Ciel bleu
- Christian Tritsch
- 18 mars
- 7 min de lecture
Christian TRITSCH
« Ciel bleu »
Un cousin m’a proposé de l’accompagner assister à une conférence bouddhiste. Le thème de la soirée était : « Trouver le bonheur d’une source différente ». Sujet alléchant !
Je vous arrête tout de suite… pas question pour moi de rechercher le bonheur !... je me sens une sorte d’imbécile heureux !... j’ai mille raisons de ne pas goûter au bonheur si je m’en tiens aux critères ordinairement retenus… ben non… je suis heureux… peux pas dire autrement… beaucoup comprennent pas… Pensez comme ils sont !... le bonheur, ça s’rait le pognon avant tout pour cézigues !... ça se monnaye !... tout se monnaye !... belle mentalité !... je s’rais malheureux à leur loupe !... je s’rais collectionneur de kleenex et lauréat en larmichettes !... ça risque pas de m’arriver, leur penchant maladif pour l’oseille…
L’intitulé du palabre me fait voyager illico gratis : « Centre Bouddhiste Kadampa Dharmachaka ». Mais je saute pas à pieds joints dans le blablata… me sens fermé au charabia mystique !... toujours eu du mal à comprendre les crédulités incontrôlées…
Ca donne une couleur d’idéal, cette conférence… Même si je me fais guère d’illusion. J’escompte pas m’épancher au souffle divin… D'accord... Ok j’avoue ! Je veux aussi y croquer aux humeurs orientalistes des Richard Gere, Paul McCartney, Sharon Stone et autres renommés mondiales.
Mais y a peut-être autre chose aussi qui m’a mis en selle pour ce type de chevauchée : la perte de mon ami… lui, disparu depuis 10 mois… ronflant sous terre pour toujours… et qui emplit mon esprit davantage que lorsqu’il était là… guitare contre guitare… mélangeant nos voix sur des transistors… me convoquant à nos chants anciens…
Autre appât pour le nirvana tibétain, plus petit celui-là. La curiosité de découvrir de possibles scènes de Tartuffe au 21ème siècle.
Une petite foule est rassemblée avec un air de conglomérat, psalmodiant ses mimiques muettes. Des manières qu’auraient pu produire les chrétiens du premier siècle lorsqu’ils se rencontraient en cachette afin de pas clamser martyrisés. Nous prenons place sur une chaise, patientant le messie ou au minima l'apôtre guérisseur de l’âme qui va venir.
Elle vient. Tiens donc !... c’est une fille !... je ne m’étais pas informé avant de venir. Il est 20 heures lorsqu’elle se tait pour que nous la moutonnions. Petite… frêle… Kelsang Konchang, moniale bouddhiste disciple de Guéshé Kelsang Gyatso apparaît vêtue d’une toge jaune et orange, assise en tailleur, le regard éthéré finissant de lui donner l’air de celle qui peut voir loin. Plus loin que ne porte le regard de n’importe lequel d’entre-nous. Elle a des cheveux coupés à ras. Kelsang Konchang c’est pas son nom de baptême !... ça m’agace terrible dans mon cartésianisme français !... Il me semble qu’un nom est une racine profonde… une affaire sérieuse. Qu’à vouloir se l’extraire soi-même, on renie sa lignée. On tire un trait sur 2000 ans d’Histoire personnelle. C’est agir tout pareil que les convertis fanatisés !... pointer une nouvelle naissance de l’âme qui serait supérieure à la naissance de chair. Je me fais la réflexion que Jeanne d’Arc devait correspondre tant physiquement que spirituellement à notre conférencière.
Je suis impatient de l’entendre. L’apparence devrait être secondaire. Même si personne ne passe outre l’apparence première. Kelsang Konchang par exemple, sa toge orange et jaune m’a tout de suite crié au visage « je suis bouddhiste » !
Je trouve ça préjudiciable au discours à venir. Tout ce qu’elle dira passera au travers de ce tamis visuel. A t-elle besoin de cette tenue pour me convaincre de son aura ? Veux-t-elle respecter un précepte spirituel ? En quoi sa tenue est t-elle plus nécessaire qu’une tenue de ville ?... sa foi est t-elle si faible qu’elle nécessite un habillage ? Cet habit de moine me fait l’effet du costume de gendarme qui oblige à penser lorsqu’on le croise « es-tu en règle ? » Ou à ces rires enregistrés dans les soaps américains nous indiquant où il faut rire. Cette toge signifie : attention, c’est sérieux, j’ai une philosophie bouddhiste, je vais vous déclamer ma doctrine, écoutez maintenant. Voilà pourquoi j’aurai préféré qu’elle s’adresse à nous sans nul masque vestimentaire. Là, elle m’oblige à un effort intense pour annihiler mes préjugés.
Je me fais cette réflexion que nous sommes tous pareils. Des esprits sosies. Des bouts de ficelle issus d’une même bobine avec des anatomies, des couleurs, des formes, des odeurs, des tailles différentes ! Mais la ficelle reste la même.
Attention je ne nie pas les évidences !... le problème est que chacun croit pouvoir poser en mètre étalon son anatomie, sa couleur, sa forme, son odeur, sa taille…
Lorsque je croise un humain j’essaie (et c’est très difficile !) de ne voir en lui qu’un esprit. De faire abstraction de ce que mon œil voit et de ce que mon nez sent. C’est quasi impossible comme façon de procéder. C’est une guerre de chaque instant contre soi-même.
Cette guerre, je me la suis livrée en voyant Kelsang Konchang pour la première fois. Une fois la bataille empochée, la moniale ne me semble plus annonciatrice d’aucun danger. Pas de sectarisme à l’horizon, pas de lavage pour cerveaux dociles. Sa voix est douce, lente, posée… affectueuse presque !... et son sourire !... il cicatrise son visage tel un arc-en-ciel inversé.
La séance débuta par 15 mn de méditation. Des conseils sur les postures à tenir. La main droite dans la paume de la main gauche. Les pouces l’un contre l’autre et tendus vers le haut. Les deux pieds bien à plat sur le sol. Les yeux posés dans l’axe prolongeant le bout du nez. Et enfin, le dos bien droit. Et puis silence. Pendant de longues minutes, silence… un silence devenu quasiment gênant !... une envie irrépressible de rire !... nervosité brusque !... pieds tapotant contre le sol… manque d’habitude !.... rien ne prédispose au silence dans la société moderne… ni à la lenteur… Alors la pensée silencieuse, vous z’y pensez pas !
Puis vient l’enseignement. La parabole !
Tout le monde cherche le bonheur. Tout le monde veut être heureux. Si vous aviez le choix vous préfèreriez être heureux un an ou dix ans ? Dix ans évidemment ! Dix ans ou toute la vie ? Toute la vie évidemment ! Toute la vie ou pour toujours ?... ce n’est pas la même chose…
Il faut comprendre que vos problèmes, vos soucis du quotidien, en soi n’existent pas. Non pas qu’ils n’aient pas une réalité vivante, mais ils ne sont des problèmes et des soucis qu’en raison de la valeur, de l’importance, que vous acceptez de leur accorder… qu’en raison de la place que vous leur attribuez. Il arrive à tout un chacun de s’énerver. Au volant de son automobile, avec son conjoint, ses enfants, ses collègues ou des amis. Bien souvent ensuite on se reprend… on se dit qu’on s’est énervé pour pas grand-chose, une fois l’objet de l’agacement passé. Il peut même arriver que l’on s’excuse… Il faut apprendre de nous-mêmes et comprendre que l’on s’énerve désormais par reflexe !... que face à un obstacle, même minime, on trouve intolérable cette résistance à notre volonté immédiate ! Ayons la sagesse de remplacer ce réflexe d’énervement par un réflexe d’amour ! Chacun recherche le bonheur dans son jardin. Ce jardin privé est pour certains une relation amoureuse, pour d’autres une maison dont il serait propriétaire ; pour d’autres encore, une auto merveilleuse ou un voyage à accomplir… Chacun de nous à son jardin-bonheur particulier. Je vous demande de bien réfléchir à cela : si mon bonheur tout entier réside dans la présence de quelqu’un à mes côtés ou dans la possession de quelque chose… que vais-je devenir lorsque ce quelqu’un disparaîtra ou me quittera ?... lorsque cette chose me sera reprise ou perdue ?... Ne devrais-je pas placer mon bonheur dans des choses plus permanentes ?... Plus dépendantes de moi-même ?
Nos problèmes sont tels les nuages. Plus ou moins gros… plus ou moins chargés… plus ou moins noirs… mais ils n’en restent pas moins des nuages sur lesquels le vent de notre énergie peut souffler, les balayant en un instant !... Certains d’entre vous ont peut-être déjà fait cette expérience curieuse de passer au-dessus de la couche de nuages en avion… ou de gravir une montagne et d’observer, une fois une certaine altitude atteinte, un ciel immensément bleu !... Ce ciel bleu, c’est notre aptitude au bonheur. Elle est à 100% bleue. Il suffit d’aller au-delà des nuages formés de nos problèmes. Mais derrière ces nuages, toujours, il y a un ciel bleu. Quelle que soit la perception du ciel depuis là où nous sommes, le ciel est bleu. Votre ciel est bleu. Il faut apprendre à lui faire confiance et à changer notre vision du ciel et des nuages… N’oublions jamais que le ciel est bleu… d’un bleu permanent ! Rien ne le change ou l’amoindri !
Absorptions en silence des paroles entendues. Les yeux clos et la même gestuelle qu’au départ. Je me sens bien. Les mots qu’elle a prononcés me paraissent une évidence incontestable. A dire ma pensée pleinement, je découvre comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir que je suis bouddhiste sans le savoir !... J’ai toujours pensé ma vie de cette manière !... Heureux d’être vivant, de partager avec autrui, d’être en bonne santé, de pouvoir marcher, chanter, faire de la musique et boire quelques verres… Je n’accorde pas une importance exagérée aux péripéties du parcours terrestre. C’est le parcours en son entier qui m’importe…
Bien entendu, il ne m’est pas égal d’obtenir ou non ce que je voudrais… Non, ce n’est pas cela… mais mon bonheur est fermé, cloisonné… carré… pris entre les nasses de ma volonté… C’est un bonheur durable car fondé sur de petites choses… Il est vêtu de mille souvenirs que je conserve sans effort ! Et je dis à l’unisson avec la moniale : mon ciel est bleu.
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