1789 - 1794 "poèmes centenaires"
- Christian Tritsch
- 16 mars
- 38 min de lecture
LE SERMENT DU JEU DE PAUME
20 juin 1789
Bourgeoisie ! Pétrie des idées des lumières
Du siècle finissant, expose ton pouvoir !
Quand noblesse et clergé disent le bonsoir,
Oubli les belles lois, jadis coutumières !
Bourgeoisie ! L’heure du triomphe est proche !
Le Tiers, à la salle de l’hôtel des Menus
Plaisirs, gronde devant le vouloir saugrenu
D’un monarque sourd, de plus en plus fantoche !
Avant que la constitution du royaume
Efface les privilèges qui embaument,
Le serment est fait de ne plus se séparer !
Le roi, à qui on demande un avis preste,
Répond à ce Tiers-Etat, qu’il sait dévoyé :
- Bien ! S’ils ne veulent pas s’en aller…qu’ils restent !
LE COURAGE
DE JOSEPH MARTIN-DAUCH
20 juin 1789
Les bras croisés sur la poitrine ;
La tête penchée, il a honte ;
Il comprend que l’on assassine ;
C’est la fin que l’on raconte !
Il ne veut pas se joindre aux cris
Du serment du Jeu de Paume ;
On lui promet d’être proscrit,
Lui, et son foutu royaume !
Aussitôt, on entend : "A mort !"
Lui, n’est pas envoyé ici
Dit-il, pour d’affligeants transports,
Ni pour hacher la monarchie !
On le somme de s’abstenir ;
Il écrit en face de son nom :
« Opposant ! » Et c’est un délire
Au terrible coup du canon !
LA PRISE DE LA BASTILLE
14 juillet 1789
La Bastille était gardée par quelques invalides
Et un timide gouverneur stoïque et impavide,
Quand l'assemblage d'humains hurlant au dehors des murs,
Engloutit ce lieu, chavirant sous les meurtrissures ;
Spectateur de cet assaut où se mêlent, satisfait,
Détrousseurs et égorgeurs, larrons et pickpockets,
Je vis ces hordes béates, avinées et frustes
Décoller la figure d'un homme de son buste !
Au milieu du tumulte de cette grande infamie,
Ivrognes conquérants, décrétèrent : "vive l'orgie !"
Les prostitués et les sans-culottes débutèrent
Leur règne ; des passants apeurés se dépouillèrent
De leurs peignes devant des hommes affreux, mélangés,
Beuglant bien plus qu’ils ne parlent, en ce soir d’été !
Ils se retrouvent, grisés comme à leur habitude,
Dans les bas-fonds, les arrière-cours, en multitude :
Gens sans croyance, réfractaires de toute tutelle,
Gibier de justice aux grands vices artificiels ;
Teigneux détestables, club des atrabilaires,
Ils viennent tous suinter leur gloire révolutionnaire
Et brailler, tels des parasites riches en furies :
"Que la fraude et le braconnage remplacent la vènerie !"
Des contrebandiers, crasseux somment la capitale !
Farouche, exorbitante, est cette plaie sociale,
N’ayant rien à défendre, si ce n’est leurs folies,
Ils violent et abattent, guidés du seul mépris !
Elle fuit, ravie du lourd forfait de son crime,
Flairant les proies cachées, que ce jour abime,
Cette horde repue, apostrophe la mort ;
Elle se cabre, hirsute, puis dévore.
O farouche harde que plus rien n’endigue,
Tu bondis dans l’horreur au son d’une gigue,
Tel un torrent violent, franchis les maisons,
Les villes, les campagnes, ouvre les prisons !
Allongé sur le sol, les hommes, en bétail,
Gisent sous un ciel bas, drôles d’épouvantails ;
Quel pittoresque, sous la lune pleine !
La peur se répand, plus forte que la haine
Et nourrit quelques enfants, fuyards et vaincus,
Que rien ne défend de la masse qui tue !
LA LANTERNE
22 juillet 1789
Après le discours de Camille Desmoulins
A l’angle de la rue de grève, on discerne,
Près de l’artère nommée, de la vannerie,
Haute, droite, forte et fière, une lanterne,
Ou ce qu’il en reste, un bras de fer rabougri.
A cet endroit, pendouillent les plus étranges fruits !
Quelques ombres disparues, reliques anciennes ;
C’est un très grand mal pour celui qui s’ennui
Que de chanter la lanterne, aux ombres qui viennent.
Les mots prononcés par toi en ce jour, Camille,
Ont embrasé mille potences improvisées ;
Car nos paroles sont le poison d’où s’enfuit,
Le venin jamais tarit des haines passées.
Avec quelle simplicité, la foule, multitude
Amusée, accroche quantité de ces lampions !
L’accouchement de la liberté fût rude,
Et l’enfant mort-né, est notre révolution !
LA FOLLE NUIT DU 4 AOUT 1789
De citadelles incendiées
En vieux châteaux abattus,
Le peuple assoiffé se rue
Sur ceux qui l’ont confisqué ;
La peur engendre la peur !
L'assemblée craint les rébellions !
On discourt des agitations
Qui emplissent les cœurs !
Oui, cette nuit, ont disparu
Les garennes, les privilèges,
La dime et le manège
Féodal d’un temps trop bu.
PAUVRE A TOUT FAIRE
5 septembre 1789 - Bastia
Je déjeune avec du pain sec
Verrouillant ma porte sur la pauvreté ;
Tout l’argent que je n’ai pas est un bec
Qui me pique sur les mains et sur les pieds !
On me voit et on parle d’échalas,
De bête à bon dieu, de bedeau, d’haridelle.
Ces voix qui susurrent, je ne les entends pas ;
Moi, la ronce parmi les ravenelles.
LES PARISIENNES A VERSAILLES
5 octobre 1789
Les parisiennes sont à la fêtes ;
Elles se ruent avec fureur
Sur les grilles ; rien ne les arrête,
Ni les gardes, ni l’honneur.
On égorge comme des porcs !
On s’éclabousse d’entrailles !
On connait la joie du fort
Qui tient le faible en entailles !
La reine s’enfuit comme elle peut ;
La foule hurle et porte des coups,
Vomit des injures vers les cieux,
Au bout de pics veut des cous !
Cette multitude d’assassins
Suinte le rite tribal
Quand Lafayette, enfin,
Eloigne ces cannibales !
L’EAU DE JAVEL
Du chimiste Claude Louis Berthollet 5 décembre 1789
De mon temps, on ne retient que les guerres,
Les grands discours et leurs fourmillements…
Pourtant, j’ai repéré cette étrange matière,
– En vérité, reliquat d’équations chimiques – !
Que n’ai-je pu appliquer ce décolorant
Sur cette fin de siècle, au rouge inesthétique !
LE FROID DE PARIS
31 décembre 1789
Jamais le thermomètre n’est descendu si bas ;
Il fait un froid horrible, et dans les faubourgs,
L’homme est sorti avec son enfant sous le bras.
C’est un père. L’enfant à sept ans et quelques jours.
Oppressé par la dure vivacité de l’air,
Sa bouche fait comme une espèce de hoquet ;
Une femme les rejoint dehors. C’est la mère.
Où déambulent ces trois-là, nul ne le sais.
Ils ont faim et, le ventre vide ils avancent
Au hasard. Presque personne n’est dans les rues.
A leur démarche on supposerait qu’ils dansent,
Mais c’est le givre qui fonde ce tohu-bohu !
Pas un seul mot n’est exprimé par ces ombres.
L’unique bruit provient de leur pas. La bise,
Dont l’haleine mortelle enveloppe en nombre
Ces êtres, harponne ces vies soumises.
Quelle vision près du Pont-Neuf ! Et quelle pitié !
Sur le bord de la Seine, ces petits malheureux,
Regardent l’eau noire, se tenant entrelacés,
Et d’un coup se jettent dans le feu hideux !
Beau fleuve, il faut les sauver ! Ils sont déjà morts...
Quel mystère que ces trois naufragés endormis.
On sent presque leurs souffles qui respirent encore
Et l’on croit voir – enfin – leurs visages qui sourient.
INCORPORATION DE LA CORSE
25 janvier 1790
Cette île cesse d’être un pays conquis ;
Son peuple rejoint notre famille
Et ses paysages deviennent terres françaises.
De là, un empereur est né, aux rois ne plaisent !
LE LIBERTIN
3 mars 1790
A l’âge de quatorze ans, j’eus la petite vérole ;
Je fus attaqué de toute part et, drôle,
Je jalonnais mes rencontres de ce titre de gloire !
Personne ne fut plus ardent, ni plus méritoire
Que ce début d’homme, mordant dans les nuits !
Retranché dans une chambre, collé dans un lit,
La présence funeste des corps féminins
Exposés, alanguis, offerts à mes mains,
Achevait de me corrompre tout à fait !
Je marchais sans y voir ; cependant, j’y allais.
L’outrage des ans accumulés sur ma peau
Me fit passer de jeune abbé à pied-bot,
De nouveau sigisbée à vieux courtisan.
J’ai cru à ma jouvence, à son firmament !
Aujourd’hui, j’écume des souvenirs trop lourds ;
Je ne veux plus entendre, juste être sourd
Aux majestés des sourires enjôleurs et câlins.
La jeunesse est une menteuse et l’amour un vaurien !
DECLARATION DE PAIX AU MONDE
22 mai 1790
Parce que nous sommes fatigués et las,
Parce que nos tombeaux, vastes et froids
Encombrent nos clairières ;
Parce ce que nos orphelins réclament
Leurs pères ; que les mères, vidées de leurs âmes,
Maudissent les guerres ;
Parce que l’espérance regarde
Les silhouettes vieilles et hagardes
D’un futur immonde ;
Nous déclarons, ici, la paix au monde.
Parce que dans nos champs, seuls les merles
Travaillent la campagne ; que déferlent
Partout des soldats ;
Parce que nos fermes s’abandonnent,
Et les villes, exsangues, tourbillonnent
Aux chants des prélats ;
Parce que mon cœur plein d’amertume
Suinte la rancœur (oui, je l’assume !)
Sans perdre une seconde,
Je déclare, ici, la paix au monde !
LA GLORIEUSE RIVIERE DE SEINE
7 août 1790
Le long des quai de Paris
A l’ombre du Louvres et des Tuileries
Coule la glorieuse rivière de Seine
Telle une reine en son domaine
Elle caresse les boutiques des libraires
Et clapote la ville d’antiquaires
Et profuse une grâce bizarre
En millénaire lézard
Le passant qui la voie emporte l’idée
Que telle la patte d’un félidé
Elle attrape le regard pour toujours
Souveraine sur toute sa cour
LES MOTS
15 octobre 1790
Je voudrais dire avec des mots humbles
Sans sortir de griffes ni de grands sabots
La beauté de ce parfum qui embaume l’air
Il y a voyez-vous la nature et il y a l’homme
Lorsque le vent se lève il faut fermer les yeux
Et avancer malgré tout malgré l’enjeu
Qui froisse les désirs et qui nous « entourbillonne »
Il y a les ombres parce qu’il y a lumière
Il y a les tombes parce qu’il y a vie
Et les blancheurs cadavériques emportent
Toujours ceux qui s’endorment tranquilles
Je ne sais si j’existe
S’il faut faire des prières
Je suis de ceux qui tremblent depuis biens des matins
Je sais le terrible je sais la noirceur de la guerre
Je sais aussi la liberté et l’honneur
Je sais la fraternité et la justice
Je sais ces mots nécessaires
OUVERTURE DU GLOBO PATRIOTTICO
6 janvier 1791 – Ajaccio
Le club des Jacobins fait école en Corse ;
Sûr de son droit et de sa force,
De l’exemple français de la révolution,
La jeunesse flamboie ; aussi, Napoléon !
Car ici, la noblesse est pareille à l’autre !
A celle de Paris et des villes apôtres
Qui refusent le progrès constamment !
A croire que leurs yeux, sont ceux de non-voyants !
GEORGES CADOUDAL
8 mars 1791
La révolution est une belle idée
Entre des mains d’assassins !
Voilà l’amère pensée
De Cadoudal, fantassin
Des pays de l’ouest.
De La Rochelle à Brest,
Le peuple réfute cet ordre ;
Quoi ! Il faudrait tordre
Le cou aux prêtres de nos campagnes !
La foi est une montagne
Que n’écrouleront pas ces sauvages !
Qu’ils viennent seulement dans nos marécages !
Ce n’est pas la justice qu’ils réclament ;
Ce sont nos âmes !
DISCOURS SUR LA PEINE DE MORT
PAR MAXIMILIEN ROBESPIERRE
30 mai 1791
Hors de la société civile,
Lorsqu’un ennemi acharné
Vient attaquer mes jours tranquilles,
Malgré que vingt fois repoussé ;
Lorsque, ravageant sans remords
Le champ par mes mains cultivé,
Il m’occasionne bien des torts ;
Ne pouvant rien lui opposer
Que mes forces individuelles,
Il faut, soit que je périsse, soit
Que je le tue, loi naturelle !
Vérité et justice que ce choix !
Mais dans la présente époque,
Quand la force de tous s’abat
Contre un seul, la justice se troque
Contre la vengeance hors la loi !
Un vainqueur qui fait au captif
La sanction de mort est un barbare !
Celui qui égorge le rétif
Montre sa défaite, non sa victoire…
Le tic-tac des crimes solennels
Commis par l’entière nation,
A l’aspect légal et cruel
De trop lâches exécutions !
Elles sont l’ouvrage des tyrans !
Elles accablent l’espèce humaine !
Elles furent écrites avec du sang,
Et ces mises à mort sont nos chaînes,
Nées de l’union monstrueuse
De l’ignorance et du despotisme !
La peine de mort est l’heureuse
Excroissance de tous les fanatismes !
« La sanction suprême est nécessaire ! »
Disent ses nombreux partisans.
« Sans elle, point de frein à la guerre
Que se livrent les hommes. Pan ! »
La plus mortelle des peines,
C’est l’opprobre qui nous accueille !
Pas le sang versé de nos veines…
Le désir de vivre cède à l’orgueil !
Les accablants témoignages sont,
Par l’exécration publique,
La plus forte condamnation.
Dans une belle république,
Le châtiment cruel dégrade
L’âme du maître et celle de l’élève.
Ne courons plus les estrades,
La mort vaut plus qu’une vie qui s’achève…
LA FUITE VERS VARENNES
20 et 21 juin 1791
Un carrosse s’engouffre dans la noirceur, fuyant ;
Sur son passage, les chemins bringuebalant
Avalent fiévreusement l’ancienne noblesse.
Et du roi ou du valet, sait-on qui est-ce ?
Ils ferment des yeux lourds et se sont assoupis.
Escortée de toute part, la voiture plie !
Monsieur Durand et Madame Rochet à bord,
Sont-ils des citoyens ? Hier, souverains encore !
Le chaos du parcours ne les rassure pas,
Habités par le grand doute, qui règle déjà
Dans leurs cœurs lassés de monarques en sursis ;
Fini les jardins ! Ne resteront que les puits
Où poussent des fleurs fanées et noctambules.
La lumière du peuple est un crépuscule !
LA CEREMONIE DU BOIS CAIMAN
14 août 1791 – Saint-Domingue
Le bois-caïman est un lieu reculé
Emplit de flammes prêtes à brûler
L’ombre blanche qui souille cette île.
Les cadavres, au nombre de mille,
Seront répandus sur cette perle,
Mangés par les crapauds, les merles,
Sacrifié au vaudou, dès le bonsoir,
Ayant bu le sang du cochon noir.
DECLARATION DE PILLNITZ
27 août 1791
Les monarques songeurs de l’Europe entière,
Sentant chanceler leurs trônes, se levèrent
En meute belliqueuse et abasourdie !
Pauvre cousin de France ! Ils l’ont repris !
Cruelle route de Varennes. Fallait-il
Que même l’échappée soit inutile ?
Emus de l’immense malheur de Louis XVI,
Les souverains argumentent et soupèsent
Le danger de la grande contamination…
Qui sait où s’arrêtera leur révolution ?
Partout, on prêche à la guerre merveilleuse !
Du droit des Rois à la bienheureuse
Tranquillité de dominer sur les masses !
Et la Prusse et l’Autriche, ensemble déplacent
Les armées de la première coalition
Contre ces français et leurs gesticulations...
ODE A LA GUILLOTINE
25 avril 1792 – Paris
O, jour grandiose parmi les jours !
Adieu, vil bûcher de l’hérétique !
Adieu, pendaison problématique
Par ta raideur à clore les jours !
Adieu, écartèlement régicide !
Adieu, bouillage du faux monnayeur
Qui enflammait tous les corps et les cœurs
De l’assistance toujours avide !
Adieu, roue aux bandits de grands chemins !
Adieu, épée ou hache pour toi, noblesse !
Désormais, existe une caresse
Toute nouvelle pour les cous vilains…
Nous éternuerons dans la sciure,
Grâce à vous mon bon monsieur Guillotin ;
En humaines bûches, sommes soudain
Prêts à vous montrer notre figure.
Le nombre étant l’ennemi du bien,
Le spectacle sera moins épique !
Heureusement, seront parmi la clique,
Un roi, une reine et quelques gens de biens !
LE MASSACRES DES GARDES SUISSES
Vu par Napoléon Bonaparte
Depuis une fenêtre du carrousel 10 août 1792
Au milieu de Paris, une foule déguenillée,
Dégoute d’épouvante et d’inhumanité.
C’est là un évènement de ma vie réelle !
Je vois le mouvement d’humaines stèles
Vociférant leurs insultes ! Ce grand troupeau,
Grossier et burlesque, approche du château.
« Ecrasons l’infâme » ! Hurlent ces ivrognes.
Avec d’étranges armes, ces boiteux, ces borgnes !
Cette populace mêlée s’encourage.
C’est la prise d’assaut du palais, le carnage ;
Des bêtes s’engouffrant dans une grotte !
Voilà la vision de ces hommes sans bottes
Qui veulent des têtes au bout de leurs piques !
La cohue effroyable devance la panique !
On déchire, on perce, on plante, on arrache !
On montre, on démembre, il faut que l’on sache
Ce que peut produire un peuple en colère !
Les uns tournent la tête, les autres laissent faire ;
Les gardes suisses s’amoncèlent en cadavres.
Dans cette défaillance royale, tout navre !
Il aurait suffi de trois canons bien placés
Pour stopper cette canaille dépenaillée !
Voyez ! Partout l’irritation est extrême ;
La nausée et le vertige se démènent…
Car la rage se montre sur les figures !
On ne tue pas, on veut faire des blessures...
Des blessures longues et pénibles à mourir !
Des fractures qui laissent le temps de maudire.
LES SEPTEMBRIERS
1er septembre 1792
Dans la coque de son église
Comme dans la carcasse des âges,
Danton, satisfait, théorise
Le meurtre appliqué et sauvage ;
On chicane sur la manière,
On parlemente sur l’idée ;
La question que l’on préfère :
« Faut-il noyer ou brûler ? »
La vilénie se trouve dans le choix
Des victimes ainsi désignées ;
On parle d’hommes de l’ancien roi,
Qui désormais sont enfermés.
Varennes propose pour les prisons
D’y mettre le feu : un joyeux bal !
Marat, qui a moins d’éducation :
Veut un massacre général !
On organise les assassinats ;
On s’apprête à cette énormité !
Danton répète à qui il voit :
"Je me fous des prisonniers !"
Ces procureurs lubriques et cruels,
Narines au vent, hument l’avenir ;
La furie mâle se croit éternelle
Et ne voit pas l’échafaud venir.
Danton, dans sa franchise sotte,
Clamait : "nous ne jugerons pas
Le roi ; nous le tuerons !" Dévote,
La multitude, elle aussi, aboie.
"Mais venez donc brailler avec nous,
Et quand vous vous serez enrichi,
Vous jetterez ce manteau de loup,
Et bêlerez parmi les brebis."
Pour l’heure, le peuple vocifère,
Aux balcons et aux estrades ;
« Vive l’orgie et vive l’enfer ! »
Le temps d’avant semble bien fade…
Il parait que l’on n’apprend pas
A mourir, en tuant les gens ;
L’échafaud avale les proies,
Et ne recrache que du sang !
LE MARTYR DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE
3 septembre 1792
Une clameur énorme enfle dans les rues.
C’est l’appel insensé de Marat, entendu.
Les « enragés de Paris » assoiffés de sang,
Libèrent leur haine et leur envie devant
La prison de la Force. Qui est enfermée ?
La princesse de Lamballe, la mal-titrée,
En ces temps d’écorcheurs et de parricides…
Jouet entre les mains d’éventreurs avides,
Plusieurs de ces loqueteux hurlent tout leur vin !
Ils beuglent en rots retentissants et soudain
Arrachent les vêtements de la dame offensée ;
Les bêtes se ruent sur le corps blanc dévoilé !
Prise de force par cette peuplade farouche,
Elle veut hurler, mais pas un son de sa bouche
Ne peut empêcher l’hécatombe humaine !
Il n’y a plus d’air…que de la mauvaise haleine !
Suffocant sous la masse de ces gras ventrus,
Subissant les sévices du dernier gueux venu,
Elle désire la mort ! "Vient, deuil volontaire !"
Ils ordonnent qu’elle crie ; elle va donc se taire !
Un tabletier et un jeune tambour se jettent
Sur le corps disloqué de la femme muette
Et rient ensemble de leurs dents toutes gâtées.
Puis, le reliquat de femme est décapité
Au couteau, sur une borne de la route ;
La chair mutilée s’effiloche en déroute.
Les morceaux de corps, gracieux trophées,
Par quatre ivrognes sont alors emportés
Et traînaillés jusque devant les fenêtres
De la reine et du roi, les antiques maîtres.
Agitant des lambeaux de chemises rougis,
Brandissant sur une pique la face qui
Hier encore était la princesse de Lamballe,
Les enragés chantent, face à la reine pâle.
LE MIRACLE DE VALMY
20 septembre 1792
C’est une canonnade française :
Du bruit et de la fumée,
Où les victorieux, ne nous déplaisent,
Sont raisins verts et eau troublée !
Et voici le mythe en marche
Avec trompettes et renommés ;
On bâti une belle arche
Sur l’autel de Valmy délivrée.
ABOLITION DE LA ROYAUTE
21 septembre 1792
Le roi de ce jour n’est plus qu’un homme.
C’est Charlemagne et Reims que l’on gomme
D’un trait rouge. Abolition ! Abolition !
Le roi n’est rien ; tout, est la Nation !
C’est la fin d’une mythologie ;
Plus de cyclopes, de harpies !
Des hommes neufs sont dans la lumière
Et tous – pitié ! – se supposent frères…
L’EXECUTION DE LOUIS XVI
21 janvier 1793
Il est cinq heures. Cléry, mon valet, m’assiste
Pour ma toilette. Ensuite, je rejoins l’abbé
Qui me confesse. Je veux encore communier,
Avant d’entrer à mon tour sur cette piste !
Je ne veux d’adieux avec Marie-Antoinette,
Autres que ceux de mon cœur distant de son cœur.
Je lui laisse mon alliance car ce matin je meurs,
Ils auront, pour ainsi dire, le roi et la bête…
Un épais brouillard emballe ce jour glacial.
Lorsque je me retourne vers la tour du temple,
Personne n’est aux fenêtres larges et amples
De cette résidence devenue royale.
Une voiture verte m’attend dans la cour grise,
Et j’y prends place avec l’abbé silencieux ;
Les grands boulevards resplendissent, radieux,
Escortés par l’humaine masse indécise.
La foule est nombreuse et partagée, ce jour.
Le baron de Batz s’élance le sabre aux poings ;
Ses compagnons, traitres, ont manqué ce matin,
Car ma voiture poursuit sa route toujours.
Il est dix heures. Se dresse devant moi l’échafaud
Installé en face du palais des tuileries,
Où la statue de mon grand-père, anéantie,
A disparue laissant sa place aux gais marauds.
Arrivé au pied de la froide guillotine,
Je demande à Sanson si les criards tambours
Cesseront de battre. O, ce mortel bruit sourd
Pour rencontrer Dieu, au moment qu’Il me destine.
On veut me lier les mains d’une vile corde.
Je repousse ces hommes et leur cri : "jamais !"
"Avec un mouchoir, Sire, cela sera fait"
Dit alors Sanson, comme une grâce qu’il accorde.
Il est dix heures vingt et couché sur la planche,
Je meurs innocent de tout ce dont on m’accuse.
Un immense « Oh ! » monte de la foule confuse ;
Quand la lame teinte de rouge ma chemise blanche.
LE BUSTE DE GABRIELLE DANTON
17 février 1793
Le cimetière fleurit de ses tombes
Ecloses et parfumées les asphodèles
Les rayons du soleil les catacombes
Endormie parmi les tombes Gabrielle
Vêtu d’une ombre deux spectres chancellent
Dans le noir muet de l’ossuaire
Agressent le silencieux sanctuaire
Et ramènent au jour Gabrielle
Danton sourit à la morte récente
Et lui susurre quelques paroles de vivant
Cette représentation indécente
A quelque chose de captivant
Tout s’éparpille sur le limon
On moule le visage inerte
De la femme de Danton
Que la nuit déserte
Et l’on referme le lit
Sans un bruit
Celle qui sommeillait depuis sept aubes
Que le crépuscule enrobe
S’en retourne à son absence
Danton se relève et prie
Un souvenir semble posé sur lui
Avec bienveillance
LA COMEDIENNE MADEMOISELLE LANGE
24 février 1793
Frivole, elle marche dans les rues de Paris,
Et du théâtre de la Nation au faubourg
Saint-germain, elle danse, elle avance, elle rit
Des hommes alléchés venus lui faire la cour.
Elle joue le rôle que la vie lui impose,
Au temps où les têtes ne cessent de tourner.
Elle ne dit pas le mot ; elle dit : "cette chose
Nous prendra un à un, alors il faut jouer !"
Elle triomphe sous les beaux traits de Pamela
Et crée la mode en quémandant les bazars,
Le chapeau vermeil du personnage fat
Qui éclaire les ténèbres du matin au soir.
LE COMITE DE SALUT PUBLIC
Discours de Bertrand Barère
25 mars 1793
Barère monte à la tribune et déclare, fâché :
"Le comité que vous avez organisé
Ne peut guère travailler efficacement !
La patrie veut votre sueur, non votre temps !
Nous délibérons beaucoup et agissons peu !
Notre comité est un club de vieux messieurs !
Partout ailleurs, en présence de conspirations
Flagrantes, on sent le besoin de rédemption !
Il faut donc momentanément recourir
Aux autorités dictatoriales pour servir
La droite cause de notre belle révolution !
Le pouvoir du nombre, là n’est plus la question !
Qu’avez-vous à craindre d’un comité élu
Par vous, toujours surveillé par vous ? Vois-tu,
Citoyen, ce comité n’édictant nulle loi,
Peut-il agir autrement que toujours pour toi ?"
PASCAL PAOLI FAIT BANNIR LES BUONAPARTE
27 mai 1793
Qu’ils sont grotesques, ces enfants Buonaparte
Parcourant notre île ! J’ordonne qu’ils s’en écartent !
En mars, le jeune Napoléon a échappé
Au juste destin qui lui était réservé !
Mais il est d’autres jours pour rendre possible
Ce qui a manqué ! La mort est accessible
Toujours, à qui renie notre patrie : la Corse !
Tenir le drapeau français n’est pas une entorse…
La maison Buonaparte a été mise à sac
Et la lumière inonde soudain ce cloaque,
Cette fange, ce marécage, ce bourbier
D’où tout honneur a disparu depuis longtemps !
Qu’on retrouve ces brutes, et demain on les pend !
L’ENVOL DES BUONAPARTE
10 juin 1793
J’ai renoncé à mon île
Sous les quolibets et les coups ;
Mais je me lève et debout,
M’élance gai, vers mon exil.
Je me souviens de mon île…
Dans une barque, frissonne
Notre famille de naufragés ;
Nos rêves sont rapiécés,
Et nos attentes fredonnent !
Et cependant, je frissonne…
Le silence froid de l’onde,
Dessine des ombres bacchantes
Et cette quiétude bruyante,
De senteurs nauséabondes
M’emporte sur cette onde…
Courant à demi-nues
Et recouvertes de lierres,
Les ombres de la mer
Me crient : « toi, d’où viens-tu
Courant à demi-nu ? »
La brise qui frôle ma joue,
Pose son souffle victorieux,
Et où que se tournent mes yeux,
Je vois des armées à genoux !
O, cette main sur ma joue…
Dans les regards de ma mère,
Se sont noyés bien des destins ;
Un fil entre nous la maintient
Hors de l’eau, prisonnière.
Sombres regards de ma mère…
Si j’étais un spectateur,
Témoin extérieur de l’exil ;
Je trouverais les flots tranquilles
Et le voyage, instructeur.
Mais je ne suis pas spectateur…
Derrières nos épaules lourdes,
Le passé, vaincu, se vide.
L’avenir est aride,
Pour l’oreille restée sourde ;
Que mes épaules sont lourdes…
La Corse, cette ensorceleuse,
Vers laquelle je revenais toujours
N’a pas voulu de mon amour,
Ni de me vies tumultueuses.
Va ! Corse ensorceleuse...
Alors, le ciel azur s’ouvrit,
Et laissa passer nos espoirs ;
La côte française, le Var,
Volait à notre secours ; Oui !
De ce jour la voûte s’ouvrit…
Dans ce précaire esquif
Quand on y songera
C’est un empereur et des rois
Qui voguaient d’un pas furtif,
Dans ce précaire esquif...
LE RENONCEMENT DE DANTON
15 juin 1793
Danton, un stentor qui lance des colères ?
Au sein des députés, la foule toute entière
Sait les doutes qui tenaillent le gros homme ;
Car la révolution n’est qu’un vil capharnaüm !
Les guerres lourdes des royaumes coalisés
Empêchent toute fin de l’échafaud pressé !
Il faut couper, couper et recouper encore !
Les têtes roulent dans des paniers à ras bords !
Plus personne ne peut deviner, qui demain
Aura une heure de plus ou une tête en moins !
Danton fatigué, s’assied sur une chaise
Et regarde l’ogre de quatre-vingt-treize
Avaler un à un ses naïfs créateurs ;
Pour que l’idée vive, faut-il que l’homme meurt ?
Il s’éloigne alors dans la verte campagne
Au bras d’une épouse neuve qui l’accompagne
Et n’écoute plus les nombreux accusateurs,
Quand Paris dénonce "Danton, l’endormeur !"
JACQUES ROUX
"Le manifeste des Enragés" 25 juin 1793
Cent fois, cette enceinte sacrée a retenti
Des crimes des égoïstes et des fripons ;
Perpétuellement, vous nous avez promis
De frapper les sangsues du peuple, ces félons !
Or, avez-vous proscrit l’agiotage ? Non !
Voté la mort contre les accaparateurs ? Non !
Mis un terme au mauvais commerce ? Non !
Banni la vente de l’argent monnayé ? Non !
Eh bien, nous vous déclarons que vous n’avez pas
Tout fait pour le bonheur du peuple souverain !
La liberté n’est qu’un mot fantôme et vain
Quand une classe d’hommes peut ignorer le droit
Et en affamer une autre impunément !
Faut-il, parce que nos députés inconstants
Ont appelés sur notre patrie accablée
La guerre étrangère et ses fléaux entiers,
Que le riche nous en déclare une plus terrible
Encore au-dedans ? La traitrise horrible,
Qui sacrifie les hommes du saint régicide !
Trois cent mille ont péri par le fer homicide
Pendant que leurs foyers sont réduits à manger
Des cailloux ! Faut-il que leurs veuves soient noyées ?
Que la vertu et le courage des sans-culottes,
Mandataires du peuple, chassent par leurs bottes
Les complices de l’étranger ! De la Vendée !
Les riches seuls, depuis quatre ans, ont profités
Des avantages de notre révolution ;
L’aristocratie d’argent avec propension
S’est faite un jeu cruel de nouvelles exactions ;
Parce que le prix des marchandises augmente,
La famine gagne les ventres, effrayante.
Il faut proscrire les propriétés des fripons !
Seraient-elles plus sacrées que la vie des hommes ?
On ne nous musèle plus par la religion
Et les fausses promesses de son décorum !
Vous n’avez pas hésité à frapper de mort
Ceux qui oseraient encore proposer un roi,
Et vous avez bien fait en mettant hors la loi
Les contre-révolutionnaires « libertivores » !
Ceux-là ont rougi, à Marseille, l’échafaud
Du sang des patriotes ! Croyez bien, il faut
Faire éclater sur ces vampires la foudre
De votre justice ! Ne craignez pas de rendre
Le peuple français trop heureux ; car absoudre
Les traîtres de leurs crimes, c’est encore nous vendre !
Les gros marchands sont, par habitude, des rois
Les complices ! Ils abusent de la liberté
Du commerce pour constamment opprimer
Celle du peuple ! Voilà les vrais scélérats !
Ils ont faussement abusés des droits nouveaux,
En considérant qu’ils pouvaient faire, perfides,
Tout ce que la loi de défend pas ! Ce troupeau
De faussaires aux mains continûment avides,
Ne cessera de rançonner les malheureux !
Voyez le peuple sans pain et au ventre creux !
Qui pourra croire que les représentants des masses
Ont affrontés longtemps les tyrans du dehors
Et ont été lâches pour laisser leurs places
Aux vils tyrans du dedans ! Aux armes encore !
Nous savons les maux toujours inséparables
A une grande révolution ; Sommes nous
Pour autant amener à nous voir coupables
D’être républicains ! Nous faut-il accepter
Pour le triomphe des riches, d’être agiotés !
Nos pères nous ont légué, infâme mémoire,
L’agiotage, la monarchie et les guerres ;
Nous sommes nous battus pour désormais avoir
Le désespoir, la famine et la vie chère ?
O, députés de la belle révolution,
Ne laissez pas votre doux ouvrage imparfait !
Délivrez nous de ces nouvelles prisons :
Le dénuement, la pauvreté, le mauvais prêt.
LETTRE AUX AMIS DE LA LOI
16 juillet 1793
Charlotte Corday
Guillotinée à Paris le 17 juillet 1793
Jusqu’à quand pourrez-vous,-vous malheureux Français,
Vous plaire dans le trouble et dans les divisions ?
Des fous ont mis l’intérêt de leur ambition
Au-delà de la France, au-delà de la paix !
Des factions mortifères éclatent de toutes parts…
Pourquoi vous anéantir vous-mêmes, sans égard
Pour le faible et au seul profit des tyrans ?
Des factieux et des scélérats ont trop longtemps
Travaillés à votre perte avec élan et zèle !
Sous leur terrible joug, nos épaules sont frêles…
La Montagne triomphe par le crime et l’oppression !
Quelques monstres épongés de notre sang conduisent
Ces vils complots. La liberté fut acquise
Avec notre sang, et nous voici trublions ?
Il ne restera de nous, que le souvenir...
La guerre embrase la France ! Ah, punir…
Déjà, les départements marchent sur Paris.
Le feu de la discorde brûle tout devant lui,
Mais il est encore un moyen de l’éteindre :
Français, levez-vous ! Il n’est plus temps de feindre.
Marat, cette bête abjecte, devait être écrasée !
Danton et Robespierre, ces autres brigands,
Observeront alors sur le trône sanglant
La force éclatante de notre bras armé !
Les peuples abusés ne feront plus leur fortune…
Vous connaissez vos ennemis ; qu’ils assument
Notre malheur ! N’abandonnez plus vos frères
A Marat, hors la loi condamnée par l’univers…
Moi, coupable ? Quel tribunal me jugera ?
Je porte notre croix, en supprimant Marat !
Ô ma patrie, tes infortunes déchirent mon cœur !
Je ne puis t'offrir que ma vie et je rends grâce
Au ciel de ma liberté, puisque j’efface
De ce monde par ma seule volonté cette horreur !
Personne ne perdra par ma mort ; elle est utile !
Je veux que ma tête, promenée dans la ville,
Soit un signe de ralliement. Ni reproche, ni fierté !
Que je sois leur dernière proie ! Le monde vengé
Verra enfin leur perte écrite avec mon sang !
J’ai bien mérité de l’humanité, mon temps.
Adieu, mon cher papa, je vous prie d’oublier
Votre fille. J’ai vengé bien d’innocentes victimes !
La honte, ce n’est pas l’échafaud : c’est le crime.
J’embrasse ma sœur que j’aime et je vais vous quitter.
C’est demain à huit heures, qu’on me juge. Ce 16 juillet. »
DISCOURS DE BERTRAND BARERE A LA TRIBUNE
23 Août 1793
Il est des hommes indignes d’être républicains,
Qui disent que tout est perdu, car l’ennemi vient
De s’emparer d’un bout de notre territoire !
Ils désespèrent le jour et gémissent le soir…
Nos armées sont nombreuses et feront retentir
Notre audace dans les justes batailles à venir !
L’an dernier, nos ennemis étaient à Soissons
Et nous avions un roi non jugé en prison.
Aujourd’hui, nous avons huit milles commissaires
Et le roi est mort ! Alors, qu’est-ce qu’une guerre
Au regard de notre liberté éternelle ?
Nos ennemis ont peur de nos lois nouvelles !
Les royalistes veulent du sang ? Eh bien, soit !
Nous offrirons celui de la veuve du roi
Et celui des anglais, par chez nous prisonniers !
C’est inconcevable qu’ils soient tous épargnés !
Il n’y a que les morts qui ne reviennent pas !
Je demande donc qu’ils passent tous à trépas !
Que l’on marche sur leurs nombreuses tombes
Et que nos enfants y dansent à la ronde !
LE CAPITAINE CANON
(Le siège de Toulon par le Capitaine Bonaparte)
Du 16 septembre au 19 décembre 1793
Je traine dans Toulon, bordée de désastres ;
On s’y bat, on s’y tue, et pour quelques piastres
Pullulent les Judas de la république !
Les mots n’apaisent pas ! Echafaud, explique !
Que ne suis-je plus, qu’un simple capitaine
Cantonné à suivre les calembredaines
De ces anciens pharmaciens, nouveaux généraux !
Ils ont l’aspect du vin et ne sont que de l’eau !
Entends-tu, Saliceti, toi qui viens à moi,
Que ceux qui décident, ce sont ces bougres-là ?
Robespierre est-il devenu indifférent
Aux soldats français sacrifiés et à leur sang ?
Alors ! Me désignes-tu chef de bataillon ?
Vous avez pris Paris, je prendrais bien Toulon !
Regarde ces hommes accablés de combats ;
Demain, ce sont eux qui feront trembler les rois !
C’est mon temps ! Je vais ensevelir la guerre !
Les bouches de canons porteront les éclairs
Qui strieront le ciel de beaux boulets colorés !
Les paupières closes, j’écouterais chanter.
Si un même tombeau nous unissait un jour,
Soldats, quel beau silence à se rendre sourd ;
Ensemble dans le trou, nous, intrépides,
Dormant dans le noir éternel et splendide !
Toulon ! Mes fantasmes sont tout entiers à toi !
Ce qui fut avant, est dérisoire déjà.
Mes ambitions, mes souffrances et mes projets ;
C’est maintenant et aujourd’hui, que je les ai !
La nuit enveloppe la giboulée de fer,
Se répand sur les hommes couchés à terre,
Offrant, tel un immense feu d’artifice,
Des vies vacantes, au glorieux supplice !
Bataillon des sans-culottes ! Vous, assemblée
Des sans-peurs ! Voici venu le moment sacré
Qui vous verra tomber ou encore vainqueur !
Robespierre vous appelle ! Parlez en chœur !
La flotte anglaise rit depuis la rade ;
Et leur rancune, il est temps camarade
De la faire cesser à présent ; vient, soldats !
Allons tuer cet amoncellement de rats !
Chaque soir, la foule s’assemble en misère,
Cherche au matin, là un oncle, un frère
Ou un mari à enterrer en silence ;
On rêve de paix dans le sud de la France !
Je suis venu ici en bref capitaine ;
M’étant cru perdu aux volontés anciennes.
J’en suis reparti général de brigade,
Par deux, trois idées et quelques canonnades !
Rien ne m’attachait en vérité aux Bourbons,
Pas plus aux intrigues ou aux révolutions ;
J’aurai pu tout aussi bien servir le Grand Turc !
Il est des moments où les destins bifurquent.
LE COMEDIEN LOUIS-FRANCOIS RIBIE
3 octobre 1793
Le comédien sait le bonheur éphémère
De n’être qu’un rôle dans ce grand mystère.
Au gré des années, s’étiolent toutes choses ;
Les spectacles de foire, les filles aux joues roses.
Regarde le temps qui passe en concurrent.
Tout est théâtre joué maintenant !
Ou sont « le quiproquo de l’hôtellerie »,
Et « les trois fourbes », ou « la comtoise à Paris »,
« Le barbier de village », « les girandoles »,
« Le savetier avocat » ; ces histoires folles
Ne répandront plus le rire pansu aux éclats
Puisque la Bastille est déjà passée par là…
LES PRETRES JUREURS
10 octobre 1793
La foi des hommes d'église, cachée dans le cœur,
Harcèle la raison. Partout alentour, on meurt !
On rougit d'être en vie, on s'honore
D’un lendemain. L'échafaud a faim encore...
Fouché et ses sbires, prolixes pourfendeurs
D'âmes innocentes, alimentent la mort.
Pâles, les ecclésiastiques renouvellent
Les phrases apprises à l'âge des ritournelles.
Apeurés, ils se drapent à l'ombre d'un cimetière
Où il est écrit, entre deux amas de terre,
« Désormais, la mort est un sommeil éternel ! »
La chrétienté n'est plus révolutionnaire...
LA REINE GUILLOTINEE
16 octobre 1793
Revenue dans son cachot, la presque morte
Sait que cette aube est de celle qui emporte
Vers un humble silence à jamais suspendu.
La foule veut la voir – et son sang répandu !
Les bas commérages, les ragots de cuisine,
Parlent d’orgies versaillaises, de parties fines,
D’influences néfastes et de trahisons ;
C’est bien plus qu’une reine, c’est un grand démon !
Un lieutenant de gendarmerie sommeille
Devant le cachot où la presque vieille
Ecrit, assise devant une petite table
De bois blanc. Marie-Antoinette, coupable ?
Elle sait la question sans importance.
Ce qui compte, c’est l’affreuse vengeance !
Alors, elle écrit quelques mots pour les autres ;
Ceux qui restent vivants, ceux qui sont apôtres
D’un temps déjà révolu. Elle donne courage
Aux quelques-uns, futurs condamnés, dont l’outrage
Sera de ne pas être mort à temps !
Elle leur dit adieu, et les console pourtant.
Il est l’heure d’en finir avec l’immonde jour
Et c’est les mains liées qu’on l’emmène pour
Le destin des monarques de quatre-vingt-treize !
Elle avait un trône ; c’était une falaise !
Les passants qui l’insultent, enflés de l’audace,
Crachent vers la charrette où elle prend place.
Les mots tranchants comme des milliers de couperets
Résonnent dans le ciel et l’épouse de Capet
Ferme les yeux pour effacer ce moment-là ;
Et la voiture qui s’ébranle avec tout ce fracas !
Trente mille hommes de troupe, le long du parcours,
Forment une fraîche et surprenante cour
A celle que tous appellent l’autrichienne…
Elle tombe à Paris, son cœur est à Vienne !
Les vociférations redoublent à son passage.
Elle défile, vaincue, n’ayant déjà plus d’âge !
La foule se fait encore plus dense maintenant
Qu’elle arrive au pied de l’échafaud géant.
Il y a vingt ans, au soir de sa jeunesse,
La même foule massée acclamait l’altesse !
"Vous avez-là deux mille amoureux, Madame !"
Avait dit Louis, en souriant à sa femme...
Marie-Antoinette regarde la vaste place
Qui braille aujourd’hui et lui lance à la face
Des moqueries et des gestes vulgaires...
Il est bien temps, se dit-elle, de quitter la Terre !
La brume se dissipe et le flot s’étonne ;
On l’entraîne, on l’attache, la reine s’abandonne
Sur la planche à bascule et, enfin, ce bruit sourd :
C’est fini, elle est morte ! A qui donc le tour ?
PROCÈS DE MADAME ROLAND
Egérie du Parti Girondin et dame de Salons
Devant le tribunal révolutionnaire
8 novembre 1793
La frêle femme, moineau désarticulé,
Ecoute les hommes sombres assermentés
La recouvrir d’épithètes outrageantes.
Qu’elle parle ! On reproche qu’elle mente
Au tribunal et à l’accusateur public !
Alors elle dit tout à cette vaste clique
Qui tonnerre dans le froid tribunal ;
Elle se sent étrangère à ce curieux bal
Où l’on danse avec les faits authentiques.
On nie les détails, vérités faméliques
Indignant l’équité révolutionnaire.
On exige la paix ! Va-t-elle se taire
A la fin, cette bavarde ? « Vous pouvez
M’envoyer à l’échafaud ! Vous ne sauriez
M’enlever la joie de ma bonne conscience !
Vous êtes des vermisseaux, et non la France ! »
Clame Madame Rolland devant ses bourreaux.
« La postérité vengera l’infamie ! Trop
De sang émerge à flot de votre bouche
Et votre révolution n’est qu’escarmouche
Au regard du bon droit des peuples bienheureux.
Qui croyez-vous être ? Vous pensez-vous des dieux ? »
LE CULTE DE LA RAISON
22 novembre 1793
Il est temps en ces jours glorieux,
De mettre à bas les superstitieux,
Ces abbés catholiques !
Ils sont l’airain au bout des lances,
Ils sont le frein, la déchéance
De la république !
Combien de régiments de morts
Encombrent la terre carnivore
De religiosité ?
Le tocsin malsain appelle tant
Les hommes qu’ils devraient, prudents,
Devenir athées !
La religion est l’antique socle ;
Pour nos yeux stupides : un monocle,
Un miroir déformant ;
Partout, elle pose le souffre
Et promet aux hommes le gouffre,
La géhenne, le néant !
Dans nos campagnes et nos villes,
Pullulent les moines imbéciles
Et ignares nés ;
Allons-nous laisser ces corneilles
Eclipser la chaleur du soleil
De sa véracité ?
Car, je vous le dis, en vérité,
Viendra la saison tant redoutée
Du noir crépuscule
Où les prières que l’on débite,
Et l’encensoir et l’eau bénite,
Feront les crapules !
Les curés, en nouveaux prophètes
De la pauvreté, s’entêtent
A promettre : demain
Le bonheur pour les opprimés !
Au malheur, ici-bas condamné,
Le pauvre est certain ;
Car quoi ! Il convient que richesses,
Honneurs et satisfactions, paissent
Dans le noble giron !
A la fange, la repentance,
Les péchés et les pénitences
A juste raison ;
La pauvreté est certes belle
A n’en pas douter. Péronnelle,
Divine volonté !
Fumisterie sectaire que cela !
Revoilà notre accablante croix
Et son goût suranné !
Détruisons tous les édifices
Où les vils mensonges s’enfuissent
Depuis bien trop longtemps ;
Si par mégarde quelques hommes
Prieurs ou nones, menteurs en somme,
Croulent, c’est notre talent !
Car, si comme eux on raisonne,
On les délivre d’une vie fantôme,
Futile et sans but,
Pour rejoindre leurs douces chimères !
Fermons donc leurs tristes paupières,
Et tuons, tout azimut !
C’EST UN OCEAN RENVERSE
3 décembre 1793 Nantes
C’est un océan renversé
Jalonné de blancs moutons
Que le zéphyr pousse vers l’horizon
Et qui expirent, dispersés…
Je suis debout face au ponton.
Sur la berge humide et fraiche
D’un matin du bord de Loire,
C’est ce tableau dérisoire
Qui est la dernière brèche
Entre le néant et mon regard.
LE CHAGRIN DE YOLANDE DE POLIGNAC
Duchesse et confidente de Marie-Antoinette
5 décembre 1793 – Vienne (Autriche)
Elle est dévorée de douleur et de chagrin,
Puisque la reine de France est tombée ;
Les plaisirs assourdissants et les voluptés
Sont des bienfaiteurs enfuis dans le froid lointain.
L’écume des anciens souvenirs familiers
S’efface en silence dans la noirceur profonde ;
Les quadrilles, menuets, chaconnes et les rondes,
Débris d’un monde clos et déjà renversé.
L’abime est si grand en ce superbe déclin,
Que la nuit, radieuse, se referme et enlace
Les maussades désillusions qui s’accroissent
Dans le cœur de Yolande, ce matin.
Et puis, la voici sur le seuil de la porte ;
Elle sourit aux silhouettes importunes,
Offre vanités, souvenirs et fortunes,
Pleine qu’elle est, d’inclinations qui sont mortes !
LA BATAILLE DE SAVENAY
23 décembre 1793 (guerre de Vendée)
Lettre du général républicain François-Joseph Westermann
Adressé au comité de salut public
Guerre de Vendée
Il n’y a plus de Vendée ! Elle est morte hier
Sous notre sabre libre ! Avec ses femmes
Et ses enfants, je viens de l’enterrer ! Charme
Troublant des marais devenus cimetières !
Enchantement des bois devenus ossuaires !
De Savenay, je n’ai pas un prisonnier
A me reprocher. Oui ! J’ai tout exterminé !
Sans indulgence, suivant les ordres reçus,
J’ai écrasé les enfants sous les sabots de mes chevaux.
J’ai massacré les femmes et ce n’est pas de trop !
Au moins pour celles-là, elles n’enfanteront plus !
Mes sergents ont tous, à la queue de leurs charrues,
Des lambeaux d'étendards chouans. Les routes semées
De cadavres font mille pyramides de tués.
On fusille sans cesse à Savenay. Il arrive
A chaque instant des brigands qui prétendent
Se rendre prisonniers. Parbleu ! Que l’on pende
Ces maudits hommes ! Qu’on les jette entre les deux rives
De la Loire et que leurs semblables les suivent !
Ne faisons pas de détenus sur cette terre !
La pitié n’est pas révolutionnaire !
Elle n’est plus, cette armée royale et catholique…
J'en ai vu, avec mes vaillants hussards, les débris.
Ah ! Mes braves. Quelle attaque ! Quelle déroute aussi !
Il fallait les voir ces soldats pris de panique,
Ce peuple lâche devant notre république,
Implorer leur Jésus et leur Louis XVII
Avant de sombrer en ce jour, devenu fête !
Le carnage ? Beauté terrible ! Par manque de temps
Et de munitions, on met ces gens sur des barques
Que l’on pousse sur la Loire. Le fleuve, tel un parc
De noyés, avale l’offrande de chair et de sang.
Ils disparaissent sous les flots, se repentant
De n’avoir pas vaincu notre armée héroïque !
A-t-on déjà vu des mourants plus comiques ?
LE PAYS DES CHOUANS
3 janvier 1794
Tout ici sent la mort et la désolation !
Les visages hideux et aucune espérance !
On fuit, on cri, on pleure dans les maisons,
Et le malheur s’abat sur l’ouest de la France…
Une masse erre dans son désert, éparpillé
Sur quelques roches, quelques forêts détruites ;
Les chemins sombres, les nuits sont peuplés
D’êtres maudits de Dieu, récents moabites !
On voit dans les champs de maigres haridelles,
Dont on pressant à la vue de leur peau tannée
Qu’elles seront demain, chevauchant le ciel,
Loin des pâturages affligeants de Vendée !
Les branches déchargées de toute feuille,
Se jettent à terre, étant du Morbihan !
Tout quitte la vie, attiré par le seuil ;
Tout vaut mieux que d’être de ces départements !
Un éclair d’horreur rayonne dans les têtes
Brisées par les abondants coups reçus ;
A Paris, il pleut ; en Vienne, il tempête !
Des hordes de gueux cheminent là, vaincues…
LE CURE ROUGE
OU LE SUICIDE DE JACQUES ROUX
10 février 1794
Enfermé dans la cellule
Jacques Roux sait
Que ça n’est qu’un préambule
N’en est pas inquiet
Tout est perdu ici-bas
Il comprend l’infamie
Qui remplace les rois
Par la bourgeoisie
Le Roi prend tout
Impose tout
Est tout
Par la force seule
La bourgeoisie prend tout
Impose tout
Est tout
Par la ruse veule
La loi toute nouvelle
Est faite par les riches
Qui s’affichent
Au bras éternel
De la liberté
Elle ne sert que ses maîtres
Et oublie les malheureux
La liberté est un fantôme qui protège le bourgeois
Partout les prisons regorgent de naïfs esprits
Le riche pense Pouvoir Argent et il dit Droit
Le pauvre pense Liberté et on lui dit : « va s’y ! »
Demain
Ou plus tard
On viendra le prendre
Pour aller nourrir l’échafaud
Et calmer une foule toujours imbécile
Il ne se fournira pas au couteau
Et n’est pas à vendre
PAROLES D’UN ABBE
Dans une cellule révolutionnaire 12 février 1794
La force du monde est répandue en toutes choses
Et l’âme de l’homme en est l’apothéose !
La pensée sans âme est un intellect froid ;
Le corps sans âme est un agrégat maladroit.
L’âme est le vin, le sucre, l’or, la pierre précieuse.
Elle est la voix qui, parfois, se fait chuchoteuse
Et qui nous rappelle à Dieu, le seul tout-puissant.
Le saisir fait naitre un bonheur…étourdissant !
LA BETE DECHAINEE
4 mars 1794
La dévotion étroite pour se rassurer,
Les hommes-aboyeurs continuent d’aboyer
Et plein d’un grossier charlatanisme
Proposent l’échafaud, nouveau christianisme.
Pour trouver ces lutteurs, il suffit d’étudier
Quelques passants hilares et enivrés,
Modernes Scapin, gorgés d’intelligence
Qui pullulent partout dans nos coins de France !
De colossaux satyres poursuivent enamourés
Quelques donzelles coupables de ne pas s’échapper
Et assouvissent jusqu’à trop plein leurs vices !
La rue est aux coquins, nouvelle police !
L’EXECUTION DE CHRETIEN-GUILLAUME
DE LAMOIGNON DE MALESHERBES
22 avril 1794
On s’est souvenu de lui en pleine terreur,
Etant venu pour le ceindre par la noirceur
De mains régicides ! Ramené à Paris,
Le vieux protecteur de l’encyclopédie,
Ne s’appréciait déjà guère pour presque plus rien !
Monsieur de Malesherbes est à l’aube de sa fin.
Sa fille Antoinette et son Aline adorée,
Son propre sang par l’ogre coupant avalé !
Oh, l’extraordinaire temps pour les bandits !
Ils se couchent dans la fange et en font leur lit !
Voilà où entrainent leurs mauvaises réponses :
Ils abattent les chênes pour faire place aux ronces !
Evaporée dans le feu, la botanique,
Lointaine passion aux senteurs d’Amérique,
Lui rappelle les instants où Jean-Jacques Rousseau
Et Thomas Jefferson, et Denis Diderot
Lui parlaient des charmes profonds de la nature ;
Désormais ce passé est une froide peinture
Qui s’estompe en ce printemps d’assassins ;
Le monde est plein de Pilate se lavant les mains !
L’acte absolu qui désigne cet être à la mort,
C’est son attrait à défendre Capet encore
A l’étiolement de la fin quatre-vingt-douze !
Il est des causes proscrivant qui les épousent !
"Votre sacrifice est d’autant plus généreux,
Dira le Roi, qu’il expose votre vie aux gueux
Et que vous ne protégerez pas la mienne…
Hélas, nous sommes tous deux, des momies anciennes !"
SUPPLIQUE D’UN COMEDIEN
LYONNAIS A SON FILS
24 avril 1794
Tu me dis qu’à Paris, on coupe les têtes ;
Que désormais nous sommes libres et égaux ;
Que cela te semble une immense fête ;
Que la justice déploie son lot de tombeaux !
O fils, toi qui vient de nos dures campagnes,
Car tu exècres les privilèges du sang
Ne perçois-tu pas la folie qui te gagne
En les remplaçant par ceux, hideux, de l’argent !
Les bourgeois conquérants, renversent le trône ;
Tu t’es cru libéré, tu as été conquis !
Ils se sont servis de toi, mesurant l’aune
De tes frustrations, et du gain de ton appui.
Qui sont-ils vraiment ces révolutionnaires
Qui discourent du peuple et de ses malheurs ?
Des avocats, des journalistes, des notaires !
Ils le méprisent et, en secret, en ont tous peur !
Un jour, viendra ton tour de poser la tête
Et sous les huées d’une foule imbécile,
Aussi, tu seras dans la morne charrette !
Cette révolution est un codicille...
Ceux qui étaient avalés par la noblesse :
Le paysan, le manouvrier, le soldat,
Ce sont ici les bourgeois qui s’en repaissent ;
Oh, mon fils chéri, comment ne le vois-tu pas !
L’EXECUTION D’ANTOINE LAVOISIER
8 mai 1794
Il ne vous a fallu qu’un moment
Pour faire tomber cette figure.
Savez-vous que peut-être cent ans
Seront nécessaires (vague augure)
Pour retrouver un tel esprit...
- La révolution n’a pas besoin de théorie !
Il ne vous a fallu qu’un moment
Pour clore toute son existence.
Savez-vous que nul cependant
N’est revenu du noir immense
Pour expliquer à l’ignorant...
- La révolution n’a pas besoin de savant !
Il ne vous a fallu qu’un moment
Pour prendre les biens de Lavoisier.
Savez-vous que la lame, coupant,
A pris aussi votre honneur tout entier !
- Pour ce jour, que le sang coule encore !
La révolution n’a pas besoin de remords !
LE SUICIDE DE JEROME PETION
(Avocat, écrivain et maire de Paris
De novembre 1791 à septembre 1792)
18 juin 1794
Couché dans l'herbe haute, à l'abri du vent
Qui chatouille le soir les arbres frissonnants,
J'ai mes frêles épaules posées sur la terre,
Et mon âme s'envole au-dessus de tout ;
Je voulais la liberté, la voulais pour nous,
Et ne m'apprêtais pas pour le grand mystère !
Loin de la foultitude, hostile et haineuse,
Tel un amour mort quittant une amoureuse,
Je vivotais en sursis ! Je me suis enfui
N'ayant soudain plus de convictions à vendre ;
Car vois-tu, me hantent les massacres de septembre
Comme un torrent de morts revenus à la vie !
Préférant la fin dans les blés à la lame
Tranchante, j'ai pris une arme, ô, sésame
Ouvrante, pour le monde désormais promis ;
Je dormirai bientôt, le front rose percé ;
Poserai mon cadavre à moitié dévoré
Par des loups voraces dans mes habits rougis.
L’ETRE SUPREME
25 Juin 1794
Qui nous donne la mission
D’annoncer à la nation
Que Dieu n’existe pas ?
Quelle doctrine aride
Distille ce curieux fluide,
Le : « je ne crois pas ! »
Quel avantage pour l’homme
De dire qu’en somme
Tout est fruit du hasard ?
Qu’une force préside
Nos destinées morbides,
Sans nul espoir.
Notre âme ne serait
Qu’un souffle discret
Qui s’éteint au tombeau ?
De l’idée de notre néant
Tirerons-nous un sentiment
Plus élevé, plus beau ?
Et puis quoi, nos églises !
Faut-il qu’elles s’amenuisent
A la terrible raison ?
Nos temples, nos cathédrales,
Délivrés de leur ancien voile,
Célébrer la Nation !
Car l’autre mal, l’athéisme,
Ce jumeau du christianisme
N’a pas sa place parmi nous !
Le culte de l’être suprême,
De ce Dieu qui nous aime,
Voilà le vrai tabou.
Car quoi ! Que faut-il vouloir ?
Toujours, un éternel soir,
Un nouveau Mahomet ?
Voyez, la fin des monarchies
Laissera l’Europe éblouie
Par l’exemple français !
DIVAGATIONS
Au soir du 27 juillet 1794
L'écorce d'un brouillard plombé, ce matin,
Me pris à la gorge, tomba de mes mains,
Sans aucune sorte d’errance propice ;
O deuil, ne durait brusquement que le vice !
Je décidais néanmoins, d'un pas ombragé,
De prendre mon temps ; Averses et étés
Arriveraient suffisamment tôt pour mourir.
Nous aurons tous notre saoul pour applaudir !
Vole vers moi, faste du temps passé !
J'attends ton bourrèlement, penchant apprivoisé
Depuis mon origine. Je compte sur tes promesses !
L'éclat pivoine de tes joues rosées me presse
D'établir ce cosmos resplendissant et froid.
Je ne cesse d'y surprendre un cruel désarroi...
LE 10 THERMIDOR DE L’AN II
Arrestation de Robespierre – 28 juillet 1794
Blessé, il gît allongé sur une table
Dans la salle d’audience du comité
De salut public ; ses paupières sont gonflées
Et partout autour, se déclament des fables…
On discourt du malfaiteur et du criminel !
Tous l’incriminent, l’accusent et le calomnient ;
Chassant les mots sortant de gosiers en furies,
L’homme se souvient de la gloire éternelle…
Sa tête repose sur une boite en bois.
Les cris, les injures, les incantations neuves,
Surgissent devant lui et ouvrent l’épreuve
Désormais certaine ; Il le sait ! Il la voit !
Le sang s’écoule de sa mâchoire rompue
Sur sa chemise rougit et l’habit bleu-ciel.
Le trou dans sa joue est une percée par laquelle,
Un coup de pistolet vient sustenter ce ru.
Il lève les yeux vers le plafond, appuyé
Sur le coude gauche. Entourant ses lèvres,
Du sang coagulé ; O, ce relent mièvre
Des hommes haineux, malveillants et fortifiés.
Un chirurgien approche et apprécie
La mâchoire gauche fracassée, arrache
Quelques dents et sous un foulard sale cache
Le visage livide de l’homme anéanti.
La mort, adossée à une balustrade,
Observe le manège des êtres en harpies :
Elle se délecte déjà de celui-ci, promis
A la rejoindre très bientôt dans sa rade.
Sans un gémissement, l’homme, devenu une cible
Va s’asseoir dans un fauteuil, tout près du mur.
Il ouvre les yeux et ne perçoit rien de sûr ;
Cet homme, c’est Robespierre l’incorruptible !
- La mort est la naissance de l’éternité !
Dit-il, comme pour compenser les apparences
D’un présent misérable. – Je suis à la France !
Qu’importent les éphémères qui vont me juger !
A sa droite, debout, son frère Augustin
Attarde son regard sur son aîné, bancal ;
Tout semble perdu et pourtant pas un râle
Ne sort de la bouche rouge de Maximilien.
Que d’aventures depuis l’enfance à Arras !
Comment se plaindre d’être devenus des dieux
Que l’on veut transgresser ? Ils sont venus miteux
Et s’apprêtent à prendre l’immense place !
L’immense place avec vingt-et-un camarades !
Couthon, Saint-Just, le geôlier Antoine Simon
Qui avait gardé le Dauphin ! Tous, furibonds
D’être une fraction de cette mascarade !
Saint-Just contemple l’œuvre sortit du néant ;
Impavide, debout près d’une fenêtre,
Son œil se colle au brouhaha des êtres
Qui dehors braillent – A bas les maudits tyrans !
La porte s’ouvre, et en pleine lumière
Apparaissent alors les ombres du passé !
Une charrette saturée vient les emporter
Vers l’Histoire qui ravit ces vies toutes entières !
CHANT DE DEUIL
10 août 1794
Un filet melliflue coule à travers le panier.
Il tombe à terre et sustente la flaque ;
Il nourrit la terre au milieu de l’été ;
Il est la muse des poètes élégiaques.
Le panier est un Versailles en miniature ;
On y trouve marquis, barons ou princesses !
Les uns après les autres y mettent la figure,
Et le réceptacle rougit de toutes ses tresses.
LE MOINE
16 août 1794
Le moine, affaibli, contemple le vitrail,
Les icones, les statues, tous les étendards
Du prieuré et toussote dans son mouchoir ;
Le passé foisonne comme mille broussailles !
Ses gestes lents, usés de polyarthrite,
Lui renvoient les jours éteints – petits criminels,
Où Bible, sermons, repentances et missels,
Cheminaient sans égard pour les anciens rites ;
Il fixe, étonné, les divins appareils ;
Une allégresse riante, sans pareille,
Retentit ; auparavant éléphantesque,
La Terreur, ce monstre sans dieu, par thermidor
Est abattu ! Adieu le diable grotesque !
Les anges veillent les âmes, doux sémaphores !
LA JEUNESSE DOREE
29 août 1794
Vous, passants à la mauvaise figure,
Sachez que rien ni personne jamais ne dure
Plus longtemps qu’un temps suffisant !
Les Jacobins gloutons ont mangé tout leur temps !
Ils viendrons désormais sur les boulevards,
Enfants de Fréron, élevés dans cette mare
De sang qui ruisselle des cous !
Complices de Robespierre, tombez à genoux !
Gavés d’idées grosses et émétiques,
Titubant, parfois lymphatiques,
Ils irons danser, belle superfluité,
Entre rats de caves et maréchaussée.
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