Reims
- Christian Tritsch
- 18 mars
- 4 min de lecture
Christian TRITSCH
« Reims »
A Reims rien ne m’impressionne. Je suis déçu. Pas snob la ville. Pas séductrice non plus. Quelconque. Je m’attendais à autre chose. Y a pas la grandeur à laquelle j’étais en droit de m’attendre. Rien. Je recherche dans l’air, dans les murs, jusque sur les visages, le pourquoi des rois qui rappliquèrent ici. Mais rien n’explique. Ça pue comme presque partout l’opinion publique, cette somme fière des conneries et des lâchetés individuelles. Les mêmes cliques d’humains emplissent les mêmes allées et parlent avec les mêmes voix basses. Et les bistrots du coin attirent les mêmes ivrognes, pissant leurs bières comme partout ailleurs. Rien de différent. Du fiel que j’éprouve ! Pour tout.
J’en suis à me dire que c’est chez moi que ça cloche. Tout peut pas être si noir. C’est moi qui suis très sombre en dedans. C’est peut-être pour ça que ça m’obstrue la luminosité des autres. J’ai envie de valdinguer mon sac, de rester là devant la gare et repartir tout de suite. J’ai envie de hurler « j’suis trop con ! ». Je me sens plus con que de la merde. Faut être couillon quand même ! Quitter sa femme, ses mioches, son job, son passé… tout ça pour faire le clodo dans une ville dégueulasse !
Leur pluie c’est de la pisse !... J’ai perdu toute mesure !... J’ai voulu être prétentieux comme tout le monde ! C’est bien mon droit après tout !… Même les charognes z’ont des droits !... même les punaises !… Vous pensez alors que j’en avais des droits ! J’en avais la bouche pleine de mes droits ! J’avais la trique avocasseuse !... Et puis plus rien. J’avais tout dégueulé.
J’accepte le voyage… le voyage c’est pas un déplacement … c’est juste un pareil un peu plus loin. J’y vais quand même à la cathédrale. Pour voir. A côté du parvis il y a la statue équestre de Jeanne d’Arc avec autour des enfants qui s’amusent. Les gamins hurlent, se foutent bien de Jeanne d’Arc et des rois de France.
Un petit, la gueule en travers, râle à tout rompre. Il fonce vers un autre, lui met une taloche à lui décoller la face !… c’est du sang qui va venir, c’est sûr !… Les bras tombent comme des cascades, comme des moulinets frénétiques !... un Niagara de colère !... Ce môme c’est un despote !... un qui ira loin !... un qui se lestera pas de discours inutiles !... C’est bourrade sur bourrade ! Torgnole sur torgnole ! Ça hurle à n’en plus finir ! Un tintamarre moyenâgeux ! Vous pensez l’effet qu’ça fait ici en ce lieu précis… devant tout ce monde… Irrespect monarchique et catholique !... « Allons ! que j’me dis ; entrons dans le monument ». C’est un temple chrétien quand même ! Je m’attends à entendre hululer des je vous salue Marie !...
A l’intérieur c’est subitement une grotte sombre et froide pleine de touristes hébétés. La lumière a fui, apeurée c’est sûr par le blasphème. Elle ne se donne avantageusement qu’aux enfants du dehors et à leurs cris obscènes. Dedans c’est les hommes et leurs pas, les marbres glacés, quelques vitraux bleutés – du Chagall ! Attention pas d’la merde ! Et du commerce à profusion !... du commerce avilissant !... du commerce se faisant dans la pénombre et les recoins ! Tout se vend. Contre de l’argent on obtient tout. Des reproductions de saints !... des pièces à l’effigie de la cathédrale !... et bien entendu, on vous propose de brûler un cierge bien gros, un cierge phallique que les dames regardaient avec gourmandise, de la taille du péché à pardonner ou à faire… La pénombre est inévitable dans ces conditions. Y a tant de honte…
Je reste estomaqué de pierres !... Je n’ai jamais vu tant de statues de ma vie !... Y en a partout de ces machins !.... C’est un régiment taillé !... Des rois !... des anges !... et depuis des siècles en plus !... Nous autres, la chair, on se contente de grouiller et pourrir sur le sol, recommençant les génuflexions et les prières, mêlant hommes et flashs en une Babel lumineuse et écœurante. Je déambule un peu dans la ville. Y a personne pour me comprendre en cet instant.
Je longe les allées de l’édifice glorieux, m’aventurant jusque sous la nef, m’adossant aux piliers centenaires, ressortant bientôt aussi vide de foi que ce lieu. Que suis-je donc venu faire ici ? Je n’en suis pas à me poser la question de l’existence de Dieu. Cette question n’a aucun sens, aucune logique. Reims !... Sa cathédrale au XXIème siècle !.... On se croit en taule à l’intérieur tant l’espace est sombre et surpeuplé… Avec toujours une foule bégayant des pieds autour de l’édifice presque millénaire... Y a aussi ici des midinettes foutrement attrayantes, balançant leurs compas d’une démarche effrontée, captant les regards des mâles. Ce butin est vite pourchassé du reproche silencieux de mères médusées. De vieux messieurs, corbeaux indifférents qu’on croit sortir d’un cachot, se postent en des points stratégiques de la place, comme sur des miradors imaginaires, hors de portée des critiques conjugales. Enfin la foule des autres... les nouveaux babyloniens, hominidés ornés d’appareils photographiques autour du cou ou pendouillant en bandoulières. Je les observe, ces cyclopes aux flashs nombreux… Microbiens, ils vaquent, repus de leurs regards ennuyés ! Je ne vaux pas mieux. Moi aussi je me sens du nombre. Je suis un touriste.
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