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1789 - 1794 "poèmes centenaires"

LE SERMENT DU JEU DE PAUME

20 juin 1789

 

 

Bourgeoisie ! Pétrie des idées des lumières

Du siècle finissant, expose ton pouvoir !

Quand noblesse et clergé disent le bonsoir,

Oubli les belles lois, jadis coutumières !

 

Bourgeoisie ! L’heure du triomphe est proche !

Le Tiers, à la salle de l’hôtel des Menus

Plaisirs, gronde devant le vouloir saugrenu

D’un monarque sourd, de plus en plus fantoche !

 

Avant que la constitution du royaume

Efface les privilèges qui embaument,

Le serment est fait de ne plus se séparer !

 

Le roi, à qui on demande un avis preste,

Répond à ce Tiers-Etat, qu’il sait dévoyé :

- Bien ! S’ils ne veulent pas s’en aller…qu’ils restent !

 

                               

LE COURAGE

DE JOSEPH MARTIN-DAUCH

20 juin 1789

 

 

Les bras croisés sur la poitrine ;

La tête penchée, il a honte ;

Il comprend que l’on assassine ;

C’est la fin que l’on raconte !

 

Il ne veut pas se joindre aux cris

Du serment du Jeu de Paume ;

On lui promet d’être proscrit,

Lui, et son foutu royaume !

 

Aussitôt, on entend : "A mort !"

Lui, n’est pas envoyé ici

Dit-il, pour d’affligeants transports,

Ni pour hacher la monarchie !

 

On le somme de s’abstenir ;

Il écrit en face de son nom :

« Opposant ! » Et c’est un délire

Au terrible coup du canon !

                               

LA PRISE DE LA BASTILLE

14 juillet 1789

 

 

La Bastille était gardée par quelques invalides

Et un timide gouverneur stoïque et impavide,

Quand l'assemblage d'humains hurlant au dehors des murs,

Engloutit ce lieu, chavirant sous les meurtrissures ;

Spectateur de cet assaut où se mêlent, satisfait,

Détrousseurs et égorgeurs, larrons et pickpockets,

Je vis ces hordes béates, avinées et frustes

Décoller la figure d'un homme de son buste !

 

Au milieu du tumulte de cette grande infamie,

Ivrognes conquérants, décrétèrent : "vive l'orgie !"

Les prostitués et les sans-culottes débutèrent

Leur règne ; des passants apeurés se dépouillèrent

De leurs peignes devant des hommes affreux, mélangés,

Beuglant bien plus qu’ils ne parlent, en ce soir d’été !

Ils se retrouvent, grisés comme à leur habitude,

Dans les bas-fonds, les arrière-cours, en multitude :  

 

Gens sans croyance, réfractaires de toute tutelle,

Gibier de justice aux grands vices artificiels ;

Teigneux détestables, club des atrabilaires,

Ils viennent tous suinter leur gloire révolutionnaire

Et brailler, tels des parasites riches en furies :

"Que la fraude et le braconnage remplacent la vènerie !"

Des contrebandiers, crasseux somment la capitale !

Farouche, exorbitante, est cette plaie sociale,

N’ayant rien à défendre, si ce n’est leurs folies,

Ils violent et abattent, guidés du seul mépris !

 

Elle fuit, ravie du lourd forfait de son crime,

Flairant les proies cachées, que ce jour abime,

Cette horde repue, apostrophe la mort ;

Elle se cabre, hirsute, puis dévore.

O farouche harde que plus rien n’endigue,

Tu bondis dans l’horreur au son d’une gigue,

Tel un torrent violent, franchis les maisons,

Les villes, les campagnes, ouvre les prisons !

Allongé sur le sol, les hommes, en bétail,

Gisent sous un ciel bas, drôles d’épouvantails ;

Quel pittoresque, sous la lune pleine !

La peur se répand, plus forte que la haine

Et nourrit quelques enfants, fuyards et vaincus,

Que rien ne défend de la masse qui tue !

 

 

LA LANTERNE

22 juillet 1789

Après le discours de Camille Desmoulins

 

 

A l’angle de la rue de grève, on discerne,

Près de l’artère nommée, de la vannerie,

Haute, droite, forte et fière, une lanterne,

Ou ce qu’il en reste, un bras de fer rabougri.

 

A cet endroit, pendouillent les plus étranges fruits !

Quelques ombres disparues, reliques anciennes ;

C’est un très grand mal pour celui qui s’ennui

Que de chanter la lanterne, aux ombres qui viennent.

 

Les mots prononcés par toi en ce jour, Camille,

Ont embrasé mille potences improvisées ;

Car nos paroles sont le poison d’où s’enfuit,

Le venin jamais tarit des haines passées.  

 

Avec quelle simplicité, la foule, multitude

Amusée, accroche quantité de ces lampions !

L’accouchement de la liberté fût rude,

Et l’enfant mort-né, est notre révolution !

 

 

                               

LA FOLLE NUIT DU 4 AOUT 1789

 

 

De citadelles incendiées

En vieux châteaux abattus,

Le peuple assoiffé se rue

Sur ceux qui l’ont confisqué ;   

 

La peur engendre la peur !

L'assemblée craint les rébellions !

On discourt des agitations

Qui emplissent les cœurs !

 

Oui, cette nuit, ont disparu

Les garennes, les privilèges,

La dime et le manège

Féodal d’un temps trop bu.

 

 

PAUVRE A TOUT FAIRE

5 septembre 1789 - Bastia

 

 

Je déjeune avec du pain sec

Verrouillant ma porte sur la pauvreté ;

Tout l’argent que je n’ai pas est un bec

Qui me pique sur les mains et sur les pieds !

On me voit et on parle d’échalas,

De bête à bon dieu, de bedeau, d’haridelle.

Ces voix qui susurrent, je ne les entends pas ;

Moi, la ronce parmi les ravenelles.

 

 

 

LES PARISIENNES A VERSAILLES

5 octobre 1789

 

 

Les parisiennes sont à la fêtes ;

Elles se ruent avec fureur

Sur les grilles ; rien ne les arrête,

Ni les gardes, ni l’honneur.

 

On égorge comme des porcs !

On s’éclabousse d’entrailles !

On connait la joie du fort

Qui tient le faible en entailles !

 

La reine s’enfuit comme elle peut ;

La foule hurle et porte des coups,

Vomit des injures vers les cieux,

Au bout de pics veut des cous !

 

Cette multitude d’assassins

Suinte le rite tribal

Quand Lafayette, enfin,

Eloigne ces cannibales !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’EAU DE JAVEL

Du chimiste Claude Louis Berthollet 5 décembre 1789

 

 

De mon temps, on ne retient que les guerres,

Les grands discours et leurs fourmillements…

Pourtant, j’ai repéré cette étrange matière,

– En vérité, reliquat d’équations chimiques – !

Que n’ai-je pu appliquer ce décolorant

Sur cette fin de siècle, au rouge inesthétique !

 

 

 

LE FROID DE PARIS

31 décembre 1789

 

 

Jamais le thermomètre n’est descendu si bas ;

Il fait un froid horrible, et dans les faubourgs,

L’homme est sorti avec son enfant sous le bras.

C’est un père. L’enfant à sept ans et quelques jours.

 

Oppressé par la dure vivacité de l’air,

Sa bouche fait comme une espèce de hoquet ;

Une femme les rejoint dehors. C’est la mère.

Où déambulent ces trois-là, nul ne le sais.

 

Ils ont faim et, le ventre vide ils avancent

Au hasard. Presque personne n’est dans les rues.

A leur démarche on supposerait qu’ils dansent,

Mais c’est le givre qui fonde ce tohu-bohu !

 

Pas un seul mot n’est exprimé par ces ombres.

L’unique bruit provient de leur pas. La bise,

Dont l’haleine mortelle enveloppe en nombre

Ces êtres, harponne ces vies soumises.

 

Quelle vision près du Pont-Neuf ! Et quelle pitié !

Sur le bord de la Seine, ces petits malheureux,

Regardent l’eau noire, se tenant entrelacés,

Et d’un coup se jettent dans le feu hideux !

 

Beau fleuve, il faut les sauver ! Ils sont déjà morts...

Quel mystère que ces trois naufragés endormis.

On sent presque leurs souffles qui respirent encore

Et l’on croit voir – enfin – leurs visages qui sourient.

 

 

 

INCORPORATION DE LA CORSE

25 janvier 1790

 

 

Cette île cesse d’être un pays conquis ;

Son peuple rejoint notre famille

Et ses paysages deviennent terres françaises.

De là, un empereur est né, aux rois ne plaisent !

 

 

 

 

LE LIBERTIN

3 mars 1790

 

 

A l’âge de quatorze ans, j’eus la petite vérole ;

Je fus attaqué de toute part et, drôle,

Je jalonnais mes rencontres de ce titre de gloire !

Personne ne fut plus ardent, ni plus méritoire

Que ce début d’homme, mordant dans les nuits !

Retranché dans une chambre, collé dans un lit,

La présence funeste des corps féminins

Exposés, alanguis, offerts à mes mains,

Achevait de me corrompre tout à fait !

Je marchais sans y voir ; cependant, j’y allais.

L’outrage des ans accumulés sur ma peau

Me fit passer de jeune abbé à pied-bot,

De nouveau sigisbée à vieux courtisan.

J’ai cru à ma jouvence, à son firmament !

Aujourd’hui, j’écume des souvenirs trop lourds ;

Je ne veux plus entendre, juste être sourd

Aux majestés des sourires enjôleurs et câlins.

La jeunesse est une menteuse et l’amour un vaurien !

 

                              

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DECLARATION DE PAIX AU MONDE

22 mai 1790

 

 

Parce que nous sommes fatigués et las,

Parce que nos tombeaux, vastes et froids

Encombrent nos clairières ;

Parce ce que nos orphelins réclament

Leurs pères ; que les mères, vidées de leurs âmes,

Maudissent les guerres ;

 

Parce que l’espérance regarde

Les silhouettes vieilles et hagardes 

D’un futur immonde ;

Nous déclarons, ici, la paix au monde.

 

Parce que dans nos champs, seuls les merles

Travaillent la campagne ; que déferlent

Partout des soldats ;

Parce que nos fermes s’abandonnent,

Et les villes, exsangues, tourbillonnent 

Aux chants des prélats ;

 

Parce que mon cœur plein d’amertume

Suinte la rancœur (oui, je l’assume !)

Sans perdre une seconde,

Je déclare, ici, la paix au monde !

 

 

 

                                          LA GLORIEUSE RIVIERE DE SEINE

7 août 1790

 

 

Le long des quai de Paris

A l’ombre du Louvres et des Tuileries

Coule la glorieuse rivière de Seine

Telle une reine en son domaine

Elle caresse les boutiques des libraires

Et clapote la ville d’antiquaires

Et profuse une grâce bizarre

En millénaire lézard

Le passant qui la voie emporte l’idée

Que telle la patte d’un félidé

Elle attrape le regard pour toujours

Souveraine sur toute sa cour

 

 

                          

LES MOTS

15 octobre 1790

 

 

Je voudrais dire avec des mots humbles

Sans sortir de griffes ni de grands sabots

La beauté de ce parfum qui embaume l’air

Il y a voyez-vous la nature et il y a l’homme

Lorsque le vent se lève il faut fermer les yeux

Et avancer malgré tout malgré l’enjeu

Qui froisse les désirs et qui nous « entourbillonne »

Il y a les ombres parce qu’il y a lumière

Il y a les tombes parce qu’il y a vie

Et les blancheurs cadavériques emportent

Toujours ceux qui s’endorment tranquilles

Je ne sais si j’existe

S’il faut faire des prières

Je suis de ceux qui tremblent depuis biens des matins

Je sais le terrible je sais la noirceur de la guerre

Je sais aussi la liberté et l’honneur

Je sais la fraternité et la justice

Je sais ces mots nécessaires

 

 

 

OUVERTURE DU GLOBO PATRIOTTICO

6 janvier 1791 – Ajaccio

 

 

Le club des Jacobins fait école en Corse ;

Sûr de son droit et de sa force,

De l’exemple français de la révolution,

La jeunesse flamboie ; aussi, Napoléon !

Car ici, la noblesse est pareille à l’autre !

A celle de Paris et des villes apôtres

Qui refusent le progrès constamment !

A croire que leurs yeux, sont ceux de non-voyants !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

GEORGES CADOUDAL

8 mars 1791

 

 

La révolution est une belle idée

Entre des mains d’assassins !

Voilà l’amère pensée

De Cadoudal, fantassin

Des pays de l’ouest.

De La Rochelle à Brest,

Le peuple réfute cet ordre ;

Quoi ! Il faudrait tordre

Le cou aux prêtres de nos campagnes !

 

La foi est une montagne

Que n’écrouleront pas ces sauvages !

Qu’ils viennent seulement dans nos marécages !

Ce n’est pas la justice qu’ils réclament ;

Ce sont nos âmes !

 

 

 

 

DISCOURS SUR LA PEINE DE MORT

PAR MAXIMILIEN ROBESPIERRE

30 mai 1791

 

 

Hors de la société civile,

Lorsqu’un ennemi acharné

Vient attaquer mes jours tranquilles,

Malgré que vingt fois repoussé ;

Lorsque, ravageant sans remords

Le champ par mes mains cultivé,

Il m’occasionne bien des torts ;

Ne pouvant rien lui opposer

Que mes forces individuelles,

Il faut, soit que je périsse, soit

Que je le tue, loi naturelle !

Vérité et justice que ce choix !

 

Mais dans la présente époque,

Quand la force de tous s’abat

Contre un seul, la justice se troque

Contre la vengeance hors la loi !

Un vainqueur qui fait au captif

La sanction de mort est un barbare !

Celui qui égorge le rétif

Montre sa défaite, non sa victoire…

Le tic-tac des crimes solennels

Commis par l’entière nation,

A l’aspect légal et cruel

De trop lâches exécutions !  

 

Elles sont l’ouvrage des tyrans !

Elles accablent l’espèce humaine !

Elles furent écrites avec du sang,

Et ces mises à mort sont nos chaînes,

Nées de l’union monstrueuse

De l’ignorance et du despotisme !

La peine de mort est l’heureuse

Excroissance de tous les fanatismes !

« La sanction suprême est nécessaire ! » 

Disent ses nombreux partisans.

« Sans elle, point de frein à la guerre

Que se livrent les hommes. Pan ! »

 

La plus mortelle des peines,

C’est l’opprobre qui nous accueille !

Pas le sang versé de nos veines…

Le désir de vivre cède à l’orgueil !

Les accablants témoignages sont,

Par l’exécration publique,

La plus forte condamnation.

Dans une belle république,

Le châtiment cruel dégrade

L’âme du maître et celle de l’élève.

Ne courons plus les estrades,

La mort vaut plus qu’une vie qui s’achève…

 

 

 

LA FUITE VERS VARENNES

20 et 21 juin 1791

 

 

Un carrosse s’engouffre dans la noirceur, fuyant ;

Sur son passage, les chemins bringuebalant

Avalent fiévreusement l’ancienne noblesse.

Et du roi ou du valet, sait-on qui est-ce ?

Ils ferment des yeux lourds et se sont assoupis.

Escortée de toute part, la voiture plie !

Monsieur Durand et Madame Rochet à bord,

Sont-ils des citoyens ? Hier, souverains encore !

Le chaos du parcours ne les rassure pas,

Habités par le grand doute, qui règle déjà

Dans leurs cœurs lassés de monarques en sursis ;

Fini les jardins ! Ne resteront que les puits

Où poussent des fleurs fanées et noctambules.

La lumière du peuple est un crépuscule !

 

 

LA CEREMONIE DU BOIS CAIMAN

14 août 1791 – Saint-Domingue

 

Le bois-caïman est un lieu reculé

Emplit de flammes prêtes à brûler

L’ombre blanche qui souille cette île.

Les cadavres, au nombre de mille,

Seront répandus sur cette perle,

Mangés par les crapauds, les merles,

Sacrifié au vaudou, dès le bonsoir,

Ayant bu le sang du cochon noir.

 

 

DECLARATION DE PILLNITZ

27 août 1791

 

 

Les monarques songeurs de l’Europe entière,

Sentant chanceler leurs trônes, se levèrent

En meute belliqueuse et abasourdie !

Pauvre cousin de France ! Ils l’ont repris !

Cruelle route de Varennes. Fallait-il

Que même l’échappée soit inutile ?

Emus de l’immense malheur de Louis XVI,

Les souverains argumentent et soupèsent

Le danger de la grande contamination…

Qui sait où s’arrêtera leur révolution ?

Partout, on prêche à la guerre merveilleuse !

Du droit des Rois à la bienheureuse 

Tranquillité de dominer sur les masses !

Et la Prusse et l’Autriche, ensemble déplacent

Les armées de la première coalition

Contre ces français et leurs gesticulations...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ODE A LA GUILLOTINE

25 avril 1792 – Paris

 

 

O, jour grandiose parmi les jours !

Adieu, vil bûcher de l’hérétique !

Adieu, pendaison problématique

Par ta raideur à clore les jours !

 

Adieu, écartèlement régicide !

Adieu, bouillage du faux monnayeur

Qui enflammait tous les corps et les cœurs

De l’assistance toujours avide ! 

 

Adieu, roue aux bandits de grands chemins !

Adieu, épée ou hache pour toi, noblesse !

Désormais, existe une caresse

Toute nouvelle pour les cous vilains…

 

Nous éternuerons dans la sciure,

Grâce à vous mon bon monsieur Guillotin ;

En humaines bûches, sommes soudain

Prêts à vous montrer notre figure.

 

Le nombre étant l’ennemi du bien,

Le spectacle sera moins épique !

Heureusement, seront parmi la clique,

Un roi, une reine et quelques gens de biens !

 

 

 

LE MASSACRES DES GARDES SUISSES

Vu par Napoléon Bonaparte

Depuis une fenêtre du carrousel 10 août 1792

 

 

Au milieu de Paris, une foule déguenillée,

Dégoute d’épouvante et d’inhumanité.

C’est là un évènement de ma vie réelle !

 

Je vois le mouvement d’humaines stèles 

Vociférant leurs insultes ! Ce grand troupeau,

Grossier et burlesque, approche du château.

 

 « Ecrasons l’infâme » ! Hurlent ces ivrognes.

Avec d’étranges armes, ces boiteux, ces borgnes !

Cette populace mêlée s’encourage.

 

C’est la prise d’assaut du palais, le carnage ;

Des bêtes s’engouffrant dans une grotte !

Voilà la vision de ces hommes sans bottes

Qui veulent des têtes au bout de leurs piques !

 

La cohue effroyable devance la panique !

On déchire, on perce, on plante, on arrache !

On montre, on démembre, il faut que l’on sache

Ce que peut produire un peuple en colère !

 

Les uns tournent la tête, les autres laissent faire ;

Les gardes suisses s’amoncèlent en cadavres.

Dans cette défaillance royale, tout navre !

 

Il aurait suffi de trois canons bien placés

Pour stopper cette canaille dépenaillée !

Voyez ! Partout l’irritation est extrême ;

La nausée et le vertige se démènent…

 

Car la rage se montre sur les figures !

On ne tue pas, on veut faire des blessures...

Des blessures longues et pénibles à mourir !

Des fractures qui laissent le temps de maudire.

 

                          

 

 

 

LES SEPTEMBRIERS

1er septembre 1792

 

 

Dans la coque de son église

Comme dans la carcasse des âges,

Danton, satisfait, théorise

Le meurtre appliqué et sauvage ;

 

On chicane sur la manière,

On parlemente sur l’idée ;

La question que l’on préfère :

« Faut-il noyer ou brûler ? »

 

La vilénie se trouve dans le choix

Des victimes ainsi désignées ;

On parle d’hommes de l’ancien roi,

Qui désormais sont enfermés.

 

Varennes propose pour les prisons

D’y mettre le feu : un joyeux bal !

Marat, qui a moins d’éducation :

Veut un massacre général !

 

On organise les assassinats ;

On s’apprête à cette énormité !

Danton répète à qui il voit :

"Je me fous des prisonniers !"

 

Ces procureurs lubriques et cruels,

Narines au vent, hument l’avenir ;

La furie mâle se croit éternelle

Et ne voit pas l’échafaud venir.

 

Danton, dans sa franchise sotte,

Clamait : "nous ne jugerons pas

Le roi ; nous le tuerons !" Dévote,

La multitude, elle aussi, aboie.

 

"Mais venez donc brailler avec nous,

Et quand vous vous serez enrichi,

Vous jetterez ce manteau de loup,

Et bêlerez parmi les brebis."

 

Pour l’heure, le peuple vocifère,

Aux balcons et aux estrades ;

« Vive l’orgie et vive l’enfer ! »

Le temps d’avant semble bien fade…

 

Il parait que l’on n’apprend pas

A mourir, en tuant les gens ;

L’échafaud avale les proies,

Et ne recrache que du sang !

 

                              

 

LE MARTYR DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE

3 septembre 1792

 

 

Une clameur énorme enfle dans les rues.

C’est l’appel insensé de Marat, entendu.

Les « enragés de Paris » assoiffés de sang,

Libèrent leur haine et leur envie devant

La prison de la Force.  Qui est enfermée ?

La princesse de Lamballe, la mal-titrée,

En ces temps d’écorcheurs et de parricides…

Jouet entre les mains d’éventreurs avides,

Plusieurs de ces loqueteux hurlent tout leur vin !

Ils beuglent en rots retentissants et soudain

Arrachent les vêtements de la dame offensée ;

Les bêtes se ruent sur le corps blanc dévoilé !

Prise de force par cette peuplade farouche,

Elle veut hurler, mais pas un son de sa bouche

Ne peut empêcher l’hécatombe humaine !

Il n’y a plus d’air…que de la mauvaise haleine !

Suffocant sous la masse de ces gras ventrus,

Subissant les sévices du dernier gueux venu,

Elle désire la mort ! "Vient, deuil volontaire !"

Ils ordonnent qu’elle crie ; elle va donc se taire !

Un tabletier et un jeune tambour se jettent

Sur le corps disloqué de la femme muette

Et rient ensemble de leurs dents toutes gâtées.

Puis, le reliquat de femme est décapité

Au couteau, sur une borne de la route ;

La chair mutilée s’effiloche en déroute.

Les morceaux de corps,  gracieux trophées,

Par quatre ivrognes sont alors emportés

Et traînaillés jusque devant les fenêtres

De la reine et du roi, les antiques maîtres.

Agitant des lambeaux de chemises rougis,

Brandissant sur une pique la face qui

Hier encore était la princesse de Lamballe,

Les enragés chantent, face à la reine pâle.

 

 

 

LE MIRACLE DE VALMY

20 septembre 1792

 

 

C’est une canonnade française :

Du bruit et de la fumée,

Où les victorieux, ne nous déplaisent,

Sont raisins verts et eau troublée !

 

Et voici le mythe en marche

Avec trompettes et renommés ;

On bâti une belle arche

Sur l’autel de Valmy délivrée.

 

 

 

 

 

ABOLITION DE LA ROYAUTE

21 septembre 1792

 

 

Le roi de ce jour n’est plus qu’un homme.

C’est Charlemagne et Reims que l’on gomme

D’un trait rouge. Abolition ! Abolition !

Le roi n’est rien ; tout, est la Nation !

 

C’est la fin d’une mythologie ;

Plus de cyclopes, de harpies !

Des hommes neufs sont dans la lumière

Et tous – pitié ! – se supposent frères…

 

 

                               

L’EXECUTION DE LOUIS XVI

21 janvier 1793

 

Il est cinq heures. Cléry, mon valet, m’assiste

Pour ma toilette. Ensuite, je rejoins l’abbé

Qui me confesse. Je veux encore communier,

Avant d’entrer à mon tour sur cette piste !

 

Je ne veux d’adieux avec Marie-Antoinette,

Autres que ceux de mon cœur distant de son cœur.

Je lui laisse mon alliance car ce matin je meurs,

Ils auront, pour ainsi dire, le roi et la bête…

 

Un épais brouillard emballe ce jour glacial.

Lorsque je me retourne vers la tour du temple,

Personne n’est aux fenêtres larges et amples

De cette résidence devenue royale.

 

Une voiture verte m’attend dans la cour grise,

Et j’y prends place avec l’abbé silencieux ;

Les grands boulevards resplendissent, radieux,

Escortés par l’humaine masse indécise.

 

La foule est nombreuse et partagée, ce jour.

Le baron de Batz s’élance le sabre aux poings ;

Ses compagnons, traitres, ont manqué ce matin,

Car ma voiture poursuit sa route toujours.

 

Il est dix heures. Se dresse devant moi l’échafaud

Installé en face du palais des tuileries,

Où la statue de mon grand-père, anéantie,

A disparue laissant sa place aux gais marauds.

 

Arrivé au pied de la froide guillotine,

Je demande à Sanson si les criards tambours

Cesseront de battre. O, ce mortel bruit sourd

Pour rencontrer Dieu, au moment qu’Il me destine.

 

On veut me lier les mains d’une vile corde.

Je repousse ces hommes et leur cri : "jamais !"

"Avec un mouchoir, Sire, cela sera fait"

Dit alors Sanson, comme une grâce qu’il accorde.

 

Il est dix heures vingt et couché sur la planche,

Je meurs innocent de tout ce dont on m’accuse.

Un immense « Oh ! » monte de la foule confuse ;

Quand la lame teinte de rouge ma chemise blanche.

 

                               

LE BUSTE DE GABRIELLE DANTON

17 février 1793

 

Le cimetière fleurit de ses tombes

Ecloses et parfumées les asphodèles

Les rayons du soleil les catacombes

Endormie parmi les tombes Gabrielle

 

Vêtu d’une ombre deux spectres chancellent

Dans le noir muet de l’ossuaire

Agressent le silencieux sanctuaire

Et ramènent au jour Gabrielle

 

Danton sourit à la morte récente

Et lui susurre quelques paroles de vivant

Cette représentation indécente

A quelque chose de captivant

 

Tout s’éparpille sur le limon

On moule le visage inerte

De la femme de Danton

Que la nuit déserte

Et l’on referme le lit

Sans un bruit

 

Celle qui sommeillait depuis sept aubes

Que le crépuscule enrobe

S’en retourne à son absence

Danton se relève et prie

Un souvenir semble posé sur lui

Avec bienveillance

 

 

LA COMEDIENNE MADEMOISELLE LANGE

24 février 1793

 

 

Frivole, elle marche dans les rues de Paris,

Et du théâtre de la Nation au faubourg

Saint-germain, elle danse, elle avance, elle rit

Des hommes alléchés venus lui faire la cour.

 

Elle joue le rôle que la vie lui impose,

Au temps où les têtes ne cessent de tourner.

Elle ne dit pas le mot ; elle dit : "cette chose

Nous prendra un à un, alors il faut jouer !"

 

Elle triomphe sous les beaux traits de Pamela

Et crée la mode en quémandant les bazars,

Le chapeau vermeil du personnage fat

Qui éclaire les ténèbres du matin au soir.

 

                

 

 

LE COMITE DE SALUT PUBLIC

Discours de Bertrand Barère

25 mars 1793

 

 

Barère monte à la tribune et déclare, fâché :

"Le comité que vous avez organisé

Ne peut guère travailler efficacement !

La patrie veut votre sueur, non votre temps !

Nous délibérons beaucoup et agissons peu !

Notre comité est un club de vieux messieurs !

Partout ailleurs, en présence de conspirations

Flagrantes, on sent le besoin de rédemption !

 

Il faut donc momentanément recourir

Aux autorités dictatoriales pour servir

La droite cause de notre belle révolution !

Le pouvoir du nombre, là n’est plus la question !

Qu’avez-vous à craindre d’un comité élu

Par vous, toujours surveillé par vous ? Vois-tu,

Citoyen, ce comité n’édictant nulle loi,

Peut-il agir autrement que toujours pour toi ?"

 

 

 

 

PASCAL PAOLI FAIT BANNIR LES BUONAPARTE

27 mai 1793

 

 

Qu’ils sont grotesques, ces enfants Buonaparte

Parcourant notre île ! J’ordonne qu’ils s’en écartent !

En mars, le jeune Napoléon a échappé

Au juste destin qui  lui était réservé !

Mais il est d’autres jours pour rendre possible

Ce qui a manqué ! La mort est accessible

Toujours, à qui renie notre patrie : la Corse !

Tenir le drapeau français n’est pas une entorse…

La maison Buonaparte a été mise à sac

Et la lumière inonde soudain ce cloaque,

Cette fange, ce marécage, ce bourbier

D’où tout honneur a disparu depuis longtemps !

Qu’on retrouve ces brutes, et demain on les pend !

 

 

 

 

L’ENVOL DES BUONAPARTE

10 juin 1793

 

 

J’ai renoncé à mon île

Sous les quolibets et les coups ;

Mais je me lève et debout,

M’élance gai, vers mon exil.

Je me souviens de mon île…

 

Dans une barque, frissonne

Notre famille de naufragés ;

Nos rêves sont rapiécés,

Et nos attentes fredonnent !

Et cependant, je frissonne…

 

Le silence froid de l’onde,

Dessine des ombres bacchantes

Et cette quiétude bruyante,

De senteurs nauséabondes

M’emporte sur cette onde…

 

Courant à demi-nues

Et recouvertes de lierres,

Les ombres de la mer

Me crient : « toi, d’où viens-tu

Courant à demi-nu ? »

 

La brise qui frôle ma joue,

Pose son souffle victorieux,

Et où que se tournent mes yeux,

Je vois des armées à genoux !

O, cette main sur ma joue…

 

Dans les regards de ma mère,

Se sont noyés bien des destins ;

Un fil entre nous la maintient

Hors de l’eau,  prisonnière.

Sombres regards de ma mère…

 

Si j’étais un spectateur,

Témoin extérieur de l’exil ;

Je trouverais les flots tranquilles

Et le voyage, instructeur.

Mais je ne suis pas spectateur…

 

Derrières nos épaules lourdes,

Le passé, vaincu, se vide.

L’avenir est aride,

Pour l’oreille restée sourde ;

Que mes épaules sont lourdes…

 

La Corse, cette ensorceleuse,

Vers laquelle je revenais toujours

N’a pas voulu de mon amour,

Ni de me vies tumultueuses.

Va ! Corse ensorceleuse...

 

Alors, le ciel azur s’ouvrit,

Et laissa passer nos espoirs ;

La côte française, le Var,

Volait à notre secours ; Oui !

De ce jour la voûte s’ouvrit…

 

Dans ce précaire esquif

Quand on y songera

C’est un empereur et des rois

Qui voguaient d’un pas furtif,

Dans ce précaire esquif...

                               

 

 

 

 

                               

LE RENONCEMENT DE DANTON

15 juin 1793

 

 

Danton, un stentor qui lance des colères ?

Au sein des députés, la foule toute entière

Sait les doutes qui tenaillent le gros homme ;

Car la révolution n’est qu’un vil capharnaüm !

Les guerres lourdes des royaumes coalisés

Empêchent toute fin de l’échafaud pressé !

Il faut couper, couper et recouper encore !

Les têtes roulent dans des paniers à ras bords !

Plus personne ne peut deviner, qui demain

Aura une heure de plus ou une tête en moins !

Danton fatigué, s’assied sur une chaise

Et regarde l’ogre de quatre-vingt-treize

Avaler un à un ses naïfs créateurs ;

Pour que l’idée vive, faut-il que l’homme meurt ?

 

Il s’éloigne alors dans la verte campagne

Au bras d’une épouse neuve qui l’accompagne

Et n’écoute plus les nombreux accusateurs,

Quand Paris dénonce "Danton, l’endormeur !"

 

                               

 

 

                        

JACQUES ROUX

"Le manifeste des Enragés" 25 juin 1793

 

Cent fois, cette enceinte sacrée a retenti

Des crimes des égoïstes et des fripons ;

Perpétuellement, vous nous avez promis

De frapper les sangsues du peuple, ces félons !

Or, avez-vous proscrit l’agiotage ? Non !

Voté la mort contre les accaparateurs ? Non !

Mis un terme au mauvais commerce ? Non !

Banni la vente de l’argent monnayé ? Non !

 

Eh bien, nous vous déclarons que vous n’avez pas

Tout fait pour le bonheur du peuple souverain !

La liberté n’est qu’un mot fantôme et vain

Quand une classe d’hommes peut ignorer le droit

Et en affamer une autre impunément !

 

Faut-il, parce que nos députés inconstants

Ont appelés sur notre patrie accablée

La guerre étrangère et ses fléaux entiers,

Que le riche nous en déclare une plus terrible

Encore au-dedans ? La traitrise horrible,

Qui sacrifie les hommes du saint régicide !

Trois cent mille ont péri par le fer homicide

Pendant que leurs foyers sont réduits à manger

Des cailloux ! Faut-il que leurs veuves soient noyées ?

Que la vertu et le courage des sans-culottes,

Mandataires du peuple, chassent par leurs bottes

Les complices de l’étranger ! De la Vendée !

Les riches seuls, depuis quatre ans, ont profités

Des avantages de notre révolution ;

L’aristocratie d’argent avec propension

S’est faite un jeu cruel de nouvelles exactions ;

Parce que le prix des marchandises augmente, 

La famine gagne les ventres, effrayante.

Il faut proscrire les propriétés des fripons !

Seraient-elles plus sacrées que la vie des hommes ?

 

On ne nous musèle plus par la religion

Et les fausses promesses de son décorum !

Vous n’avez pas hésité à frapper de mort

Ceux qui oseraient encore proposer un roi,

Et vous avez bien fait en mettant hors la loi

Les contre-révolutionnaires « libertivores » !

Ceux-là ont rougi, à Marseille, l’échafaud

Du sang des patriotes ! Croyez bien, il faut

Faire éclater sur ces vampires la foudre

De votre justice ! Ne craignez pas de rendre

Le peuple français trop heureux ; car absoudre

Les traîtres de leurs crimes, c’est encore nous vendre !

 

Les gros marchands sont, par habitude, des rois

Les complices ! Ils abusent de la liberté

Du commerce pour constamment opprimer

Celle du peuple ! Voilà les vrais scélérats !

Ils ont faussement abusés des droits nouveaux,

En considérant qu’ils pouvaient faire, perfides,

Tout ce que la loi de défend pas ! Ce troupeau

De faussaires aux mains continûment avides,

Ne cessera de rançonner les malheureux !

Voyez le peuple sans pain et au ventre creux !

Qui pourra croire que les représentants des masses

Ont affrontés longtemps les tyrans du dehors

Et ont été lâches pour laisser leurs places

Aux vils tyrans du dedans ! Aux armes encore !

 

Nous savons les maux toujours inséparables

A une grande révolution ; Sommes nous

Pour autant amener à nous voir coupables

D’être républicains ! Nous faut-il accepter

Pour le triomphe des riches, d’être agiotés !

Nos pères nous ont légué, infâme mémoire,

L’agiotage, la monarchie et les guerres ;

Nous sommes nous battus pour désormais avoir

Le désespoir, la famine et la vie chère ?

 

O, députés de la belle révolution,

Ne laissez pas votre doux ouvrage imparfait !

Délivrez nous de ces nouvelles prisons :

Le dénuement, la pauvreté, le mauvais prêt.

 

 

 

LETTRE AUX AMIS DE LA LOI

16 juillet 1793

Charlotte Corday

Guillotinée à Paris le 17 juillet 1793

 

 

Jusqu’à quand pourrez-vous,-vous malheureux Français,

Vous plaire dans le trouble et dans les divisions ?

Des fous ont mis l’intérêt de leur ambition

Au-delà de la France, au-delà de la paix !

Des factions mortifères éclatent de toutes parts…

 

Pourquoi vous anéantir vous-mêmes, sans égard

Pour le faible et au seul profit des tyrans ?

Des factieux et des scélérats ont trop longtemps

Travaillés à votre perte avec élan et zèle !

Sous leur terrible joug, nos épaules sont frêles…

 

La Montagne triomphe par le crime et l’oppression !

Quelques monstres épongés de notre sang conduisent

Ces vils complots. La liberté fut acquise

Avec notre sang, et nous voici trublions ?

Il ne restera de nous, que le souvenir...

 

La guerre embrase la France ! Ah, punir…

Déjà, les départements marchent sur Paris.

Le feu de la discorde brûle tout devant lui,

Mais il est encore un moyen de l’éteindre :

Français, levez-vous ! Il n’est plus temps de feindre.

 

Marat, cette bête abjecte, devait être écrasée !

Danton et Robespierre, ces autres brigands,

Observeront alors sur le trône sanglant

La force éclatante de notre bras armé !

Les peuples abusés ne feront plus leur fortune…

 

Vous connaissez vos ennemis ; qu’ils assument

Notre malheur ! N’abandonnez plus vos frères

A Marat, hors la loi condamnée par l’univers…

Moi, coupable ? Quel tribunal me jugera ?

Je porte notre croix, en supprimant Marat !

 

Ô ma patrie, tes infortunes déchirent mon cœur !

Je ne puis t'offrir que ma vie et je rends grâce

Au ciel de ma liberté, puisque j’efface

De ce monde par ma seule volonté cette horreur !

Personne ne perdra par ma mort ; elle est utile !

 

Je veux que ma tête, promenée dans la ville,

Soit un signe de ralliement. Ni reproche, ni fierté !

Que je sois leur dernière proie ! Le monde vengé

Verra enfin leur perte écrite avec mon sang !

J’ai bien mérité de l’humanité, mon temps.

 

Adieu, mon cher papa, je vous prie d’oublier

Votre fille. J’ai vengé bien d’innocentes victimes !

La honte, ce n’est pas l’échafaud : c’est le crime.

J’embrasse ma sœur que j’aime et je vais vous quitter.

C’est demain à huit heures, qu’on me juge. Ce 16 juillet. »

 

 

 

 

 

DISCOURS DE BERTRAND BARERE A LA TRIBUNE

23 Août 1793

 

 

Il est des hommes indignes d’être républicains,

Qui disent que tout est perdu, car l’ennemi vient

De s’emparer d’un bout de notre territoire !

Ils désespèrent le jour et gémissent le soir…

 

Nos armées sont nombreuses et feront retentir

Notre audace dans les justes batailles à venir !

L’an dernier, nos ennemis étaient à Soissons

Et nous avions un roi non jugé en prison.

 

Aujourd’hui, nous avons huit milles commissaires

Et le roi est mort ! Alors, qu’est-ce qu’une guerre

Au regard de notre liberté éternelle ?

Nos ennemis ont peur de nos lois nouvelles !

 

Les royalistes veulent du sang ? Eh bien, soit !

Nous offrirons celui de la veuve du roi

Et celui des anglais, par chez nous prisonniers !

C’est inconcevable qu’ils soient tous épargnés !

 

Il n’y a que les morts qui ne reviennent pas !

Je demande donc qu’ils passent tous à trépas !

Que l’on marche sur leurs nombreuses tombes

Et que nos enfants y dansent à la ronde !

 

 

 

LE CAPITAINE CANON

(Le siège de Toulon par le Capitaine Bonaparte)

Du 16 septembre au 19 décembre 1793

 

 

Je traine dans Toulon, bordée de désastres ;

On s’y bat, on s’y tue, et pour quelques piastres

Pullulent les Judas de la république !

Les mots n’apaisent pas ! Echafaud, explique !

 

Que ne suis-je plus, qu’un simple capitaine

Cantonné à suivre les calembredaines

De ces anciens pharmaciens, nouveaux généraux !

Ils ont l’aspect du vin et ne sont que de l’eau !

 

Entends-tu, Saliceti, toi qui viens à moi,

Que ceux qui décident, ce sont ces bougres-là ?

Robespierre est-il devenu indifférent

Aux soldats français sacrifiés et à leur sang ?

 

Alors ! Me désignes-tu chef de bataillon ?

Vous avez pris Paris, je prendrais bien Toulon !

Regarde ces hommes accablés de combats ;

Demain, ce sont eux qui feront trembler les rois !

 

C’est mon temps ! Je vais ensevelir la guerre !

Les bouches de canons porteront les éclairs

Qui strieront le ciel de beaux boulets colorés !

Les paupières closes, j’écouterais chanter.

 

 

Si un même tombeau nous unissait un jour,

Soldats, quel beau silence à se rendre sourd ;

Ensemble dans le trou, nous, intrépides,

Dormant dans le noir éternel et splendide ! 

 

Toulon ! Mes fantasmes sont tout entiers à toi !

Ce qui fut avant, est dérisoire déjà.

Mes ambitions, mes souffrances et mes projets ;

C’est maintenant et aujourd’hui, que je les ai !

 

La nuit enveloppe la giboulée de fer, 

Se répand sur les hommes couchés à terre,

Offrant, tel un immense feu d’artifice,

Des vies vacantes, au glorieux supplice !

 

Bataillon des sans-culottes ! Vous, assemblée

Des sans-peurs ! Voici venu le moment sacré

Qui vous verra tomber ou encore vainqueur !

Robespierre vous appelle ! Parlez en chœur !

 

La flotte anglaise rit depuis la rade ;

Et leur rancune, il est temps camarade

De la faire cesser à présent ; vient, soldats !

Allons tuer cet amoncellement de rats !

 

Chaque soir, la foule s’assemble en misère,

Cherche au matin, là un oncle, un frère

Ou un mari à enterrer en silence ;

On rêve de paix dans le sud de la France !

 

Je suis venu ici en bref capitaine ;

M’étant cru perdu aux volontés anciennes.

J’en suis reparti général de brigade,

Par deux, trois idées et quelques canonnades !

 

Rien ne m’attachait en vérité aux Bourbons,

Pas plus aux intrigues ou aux révolutions ;

J’aurai pu tout aussi bien servir le Grand Turc !

Il est des moments où les destins bifurquent.

 

                            

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LE COMEDIEN LOUIS-FRANCOIS RIBIE

3 octobre 1793

 

 

Le comédien sait le bonheur éphémère

De n’être qu’un rôle dans ce grand mystère.

Au gré des années, s’étiolent toutes choses ;

Les spectacles de foire, les filles aux joues roses.

Regarde le temps qui passe en concurrent.

Tout est théâtre joué maintenant !

Ou sont « le quiproquo de l’hôtellerie »,

Et « les trois fourbes », ou « la comtoise à Paris »,

« Le barbier de village », « les girandoles »,

« Le savetier avocat » ; ces histoires folles

Ne répandront plus le rire pansu aux éclats

Puisque la Bastille est déjà passée par là…

                        

                        

 

                         LES PRETRES JUREURS

10 octobre 1793

 

La foi des hommes d'église, cachée dans le cœur,

Harcèle la raison. Partout alentour, on meurt !

On rougit d'être en vie, on s'honore

D’un lendemain. L'échafaud a faim encore...

Fouché et ses sbires, prolixes pourfendeurs

D'âmes innocentes, alimentent la mort.

 

Pâles, les ecclésiastiques renouvellent

Les phrases apprises à l'âge des ritournelles.

Apeurés, ils se drapent à l'ombre d'un cimetière

Où il est écrit, entre deux amas de terre,

« Désormais, la mort est un sommeil éternel ! »

La chrétienté n'est plus révolutionnaire...

 

 

LA REINE GUILLOTINEE

16 octobre 1793

 

 

Revenue dans son cachot, la presque morte

Sait que cette aube est de celle qui emporte

Vers un humble silence à jamais suspendu.

La foule veut la voir – et son sang répandu !

Les bas commérages, les ragots de cuisine,

Parlent d’orgies versaillaises, de parties fines,

D’influences néfastes et de trahisons ;

C’est bien plus qu’une reine, c’est un grand démon !

 

Un lieutenant de gendarmerie sommeille

Devant le cachot où la presque vieille

Ecrit, assise devant une petite table

De bois blanc. Marie-Antoinette, coupable ?

Elle sait la question sans importance.

Ce qui compte, c’est l’affreuse vengeance !

Alors, elle écrit quelques mots pour les autres ;

Ceux qui restent vivants, ceux qui sont apôtres

D’un temps déjà révolu. Elle donne courage

Aux quelques-uns, futurs condamnés, dont l’outrage

Sera de ne pas être mort à temps !

 

Elle leur dit adieu, et les console pourtant.

Il est l’heure d’en finir avec l’immonde jour

Et c’est les mains liées qu’on l’emmène pour

Le destin des monarques de quatre-vingt-treize !

Elle avait un trône ; c’était une falaise !

Les passants qui l’insultent, enflés de l’audace,

Crachent vers la charrette où elle prend place.

Les mots tranchants comme des milliers de couperets

Résonnent dans le ciel et l’épouse de Capet

Ferme les yeux pour effacer ce moment-là ;

Et la voiture qui s’ébranle avec tout ce fracas !

Trente mille hommes de troupe, le long du parcours,

Forment une fraîche et surprenante cour

A celle que tous appellent l’autrichienne…

Elle tombe à Paris, son cœur est à Vienne !

Les vociférations redoublent à son passage.

Elle défile, vaincue, n’ayant déjà plus d’âge !

La foule se fait encore plus dense maintenant

Qu’elle arrive au pied de l’échafaud géant.

 

Il y a vingt ans, au soir de sa jeunesse,

La même foule massée acclamait l’altesse !

"Vous avez-là deux mille amoureux, Madame !"

Avait dit Louis, en souriant à sa femme...

Marie-Antoinette regarde la vaste place

Qui braille aujourd’hui et lui lance à la face

Des moqueries et des gestes vulgaires...

Il est bien temps, se dit-elle, de quitter la Terre !

La brume se dissipe et le flot s’étonne ;

On l’entraîne, on l’attache, la reine s’abandonne

Sur la planche à bascule et, enfin, ce bruit sourd :

C’est fini, elle est morte ! A qui donc le tour ?

 

 

 

                       

PROCÈS DE MADAME ROLAND

Egérie du Parti Girondin et dame de Salons

Devant le tribunal révolutionnaire

8 novembre 1793

 

 

La frêle femme, moineau désarticulé,

Ecoute les hommes sombres assermentés

La recouvrir d’épithètes outrageantes.

Qu’elle parle ! On reproche qu’elle mente

Au tribunal et à l’accusateur public !

Alors elle dit tout à cette vaste clique

Qui tonnerre dans le froid tribunal ;

Elle se sent étrangère à ce curieux bal

Où l’on danse avec les faits authentiques.

On nie les détails, vérités faméliques

Indignant l’équité révolutionnaire.

 

On exige la paix ! Va-t-elle se taire

A la fin, cette bavarde ? « Vous pouvez

M’envoyer à l’échafaud ! Vous ne sauriez

M’enlever la joie de ma bonne conscience !

Vous êtes des vermisseaux, et non la France ! »

Clame Madame Rolland devant ses bourreaux.

 

« La postérité vengera l’infamie ! Trop

De sang émerge à flot de votre bouche

Et votre révolution n’est qu’escarmouche

Au regard du bon droit des peuples bienheureux.

Qui croyez-vous être ? Vous pensez-vous des dieux ? » 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LE CULTE DE LA RAISON

22 novembre 1793

 

 

Il est temps en ces jours glorieux,

De mettre à bas les superstitieux,

Ces abbés catholiques !

Ils sont l’airain au bout des lances,

Ils sont le frein, la déchéance

De la république !

 

Combien de régiments de morts

Encombrent la terre carnivore

De religiosité ?

Le tocsin malsain appelle tant

Les hommes qu’ils devraient, prudents,

Devenir athées !

 

La religion est l’antique socle ;

Pour nos yeux stupides : un monocle,

Un miroir déformant ;

Partout, elle pose le souffre

Et promet aux hommes le gouffre,

La géhenne, le néant !

 

Dans nos campagnes et nos villes,

Pullulent les moines imbéciles

Et ignares nés ;

Allons-nous laisser ces corneilles

Eclipser la chaleur du soleil

De sa véracité ?

 

Car, je vous le dis, en vérité,

Viendra la saison tant redoutée

Du noir crépuscule

Où les prières que l’on débite,

Et l’encensoir et l’eau bénite,

Feront les crapules !

 

Les curés, en nouveaux prophètes

De la pauvreté, s’entêtent

A promettre : demain

Le bonheur pour les opprimés !

Au malheur, ici-bas condamné,

Le pauvre est certain ;

 

Car quoi ! Il convient que richesses,

Honneurs et satisfactions, paissent

Dans le noble giron !

A la fange, la repentance,

Les péchés et les pénitences

A juste raison ;

 

La pauvreté est certes belle

A n’en pas douter. Péronnelle,

Divine volonté !

Fumisterie sectaire que cela !

Revoilà notre accablante croix

Et son goût suranné !

 

Détruisons tous les édifices

Où les vils mensonges s’enfuissent

Depuis bien trop longtemps ;

Si par mégarde quelques hommes

Prieurs ou nones, menteurs en somme,

Croulent, c’est notre talent !

 

Car, si comme eux on raisonne,

On les délivre d’une vie fantôme,

Futile et sans but,

Pour rejoindre leurs douces chimères !

Fermons donc leurs tristes paupières,

Et tuons, tout azimut !

 

 

 

C’EST UN OCEAN RENVERSE

3 décembre 1793 Nantes

 

 

C’est un océan renversé

Jalonné de blancs moutons

Que le zéphyr pousse vers l’horizon

Et qui expirent, dispersés…

Je suis debout face au ponton. 

 

Sur la berge humide et fraiche

D’un matin du bord de Loire,

C’est ce tableau dérisoire

Qui est la dernière brèche

Entre le néant et mon regard.

 

 

                    

LE CHAGRIN DE YOLANDE DE POLIGNAC

Duchesse et confidente de Marie-Antoinette

5 décembre 1793 – Vienne (Autriche)

 

 

Elle est dévorée de douleur et de chagrin,

Puisque la reine de France est tombée ;

Les plaisirs assourdissants et les voluptés

Sont des bienfaiteurs enfuis dans le froid lointain.

 

L’écume des anciens souvenirs familiers

S’efface en silence dans la noirceur profonde ;

Les quadrilles, menuets, chaconnes et les rondes,

Débris d’un monde clos et déjà renversé.

 

L’abime est si grand en ce superbe déclin,

Que la nuit, radieuse,  se referme et enlace

Les maussades désillusions qui s’accroissent

Dans le cœur de Yolande, ce matin.

 

Et puis, la voici sur le seuil de la porte ;

Elle sourit aux silhouettes importunes,

Offre vanités, souvenirs et fortunes,

Pleine qu’elle est, d’inclinations qui sont mortes !

 

 

 

                           LA BATAILLE DE SAVENAY

23 décembre 1793 (guerre de Vendée)

Lettre du général républicain François-Joseph Westermann

Adressé au comité de salut public

Guerre de Vendée

 

 

Il n’y a plus de Vendée ! Elle est morte hier

Sous notre sabre libre ! Avec ses femmes

Et ses enfants, je viens de l’enterrer ! Charme

Troublant des marais devenus cimetières !

Enchantement des bois devenus ossuaires !

De Savenay, je n’ai pas un prisonnier

A me reprocher. Oui ! J’ai tout exterminé !

 

Sans indulgence, suivant les ordres reçus,

J’ai écrasé les enfants sous les sabots de mes chevaux.

J’ai massacré les femmes et ce n’est pas de trop !

Au moins pour celles-là, elles n’enfanteront plus !

Mes sergents ont tous, à la queue de leurs charrues,

Des lambeaux d'étendards chouans. Les routes semées

De cadavres font mille pyramides de tués.

 

On fusille sans cesse à Savenay. Il arrive

A chaque instant des brigands qui prétendent

Se rendre prisonniers. Parbleu ! Que l’on pende

Ces maudits hommes ! Qu’on les jette entre les deux rives

De la Loire et que leurs semblables les suivent !

Ne faisons pas de détenus sur cette terre !

La pitié n’est pas révolutionnaire !

 

Elle n’est plus, cette armée royale et catholique…

J'en ai vu, avec mes vaillants hussards, les débris.

Ah ! Mes braves. Quelle attaque ! Quelle déroute aussi !

Il fallait les voir ces soldats pris de panique,

Ce peuple lâche devant notre république,

Implorer leur Jésus et leur Louis XVII

Avant de sombrer en ce jour, devenu fête !

 

Le carnage ? Beauté terrible ! Par manque de temps

Et de munitions, on met ces gens sur des barques

Que l’on pousse sur la Loire. Le fleuve, tel un parc

De noyés, avale l’offrande de chair et de sang. 

Ils disparaissent sous les flots, se repentant

De n’avoir pas vaincu notre armée héroïque !

A-t-on déjà vu des mourants plus comiques ?

 

 

 

 

LE PAYS DES CHOUANS

3 janvier 1794

 

 

Tout ici sent la mort et la désolation !

Les visages hideux et aucune espérance !

On fuit, on cri, on pleure dans les maisons,

Et le malheur s’abat sur l’ouest de la France…

 

Une masse erre dans son désert, éparpillé

Sur quelques roches, quelques forêts détruites ;

Les chemins sombres, les nuits sont peuplés 

D’êtres maudits de Dieu, récents moabites !

 

On voit dans les champs de maigres haridelles,

Dont on pressant à la vue de leur peau tannée

Qu’elles seront demain, chevauchant le ciel,

Loin des pâturages affligeants de Vendée !

 

Les branches déchargées de toute feuille,

Se jettent à terre, étant du Morbihan !

Tout quitte la vie, attiré par le seuil ;

Tout vaut mieux que d’être de ces départements !

 

Un éclair d’horreur rayonne dans les têtes

Brisées par les abondants coups reçus ;

A Paris, il pleut ;  en Vienne, il tempête !

Des hordes de gueux cheminent là, vaincues…

 

 

 

 

 

LE CURE ROUGE

OU LE SUICIDE DE JACQUES ROUX

10 février 1794

 

 

Enfermé dans la cellule

Jacques Roux sait

Que ça n’est qu’un préambule

N’en est pas inquiet

 

Tout est perdu ici-bas

Il comprend l’infamie

Qui remplace les rois

Par la bourgeoisie

 

Le Roi prend tout

Impose tout

Est tout

Par la force seule

 

La bourgeoisie prend tout

Impose tout

Est tout

Par la ruse veule

 

La loi toute nouvelle

Est faite par les riches

Qui s’affichent

Au bras éternel

De la liberté

Elle ne sert que ses maîtres

Et oublie les malheureux

 

La liberté est un fantôme qui protège le bourgeois

Partout les prisons regorgent de naïfs esprits

Le riche pense Pouvoir Argent et il dit Droit

Le pauvre pense Liberté et on lui dit : « va s’y ! »

 

Demain

Ou plus tard

On viendra le prendre

Pour aller nourrir l’échafaud

Et calmer une foule toujours imbécile

Il ne se fournira pas au couteau

Et n’est pas à vendre

 

 

PAROLES D’UN ABBE

Dans une cellule révolutionnaire 12 février 1794

 

 

La force du monde est répandue en toutes choses

Et l’âme de l’homme en est l’apothéose !

La pensée sans âme est un intellect froid ;

Le corps sans âme est un agrégat maladroit.

L’âme est le vin, le sucre, l’or, la pierre précieuse.

Elle est la voix qui, parfois, se fait chuchoteuse

Et qui nous rappelle à Dieu, le seul tout-puissant.

Le saisir fait naitre un bonheur…étourdissant !

                         

 

LA BETE DECHAINEE

4 mars 1794

 

 

La dévotion étroite pour se rassurer,

Les hommes-aboyeurs continuent d’aboyer

Et plein d’un grossier charlatanisme

Proposent l’échafaud, nouveau christianisme.

Pour trouver ces lutteurs, il suffit d’étudier

Quelques passants hilares et enivrés,

Modernes Scapin,  gorgés d’intelligence

Qui pullulent partout dans nos coins de France !

De colossaux satyres poursuivent enamourés 

Quelques donzelles coupables de ne pas s’échapper

Et assouvissent jusqu’à trop plein leurs vices !

La rue est aux coquins, nouvelle police !

 

                               

 

 

 

                               

 

 

L’EXECUTION DE CHRETIEN-GUILLAUME

DE LAMOIGNON DE MALESHERBES

22 avril 1794

 

On s’est souvenu de lui en pleine terreur,

Etant venu pour le ceindre par la noirceur

De mains régicides ! Ramené à Paris,

Le vieux protecteur de l’encyclopédie,

Ne s’appréciait déjà guère pour presque plus rien !

Monsieur de Malesherbes est à l’aube de sa fin.

 

Sa fille Antoinette et son Aline adorée,

Son propre sang par l’ogre coupant avalé !

Oh, l’extraordinaire temps pour les bandits !

Ils se couchent dans la fange et en font leur lit !

Voilà où entrainent leurs mauvaises réponses :

Ils abattent les chênes pour faire place aux ronces !

 

Evaporée dans le feu, la botanique,

Lointaine passion aux senteurs d’Amérique,

Lui rappelle les instants où Jean-Jacques Rousseau

Et Thomas Jefferson, et Denis Diderot

Lui parlaient des charmes profonds de la nature ;

Désormais ce passé est une froide peinture

Qui s’estompe en ce printemps d’assassins ;

Le monde est plein de Pilate se lavant les mains !

 

L’acte absolu qui désigne cet être à la mort,

C’est son attrait à défendre Capet encore

A l’étiolement de la fin quatre-vingt-douze !

Il est des causes proscrivant qui les épousent !

 

"Votre sacrifice est d’autant plus généreux,

Dira le Roi, qu’il expose votre vie aux gueux

Et que vous ne protégerez pas la mienne…

Hélas, nous sommes tous deux, des momies anciennes !"

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SUPPLIQUE D’UN COMEDIEN

LYONNAIS A SON FILS

24 avril 1794

 

 

Tu me dis qu’à Paris, on coupe les têtes ;

Que désormais nous sommes libres et égaux ;

Que cela te semble une immense fête ;

Que la justice déploie son lot de tombeaux !

 

O fils, toi qui vient de nos dures campagnes,

Car tu exècres les privilèges du sang

Ne perçois-tu pas la folie qui te gagne

En les remplaçant par ceux, hideux, de l’argent !

 

Les bourgeois conquérants, renversent le trône ;

Tu t’es cru libéré, tu as été conquis !

Ils se sont servis de toi, mesurant l’aune 

De tes frustrations, et du gain de ton appui.

 

Qui sont-ils vraiment ces révolutionnaires

Qui discourent du peuple et de ses malheurs ?

Des avocats, des journalistes, des notaires !

Ils le méprisent et, en secret, en ont tous peur !

 

Un jour, viendra ton tour de poser la tête

Et sous les huées d’une foule imbécile,

Aussi, tu seras dans la morne charrette !

Cette révolution est un codicille...

 

Ceux qui étaient avalés par la noblesse :

Le paysan, le manouvrier, le soldat,

Ce sont ici les bourgeois qui s’en repaissent ;

Oh, mon fils chéri, comment ne le vois-tu pas !

 

 

L’EXECUTION D’ANTOINE LAVOISIER

8 mai 1794

 

 

Il ne vous a fallu qu’un moment

Pour faire tomber cette figure.

Savez-vous que peut-être cent ans

Seront nécessaires (vague augure)

Pour retrouver un tel esprit...

- La révolution n’a pas besoin de théorie !

 

Il ne vous a fallu qu’un moment

Pour clore toute son existence.

Savez-vous que nul cependant

N’est revenu du noir immense

Pour expliquer à l’ignorant...

- La révolution n’a pas besoin de savant !

 

Il ne vous a fallu qu’un moment

Pour prendre les biens de Lavoisier.

Savez-vous que la lame, coupant,

A pris aussi votre honneur tout entier !

- Pour ce jour, que le sang coule encore !

La révolution n’a pas besoin de remords !

 

 

LE SUICIDE DE JEROME PETION

(Avocat, écrivain et maire de Paris

De novembre 1791 à septembre 1792)

18 juin 1794

 

 

Couché dans l'herbe haute, à l'abri du vent

Qui chatouille le soir les arbres frissonnants,

J'ai mes frêles épaules posées sur la terre,

Et mon âme s'envole au-dessus de tout ;

Je voulais la liberté, la voulais pour nous,

Et ne m'apprêtais pas pour le grand mystère !

 

Loin de la foultitude, hostile et haineuse,

Tel un amour mort quittant une amoureuse,

Je vivotais en sursis ! Je me suis enfui

N'ayant soudain plus de convictions à vendre ;

Car vois-tu, me hantent les massacres de septembre

Comme un torrent de morts revenus à la vie !

 

Préférant la fin dans les blés à la lame

Tranchante, j'ai pris une arme, ô, sésame 

Ouvrante, pour le monde désormais promis ;

 

Je dormirai bientôt, le front rose percé ;

Poserai mon cadavre à moitié dévoré

Par des loups voraces dans mes habits rougis. 

 

 

 

 

 

 

 

L’ETRE SUPREME

25 Juin 1794

 

 

Qui nous donne la mission

D’annoncer à la nation

Que Dieu n’existe pas ?

 

Quelle doctrine aride

Distille ce curieux fluide,

Le : « je ne crois pas ! »

 

Quel avantage pour l’homme

De dire qu’en somme

Tout est fruit du hasard ?

 

Qu’une force préside

Nos destinées morbides,

Sans nul espoir.

 

Notre âme ne serait

Qu’un souffle discret

Qui s’éteint au tombeau ?

 

De l’idée de notre néant

Tirerons-nous un sentiment

Plus élevé, plus beau ?

 

Et puis quoi, nos églises !

Faut-il qu’elles s’amenuisent

A la terrible raison ?

 

Nos temples, nos cathédrales,

Délivrés de leur ancien voile,

Célébrer la Nation !

 

Car l’autre mal, l’athéisme,

Ce jumeau du christianisme

N’a pas sa place parmi nous !

 

Le culte de l’être suprême,

De ce Dieu qui nous aime,

Voilà le vrai tabou.

 

Car quoi ! Que faut-il vouloir ?

Toujours, un éternel soir,

Un nouveau Mahomet ?

 

Voyez, la fin des monarchies

Laissera l’Europe éblouie

Par l’exemple français !

 

 

 

 

DIVAGATIONS

Au soir du 27 juillet 1794

 

 

L'écorce d'un brouillard plombé, ce matin,

Me pris à la gorge, tomba de mes mains,

Sans aucune sorte d’errance propice ;

O deuil, ne durait brusquement que le vice !

Je décidais néanmoins, d'un pas ombragé,

De prendre mon temps ; Averses et étés

Arriveraient suffisamment tôt pour mourir.

Nous aurons tous notre saoul pour applaudir !

 

Vole vers moi, faste du temps passé !

J'attends ton bourrèlement, penchant apprivoisé

Depuis mon origine. Je compte sur tes promesses !

L'éclat pivoine de tes joues rosées me presse

D'établir ce cosmos resplendissant et froid.

Je ne cesse d'y surprendre un cruel désarroi...

 

 

 

                           LE 10 THERMIDOR DE L’AN II

Arrestation de Robespierre – 28 juillet 1794

 

 

Blessé, il gît allongé sur une table

Dans la salle d’audience du comité

De salut public ; ses paupières sont gonflées

Et partout autour, se déclament des fables…

 

On discourt du malfaiteur et du criminel !

Tous l’incriminent, l’accusent et le calomnient ;

Chassant les mots sortant de gosiers en furies,

L’homme se souvient de la gloire éternelle…

 

Sa tête repose sur une boite en bois.

Les cris, les injures, les incantations neuves,

Surgissent devant lui et ouvrent l’épreuve

Désormais certaine ;  Il le sait ! Il la voit !

 

Le sang s’écoule de sa mâchoire rompue

Sur sa chemise rougit et l’habit bleu-ciel.

Le trou dans sa joue est une percée par laquelle,

Un coup de pistolet vient sustenter ce ru.

 

Il lève les yeux vers le plafond, appuyé

Sur le coude gauche. Entourant ses lèvres,

Du sang coagulé ; O, ce relent mièvre

Des hommes haineux, malveillants et fortifiés.

 

Un chirurgien approche et apprécie

La mâchoire gauche fracassée, arrache

Quelques dents et sous un foulard sale cache

Le visage livide de l’homme anéanti.

 

La mort, adossée à une balustrade,

Observe le manège des êtres en harpies :

Elle se délecte déjà de celui-ci, promis

A la rejoindre très bientôt dans sa rade.

 

Sans un gémissement, l’homme, devenu une cible

Va s’asseoir dans un fauteuil, tout près du mur.

Il ouvre les yeux et ne perçoit rien de sûr ;

Cet homme, c’est Robespierre l’incorruptible !

 

- La mort est la naissance de l’éternité !

Dit-il, comme pour compenser les apparences

D’un présent misérable. – Je suis à la France !

Qu’importent les éphémères qui vont me juger !

 

A sa droite, debout, son frère Augustin

Attarde son regard sur son aîné, bancal ;

Tout semble perdu et pourtant pas un râle

Ne sort de la bouche rouge de Maximilien.

 

Que d’aventures depuis l’enfance à Arras !

Comment se plaindre d’être devenus des dieux

Que l’on veut transgresser ? Ils sont venus miteux

Et s’apprêtent à prendre l’immense place !

 

L’immense place avec vingt-et-un camarades !

Couthon, Saint-Just, le geôlier Antoine Simon

Qui avait gardé le Dauphin ! Tous, furibonds

D’être une fraction de cette mascarade !

 

Saint-Just contemple l’œuvre sortit du néant ;

Impavide, debout près d’une fenêtre,

Son œil se colle au brouhaha des êtres

Qui dehors braillent – A bas les maudits tyrans !

 

La porte s’ouvre, et en pleine lumière

Apparaissent alors les ombres du passé !

Une charrette saturée vient les emporter

Vers l’Histoire qui ravit ces vies toutes entières !

 

 

 

 

 

CHANT DE DEUIL

10 août 1794

 

Un filet melliflue coule à travers le panier.

Il tombe à terre et sustente la flaque ;

Il nourrit la terre au milieu de l’été ;

Il est la muse des poètes élégiaques.

Le panier est un Versailles en miniature ;

On y trouve marquis, barons ou princesses !

Les uns après les autres y mettent la figure,

Et le réceptacle rougit de toutes ses tresses.  

                 

                

 

 

LE MOINE

16 août 1794

 

 

Le moine, affaibli, contemple le vitrail,

Les icones, les statues, tous les étendards

Du prieuré et toussote dans son mouchoir ;

Le passé foisonne comme mille broussailles !

 

Ses gestes lents, usés de polyarthrite,

Lui renvoient les jours éteints – petits criminels,

Où Bible, sermons, repentances et missels,

Cheminaient sans égard pour les anciens rites ;

 

Il fixe, étonné, les divins appareils ;

Une allégresse riante, sans pareille,

Retentit ; auparavant éléphantesque,

 

La Terreur, ce monstre sans dieu, par thermidor

Est abattu ! Adieu le diable grotesque !

Les anges veillent les âmes, doux sémaphores !

 

 

 

LA JEUNESSE DOREE

29 août 1794

 

 

Vous, passants à la mauvaise figure,

Sachez que rien ni personne jamais ne dure

Plus longtemps qu’un temps suffisant !

Les Jacobins gloutons ont mangé tout leur temps !

Ils viendrons désormais sur les boulevards,

Enfants de Fréron, élevés dans cette mare

De sang qui ruisselle des cous !

Complices de Robespierre, tombez à genoux !

Gavés d’idées grosses et émétiques,

Titubant, parfois lymphatiques,

Ils irons danser, belle superfluité,

Entre rats de caves et maréchaussée. 

 

 
 
 

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