompagnent déjà ce Bonaparte ici,

C’est Dupas qui voit le pont de Lodi tomber

Pour proposer à la France, la Lombardie.

 

Les places d’Italie sont de belles perles,

Scintillantes telles les antiques victoires

Où s’élève graduellement un merle

Discernant sa mue prochaine en aigle noir !

 

 

 

LE BLESSE

12 octobre 1796

 

 

Je fuyais à travers une grande forêt,

Quand une ombre lumineuse, un perroquet,

Plana en silence entre les branches nouées.

Il ne se posa pas, dans la nuit arborée.

 

J’étais dans ce sommeil semblable aux blessés,

Qui d’opium et d’alcool, voyagent compassés,

Entre les rives du fleuve artificiel.

Les visions venaient, douces, confidentielles.

 

Je voyais la fille au teint blanc, aux yeux clairs, 

Qui avait amputé un morceau de ma chair.

Mon infirmité était mon espérance ;

Un regard d’elle me dorlotait mes souffrances.

 

Mais le malheur est que le plus déshérité

Croit pouvoir inspirer ce qu’il a éprouvé !

L’aurore amoureuse toujours s’achève

Car la nuit est longue et les journées brèves.

 

 

 

LE PONT D’ARCOLE

Du 15 au 17 novembre 1796 – 1ère campagne d’Italie

 

 

Bonaparte s’époumone ;

« Il faut passer l’Alpone ! »

Cette eau austère et cruelle

Qui fuse, liquide, perpétuelle,

Entre victoire et défaite

Est une place imparfaite !

 

Il y a là quarante mille âmes ;

Autant de futurs que l’on diffame

Et que l’on raccourci à rien,

A peut-être demain,

Ou le lendemain,

Ou à maintenant, tiens !

 

S’engouffrant sur le pont d’Arcole,

Les exhalations folles

Masquent la peur sur les figures.

Comme dira la censure,

« On transpire et on meurt ! »

Au beau champ d’horreur.

 

Bonaparte porte un drapeau,

Et court vers la gloire

Qui mène au tombeau

Ou à la victoire.

 

Un autrichien le met en joue

Et Jean-Baptiste s’en aperçoit ;

Il se jette entre le fusil et le trou

Qui ouvre sa poitrine déjà !

 

Rien n’y fait,

On continue de tomber ;

Il faut pourtant passer !

La victoire est aux aguets

Et s’apprête à choisir

Entre couronne et bonnet,

Entre dégoût et désir,

Voilà c’est fait !

 

Les tambours français redoublent de tintamarre

Et se placent à l’arrière des blancs

Qui croient à une nouvelle bagarre

Et se retourne quand,

Profitant de l’effacement du nombre,

Devant le pont d’Arcole

On pousse les vies, tel des décombres,

Se moquant de tout protocole.

 

Masséna et Augereau traversent la rivière

Et dévorent les derniers survivants ; 

Plusieurs aiglons étaient dans le cimetière ;

Un seul sera l’aigle cependant…

 

 

 

 

                               

LE JEUNE HUSSARD

Bataille de Rivoli  (14 et 15 janvier 1797)

1ère campagne d’Italie

A Antoine Charles Louis de Lasalle

Mort le 6 juillet 1809, au cours de la bataille de Wagram

 

 

L’autre soir, je suis sorti du néant. Vaste

Monde ; peu distant ! Car en nouvelle caste,

J’en suis revenu plus grand. Ah ! La première

Escarmouche ! Elle paraît toujours sincère…

L’autre soir donc, j’ai vu étonné, mon cheval

Choir à terre. Curieux destin ! Une balle

Un mètre plus haut et j’aurai pu connaître

Un destin chevalin ! La chance, peut-être…

Mais là, n’est que le début de l’aventure.

Me levant, enfourchant une autre monture,

Je repris mon galop. Rien ne peut décrire

L’immense allégresse qui me chavire !

Il faut me croire, c’est un pari superbe

Que celui-là de jouer son existence

A l’art, l’adresse de la main d’innocence

D’un jeune autrichien, affolé et imberbe !

Accostant la masse compacte, les sabots

De mon étalon ont abîmé bien des os.

Virevoltant, mon sabre creusait l’espace,

Empalant alentour les hommes en liasses !

Enchevêtrement de bras, de jambes ! Les cris,

Les pleurs (sonore Babel) saturaient la nuit ;

Au matin, troué, vers moi, un uniforme

Git. Son camp ? Je ne sais…Il faut que je dorme.  

 

 

 

 

PAQUES VERONAISES

17 avril 1797 – 1ère campagne d’Italie

 

 

Puissants tonnerres ! Tremblements de terre ! Ouragans !

Qu’êtes-vous face à l’ire d’un peuple ignorant

Qu’encouragent des prélats dans leurs prêches fous !

Bonaparte marche sur Vienne ? Qu’on mette à genoux

Ces français qui polluent les rues de Vérone !

Attendez le signal – le tocsin que l’on sonne,

Et frappez-les à mort ! Combien cela est bon

De mettre à mal ces suppôts de Napoléon !

La Vénétie, voilà la seule république

Qui hante nos cœurs et qui, douce, nous abrite !

Ils vivent dans nos maisons et dans nos fermes.

Par leur seule présence, ils plantent le germe

Qui détruirait plus de mille années de combats

Qui ont fait notre patrie ! Avons-nous le choix ?

Non ! Alors, massacrons tous ce petit monde !

La guerre est leur fruit ! La faulx sera féconde !   

 

Quand il apprend le carnage, l’aigle gronde,

Lève les yeux, dépèce dans la seconde

La petite république qu’il vomit à l’Autriche ;

Rien ne vaut plus cette jachère qui s’affiche !

 

La vengeance est belle, au bras des conquérants !

Elle crache sur cette terre, peuplée de brigands,

Menteurs, détrousseurs et fanatiques grossiers !

Que meurt la Vénétie et sa masse damnée…

 

 

 

ODE A GRACCHUS BABEUF

Aux portes de l’échafaud 27 mai 1797

 

 

« La terre n’est à personne

Et les fruits sont à tout le monde ! »

Voilà comment tu raisonnes

Au fond de ta cage.

Ne vois-tu pas qu’elle te dévergonde 

Cette révolution, ce marécage ?

 

Quoi ? Pensais-tu que les hommes feraient plus,

Feraient mieux, feraient autrement

Que l’éléphant qui écrase ? Que la mante qui tue ?

Que l’abeille belliqueuse ou le scorpion piquant ?

Car vouloir que l’homme pense moins à l’argent,

C’est vouloir que l’abeille ne pique plus,

Que l’éléphant marche en dentelles,

Que le scorpion oubli sa ciguë,

Que l’entiché de la mante, soit éternel !

 

Hé ! Quand bien même tu prendrais

Aux riches toute leur monnaie

Et aux puissants tous leurs attraits

Pour le donner aux gueux et aux mendiants ;

Ne sais-tu pas qu’un pauvre, finalement,

N’est qu’un riche sans argent !

 

 

 

 

LE VOYAGE D’UNE MERVEILLEUSE

ET D’UN INCROYABLE

21 Juin 1797

 

 

Pour ne plus revoir le secret des alcôves,

J’ai longtemps divagué dans ces terres brûlées,

Où seuls tes contours, rarement envisagés,

Apparaissent en surface, puis me sauvent.

 

O, combien nombreuses sont mes ouvertes plaies !

Elles dansent encore et, doux subterfuge,

Ton voile réapparaît tel un refuge

Qui empli ma tête. Ma pénombre le sait.

 

Parfois tes regards, despotes de lendemains

Prometteurs, creusent à mon corps rêveur, étourdi ; 

Puis mes pieds apparaissent comme alourdis ;

Tu le sais, ton âme est mon taureau d’airain !

 

Dehors, les arbres frissonnent. Je n’ai pas peur !

Le doute se retire ! O mes naufrages

Passées, voyez la fin de mon beau voyage !

Il est temps désormais de sécher tous nos pleurs.

 

 

 

 

 

 

 

 

POURQUOI DONC EN EGYPTE ?

1er Juillet 1797

 

 

 

Le Directoire :

Si vous me demandez : pourquoi donc en Egypte ?

C’est que vous ignorez ce dont il est capable !

Laissez-lui quelques mois, vous verrez notre table

Aussi faible qu’une vague, aussi noire qu’une crypte !

Il nous faut l’éloigner de notre république !

Qui sait si le destin nous rendra ce service,

De nous le faire héros – à notre bénéfice !

Mais un héros bien mort, un héros bien tragique !

 

Le général Bonaparte :

Si vous me demandez : pourquoi donc ce pays ?

C’est que vous ignorez la grandeur de l’Histoire !

L’Egypte n’est qu’une porte, un coin de trajectoire

Dans le dessein formé sur les terres d’Italie !

Depuis l’antiquité, les gloires viennent de là :

Les pharaons, hier ! Les rois de Macédoine !

Savants de toutes matières, étudiez en profanes

Ce pays du sacré. Vous en reviendrez rois !

 

Discours de Talleyrand devant l’institut de France, le 3 juillet 1797 :

Si vous me demandez : pourquoi cette contrée ?

C’est que vous ignorez que l’Empire ottoman

Périt devant nos yeux vertigineusement !

L’Angleterre sait cela ! A nous d’y prendre pied !

Quels sont les avantages de nouvelles colonies ?

Le commerce ! Le commerce ! Que faudrait-il de plus !

Car nos terres d’Amérique, certitude absolue,

Seront perdues demain et feront leur Patrie !

 

 

JOSEPHINE REJOINT BONAPARTE A MILAN

Avec son amant, le capitaine Hyppolite Charles

13 juillet 1797

 

 

Joséphine accourt au bruit de la victoire !

L’Italie, enfin, récupère son César 

Et attend, étonnée, le nouveau proconsul ;

Bonaparte, rassuré, est dans sa bulle.

De beaux uniformes paradent dans Milan.

Joséphine arrive, baisse les yeux quand

Napoléon épie sa belle conquête…

L’Italie exulte en ce jour de fête !

Il ne saisit pas pourquoi elle est absente.

Elle lui dit des mots, que ses yeux désenchantent.

Il serre les poings, redoute que l’Italie

Ne suffise pas à la dame de ses nuits.   

Mais déjà, le temps presse,  il faut repartir ;

Joséphine fixe Paris et soupire.

Bonaparte la contemple et lui parle ;

Elle, met dans sa suite Hyppolite Charles.

 

 

 

 

 

COUP D’ETAT DU 18 FRUCTIDOR AN V

4 septembre 1797

 

 

Qui fait naitre dans Paris de neuves factions 

Et qui éteint le chant de la révolution ?

Qui profite des troubles et des combines,

Maraude dans les palais, belles rapines ?

Pichegru et Moreau, généraux superbes !

Ou Barras et son Directoire acerbe !

 

Et déjà, dans les plaines ultramontaines

L’aigle écoute les clameurs, les clapotis

Venus de France et – c’est chose certaine, 

Bientôt, il entrera en vainqueur dans Paris !

Car que peut valoir la liberté ignoble

Qui libère le corrupteur et le vaurien ?

Quand on croyait reprendre nos droits aux nobles,

On donnait aux bourgeois (tous ces coupables chiens) !

Est-ce formellement pire pour l’indigent

De dépendre d’une élite – la noblesse,

Que de se plier à des bourgeois malfaisants 

Qui amalgament honneurs et richesses ?

Le peuple n’est pas bien loin de se rembourser !

Les vieux maîtres, cela est vrai après tout,

S’ils n’avaient pour mérite que d’être bien nés,

N’avaient pas le larcin pour unique atout !

 

Des proclamations menaçantes

Déferlent du général d’Italie :

« Les montagnes puissantes

Ne seront qu’un col aplani

S’il fallait défendre la France !

Je sais la souffrance

Qui baigne la Seine :

C’est la haine ! »

 

Dans la nuit d’un mois fruité,

Le général Augereau, envoyé

Par Bonaparte fond sur Paris.

C’est un jour de pluie.

 

Alors, c’est le possible crime !

La liberté, prochaine victime,

En suite de l’anthropophage.

C’est un soir d’orage.

 

Incarcéré dans la prison du temple,

Les souvenirs « roités » contemplent

Quelques capitaines trop gradés.

C’en est finit de l’été.

 

 

 

LES HETRES POURPRES

28 septembre 1797

 

Un ruisseau creux entouré de hêtres pourpres

Coupe une vallée du nord de l'Italie.

Voisin, un chemin, des rocailles éboulis,

Recouvrent les tombes près des hêtres pourpres. 

C'est la voix d'un puissant fleuve que l'on entend

Sous les pierres apaisantes, et ses lippes,

Démesurées, sont grasses et sans principe ;

Car combien ont-elles avalé de pauvres gens ? 

Blottis dans leurs pierres, les vieux corps pardonnent

Aux eaux ! Ils savent qu'ils étaient acrobates,

Jonglant avec les guerres ! Leur dure ouate

Est plus douce que le clairon qui résonne... 

Les fosses avalent goulument la douleur 

Des hommes tombés à la guerrière saison.

Les hêtres pourpres offrent alors à l'unisson

Aux hommes sous les pierres, leurs belles couleurs.

 

 

 

                               

 

ANTOINE-FRANCOIS EVE

Création au théâtre de « Madame Angot »

14 novembre 1797

 

 

Mais que voit-on, quand on dit : Antoine Eve ?  

Est-ce un passé douloureux qu’on soulève ?

Est-ce un choc, une mêlée – royale ou non ?

Un précepteur de Saint-Just ? La révolution ?

Un agent du Comité de salut public ?

Non ! On pense à un opéra-comique !

Comme quoi, bien plus touchant qu’un mendigot,

Il y a « la fille de madame Angot » !

 

 

 

DANS LES PAS D’ALEXANDRE

Harangue du départ du général Bonaparte

19 mai 1798

 

Allons mes fiers soldats, dans les pas d’Alexandre,

Car l’Egypte pour nous, c’est Paris dans un an !

Si la France est un fruit, encore il doit attendre !

Va, nous le croquerons demain à pleines dents !

 

Quoi ? Combien sommes-nous ? Des milliers, camarades !

Une nuée de vaisseaux vient de quitter Toulon,

Et nous accosterons dans la célèbre rade,

Célèbre seulement car nous-autres y serons !

 

J’en appelle aux héros ! J’apostrophe l’Histoire !

Perses, grecs et romains ! Nouveaux conquistadors,

Nous abordons enfin, le beau continent noir

Et fidèles à nos pères, vaincrons ou serons morts !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE DE CACHE-CACHE

EN MEDITERRANEE

30 mai 1798

 

 

Que ces monstres nous trouvent, et nous serons finis !

Ils piqueront nos corps de toutes leurs aiguilles !

Ils effaceront tout : Arcole et Rivoli,

Nous laissant baigner là, dans une mer en taudis,

Refusant même l’honneur de mourir en soldat.

Puisqu’engloutis, noyés ; puisque morts sans combat !

 

Dans ce terrain liquide, bosselé, sans nature

Autre que l’infini, où l’eau seule est un mur,

Où nos immenses navires semblent de frêles berceaux,

Nous allons, ressemblants à d’étranges oiseaux,

Appesantis de vivres, de canons et de rêves.

Que ce voyage soit, une promenade brève !

 

Puisque nous sommes lourds, blocs de pierres sur les eaux,

Voguons aux allures qui nous laissent dans leur dos.

Qu’ils nous cherchent devant, qu’ils accélèrent encore.

Mais qu’ils se retournent, et demain serons morts !

Que Nelson furète, triture et aboie ;

Qu’il fasse ce qu’il veut, sauf reprendre ses pas !

 

 

 

  

LA PRISE DE MALTE

Du 9 au 18 juin 1798

 

Les chevaliers de Malte observent, tout étonnés,

Cette étrange invasion de nouveaux templiers,

Ce retour des rois Francs en méditerranée,

Cette armada de coques bombées de grenadiers !

 

Ce n’est pas une bataille ; c’est un emportement.

Ce n’est pas une blessure ; c’est un médicament

Contre le germe anglais qui pollue sur les mers !

Malte est un doux vaccin ! On pouvait donc le faire…

 

 

 

 

 

 

                    

PROCLAMATION

DU GENERAL BONAPARTE

22 juin 1798

 

 

Les peuples avec lesquels nous allons devoir vivre

Sont depuis bien longtemps fervents mahométans ;

C’est pourquoi, mes braves, j’insiste : il vous faut suivre

Les préceptes de leur foi ; au moins, faites semblant !

 

Agissez avec eux tout comme vous l’avez fait

Avec le peuple Juif, avec les Italiens.

Ayez pour leurs muphtis, l’égard et le respect

Que vous avez montré aux évêques et rabbins.

 

Suivez les curieux rites que prescrit l’Alcoran ;

Protéger ce beau Livre tout comme le décalogue.

Montrez pour les mosquées et pour les fiers turbans

La même tolérance que pour les synagogues.

 

Ayez pour ce peuple de l’égard aujourd’hui 

Et vous serez pour lui des authentiques frères !

Il est dans notre vue de l’avoir pour ami ;

Pour ne pas, dès demain, devoir lui faire la guerre !

 

 

                               

 

                         DEBARQUEMENT A ALEXANDRIE

1er juillet 1798

 

Sous un soleil figé, le flot de cette armée

Se déverse sur les terres. – Nous avons réussi ! 

Voilà le cri qui sort des bouches en furies !

Onduleux, les navires s’apprêtent à accoster…

 

Le déménagement des malles et des chevaux

Se fait dans un tumulte immense et prolongé.

Tous les combats futurs sont dans cette journée :

Des milliers de soldats entre le sable et l’eau…

 

J’ai l’ai senti ramper, et son haleine empeste !

Elle est là, près de nous ; elle nous suit patiemment.

La main sur nos épaules, la bête flaire nos flancs,

Nos esprits tant inquiets, imaginant le reste…

 

 

 

AU CLAIR DE LUNE EGYPTIENNE

3 juillet 1798

 

Les astres, loin au-dessus, allument les noirs cieux.

Posés sur le noirci, les spectres, arachnéens,

Tracent des lignes qui se rejoignent en des points

Que regardent Gaspard, allongé près d’un feu.

 

Mais c’est lorsqu’il s’endort que le Gaspard s’enivre,

Tout engloutit qu’il est, d’images bien féroces ;

Il descend tout confiant dans la putride fosse,

Dans la nuit qui l’oblige maintenant à le suivre.

 

Vomissant son tumulte, le laquant de ce noir,

Le songe récupère sa place dans la nuit, 

Et la tête tremblante, le Gaspard s’étourdit

Dedans l’obscurité, sous des senteurs bizarres.

 

 

                 

NEGOCIATION AVEC LES ULEMAS

7 juillet 1798

 

 

Semblables aux visions des siècles trépassés,

Au milieu de tentures sur le sable posées,

Ces hommes sont assis en un amas précieux ;

Au-dessus de leurs barbes, les trous noirs sont les yeux.

Leurs gestes sont si lents, qu’ils paraissent glisser 

Au milieu de tentures sur le sable posées.

On négocie l’orgueil ; et la mort ; et la guerre ;

Et tout Alexandrie aux ordres de Kleber !

Comme un moule fidèle, les croisades reviennent

Croient les hommes aux turbans pris de douleurs anciennes…

Des accords de principes, des « oui » obligatoires ;

Les ulémas acceptent d’entrer dans ce brouillard…

Leur Empire finit-il avec leurs derniers mots,

Autorisant Brueys et ses nombreux vaisseaux

A se placer en rade d’Aboukir ? Peut-être…

Mais pour ce qui est sûr, ils ne sont plus les maîtres !

Les hommes aux turbans se lèvent et sourient

Aux français étonnés devant le peu de prix

Que donnent ces guerriers aux siècles trépassés,

Au milieu de tentures sur le sable posées…

 

                      

                               

                               

                     MORT DU GENERAL FRANCOIS MIREUR

9 juillet 1798 – Damanhour

 

 

« Depuis Alexandrie, le désert est sans fin ;

Ce n’est que sable chaud, sous un ciel sans nuage.

Nous ne sommes plus en mer. C’est pourtant un naufrage

Qui nous guette partout, de la nuit au matin.

 

Les perles de sueur, innombrable sangsues,

Coulent de nos fronts noirs, et nous laissent rêveurs ;

Dans quel monde sommes-nous ? Une étrange lueur

Recouvre le désert et le sable bossu.

 

Le piège est refermé ! Ne comprenez-vous pas

Que nous sommes ici surtout pour y rester ?

Le Directoire a vu la gloire des armées

D’Italie comme un mal ! Bonaparte comme un roi !

 

Mais il n’est pas trop tard ! Marchons au littoral !

Allons vers la Sicile, puis vers Naples, puis vers Rome !

La méditerranée sera notre royaume !

Dès lors, tout est à nous ! Où est-ce déloyal ? »

 

C’est pour avoir tenu ce discours, cet affront,

Que son commandement lui sera retiré ;

François Mireur comprend qu’il vient de chavirer

Et grimace pendant que rougit son blanc front !

 

Les rires enivrants des quelques compagnons

Témoins de l’infortune sont des Babel sonores 

Crépitant à son oreille ; quel effroyable sort

Que d’être encore vivant qu’en chair, en émotion !

 

Il revoit le banquet de ses presque vingt ans ;

Où lui, le tout premier, chantait la marseillaise,

Quand la révolution était une falaise,

Que rien n’était joué ; et tout ça maintenant !

 

Il fuit vers son destin ; court dans les dunes claires,

Exhibant tour à tour ses poumons et ses reins,

Aux lances affutées se plantant dans demain

Pour qu’il n’existe pas, et entrouvre sa chair. 

                               

 

 

 

 

 

 

COMBAT AVEC LES MAMELOUKS A CHEBREIS

13 juillet 1798

 

 

Un mécréant saisit un pauvre illuminé

Qui lui plante un couteau juste au-dessous du nez

Et tout en expirant l’autre d’un coup de feu

Les envois bien ensemble au néant ou vers Dieu 

Cette scène se répète comme du mauvais théâtre

Aux abords du grand fleuve où il fait bon se battre

Les cadavres le gonflent de chairs et de remords 

Le grand fleuve est si pâle qu’il reflète la mort 

 

 

LA BATAILLE DES PYRAMIDES

21 juillet 1798

 

A travers le désert, ces flocons étrange,

Minuscules billes de plombs, pour la belle vendange

De cavaliers tournés, dans un suprême effort,

Vers le Nil qui les prend, sans espoir de renfort.

 

Bonaparte, attentif, du haut de l’esplanade, Voit l'Égypte s'engloutir, devenir une bourgade

De son rêve, bâtissant un Empire merveilleux,

Né du gouffre de ces hommes qui referment les yeux.

Tournant sa tête pâle vers le désert vaincu,

Le futur empereur, désormais convaincu,

Rit devant le carnage, saturé de confiance,

Hésitant entre Rome et l’ancienne Byzance !

                       

LE CAIRE

30 juillet 1798

 

 

Le Caire, belle capitale des vieux califes soudans

Et fatimides, tu es pareil à un turban

Déposé sur l’Egypte à l’ombre des mosquées.

Labyrinthe confus et rues alambiquées !

 

Là, chameaux, bourriques, et foules en haillons

(Splendide et magique pour tout écrivaillon !)

Font du Caire un soleil ébène qui resplendit.

Partout la pierre croule ; partout le bois pourrit !

 

C’est une nécropole peuplée de doux fantômes,

Aux murs moucharabieh de couleur monochrome,

Parlant de son passé sur un ton nasillard ;

La clameur est immense dans les souks, les bazars !

 

Les méandres figés au temps de Saladin,

Dénudent au loin Paris et ses lourds muscadins !

Dans ma chambre carrée, enduite de blanche chaux,

J’observe le marchand aux travers des barreaux.

 

 

 

CHOSES VUES PAR PARSEVAL GRANDMAISON

3 août 1798 – campagne d’Egypte

 

 

La mine de graphite va sur la feuille,

Et les courbes, et les traits, en petits écueils,

Bornent l’étendue de cette virginité :

Un demain imprévu, un futur imagé !

 

Soudain, par hasard – comme toujours en ce cas !

Voyant un monde caché, changeant d’apparat,

Le soleil est moins fort, les ombres moins dure ;

Elle le fixe, l’adorable figure.

 

Attirant son regard vers ce nouveau récif,

Il voit ce qu’elle voit, et ses yeux attentifs,

Aux coups de crayons, rapides et ressemblants ;

Une ombre de plaisir noie son visage lent.

 

Les joues empourprées, sa compagne lui sourit.

Ayant vu son âme au détour du croquis,

Devinant ses traits, la belle musulmane

Que le voile tait est soudain courtisane.                               

 

Elle donne des regrets à l’homme alangui

Par la beauté supposée, par l’éclat promis.

Pieuse et grave, elle s’entoure d’un mystère 

Pour ce qu’il en voit, c’est presque un adultère.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

QUASI-GUERRE

Lettre d’un marine américain

12 août 1798

 

Apparaissant devant le sillon des vagues,

Je fouille les eaux troubles des caraïbes,

A la poursuite des neuves danaïdes.

Ces flibustiers ont sur le flan une dague,

Et au mât, cette originale bague ;

Un drapeau tricolore ! Pauvre séides !Je viens de cette terre de Louisiane !

Écumant les ondes d’un peuple hostile,

Caressant les vagues, ayant fui nos villes,

Nos marins s'arment ! Hideuse Marianne !

Ils parlent de dette ; plèbe océane !

La France royale n'est plus ! Eux, qui sont-ils ? 

Nous ne devons rien au petit Directoire,

Qui d'Europe et d’Afrique a déversé

Les haines intactes de peuples opprimées

En répandant abattement et désespoir !

A l'aube, des canons ! Et canonnades, le soir !

Veulent-ils aussi  l'Amérique à leurs pieds ?

La mer ensanglantée sera leur boutade !

S'il faut, tel Ulysse, pour leur repentance,

Qu'ils errent sur les flots, notre vengeance

Sera qu’ils errent sans déceler de rade !

Leurs jours, jaugés à notre juste balance,

Seront des aurores sans renom et fades.

                               

 

 

LE MARIAGE DE DESIREE CLARY

ET DU GENERAL JEAN-BAPTISTE BERNADOTTE

17 août 1798

 

Pour me guider ainsi vers d’autres rivages,

Je fais confiance à mon cœur étourdi 

Et au souffle dur, solide et sauvage

Du juvénile général dont je fus l’amie.

 

Etend ton bras, et cette liane féroce

Autour de ma taille encore endolorie,

Nous fera avancer de ce pas véloce

Nous emportant ivre, amoureux de la vie !

 

 

 

LE DEPART DE KILLALA

Débarquement en Irlande du Général Jean Humbert

23 août 1798 – campagne d’Irlande

 

 

Au lever du jour, j'eus l’amère vision ;

Là, devant moi, un grand puits sans fonds

Et derrière, étendue, la vaste mer,

Alors que je posais le pied sur la terre.

 

Nous avançons vers la pénombre et l’oubli.

Nous savons le sens des choses et leur prix. 

Au nom de la liberté qui refleurira,

Et que s’évapore à nos yeux Killala…

 

 

CASTLEBAR

Défaite des troupes anglaises, 27 août 1798

Campagne d’Irlande

 

 

Ils courent comme des anguilles ;

Ils s’envolent comme des moutons ;

On voit s’enflammer ces brindilles

Comme du foin en chaude saison.

Où que nos yeux éblouis se posent,

Ils voient cette soldatesque cavaler !

Partout ou presque s’impose

Cette vision superbe de l’été !

Cette débandade anglaise,

Cette course à reculons,

C’est Castlebar, l’irlandaise ;

Ou l’année française, c’est selon.

 

 

 

L’AURORE

8 septembre 1798 – Campagne d’Egypte

 

 

Quelle douce clarté vient éclairer l’orient !

Est-ce l’aurore ou la sortie du sommeil ?

Est-ce mon vœux qui m’entoure et m’éveille

Ou l’équilibre instable du soleil levant ?

 

Je regarde par une fenêtre, désinhibé, 

Les êtres se hâter vers un quelconque lieu ;

Les femmes ici se coiffent les cheveux

De parfum et de boucles et vont nu-pieds.

 

Aucun ornement ne trouble cependant

L’harmonie suave de robes familières ;

De ma bouche n’exhale que l’odeur première,

De l’aurore des choses, des bonheurs naissants.

 

                  

LA CAPITULATION

DU GENERAL JEAN HUMBERT

15 septembre 1798 – Campagne d’Irlande

 

 

Que faisons-nous loin de notre France ?

Ainsi est close, la dernière espérance

De rentrer victorieux ! Tout a disparu.

Nos rêves mêmes sont des songes vaincus !

Il ne reste rien d’autre que des mourants

Et des capturés ; les cloches d’églises, sonnant

La fin de la nouvelle république de Connaught,

Font de notre marche dénuée de bottes

Un requiem pour cette terre irlandaise ;

Les plages de Killala ont un goût de falaises…

 

 

                               

 

PAULINE FOURES

1er décembre 1798 – Plaines d’Egypte

 

 

En déesses aériennes que rien ne touche plus,

A la mode du directoire, époque factice,

Recouvrant ses jambes, une toilette fendue,

Qui change les femmes en créatures complices.

 

Elle a la prunelle des innocentes craintives ;

Le courage physique des anciens chevaliers ;

Elle marche sur le sable, en postures lascives ;

Semble un « bienvenu »  aux allégresses du passé.

 

C’est ainsi qu’on la croise, dans le pays du Nil,

Venue avec son lieutenant en conquête

Sur la terre des pharaons. Ornements dociles

Et incivile beauté font tourner les têtes.

 

Voyez Bonaparte, grand cocu magnifique

Ulcéré par les traîtrises de Joséphine,

Renier le souvenir de l’épouse impudique

Pour sombrer dans les bras captivants de Pauline.

 

Le mari de la belle est promu capitaine ;

Voyer cette grâce ! Cette mission secrète

Qui éloigne les amants – orientale scène !

Oh, ne plus pleurer de ses yeux la défaite.

 

La nouvelle Cléopâtre, le nouveau César,

Chevauchent côte à côte dans de beaux uniformes

Qui se soulèvent sous le vent âpre de l’écart

Et endort l’idylle dans son chloroforme. 

 

 

DISCOURS DU GENERAL BONAPARTE

AUX HABITANTS DU CAIRE

21 décembre 1798

 

 

Des hommes pervers vous ont égaré

On m’a demandé d’être miséricordieux

Dites à vos orateurs de mosquées

Que je suis celui annoncé par Dieu.

 

Ni dans ce monde ni dans l’autre

Il n’y a de refuge pour mes ennemis ;

Ne voyez-vous pas mes généraux apôtres

Et que le vaste univers m’est soumis ?

 

Je viens du fonds de l’occident

Remplir la tâche qui m’a été imposée.

Dans le livre saint du Coran,

Plus de vingt passages m’ont annoncés !

 

Je sais même ce que vous n’avez pas dit,

Car je lis dans les cœurs et les âmes.

C’est un ordre supérieur qui me conduit,

Et je partage selon, le miel ou les flammes.

                         

                               

 

 

 

 

 

 

 

LE MASSACRE DES TROIS MILLE

PRISONNIERS DE JAFFA

10 mars 1799 – Palestine, campagne de Syrie

 

 

Jaffa, ancienne échelle de l’orient,

Cité de l’Empire ottoman,

Tes nombreux habitants sont assiégés

Par Bonaparte et ses grenadiers.

 

Le général envoi deux porteurs

Et les français sentent la fureur

Les saisir à la vision écœurante

Des deux têtes pendantes

Sur des pics ensanglantés !

- Soit ! Il faut donc massacrer !

 

Une horde s’abat sur la ville

Et viols, meurtres (toutes choses utiles)

Sont accomplies dans le désordre parfait !

On envoi alors le jeune Beauharnais.

 

Contre la promesse de vies sauves,

Trois mille combattants quittent l’alcôve

Des remparts protecteurs de Jaffa ;

Et voilà la sentence du général-roi :

- Que veulent-ils que je fasse de tant

De prisonniers ? Ais-je des bâtiments

Pour les déporter ? Ais-je des vivres

Pour les nourrir ? Il faut poursuivre

Et, s’ils sont libérés, dans notre guerre,

Ceux-là seront nos prochains adversaires !

N’utilisez pas trop de cartouches ;

De si près, les baïonnettes feront mouche !

 

 

ARRIVEE DE LA PESTE

DANS LES TROUPES DE BONAPARTE

18 mars 1799 – campagne de Syrie

 

 

J’ai combattu des fantômes,

Des souvenirs agonisants,

Des cavaliers dont l’arôme

Etait fait de vie et de sang.

 

J’ai croisé la guerre, le fer,

La colère des éléments,

L’autorité scripturaire,

Mais la peste, c’est affligeant !

 

Elle rode près de nos quartiers

Et dévore, surpuissante,

Ceux qui hier étaient des guerriers.

Criminelle zigzagante !  

 

Que l’on pointe aux cieux les arcs !

Que l’on vise les nuages !

La peste, nouvel éparque,

Nous dirige, nous ravage !

                              

 

 

 

PRECHE D’UN IMAM

A LA MOSQUEE DU CAIRE

31 mars 1799

 

 

Le temps des mille ans de notre ère s'achève,

Car voici que viennent des lointaines nations,

Des hommes armés de cet immense glaive,

Le nombre et la force de l’émigration !

Pareils aux grains de sable, après la marée,

Aux gouttes de pluie, en plein cœur de l’orage,

Ces hommes se déversent par troupeaux entiers

Et font de nos palais, d’immondes marécages !

Ils surgissent de derrière les grandes montagnes,

Des recoins les plus reculés de la terre,

Des mers lointaines, de leurs lugubres campagnes,

Des plaines prolifiques, ou des vastes déserts !

 

Défendez le lieu qui vous a vu naitre

Ou vous n’aurez bientôt plus que vos vieux os ;

Et vos carcasses lourdes ne pourront paraître

Qu’un peu de chair et de sang, sous une peau !

Notre maison est bien vieille et notre âme aussi.

C’est un château de sable près à s’écrouler.

Et pourtant, devant vous, mon âme rajeunit ;

Je vous sais être prêt ; cela m’a consolé !

 

 

 

 

 

CONTE D’ORIENT

12 avril 1799 Campagne de Syrie

 

 

Voici ce que je vis – il y avait alors,

Venant des plaines d’Égypte, la nouvelle croisade

D'hommes juchés sur des montures nomades,

Rêvant de châteaux-forts.

 

Ils avaient vaincu El-Arich et Nazareth !...

Semblant innombrables aux peuples indignés,

Ils nourrissaient la vague, encore inconsolée,

Des soldats du prophète.

 

Parlant du destin, de nouvelles victoires,

De peuples asservis et de richesses promises,

Ils arrivèrent. L'espoir soudain s'amenuise,

Au contact du tonnerre.

 

Le cinquième jour après le heurt redouté,

Déferlant du sud, les authentiques Bohémond

Abandonnèrent les déserts lisses, les nobles monts,

Et les villes assiégées.

 

Quiconque a vu comme moi, le noir défilé

Des nouveaux francs s'abattre sur cette terre,

Pensa à Antioche et aux antiques guerres,

Aux Saladins passés.

 

J'ai foulé les débris de cette aventure,

Du haut des vastes murailles de Saint-Jean d'Acre ;

Le général franc galope vers son sacre…

Et son désastre sûr.

 

 

ODE AUX CONQUERANTS

17 avril 1799

D’un blessé Ottoman après la bataille du mont Thabor

Campagne de Syrie

 

 

La mort t’admire, ô cavalier fascinant ;

Et c’est un beau don, que celui d’offrir

Aux hommes éphémères, un éternel avenir !

Tes horribles pensées, lui sont un ravissement.

 

Le gouffre de ton regard, nauséeux et vulgaire,

Attire la pourriture de tous ceux de ta race ;

Un à un, puis les autres, à chacun sa place

Dans la carrière glorieuse, rude et militaire !

 

Le sourire d’un cadavre froid et édenté

Accueille ton prestige au-delà du temps.

Les chroniques oublient l’odeur du sang ;

Et les contes fabuleux, les squelettes offusqués.

 

 

 

                           LA MORT DU GENERAL MAXIMILIEN CAFFARELLI

27 avril 1799 – Saint-Jean-D’acre, Palestine

 

 

Les enfants le regardent en riant

Ce cheval sous un mendiant

Ce général à la jambe de bois

Aux abois

Il claudique tel une tour assiégée

Une vie voulant être abrégée

Par le lourd poids des profondeurs

Qui de la terre arrivent au cœur

Les dieux ne s’offusquent pas

Des amoureux du trépas

De l’unijambiste conquérant

De la houle chavirant

Et prenant un autre de ses morceaux

Le bras où sont brisés les os

Dans le pays du fils de l’homme

Du sacrilège capharnaüm

Caffarelli charge sabre au clair

A la fois tonnerre et éclair

Et goûte à la saveur des lauriers

En perdant son baudrier

 

 

 

 

VOYAGE AU PAYS DES MAURES

20 mai 1799 – campagne de Syrie

 

 

Radieux, le soleil chauffait nos fronts percés

De gouttelettes brûlantes ; Recouvrant nos nez,

Un tissu empêchait le sable oriental

De pénétrer nos narines. Ce tissu, un voile

Léger, telle une strie blanche dans le ciel azur,

Dessinait une onde, en vivante peinture.

 

Nouvelle caravane de marchands pittoresques,

Nous transportions la mort, vers les peuples mauresques...

Les tentes indigènes, hostiles à notre avancée,

Semblaient autant de puits d’où saillait le terme

De notre voyage. Les yeux toujours angoissés,

Nous appréhendions la rancune qui germe

Dans le cœur des fils de Noureddine ou Zanki.

 

Partout, sur notre passage montait ce cri :

- Allah Akbar ! Mort aux peuples infidèles !

Dieu est le plus grand, et Mahomet nous appelle !

Alors, exsangue par le périple ennemi,

Malgré les blessures évitées par milliers,

Nous paraissions lascifs, tout au moins alanguis,

Il faut me croire, nous étions déjà tués…

 

 

 

FANTOME

21 juin 1799

 

 

Je me composai une femme de toutes les femmes ;

Elle avait les cheveux, la taille et le sourire

D’une créature irréelle dont le suave charme

Avait toujours été ; ne saurait pas finir.

 

Elle avait cette belle candeur exquise

Que l’on rencontre quelques fois par hasard,

Auprès des vierges suspendues au fonds des églises

Et qui vous sourient dans la pénombre du soir.

 

Au milieu des jardins où j’aime à divaguer ;

Au bruit vaporeux des vagues océanes ;

Partout, je le sais, cette femme rêvée

Me suivra d’un air transparent et diaphane.

 

                               

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LA DEFENSE DE ROSETTE

Par Louis Joseph Victor Jullien de Bidon

25 juillet 1799 – campagne d’Egypte

 

 

Alors que les Osmanlis abordaient Rosette,

Formant une nuée enclosant cette miette,

Un vieillard du village de ce pays maure,

Assura de son soutien, Louis Joseph Victor.

 

- On dit que tu vas nous quitter, noble français.

Reste ici, parmi tes amis, puisqu’il nous plait

D’être sous ton autorité et sous ton nom.

Le soir arrive si vite et ses illusions.

 

A quelque endroit de là, s’apprête le crime ;

Mustapha Pacha et Mourad Bey déciment

Au loin. Le premier, agacé, dit au second :

- Est-ce là, la horde de ce Napoléon ?

 

Je les ai déjà balayés de cette terre !

Hier, monuments ; aujourd’hui, cimetières !

Voilà ce que sont ces hommes-là, devenus ;

Par centaines, devant moi, je les vois étendus…

 

Ces français tant redoutés, que ma présence

A suffit à les faire fuir ! Sont-ils immenses,

Les vils doutes que tu avais en notre force ?

Ils ne sont pas arbres,  à peine des écorces !

 

Dans le fort de rosette, attend comme un bon vin,

Dans son nid de guêpes, le général Jullien.

L’ottomane invasion qui déferle sans guerre !

Il ne voit au loin qu’un mur de poussière…

 

 

 

 

 

                               

 

 

 

 

 

 

 

BATAILLE TERRESTRE D’ABOUKIR

Victoire de la République Française

Sur l’Empire Ottoman

25 juillet 1799 – campagne d’Egypte

 

 

Le ciel bleuté de l’été africain ;

Les plages claires de sable blanc et fin ;

La mer calme et sans aucune fronce ;

Voilà le décor du conflit qui s’annonce !

Le recommencement sans fin éclate

Et les milliers d’ottomans combattent

Sur une presqu’ile blanche et chaude

Où les français et la mort maraudent.

Les hommes sont secs comme des fruits noirs.

Ils tombent par grappes mûrs, sans savoir

S’il est un quelconque sursis est possible.

Le Coran l’ignore, de même la Bible.

Cinquante français, lancés mal à propos,

Se retrouvent blessés et aussitôt

Les turcs, selon l’usage sortirent en foule

Et coupent les têtes de cette houle

De mourants gisant sur le sol vermeil.                               

 

Livré à ce spectacle sans pareil

Murat charge avec sa cavalerie !

A ce moment l’homme est une fourmi ;

Il ne vaut guère plus que l’insecte laid,

Dévoyé par le feu, le sang ; la paix

Ne vient que de l’anéantissement,

Ou des français, ou des cris ottomans.

 

La mort hésite, infinie girouette ;

Les ombres, ses proies, posément s’inquiètent

Et s’amoindrissent à chaque assaut.

Effaré, on marche vers le néant bientôt !

 

En mer, glisse au loin la flotte anglaise.

Elle surveille les eaux et la fournaise

Qui embrase son allié musulman.

Oh, l’hideuse vision : dix mille turbans

Se noyant dans les eaux écarlates !

Napoléon vainqueur, ce jour fera date !

 

 

 

 

 

BATAILLE DE NOVI

15 août 1799

Défaite française entrainant  le retrait des troupes d’Italie

 

 

La gloire enjambe, et les lieux, et les hommes !

Nous voici à nouveau, dans l’empire de Rome, 

Qui en ce quinze août, voit à Novi, rassemblées,

Russie, Autriche, France, mêlant leurs armées !

Alexandre Souvorov, depuis le printemps,

Culbute des nuées entières de régiments

Qui hier encore, étaient des aigles féroces. 

Aujourd’hui, ce sont des enfants que l’on rosse !

La France, étonnée des défaites transalpines,

Refuse de mourir et gonflant sa poitrine

Offre à Novi, le jeune général Joubert ;

Le Samson s’écroule et c’est un cratère !

La mort s’abat sur le pimpant cavalier ;

L’Italie maintenant, c’est où il faut briller !

Mais la faucheuse l’emporte dans sa froide cachette

Et l’aurore s’éveille, rangeant aux oubliettes

Le général tombé, ou trop tôt, ou trop loin ;

Qui peut dire que demain, encore il s’en souvient ?

 

 

 

RETOUR DE NAPOLEON

A BORD DE LA FREGATE LA MUIRON

Du 23 août au 9 octobre 1799

 

 

Il devine la défaite certaine

Il comprend la cohue possible

Qui là-bas entrevoit la prochaine

Monarchie demain accessible

Lâchant une armée malade

Ses yeux scrutent la France

Laissant Kléber en sérénades

Filant droit vers sa chance

Cette traversée formidable

Berce des monceaux de trahisons

Elle est quarante-sept jours de véritables

Odes vers l’horizon

Qu’est-ce que des milliers de prisonniers

De veuves d’orphelins et de tombeaux

Quand on augure un demain printanier

Sous les hourras et les flambeaux

 

 
 
 

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