Les herbes froissées, avant-propos
- Christian Tritsch
- 16 mars
- 39 min de lecture
Christian TRITSCH
Les herbes froissées
Poèmes centenaires
Avant-propos
Je sens confusément que la France est à distance de son âme. Les images de son passé glorieux défilent dans ma tête et, des invasions franques jusqu’à l’avènement de la république, il me semble voir les images puissantes de dieux, d’anges et de héros se former presque devant moi. Je me fais cette réflexion : « Tu vois tout ça trop tard et, tel un antiquaire, tu donnes aux choses un prix en fonction de la patine du temps. Ces choses sont belles, mais n’ont que peu d’utilité…». La France a-t-elle reçu l’invisible piqûre dont chacun dépérit ?
Je regrette n’être qu’un spectateur, scrutant les acteurs du passé se débrouiller ; et mon humeur est alors celle d’un soir d’enterrement, quand l’orphelin se retrouve seul. Je soupire : « Mon âme, pourquoi avoir tant patienté ? Est-ce par timidité que tu as attendu que mon pays fut moins beau pour venir le voir ? ». Heureusement, il existe des baumes apaisants ; parmi d’autres, les belles paroles de Maurice Barrès : les morts de l’Histoire vivent. Ils ne se connaissent pas. Ils sont au milieu de nous. Il faut les retrouver. A l’évocation de Maurice Barrès, je sais bien que les nombreux anathèmes à mon encontre ne manqueront pas : réactionnaire, ringard, fasciste même ; telles sont les fatwas du monde nouveau qui me seront adressées. « Comment ! Il ose citer Barrès ! Tout s’explique donc ! »...et toute argumentation deviendra inutile. Personne ne songe à replacer les écrits de Barrès dans le contexte d’avant-guerre, quand la notion de « revanche » par le retour de l’Alsace-Lorraine au giron français était de toutes les conversations. On me dira que Barrès a inventé le nationalisme. On n’oubliera seulement de préciser : le nationalisme français contre l’empire allemand ayant annexé nos provinces de l’est depuis 1870 ! Que des cerveaux tordus puissent rétroactivement y voir le chantre du pangermanisme est un anachronisme grotesque au mieux, une tromperie délibérée le plus souvent. Barrès n’avait qu’un but : la nation française dans ses frontières d’avant 1870. Son nationalisme est celui de Paul Déroulède, pas celui de du socialiste Pierre Laval !
Que Barrès soit devenu un paria de la littérature française en dit plus long sur le délitement de la France que sur une prétendue infamie de l’auteur de la colline inspirée, des déracinés, des amitiés françaises ou encore du mystère en pleine lumière. Comme il y a dans les calendriers des dates structurantes, il y a dans la littérature des écrivains structurants. Barrès est un de ceux-là et, en tant qu’alsacien, je n’oublie pas ce que je luis dois !
Il n’en reste pas moins que je me dois d’éviter certains récifs. Je bénéficie gracieusement de l’aide constante des progressistes auto-proclamés, ces imbéciles à la mode, « machonneurs » de formules surfaites, de crétinerie ambiante, ces bien-pensants débordant de leurs bonnes pensées. Il me suffit de les écouter et de les comparer à Barrès...Ces gens-là sont marqués au fer rouge du signe algébrique « moins » tant ils diminuent ceux qu’ils côtoient. Dans leurs artères, ne coulent pas du sang mais du vinaigre. Ils créent de fausses opinions comme d’autres créent de la fausse monnaie. Et comme la fausse monnaie, bien des honnêtes gens, en complices involontaires, diffusent la fausse opinion sans s’en rendre compte...
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Est-ce le destin de ceux qui ont vécu des « fin de siècles » que de toujours regarder avec lamentations le passé mort ? Et pour nous qui avons additionnés cette fin de siècle à une fin de millénaire, combien ces plaintes pourraient être plus puissantes encore ! Gardons-nous pourtant de nous croire nécessairement contemporains d’une époque d’irrémédiable décadence. Souvenons-nous avec force de tous les dictons, adages et images d’Epinal qui traversent les siècles ; il n’en est pas de plus constants que l’’insouciance exaspérante de la jeunesse, le respect qui se perd et la méconnaissance du devoir, l’ensemble généralement conclu par un sentencieux il leur faudrait une bonne guerre ! Tout cela est un refrain usé jusqu’à la corde. L’éternelle ritournelle du temps qui passe est la litanie des rompus en jérémiades qui ignorent avoir simplement perdu la joie de leurs vingt ans ! Je ne suis pas de ces mélancoliques-là ; je ne suis pas l’homme de souhaits impossibles ; le temps qui passe ne m’effraie pas, bien au contraire. Ce que j’appréhende, c’est le temps qui ne passe plus !
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L’Histoire de France nous a fait de nombreux dons. Il m’est déplaisant de la voir aujourd’hui nous en faire si peu ! Le moyen-âge et la renaissance sont les berceaux de l’essence française. Au terme d’efforts soldatesques infinis, l’aventure napoléonienne n’est pas non plus une vilaine page de notre histoire, loin s’en faut. Mais depuis la IIIème république, quelle lente inclinaison vers le bas ! A quoi bon ressasser ce qui n’est plus ? C’est pourtant faire œuvre nécessaire. Les souvenirs d’une nation forment le fleuve sur lequel nous naviguons. Chaque génération, par ses actions, en gonfle le limon ; les souvenirs communs de la nation mutent avec la patine du temps et sont d’un intérêt majeur pour le renouvellement du roman national.
La France, plus qu’un peuple, est une âme, une langue, un paysage et un passé. Les botanistes nous font voir comment la feuille est nourrie par la plante, par ses racines, par le sol où elle se développe, par l’air qui l’entoure. Pourquoi en serait-il autrement pour l’homme ?
Mais ce qui vaut pour l’homme, est-ce ajustable aux nations ? La déchéance supposée des individus entraine-t-elle le déclin des nations ? Qui peut répondre ? Car il faut différencier l’individu qui traverse les siècles de la nation qui trébuche souvent. Pourtant, pour beaucoup, l’un n’irait pas sans l’autre, l’entrainant dans son sillage de progrès constant. Rien n’est plus faux. La nation peut mourir toute seule, et l’individu se mouvoir dans un autre cadre. Le tout est de le dire et de le comprendre. Il est curieux comme les mots ont parfois de chétives entraves que personnes n’ose briser. Les uns, sachant que le fonds de l’âme française ne l’accepterait pas complètement, ne parle pas clairement de leur but qui est l’anéantissement de la nation ; mais ils labourent les esprits jusqu’à la moisson morbide. Les autres, par peur d’être ostracisés, refusent à parler haut et clair, et fuient le châtiment de la pensée dominante qui les frapperait. C’est de ce pas-de-deux que meure la France comme avant elle, ont sombrées d’autres nations. Je ne suis pas un prédicateur de la Nation car en ce domaine la conversion n’existe pas. On ne donne aux hommes que ce qu’ils possèdent déjà. On peut tout au plus aspirer au rôle de réveilleur de l’âme.
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Qui peut nier la toute-puissance de la Rome antique en comparaison de l’Italie d’aujourd’hui ? Qui peut comparer sans sourire la république de Macédoine de 2012 avec l’empire du glorieux Alexandre ? Dire cela, ce n’est pas dire que l’Italie ou la Macédoine n’existe plus. La Perse de Nabuchodonosor est-elle celle des Ayatollahs, l’Egypte de Ramsès celle de Moubarak ? Le pouvoir de louis XIV ou de Napoléon Bonaparte est-il du même ordre que celui de Paul Deschanel ou de François Hollande ? On pourrait ainsi multiplier les exemples à l’infini. Les nations suivent toutes ce cycle naturel : la naissance, l’apogée, le déclin.
Est-ce être mélancolique pour un mexicain que de constater que la nation Aztèque a disparu ? Non, car les habitants du Mexique actuel n’ont de commun avec les Aztèques que l’occupation d’un même territoire. Ainsi en sera-t-il de la France le siècle prochain au regard de notre évolution démographique. Car, qui a-t-il de plus clivant entre les hommes peuplant la France d’hier et ceux de demain que leur rapport au spirituel et l’assimilation du passé ? Ne pas le voir, n’empêche en rien la réalité d’être ce qu’elle est.
Dire que les hommes qui vivent aujourd’hui sur la terre jadis occupées par d’autres hommes nous laisseront probablement une œuvre médiocre en comparaison, est-ce être passéiste ou est-ce une réalité évidente ? Je suis pour la force des nations, de toutes les nations. J’aime l’Allemagne, l’Angleterre, la Colombie ou le Maroc ; j’aime les étrusques, les dogons et les incas. J’aime la lente décantation qui forme les nations. Mais, parce que je suis français, j’aime la France en premier.
Notre peur des conflits entre nations a entrainé cette idée absurde que pour éloigner le conflit, il fallait supprimer la nation ! Cette anxiété nous a menés inéluctablement à l’avènement d’un mondialisme globalisé, ayant pour conséquence et alliance objective le marché capitaliste et les bateleurs de la pensée des droits universels de l’homme. Mais j’y reviendrais...
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J’ai voulu parler du souffle français qui a produit un monde par la force et la puissance de son esprit, par les conquêtes et les guerres, par son enchantement particulier. La France s’est répandue sur tous les continents, y déversant pêle-mêle, colons, savants, soldats, philosophes, concepts ; mais la France est globalement un peuple de sédentaires. Non que les français ne sachent migrer, mais – et je dis cela incidemment pour vêtir l’habit prétentieux que l’on nous porte - pourquoi l’auraient-ils fait quand ils avaient déjà atteint leur destination de par leur seule naissance ? Je suis persuadé que le sentiment d’appartenance à une nation peut et doit être comparable au sentiment amoureux...
Mais, notre vieux monde s’achève et un autre lui cède la place. De notre glorieux passé, il nous reste des musées, ces morgues pleines d’œuvres mortes que côtoie une jeunesse en ruines. Nous embaumons nos villes comme les égyptiens le faisaient pour leurs défunts. Nos cités sont froides et, par bien des aspects, montrent des cercueils à ciel ouvert. Seuls les hommes se renouvellent. Pourtant, ces « cités-cimetières » sont des villes que je n’échangerais pour rien au monde ! Elles nous rappellent qui nous sommes, d’où nous venons et, telles des boussoles marquant l’intérêt général, nous montre le chemin à suivre. Et puis, j’aime encore mieux être gardien de musée que démolisseur !
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J’ai choisi d’ausculter particulièrement les années qui ont vu la nation française passer de la monarchie de droit divin de Louis XVI à l’épopée impériale des Bonaparte, avec un accent particulier sur le 1er Empire. Ces décennies sont une succession de pouvoirs autoritaires, que nous définirions aujourd’hui en tyrannies. La Monarchie absolutiste en premier lieu ; la Terreur républicaine ensuite ; le césarisme militaire et napoléonien pour finir. A compter de la première abdication de Napoléon en 1814, la Monarchie, l’Empire ou la République ne seront plus que des resucées mièvres, faibles, abandonnant posément tout pouvoir au bourgeois.
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Goethe avait fixé le « monde nouveau» à 1792, après la bataille de Valmy : De ce jour, commence une nouvelle ère ! L’armée de paysans, faite de bric et de broc, et de soldats inexpérimentés a mis en déroute en quelques canonnades l’armée des rois d’Europe ! Ce fut le « top départ » ! L’ancien monde s’est coulé dans un nouveau, plus vaste, plus fort, plus terrible. La parenthèse royale entre les invasions barbares et le XIXème siècle allait se refermer.
Pour ce qui en est de 1789, quelle funeste simplification de la part des prosélytes de la IIIème république ! Est-ce là, le début d’une ère nouvelle, que ce long délitement de la nation au profit d’une classe bourgeoise naissante récusant de n’avoir pas sa place dans les sphères du pouvoir ? Prenons garde à ce que la sainte trinité républicaine « liberté, égalité, fraternité » ne nous éloigne de la vérité. Car, la révolution française est un tout, comprenant à la fois la chute de la royauté, la Terreur, Thermidor et l’épopée napoléonienne. En 1789, la révolution qui a fracassé la France a été vendue par ses bénéficiaires comme la révolution des pauvres, du peuple, contre l’aristocratie et sa tyrannie. Retenons bien cette leçon que l’histoire est toujours écrite par les vainqueurs ! Ils ont semé la mort au nom du droit à l’égalité, ignorant que l’ordre social brisé charrierait bien plus d’inégalités ! Qui étaient les meneurs de la révolution ? Des avocats, des bourgeois et quelques aristocrates en mal d’aventure ; des « beaux parleurs » habités d’une ambition supérieure à leurs moyens. Ce fut la courte régence des grands et des petits ambitieux. La force bourgeoise a organisé la révolution et a émancipé les paysans parce qu’elle ne pouvait pas s’émanciper elle-même sans briser entièrement le système féodal. La fin de la servitude n’est pas une cause de la révolte : cela en est une conséquence ! Voilà qui change toute la perception des évènements de 1789. Il faut se coller aux faits pour bien les voir. Souvent, ils apparaissent comme des conséquences, là où ils ne devraient être vus que comme des faits. Depuis lors, le théâtre d’états généraux permanents se joue parfois jusque dans les familles. De là, tout le mal provient. De là, tout le possible nait.
La chute de Dieu vient en sus. Ce n’est qu’une conséquence annexe. La foi en un dieu sauveur des hommes était la contrepartie nécessaire à l’acceptation de la pauvreté. La misère était le combustible puissant de la théologie ; le luxe terrestre, à l’opposé, masquait Dieu. En effet, tous les livres saints précisent que celui qui n’a rien ici-bas sera récompensé dans l’autre monde ; lorsque la récompense est immédiate, l’attente et l’espérance ne sont plus d’aucune utilité. La foi chrétienne cimentait l’ordre social. Le Tiers-Etat étant devenu l’Etat en son entier, l’aspiration à plus de justice n’avait plus nécessité d’attendre le jugement dernier. L’erreur des mangeurs de curés fut d’avoir négligé l’organisation millénaire par eux dévastée. Comprenons-nous bien, je ne fais pas l’apologie de la pauvreté et de l’injustice. Je dis simplement que l’ordre nouveau ne les a en rien amoindris, tout en réduisant l’espoir en un monde meilleur à néant. L’avènement de la classe bourgeoise a eu pour plus néfaste conséquence la perte des intérêts nationaux au profit des intérêts domestiques.
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A l’heure de la mondialisation, qu’est-ce que la nation ? J’entends bien ces prophètes pour qui la nation est une communauté imaginaire et imaginée comme intrinsèquement limitée et souveraine. La nation française existe-t-elle encore pour ceux-là autrement qu’en tant qu’espace géographique ou qu’une litanie de dates remplissant les cahiers d’écolier ?
En 2009, la chancelière allemande, Angela Merkel, a commémoré le 2000ème anniversaire de la victoire d’Arminius, ce chef de guerre germain qui infligea en l’an 9 une défaite retentissante aux légions romaines lors de la bataille de Teutobourg. Voilà un bel exemple de filiation nationale. En France, un président voulant commémorer Alesia ou Fleurus passerait pour un dangereux réactionnaire ! Toutes les batailles pré-républicaines sont ignorées ou presque. Jeanne d’Arc ? Une demi-folle ! Louis XIV ? Un égocentrique qui a vidé les caisses de l’Etat ! En fait, au siècle des « lumières », ces philosophes inspirateurs de la révolution, on oppose un moyen âge obscurantiste. Tout ce qui n’est pas républicain est mauvais.
Dans le même ordre d’idée, les victoires napoléoniennes qui, depuis 1996 jusqu’en 2015 ont fêtées, fêtent et fêteront leur bicentenaire, sont occultées tout autant du souvenir national. Pire, en 2005, toutes les nations ayant participé à la célèbre bataille d’Austerlitz du 2 décembre 1805 ont envoyé un représentant lors de la reconstitution faite sur les lieux du combat. Toutes...sauf la France qui en fut pourtant le seul vainqueur ! Lorsqu’il s’est agi de commémorer la déroute française de Trafalgar, la France envoya un navire pour fêter avec les anglais la défaite française ! C’est un mal bien insolite qui s’est emparé du pays, le mal de sa propre histoire. Rejet de sa grandeur, persiflage sur son passé. Pourquoi ne peut-on commémorer la prise d’Alger en 1830 ? L’expédition d’Espagne de 1823 ? La guerre de Crimée ? Quelle honte nous en empêche ?
Par quel anachronisme jugeons-nous le passé ? Car, les nations se meurent de n’avoir plus de grands desseins et du lent travail de réécriture de l’Histoire avec nos valeurs d’aujourd’hui par les néo-colonisateurs de la bonne opinion. Ces esprits envahissent notre passé, y déversent leur haine de la France, l’accommode à leur morale, attribuent les bons et surtout les mauvais points dans l’espoir de l’abaisser toujours.
L’intuition d’appartenance à la nation française a été bannie par ces « moralistes », en une philosophie répugnante qu’il conviendrait d’écraser. Ils ont remplacé les intérêts nationaux par leurs intérêts domestiques. Ces Torquemada de la république ne sont bien souvent que des « fiers-à-bras » de la rhétorique, des agitateurs de langue, des courageux du verbe ! N’ayant que ce courage-là à proposer, ils s’attaquent aux héros disparus, aux citadelles écroulées et aux batailles finies. En s’opposant aux grands hommes, ils croient se comparer ! Encore une fois, ils sont de ceux qui diminuent toujours les choses, calomniant et lançant sans cesse leurs mots empoisonnés. Pour eux, un réactionnaire est un vieux monsieur chauve, tournant le dos au progrès, ne lisant rien, ne sachant rien, voulant ramener la France au moyen-âge ! Leur fin est de nous faire honte de notre terre et de nos morts, oubliant la chaine de fierté indispensable entre les générations se succédant pour qu’une nation tienne debout. L’estime de soi découle pour beaucoup de l’estime que l’on a de son passé, c'est-à-dire pour sa nation. Nous faisons partie d’un tout qui ne peut pas se limiter à une addition d’individus, sinon à entériner l’avènement d’une autre société : la société post-nationale.
La nation française ne peut demeurer qu’en se décrétant « peuple-élu ». L’ancienne fille ainée de l’église, entrée dans une laïcité tranquille, continue de se voir comme le peuple-christ de l’humanité. La déclaration des droits de l’homme et du citoyen n’est pas à l’attention de la France ; elle s’adresse à toutes les nations de la Terre, et de toutes les époques. La nation française réclame un plébiscite de chaque jour.
La nation à sa propre conscience d’exister. Elle pourrait reprendre le mot de Descartes : « je pense, donc je suis ». Cela ne signifie pas, j’ai toujours pensé, donc j’ai toujours existé. Semblable aux incas ou aux étrusques, dans quelques centaines d’années, ont étudiera l’étrange nation française disparue. Car la nation peut disparaitre. L’idée de nation est antérieure à la révolution. Les termes « nation » et « patrie » ne sont pas une excroissance d’extrémisme suranné. Relisons Voltaire, ce chantre des lumières, qui en 1755 écrivait il faut aimer sa patrie quelque injustice qu’on y essuie ou en 1749 ce ne sont point les impôts qui affaiblissent une nation, c’est la manière de les percevoir ou l’usage qu’on en fait. Ainsi, on le voit, un demi-siècle avant la révolution, patrie et nation étaient déjà un vocabulaire français.
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La nation rejoint – mais n’est pas – le patriotisme. «Le patriotisme, disait Fustel de Coulanges, n’est pas seulement l’amour d’une terre, c’est aussi, c’est surtout l’amour d’un passé». De tout le passé. On ne le découpe pas en tranches pour en expurger la mauvaise graisse. On se doit de le digérer tout entier. Le passé est éternel comme le sont les nuages. Il vient et va, au gré de l’attention qu’on lui porte. Le passé, ce sont les pierres qui agencent nos villes, mais plus encore le respect de nos aïeuls. Il faut se dessaouler du présent qui enivre par sa précipitation pour appréhender sérieusement la lente décantation de notre Histoire.
La nation française c’est, et cela bien plus que pour d’autres nations, en premier lieu l’Etat. L’affaiblissement de l’état, associé aux revendications régionalistes, authentiques nationalismes secondaires, est la force centrifuge qui détruira la nation France. L’arrivée massive d’immigrés n’est nullement nuisible à la pérennité d’une nation. La France n’est pas d’une souche monolithique, d’une essence rare ; la France, comme l’a justement écrit Michel Winock, est un énorme chaudron, un immense brassage, elle est bigarrée et multiple.
Afin d’éviter tout péril, il convient de préciser que la nation n’est pas et n’a jamais été un corps ethnique unique. Il ne sert à rien de se claquemurer dans d’imaginaires maisons nationales. On confond race et nation. On confond géographie et nation. On confond langue et nation. La nation s’appuie sur ces tuteurs que sont la géographie ou la langue, mais cela ne suffit pas. Moi qui suis alsacien je suis, par mon dialecte, par mon histoire, par ma géographie, par mes habitudes alimentaires, plus allemand que français. Mais le choix de mes ancêtres, leur consentement fut d’être français et non allemand. Mon âme est française en cela. Henri IV ou Jeanne d’Arc n’ont jamais fait partie de l’histoire de mes aïeuls et cependant, je les ai faits mon bien commun, mon passé français. Dans le même ordre d’idée, les turcos tombés à Froeschwiller en 1870 ou les spahis dont les os reposent dans nos provinces de l’est, sont à nul doute, plus que d’autres, des os français.
L’histoire a sans cesse mélangé les hommes, les races, les religions, les langues. Alors, qu’est-ce qu’une nation ? Là, il faut lire Ernest Renan. Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis.
Le consentement, c’est l’oubli volontaire d’une parcelle de passé, car l’enquête historique met en lumière des faits de violence qui sont parties prenantes, souvent même à l’origine, d’une nation. Les rois de France, pour réunir les anciennes provinces féodales, ont massacré les populations autochtones s’y trouvant afin d’asseoir l’autorité souveraine. Ainsi, le roi de France – vu de trop près – a perdu son prestige. Le paysan du moyen âge a dû le maudire puissamment. L’oubli volontaire est donc nécessaire pour la construction d’une nation. Renan le précise d’ailleurs ainsi : l’essence d’une nation est que les individus aient beaucoup de choses en commun et aussi que tous aient oubliés beaucoup de choses.
Ce qui mettra un terme à la nation, c’est le refus de cette part d’oubli nécessaire à la cohésion nationale. C’est ce refus du consentement partagé, cette perpétuelle demande de repentance pour des fautes commises par nos précurseurs. En s’agglomérant à la nation, l’arrivant se doit d’accepter implicitement les choix qui l’ont formé.
Si on réfute cette pensée, si l’on se défini comme humain de la Terre, extirpé de la boue des nations, alors il faut vouloir les conséquences de ce système. Il ne doit plus y avoir de frontières et, tout comme je vais de Marseille à Lille, tout humain doit pouvoir traverser la France, s’y établir et y vivre s’il le décide. Il n’y a plus de nations, il y a plus que la Terre et les hommes.
Il faut vouloir la conséquence de ses utopies. La conséquence première en est que les plus misérables viendront coloniser des terres moins inhospitalières, et qui le leur reprocherait ! Nous agirions de même. Ce dogme permet la remise en cause permanente de la formation et de l’histoire mécanique de la nation. Car une nation est une maison que l’on bâtit et que l’on transmet. Les arrivants y ajoutent des pièces, des étages, des dépendances. Qu’ils se gardent bien de toucher aux murs porteurs !
Si cependant on estime que la France est une nation résultant d’une histoire millénaire, qu’elle s’est forgée une âme lui étant propre, il faut alors étudier en quoi elle s’est maintenue en différence d’autres nations. Car une nation se construit toujours face à d’autres nations. Une chose est perpétuelle dans le monde humain, c’est l’absolue existence des rapports de force. Si l’on impose parfois aux nations de se soumettre, c’est seulement à l’instant où on les imagine devenues faibles !
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Mais la fin de la nation n’est que l’amorce ; le but ultime est la fin de la famille, ce dernier bastion de la fraternité. La solidarité familiale était un précis de la solidarité nationale. Comme on ne veut plus mourir pour la patrie, on ne veut plus perdre de temps avec nos ainés. Nous avons transféré la solidarité générationnelle vers des maisons médicalisées. L’égoïsme pour enseigne ! La fin du XXème siècle restera comme la levée de masse de l’individu contre la nation. Vive l’avènement de la société du spectacle ! Tout doit être fêtes, cocktails, ersatz de mondanités pour tous, un gigantesque menuet-merguez ! C’est la noce de la droite d’argent et de la gauche-caviar. Muscadins et jacobins, ensembles à Paris-Plage ! Les bonheurs pour cette engeance ne sont jamais d’antan et les paradis toujours artificiels !
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Nous nous sommes extrait de la nation pour nous battre d’homme à homme avec dieu. Nous avons voulu le vaincre mais nous nous trompions de diagnostic en nous déclarant croyants. Depuis la nuit des temps, nous ne sommes qu’idolâtres. Pareils aux Cros magnons de jadis, aux égyptiens, aux phéniciens, aux grecs, aux romains, aux incas, à toutes les nations passées qui ont peuplées la Terre, nous sommes un peuple d’idolâtres. Lorsque Dieu – au singulier ou au pluriel – a perdu sa place, c’est un nouveau mysticisme qui a pris le relai. Tout comme les anciens dieux évanouis, les églises communistes, capitalistes ou athéistes ont leur culte, leur disciples, leurs prophètes, leur clergé.
Le Dieu religieux ancien a disparu de l’espace politique français. La punition éternelle dans un monde autre que le nôtre ne conditionne plus nos actes terrestres. Tout devient possible, soumis au plaisir immédiat et personnel. Auparavant, le vrai dessein, c’était après la mort ; puis ce fut la nation ; puis la famille ; désormais, le projet c’est moi ! Les autres, ce n’est pas l’enfer ; les autres, ce n’est rien !
Là où l’on pouvait concevoir être solidaire avec l’individu, partie prenante de la nation, est-il possible de l’être avec le genre humain ? Beau projet, mais si vaste qu’il décourage immédiatement. Surtout, ce projet n’est pas un contrat car il exclut la réciprocité. Qui, en dehors de la nation accepté et reconnue, serait solidaire avec mon moi indivis ? La nation par définition est un cadre délimité et excluant.
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Venons-en à la « République », ce terme autorisé qui remplace celui ostracisé de Nation. La république est un mot fourre-tout. Ont été vraiment républicains quelques rêveurs en 1792 ; quelques-autres en 1848 ; ce fut, à de rares exceptions près, tout. La république est née de la révolution, c'est-à-dire des révolutionnaires ; et il n’y a que trois sortes de révolutionnaires : les théoriciens, les émeutiers et les assassins. Leur but commun est de renverser l’ordre établi pour prendre le pouvoir. Car la 1ère république est une corbeille de cous rouge : voilà son péché originel. Peu à peu, elle s’est singée elle-même jusqu’à ne plus être qu’une comédie grotesque faite de simagrées en vue des urnes prochaines. Mais soyons justes. Les premiers républicains aimaient mieux leur réputation que les faveurs ; ceux d’aujourd’hui aiment mieux les faveurs que leur réputation. Si je commence à critiquer la république de 2012, on ne me reprochera pas de l’exprimer, on me reprochera de le penser ! Notre république n’est pourtant qu’un plagiat de celle de 1792. Quel horrible don que celui de la ressemblance ! Comme pour les hommes, l’imitation ne peut être que ratée.
La « bonne république » est en arrière, non en avant ! C’était celle rêvée par Desmoulins, Robespierre, Hébert ou Babeuf. Non qu’ils eurent raison, mais ils étaient prêt à mourir pour elle...et ils en moururent. La vraie république s’est arrêté au chiffre deux.
On méconnait le sens des mots. Lorsque l’on utilise le vocable république aujourd’hui, c’est de la France que l’on parle et de la démocratie dont on rêve. De cette démocratie qui, alliée à la presse d’opinion, produit à l’usure un climat de médiocrité.
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Une royauté tempérée, un empire napoléonien eussent été plus beaux, plus justes à mes yeux, mais cette idée est morte en 1873. Elle aurait eu des forces merveilleuses, mais elle est morte. Je peux disserter toute ma vie sur ses qualités, rien ne changera ce fait éternel : elle est morte. Les régimes naissent et meurent ; la France est restée.
Peut-être un jour – et ce jour je le souhaite – la France retrouvera son chemin vers une autorité suprême. Mais il faut trouver cette nouvelle voie ; on ne peut refaire ce qui a été défait, ni remettre les pas dans les pas.
Certes, la Vème république française, par le génie de Charles de Gaulle, est monarchique. Le président est un roi élu et à chaque élection il est laissé au peuple le pouvoir de faire sa révolution douce en décapitant le roi par les urnes. La volonté que l’on entend aujourd’hui par certains de passer à une VIème république est encore et toujours de ce même crédo : faisons table rase du passé et créons une nouvelle constitution.
L’idéal républicain est beau ! Qui est contre le paradis sur Terre ? Mais il part d’un postulat erroné. Tout individu serait capable de raison, d’avoir un avis, de le motiver, de peser le pour et le contre sans se laisser influencer, et enfin serait capable de le de le défendre dans un débat contradictoire. C’est faire fi des égoïsmes, des passions, des forces de l’argent, de la corruption, de l’envie, de la bêtise. C’est méconnaitre l’humain. La république est un régime de saints !
Pourtant, s’il y a une victoire éclatante de la république, c’est celle des mots ! Avant tout débat sur l’avenir de la France, sous peine de paraitre, avant-hier antidémocrate, hier fasciste et aujourd’hui ridicule, il faut se baptiser républicain, se oindre de cette huile bénite. Comme si la république avait été le seul et unique système d’administration publique ! La république est pour ses défenseurs un éden retrouvé. La force des mots est sa puissance. Sa tactique est toujours la même. Quand ses adeptes souhaitent une modification de la législation, ils proposent un débat. Si elle ne rencontre pas la majorité, elle propose un nouveau débat pour éclairer le peuple. Quand le peuple ira dans son sens, la loi sera votée. Si l’opposition une fois devenue majorité souhaite revenir sur cette « avancée », halte là ! Le débat a été tranché. Et l’on est vite renvoyé au rôle d’antirépublicain. Je parle là bien entendu des lois sociétales. Pourtant, je m’époumone pour rien. Lorsque je rouspète notre république, je m’attaque à un cadavre debout ! J’ai le sentiment d’être dans une de ces anciennes familles où l’ancêtre sans vie reposait sur un lit, lavé, peigné, semblant seulement endormi. Notre république est morte mais elle a l’air en vie. Car la république de 2013 n’est pas présidentielle ou parlementaire : elle est d’opinion !
L’église s’est boursouflée de clergé ; le roi a bouffi d’aristocratie ; la république s’est enflée de l’opinion. De l’opinion inutile. Car l’opinion n’est qu’un tremplin vers le pouvoir, une attrapeuse de promesses électorales, une gobe-tout ! Une fois élu, elle n’est plus rien. On peut ne rien appliquer de ses promesses, faire le contraire même de son programme, peu importe, on reste élu. Le peuple ne se révoltera pas, on lui a donné suffisamment de pain (allocations diverses) et de jeu (télévisés) pour cela. C’est pourquoi notre république du son et de l’image n’a plus besoin de législateurs, elle a besoin de communicants.
La république de François Hollande est aussi éloignée de celle de Gambetta que le règne de Juan Carlos l’est de celui de Louis XIV. Plus personne ne demande l’instauration d’une monarchie de droit divin. C’est pourtant le régime le plus proche de notre constitution ! Notre président-roi est élu par une foultitude d’individus-dieux. L’apparat sans le pouvoir…
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Les « républicains » glorifient le 4 août 1789 pour la fin supposée des privilèges. Je glorifie le 10 août 1539 pour l’ordonnance de Villers-Cotterêts instituant le français comme langue du pouvoir royal, de l’administration, de la politique et de la littérature. Voilà une date non belliqueuse que nous pourrions célébrer avec faste ! Mais non, bientôt les régionalistes crieraient au « racisme » !
La royauté ayant disparue après la révolution française, y a-t-il désormais moins de pauvres, moins d’injustice, moins de privilèges ! On a renversé la table pour n’y trouver plus rien dessus ! Heureusement, la royauté française a été si hautement nationale que, le lendemain de sa chute, la nation a pu tenir sans elle !
Les idées du siècle des Lumières ensemençaient déjà les graines de l’échafaud ! La fin du XVIIIème siècle ne pouvait engendrer, par son autodestruction constante, que le retour des Bourbons ou l’avènement du pouvoir militaire. L’orgueil de ceux qui s’étaient fourvoyés dans le sang et la honte, additionné au souvenir du régicide accompli et de représailles possibles, ont mené au général aussi inévitablement que les fleuves vont à la mer. Ainsi, a été renversé un ordre millénaire au bénéfice du génial jeune général vainqueur de l’Italie. Un génie, c’est quelqu’un qui anéantit tout autour de lui par comparaison. Assurément, a cette mesure, Bonaparte fut un génie…mais son pouvoir, s’il ne pouvait s’appuyer sur un socle supérieur à la révolution, était appelé à mourir. Napoléon l’a si bien compris qu’il n’a eu de cesse de se revêtir de tous les attributs du souverain légitime. Avant cela, il fallait une ultime ignominie : l’assassinat du Duc d’Enghien, scellant ainsi définitivement le pacte tacite entre les républicains et le général.
Bonaparte avait été couvert de gloire dans bien des batailles ; il lui manquait cette adhésion bourgeoise : avoir fait couler le sang d’un Bourbon et par la même se lier au destin des révolutionnaires de janvier 1793. Certes, il ne se fabriquera pas roi de France, mais par un habile tour de passe-passe, il se proclamera continuateur de Charlemagne et donc empereur ! Le terme de roi de France aurait été insensé par égard aux régicides gravitant autour du pouvoir. Par orgueil sans doute, Napoléon se couronnera tout de même roi d’Italie et lorsqu’il aura un fils, lui octroiera le titre de roi de Rome !
Voyons le déroulement de ce plagiat : 2 décembre 1804, c’est le grotesque du sacre impérial à Notre-Dame ; 1808, c’est la création d’une noblesse d’empire ; cela s’achève en 1810 par le mariage avec Marie-Louise, fille de l’empereur d’Autriche et petite-nièce de Marie-Antoinette ! Cela ne pouvait que se rompre dans le sang.
Le goutte à goutte des années distillant son baume merveilleux sur les misères du passé, le météore napoléonien dominera jusqu’à ses premiers opposants. Chateaubriand, dans ses « mémoires d’outre-tombe », tombera souvent sous le charme puissant de l’aigle, oubliant son pamphlet vengeur de 1814. Et comment résister au nouvel Alexandre ! A ce Gengis Khan français ! Oui, la vie de Bonaparte fut extraordinaire ! Oui, les conquêtes furent nombreuses et portèrent haut le nom français ! Pourtant, il faut regarder les conséquences pour juger Napoléon. Que reste-t-il en 1815 de son empire ?
Ses conquêtes ? Il a mis fin au Saint-Empire germanique qu’il a disloqué et a ouvert à la Prusse un destin inespéré en agglomérant le sentiment national allemand dans ce grand ensemble disparate qu’était devenue la confédération du Rhin. Ainsi est née la grande Allemagne, fille illégitime de la Prusse ! Quand on connait la suite avec trois guerres meurtrières contre cette créature du 1er Empire, on doute des bienfaits de l’ère napoléonienne ! Dans sa suite logique, le 2nd Empire institué par Napoléon III participera à la création de l’Italie unifiée. Ainsi, les deux empereurs auront comme grande réussite d’avoir créés deux puissants blocs à nos frontières !
Une nouvelle dynastie ? La lignée royale n’a jamais été égalée par les empires. Les Napoléon ont voulu imiter les Capétiens. Ils ont échoué car Napoléon 1er n’a pas fait régner Napoléon II, et Napoléon III n’a pas plus fait régner Napoléon IV.
Le mémorial de Sainte-Hélène publié en 1823 par Emmanuel de Las Cases est un nouvel évangile pour les disciples du prophète Napoléon. Le romantisme enchanté du XIXème siècle et le talent d’Hugo et de Balzac congèlera, peut-être pour l’éternité, l’épopée napoléonienne dans une ouate dorée, comme une nouvelle mythologie française. La beauté de la forme masque la faiblesse de la pensée. Il faut écouter le disciple républicain qu’est devenu Hugo, cet immense poète nous jetant ses rimes comme on jette des miettes. De jeune monarchiste, il s’enticha du 1er empire et glorifia en de belles pages l’épopée impériale. Il se convertit au républicanisme ensuite, pour fustiger l’empire du neveu.
Lors de son discours de la paix en août 1849, il montrait un don prémonitoire. En effet il n’appelle pas à autre chose qu’à la fin de la nation française. Ecoutons-le : « Un jour viendra où vous France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distincte et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne, absolument comme la Normandie, la Bretagne, la Bourgogne, l’Alsace, toutes nos provinces, se sont fondues dans la France. » Reconnaissons au grand homme qu’il ménage notre susceptibilité en nous rassurant sur le maintien de notre « glorieuse individualité »...Il sera plus clair encore en 1875 : « La France a ceci d’admirable qu’elle est destinée à mourir, mais à mourir comme les dieux, par la transfiguration. La France deviendra l’Europe. La Grèce s’est transfigurée et est devenue le monde païen ; Rome s’est transfigurée et est devenue le monde chrétien ; la France se transfigurera, et deviendra le monde humain ». Rien que ça...
Mais ne glorifions pas avec nos yeux d’aujourd’hui la clairvoyance du poète. Pour Hugo, l’Europe ne peut exister qu’en devenant française. Il faut se souvenir qu’à cette époque, la république française est entourée de royaumes encore vigoureux. L’emphase du verbe avait « emphasé » la pensée ! Les Etats-Unis d’Europe de Hugo ont pour capitale Paris, et pour langue le français ! Pour Hugo, l’influence française ne saurait s’arrêter à des postes de douanes, les frontières étant pour lui des flèches de monarques. Le paradoxe de son analyse est que, pour obtenir une Europe française, il est prêt à faire le premier pas et à proposer la mort de la nation « France » ! Et depuis 150 ans, il y a des misérables qui pourchassent ce rêve…Il faut revenir au socle christique du bon sens : tout royaume divisé contre lui-même court à sa perte ; et nulle maison, divisée contre elle-même ne saurait se maintenir. (Mathieu XII, 25)
L’idée de l’éden européen est belle, mais c’est une obsession creuse. Certes, l’Alsace et le Languedoc étaient aussi éloignés sous Louis XV que la Pologne et L’Espagne le sont aujourd’hui, mais un point crucial a été omis par Hugo et par ses disciples, adeptes des Etats-Unis d’Europe. Pour que les provinces françaises deviennent une nation, il a fallu trois forces convergentes.
La première, celle d’un chef accepté pour tel : le roi d’abord, Napoléon ensuite. Qui serait ce chef aujourd’hui ?
En second lieu, il a fallu des guerres extérieures, liant le sentiment de patrie, l’apogée de ce ciment étant la première guerre mondiale avec ses tranchées.
Enfin et surtout, il a fallu progressivement adopter une langue commune prospérant sur le déclin des langues régionales qui, écrasées lentement, font désormais partie d’un folklore, agréable ou ridicule, mais dépassé.
Allons au bout de l’idée européenne. Qui de l’Italie, de l’Angleterre, de la Hongrie, de la Grèce ou de la France acceptera d’adopter la langue et par la même la culture de son voisin ? Adopterons-nous une nouvelle langue ? Le volapuk ou l’espéranto ? Lequel de ses peuples acceptera d’être gouverné par l’autre ? Nous saisissons bien le grotesque de la chose. L’Europe d’Hugo existera lorsqu’elle aura un chef reconnu, une langue commune et une intuition de patrie européenne, c’est-à-dire jamais. La sensation d’être une nation se construit essentiellement dans les guerres. C’est choquant pour les belles âmes mais seules les guerres cimentent les peuples. Les bretons, alsaciens ou provençaux ne se sont jamais sentis autant du même peuple qu’au sortir du premier conflit mondial. Ce sont les affrontements révolutionnaires, impériaux et républicains qui ont forgé ce sentiment d’appartenance du moi intime à ce nous collectif. A l’heure où la guerre s’est éloignée de nous, l’individualisme a remplacé le groupe. La nation est le fruit d’un long décantage ; rien n’est moins artificiel que l’idée de nation.
L’Europe, c’est la paix ! Beau programme ! La paix, c’est surtout une nécessité absolue imposée par le puissant pour disposer d’un marché ouvert, stable et grandissant de consommateurs. La paix, c’est la recherche du consensus permanent. C’est la victoire de la « société » dans le sens commercial sur la nation. N’allez pas croire que je sois un « va-t’en guerre » ; je comprends que l’on puisse se sentir mieux dans un monde aseptisé. Cela ne m’empêche pas de le mépriser...
La patrie en danger, c’était l’appel aux armes ! C’était nous tous sur le pied de guerre ! La nation s’est construite sur le combat. Les bourguignons contre les armagnacs, le roi contre les seigneurs, les rois contre les rois, les aristocrates contre le peuple, les catholiques contre les protestants, les laïcs contre le clergé. Toute notre construction repose sur la division qui cimente. Qui veut mourir aujourd’hui pour le libre-échange, le marché ou même la démocratie ? Les même sans doute que ceux qui tournent la tête dans les transports en commun lorsqu’ils assistent à une agression...Notre autel de la concorde, du consensus permanent, nous promet un présent stérilisé. La fraternité a besoin de conflit pour prospérer, pas de compromis. La nation ne peut se concevoir que comme Astérix contre l’empire romain.
Désormais, nous avons délégué la défense de la nation aux mains de professionnels et la force de dissuasion dans les mains d’un seul. Dormez tranquille, consommateurs, l’état veille sur nous.
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Nous sommes d’une époque où nos attitudes et nos gesticulations résultent d’un grand carnaval où chacun s’attache à une posture bien plus qu’à une opinion. Nos convictions ne sont que des manteaux avachis que l’on met au placard selon la saison. Nous ne sommes qu’apparences quand bien même le mensonge est parfois une autre vérité. L’hypocrisie (cette concession à la vie en société qui est avant tout un manque d’intelligence) et le cynisme tiennent désormais lieu de monnaies courantes au même titre qu’Honneur et Nation autrefois. Nous sommes au règne des idiots cultivés ! Ils agencent les hommes en classes sociales. Pour eux, il y a une bourgeoisie de droite et un prolétariat de gauche, alors qu’il n’y a en réalité qu’un peuple de France ! La révolution a établi un servage plus inhumain que celui aboli de nos rois : le servage à l’argent, sans mérite, sans noblesse, sans éclat. Le servage du pauvre au profit du riche.
Une dynastie nouvelle est née en 1789, contrairement aux clabaudages festifs de ceux qui s’illusionnent depuis plus de deux siècles ; cette lignée n’a pas pris corps immédiatement, elle s’est laissé infuser dans les âmes et dans les têtes.
Après les Mérovingiens, les Carolingiens, les Capétiens, les Valois et les Bourbons ; après les Bonaparte, voici le temps des bourgeois, cette dynastie aux millions de couronnes ! Chacun individu possédant, à l’aune de sa propriété personnelle, est son propre monarque, disposant de son château (un pavillon), de ses remparts (des haies de jardin), de ses rivaux (tous les autres). La famille était la seule Patrie connue par cette dynastie, avant qu’elle ne se retranche définitivement dans le culte du Moi.
Le citoyen français vit souvent son existence comme un ermite, éloigné du bien commun et de toute destinée nationale. Chacun dans sa grotte, et Dieu – si il existe – pour tous ! Voilà, l’hymne courant de la communauté humaine.
Il n’y a pas de trémolos à faire entendre dans nos voix lorsque l’on prononce les mots de liberté ou d’asservissement d’un peuple. En réalité, les libertés abandonnées consciemment et les asservissements acceptés s’entrecroisent dans notre vie quotidienne du XXIème siècle ! On me rétorquera que les lois imposent les mêmes règles à tous. Qui y croit sans sourire ?!
Notre société du média est anthropophage, elle se dévore elle-même ! La presse a cessé d’être d’opinions quand elle est devenue d’industries. Les journaux font suivre l’opinion de la masse, celle-ci étant la plus vendeuse. Seul compte désormais ce qui est médiatisé. Le fait politique réel, tangible, importe peu. La déclaration fait office d’action. Peu importe ce que l’on n’a pas fait du moment qu’on a dit qu’on allait le faire ! A cette lumière, on comprend mieux la vague de repentance de l’Etat français. N’ayant plus de pouvoir d’action, il reste le pouvoir de diction...qui a pour avantage qu’il ne vide aucunement les caisses de l’Etat. La repentance, c’est l’omelette qui s’excuse d’avoir dû casser des œufs pour exister !
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Les derniers capétiens étaient revenus pour un maigre temps, mais cette dernière chance fut gâchée par deux monarques inconséquents. Ainsi, depuis 1789, la France a constamment, et quoiqu’elle s’est donnée comme régime politique, « eu envie d’autre chose ». Nous avons eu des rois frivoles, méchants, parfois stupides ; aucun de nos princes n’a cependant jamais livré la France aux mains de petit-bourgeois d’affaires, avides de richesses, nécessitant une main d’œuvre corvéable à merci, créant ainsi le prolétariat. Nos rois avaient besoins de paysans dans nos campagnes, nos bourgeois ont besoins de subalternes rampants et volontaires dans nos usines. Il n’y a en politique efficace que des intérêts à défendre ou à conquérir. La France a connu plusieurs temps politiques : La monarchie, la république, la terreur, le directoire, le consulat, L’empire. Tous ces régimes ont rendu des services à la France ; tous lui ont causé du mal. La seule question rationnelle est de savoir lequel a montré le plus d’intérêt, de probité à l’égard de la patrie au sens étymologique, à savoir la terre de nos pères. Lequel a agrandi durablement notre territoire ? Lequel a causé le plus de malheurs ? Lequel a nivelé par le bas nos institutions ? Lequel a créé durablement l’idée de nation ? Il ne faut pas juger sous un angle moral. Il faut juger selon l’intérêt national. Car la morale se subdivise selon notre religion, notre sexualité, nos goûts personnels. La morale n’a rien à faire en politique de gouvernement. Elle est toujours mauvaise conseillère en ce sens qu’elle engendre inexorablement des frustrations de tranches contraires.
La monarchie, cette « vieille grande chose morte » n’est pas exempte de reproche, mais pesons les hommes à cette juste balance : Louis XVIII, Charles X, Louis-Philippe : combien de tombes ? Les Napoléon, la république : combien de tombes ? Les deux empires se sont soldés par une perte de territoire. La monarchie l’avait durablement agrandi. Les républiques adultes gouvernent les peuples par la duplicité et l’ignorance, la mollesse et le mensonge. La royauté avait cette force supérieure : la durée. Un roi savait son règne gravé dans l’Histoire. Il ne fera pas « autre chose » après, n’aura jamais d’autres ambitions que la France à léguer à l’Histoire !
On nous a présenté la fin de la monarchie par la volonté de plus de liberté, plus d’égalité, plus de justice, ayant pour résultat formidable la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Voilà ce qu’écrivait en avril 1794 Camille Desmoulins depuis sa prison à l’attention de son épouse qui le suivrait de huit jours sur l’échafaud : « j’ai rêvé d’une république que tout le monde eut adorée, je ne pouvais penser que les hommes fussent si injustes et féroces ».
La foule s’est instituée victime de mille bourreaux pour le bonheur de les mépriser ! Elle porte sa souffrance comme un étendard et l’énergie qu’elle déploie n’a d’égal que sa suffisance. J’aime, j’admire, la Nation. J’abhorre la foule manipulée, ce conglomérat sans nationalité, sans âme, sans honneur, cette vague qui emporte tout, écroule tout, vomit tout, et se réveille ivre, après sa folie destructrice ! Le peuple des démocraties est une foule tenue par un orateur merveilleux, lui parlant de ses convoitises, de ses rancunes, de ses frayeurs. La foule est un homme résigné qui attend son maître, un domestique tremblant. Dans le meilleur des cas, cette masse ressemble à un adolescent perdu dans ses chimères et l’orateur habile joue avec elle comme on joue avec un bon chien. Il lui lance des phrases qu’elle répète frétillante, cherchant la caresse de son maître !
Allons aux tables de la loi, à l’arche républicaine et bourgeoise : la déclaration des droits de l’homme. Ce texte distille un charme secret qui enchante la bouche de celui qui le prononce. Son article premier n’est pourtant rien d’autre que l’apologie de la vanité, de l’orgueil, de la passion, de l’indiscipline, de la convoitise et du nombrilisme. Quelle grande mystification ! « Tous les hommes naissent libres et égaux en droits ! » C’est digne d’être un additif au décalogue ! On se demande d’ailleurs comment Dieu n’y a pas songé en dictant les commandements à Moise !
Les républiques ont donné l’apparence de bannir les inégalités en conservant pourtant la plus terrible de toutes : celle de la fortune ! Dans cette vision, la richesse seule a du prix, tout ce qui est noble est appelé à disparaitre pour faire place à l’égoïsme de l’individu roi. Dans l’ancien régime, la noblesse d’épée avait pour seul impôt son sang versé sur les champs de bataille. Sa première propriété, c’était son courage. Puis, originel avilissement, la noblesse de robe qui s’achète en pièce d’or. Enfin, l’avènement de la bourgeoisie, cette classe d’avares. La propriété n’est plus une chose morale, mais une jouissance pouvant être vendue en argent comptant. Ils ont décrété l’anarchie égalitaire avec le but est de supprimer les Grands quand il aurait fallu les réunir et les faire concourir au bien commun.
Ce qu’ils appellent fraternité, c’est l’addition des égoïsmes particuliers, c’est la force du nombre qui impose, qui nivèle par le plus petit dénominateur commun ; c’est l’abaissement de la civilisation.
Ainsi, la démocratie mainte fois désirée n’a jamais existé ! C’est un nouvel éden sans arbre de la connaissance. En réalité, ce que l’on appelle démocratie n’est rien d’autre que l’avènement réjoui de la ploutocratie ! C’est le gavage des oies bourgeoises et il ne pouvait en être autrement. Le contraire eut été surprenant ! Aussi vrai que sous Bonaparte perçait déjà Napoléon, sous le masque de l’égalitarisme perçait déjà le pouvoir autocrate du bourgeois et de l’argent ! Qu’il est facile de décapiter un roi ! Qu’il est facile d’exiler un empereur ! On ne saurait vaincre un peuple de petits propriétaires ! Lorsque la force brute du pouvoir militaire a cessé sa tyrannie, la force de l’argent, dans le déguisement de l’égalité, a pris sa place. Notre morale, notre religion, notre sens de la Nation sont, tant que durera le règne des bourgeois (cette sixième dynastie) des choses allant vers leur écroulement.
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La modernité a impulsé cette nouvelle ambition : l’internationalisme ! Gommer nos principes et nos valeurs au profit du multiculturalisme planétaire, c'est-à-dire en fait réaliser une assimilation à l’envers. Tout ce qui est extra national est devenu merveilleux pour la nation française, tout ce qui est différent une chance d’évoluer positivement, comme si l’idée même de nation était une tare cancéreuse, une consanguinité honteuse. Le raisonnement de ces idéologues est, osons l’écrire, lâchement abreuvée à la source de la désunion des nations, au déchirement de 1789 et au reniement de ce passé qu’ils ne comprennent même plus. Ils repeignent l’Histoire, la condamnent et l’insultent avec des yeux secs d’aujourd’hui. Il est fondamental pour ces ploutocrates, ces hommes douceâtres, de renvoyer toute idée nationale vers le fascisme. Ainsi, la discussion est clause. On ne parle pas avec des monstres ! La nation pourtant est le contraire absolu du fascisme ! Qu’ils relisent au moins les révolutionnaires qu’ils admirent tant ! Ceux-ci, bien que je déplore leur idéologie farfelue, ne cessaient de parler de la nation, à la nation, pour la nation !
Il faut donc recadrer notre Histoire dans le sillon prenant naissance avec Rome, et qui au-delà des révolutions et des empires, a construit la France éternelle. Il est plus que temps d’abandonner ce charabia mondialiste qui prétend, au motif d’idéaux pervers, anéantir une humanité entière de constructions nationales ! On nous dit que les nations ont entrainé des guerres perpétuelles ! Les deux derniers conflits mondiaux sont-ils le fruit des nations où celui de dirigeants élus au suffrage universel ?
Beau suffrage universel, hérésie de l’Histoire ! Chaque voix comptant, on donne libre cours à l’envie, à la vengeance, à l’orgueil. Toute voix se valant, on considère que tout un chacun détient les clefs pour décider de façon raisonnable que doivent être les choix économiques, politiques ou sociaux de la nation. La majorité, érigée en dogme absolu, en force de loi, est l’assurance de l’abaissement des idées par un mode d’élection gangrené par la conquête du pouvoir, par la volonté gargantuesque de s’y maintenir, par la flatterie vile et par les arrangements de boutiquiers. La droite, la gauche, ce théâtre politique, est un succès éventé, une pièce mainte fois jouée, un vaudeville grotesque, un enlisement des idées. Je pense souvent à cette sentence de Paul Déroulède : la démocratie a le goût du médiocre. Elle vit dans la terreur de l’homme rare, qui pourrait être un chef, et qui la tuerait. Elle contemple son peuple et elle se dit : je les abêtis. Ils m’aimeront plus aisément.
La politique molle pour un consensus mou, voilà l’ambition contemporaine de tous nos dirigeants ! La force de leurs discours est inversement proportionnelle à leurs chances d’accéder à des responsabilités ! Ils recherchent le bon mot plus que la bonne politique. Ce sont des troubadours, des fous du roi. Malheureusement, le roi qu’ils tentent d’égayer par leurs jeux, c’est le peuple français. La gauche, la droite, flattent la vanité des imbéciles qui ont, par le régime des partis, l’illusion du choix ! Le cœur de la nation est brisé. Il n’y a plus de classe supérieure, plus de classe inférieure. Il n’y a plus qu’une classe moyenne, une classe médiocre, un immense réservoir d’âmes médianes.
Le peuple de France avait depuis des siècles été le même, malgré la folie aveugle de sa noblesse et de son clergé. Il vivait pour sa terre, pour sa famille, pour sa descendance. La bourgeoisie, en prenant la place des rois, a fait de ce peuple un peuple de manœuvres dociles, d’aspirants petit-bourgeois.
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Faisons un peu d’uchronie ! Acceptons ce principe qui repose sur le principe de la réécriture de l’Histoire à partir de la modification d’un événement du passé.
En 1789, la révolution échoue ! Il n’y a donc pas la Terreur et son lot d’échafauds. Il n’y a pas non plus de 9 thermidor ni de Directoire. Robespierre reste un avocat d’Amiens et Napoléon fini sa carrière militaire en tant que capitaine. Par la même, il n’y a pas d’Allemagne unifiée contre la France en 1815, ni de soldats russes à Paris. Il n’y a pas non plus de Napoléon III, le premier n’ayant pas existé. D’où pas de guerre de 1870 avec la perte de l’Alsace-Moselle. Pas de sentiment de revanche qui forge la première guerre mondiale. Pas de déroute russe entrainant la fin des tsars et la montée du totalitarisme soviétique ni de petit caporal allemand prospérant sur l’humiliation de la défaite. D’où pas de montée du totalitarisme national socialiste allemand ni de second conflit mondial...
Bien entendu, il s’agit d’une vue de l’esprit, mais il est indéniable que tous ces évènements peuvent être regardés comme découlant les uns des autres.
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J’ai conscience d’être estampillé de droite, de cette vieille droite des idées, de celle pour qui un deuxième péché originel fut consommé le 21 janvier 1793 avec la décapitation de Louis Capet. Cette étiquette est fausse, je ne me sens que national. Profondément national. Je suis de ceux pour qui Napoléon Bonaparte était un Roi recouvré et Louis-Philippe un « mieux que rien » ! Pour d’autres, je suis de cette droite du pauvre, qui voterait « mal » car contre son portefeuille. Je serai ce que l’on voudra. Tout, plutôt que le matérialisme pour idéologie ! Cette notion de droite et de gauche née du tumulte de la révolution française n’a que peu de sens pour moi, mais par facilité je veux bien que l’on me range sur l’étagère de droite. A qui y regarde de plus près, la gauche et la droite ne sont pourtant pas des corpus idéologiques fermés. Elles ont été, chacune à leur tour, libérales, conservatrices, ultranationalistes et jacobines.
Les soldats tombés à Valmy en 1792 en criant « vive la Nation ! » étaient-ils de droite ou de gauche ? Robespierre était-il de droite ou de gauche quand il écrivit le discours magistral contre la peine de mort en 1791 ? Et quand il envoyait la France à l’échafaud en 1793 ? Rien n’est simple, on le voit.
La gauche serait née de la révolution, prospérant sur les cous qu’elle faisait rouler sur l’échafaud et sur des pics décorés de crânes. La droite serait le reliquat de quelques efféminés gantés de blanc, poudrés et parfumés, courant les bals et les orgies, les chasses et les châteaux. Deux cent ans après, on n’en est presque encore à ce stade grotesque d’analyse !
Les arguments lors de l’élection présidentielle de mai 2012 ne sont pas d’une autre nature. D’un côté, « le président des riches », du yacht et du Fouquet’s ; de l’autre, une gauche qui « n’aime pas les riches », qui annonce que ses énarques issus de l’élite sont ceux qui vont changer la France. A la gauche extrême, on exige que l’on soit de son avis sous peine de déconsidération, mêlant menaces et incantations larmoyantes. Le doute ne les effleure pas.
Mis à part les têtes sur les pics et les visages poudrés, rien n’a vraiment changé. Quant à moi, je refuse de me définir à pile ou face, je suis la pièce toute entière : je suis national, je suis français !
On peut comprendre, tout en le déplorant pour ma part, que la monarchie du XIXème siècle ait refusé le drapeau tricolore et l’hymne national de la république régicide. On comprend moins que la gauche de 2012 l’ait suivi sur ce terrain en ajoutant à cela la relecture constante du passé sous le prisme de l’auto-flagellation. Mais la gauche raisonne-t-elle ? Avant la dévastation finale de 1914, face à la menace grandissante, la gauche s’était affirmée éperdument pacifiste. Après avoir été la matrice des troubles et des révolutions de 1789, de 1830, de 1848, après avoir plongé ses mains dans le sang de la commune de Paris en 1871, la voilà inopinément revêtue des habits immaculés de la colombe. Qui mieux que Jaurès su fustiger la demande de Paul Déroulède et des patriotes français de recouvrer l’Alsace et la Moselle ? Car la gauche était déjà passée à autre chose. A autre chose que la nation. Elle était dans l’internationale socialiste. La vraie fracture est ici, entre l’extra national et le national, entre le peuple français et l’humanité toute entière. On comprend mieux, pour qui est « international », le peu d’intérêt pour la souveraineté sur une région, cette excroissance féodale des vieilles seigneuries et des fiefs passés. Car la nation, pour ses dialecticiens, n’est rien d’autres qu’un amoncellement de régions.
La droite, quant à elle, s’est réduite à une droite d’argent, de profits et de bénéfices. Elle a perdu la bataille des idées et a compris tout le privilège qu’elle pouvait tirer de l’abaissement des nations. En réalité, droite et gauche sont les enfants de la révolution de 1789. Ses vrais opposants, les monarchistes et les bonapartistes, ont disparu depuis plus de cent ans de la vie politique.
En disant cela, je ne me regarde pas en vaincu perpétuel d’un réel trop douloureux face à un passé évaporé ; tout est encore possible pour demain !
L’homme de droite écoutera mon discours d’une oreille attentive, car il n’y entendra que l’exécration de la gauche. Il a tort.
L’homme de gauche raillera mon discours, le comparant à celui d’un affligé sénile refusant son siècle et flottant dans une lamentation chloroformant tout avenir meilleur ou niant tout le bonheur d’être français aujourd’hui. Il a tort.
Ce sont ces mêmes vigiles du discours autorisé qui se plaignent des cars de voyageurs envahissant Paris, des boutiques de téléphonie remplaçant les librairies, des bistrots échangés contre des Mac Donald’s, et des plages bondées d’estivants, forcément vulgaires. Ainsi, ils accordent aux pierres une place et une échelle de valeur qu’ils refusent aux hommes et aux idées ! La démocratie, cette vieille chimère de la Grèce antique, s’est prostituée dans le lit de la bourgeoisie française et, depuis lors, on se prosterne devant son tombeau glorieux !
Il y a bien des opposants à mon système de pensée que je m’honore à qualifier de réactionnaire. Ils sont faciles à discerner. La France est trop petite pour eux, ils sont cosmopolites et n’ont pour bien commun que le besoin absolu du dénigrement de notre passé. Pour eux, la France n’est jamais trop coupable, mesquine, vieillotte, surannée, repentante. Ils distribuent le « pardon » comme un tract. Ils bafouillent des excuses au monde entier ! Ils se reconnaissent de 1789 et s’excusent pour 1793 ! Comme si l’un n’est pas la suite inéluctable de l’autre. Ils considèrent que la France est née un soir de juillet 1789 et tiennent pour abomination les siècles de royauté, ces temps moyenâgeux plein de force brute. Jeanne d’Arc, Charlemagne, François 1er ? Des vestiges immondes qu’il convient d’oublier. Napoléon et son empire ? Un précurseur du nazisme et du stalinisme évidemment !
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Les révolutionnaires se sont distingués dans l’horreur en dévalisant, violant, brulant les châteaux et les hommes, détruisant les tombes des monarques, souillant leurs cadavres. Ce sont ces gens-là, ces coupeurs de têtes, ces détrousseurs de tombes, que l’on glorifie aujourd’hui...
Et cependant, malgré tout cela, je ne peux entendre sans un frisson l’écho sanglant du « ah, ça ira ! », de « la carmagnole » ou de « la Marseillaise ». Il en est de même pour « le chant du départ » qui me ramène immanquablement aux colonnes napoléoniennes déferlant sur l’Europe !
J’eu préféré pour la France un passé différent, mais ce passé, avec – et non pas malgré – tous ses errements, je l’aime.
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Comme Régis Debray, je dis qu’il est de plus en plus couteux, en régime d’opinion, d’avoir une opinion à soi et que notre société fondée sur l’argent, idolâtre les banquiers. Je complèterais en disant que notre société, fondée sur le cynisme, idolâtre les humoristes ! Notre passé est obsolète car non mercantile. L’Histoire n’est pas côté en bourse et ne rapporte aucune dividende.
Notre nation du XXIème siècle est entrée de plein pied dans un narcissisme collectif qui la tue lentement. Warhol avait annoncé un quart d’heure de gloire pour tous ; ce quart d’heure ne suffit plus ! Partout, l’anonyme réfute son statut et se montre à la télévision en faisant sa cuisine, en vendant sa maison, en nous demandant de deviner son secret, en nous montrant ses talents d’aventurier, en nous demandant de vivre avec lui ses obsessions intimes...
L’homme est désormais multiple, et nos existences sont démultipliées. Notre avenir n’est pourtant pas différent de ces papillons tournant en boucle autour de la même lumière jusqu’à en mourir.
Souvent, je compare la défense de nos valeurs traditionnelles au combat de Léonidas aux Thermopyles. La lutte est vaine, perdue d’avance, mais magnifique. Là où il y avait un océan, de vagues en vaguelettes, puis de vaguelettes en onde plate ne subsistera bientôt qu’un marais dormant…
Je n’ai pas de prétention au titre d’historien mais, hôte de mon époque, je suis attentif à l’amoindrissement de notre nation, en énonce les tremblements, les sursauts aussi ! Je sais toute la difficulté de la chose et je me fais l’effet d’une limace s’apprêtant à prendre le départ d’un critérium. Mais je veux tout prendre et tout aimer ; le passé comme le présent. Aussi, à vous mes pères qui dormez sous la terre, que louanges vous soient rendues ! Tachons d’être les dignes gardiens de votre sommeil et de votre souvenir.
Comme l’écrivit Jules Renard, je vous propose de me suivre dans mon livre, d’entrer dans mon wagon, avec des coups d’œil en arrière, des hésitations, l’ennui de changer de lieu et d’idées pour, je l’espère, un beau voyage. Ecrire, c’est rêver avec des mots. On gomme des visages, on en peint d’autres ; on traverse les époques et l’on dialogue presque avec Dieu de nos créations réciproques. Ais-je rêvé, rêve trop beau ?
Christian TRITSCH, le 16 septembre 2013
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