Chrétien
- Christian Tritsch
- 18 mars
- 8 min de lecture
Christian TRITSCH
« Chrétien »
Le silence est revenu. Ses pensées avec. C’est ça qui l’a frappé illico. Le retour de la pensée solitaire. De la pensée l’une l’autre. Sans queue ni tête. Se chevauchant à l’infini. Pourquoi il a pris ce biais, il en sait rien. Il croit que tout a débuté l’an dernier, à la mort de sa téloche. Il a décidé de pas la remplacer, de clore définitivement le robinet de news et de séries plein tube. A mis le couvercle idem sur les radios et leurs acteurs-polémistes blablatant à l’infini, gardant en électronique en plus de son Smartphone seulement le vieux tourne-disque du salon, pièce de sa jeunesse où quelques vinyles récitent de temps à autre une ritournelle choisie et pour un temps défini. Il pense : les radios et tévés qui voit pas que c’est des robinets flots continus sur lesquels on n’a aucune emprise !... que c’est un vomi prémâché pour nourrisson lobotomisé…
Dans son auto par engrenage, c’est silence tout neuf dans l’habitacle. Il a coupé idem toute musique. Zéro radio ou chanson… Belle vie nouvelle !… juste le roulis lorsqu'il freine ou accélère… les pneumatiques sur la chaussée au moment du virage trop serré… le ramdam parfois des autres véhicules… le bruissement des commerces au-delà du trottoir… la clameur des passants s’apostrophant… celle des enfants riant ou en chamaille… et puis les oiseaux psalmodiant dans les arbres… Ce foisonnement était jusque-là escamoté par le maelstrom de l’autoradio chloroformé par overdose de décibels. Englouti complet sous la réclame d’une kermesse cadenassante. C’était Babel sonore entrecoupée de publicités pour dentifrice et autres douceurs.
Le bruit vidé l'a fait renouer avec sa spiritualité. Le retour de la pensée continue a fait son office. Il pensait à rallonge et en queue-leu-leu. Pensait à tout va et en profondeur. A sa vie, à son sens et son non-sens… à des choses sans importance aussi mais enfin, il pensait sur la longueur. Plus longtemps que trente secondes. Avec le temps pour lui. Faisant mûrir un peu sa réflexion pour en voir naître quelques fruits.
Pour ce qui en est de la spiritualité, il a toujours pressenti qu'il se mystifiait lui-même. Qu'il transpirait la transcendance et la croyance céleste. Qu’une pichenette viendrait un jour à bout de ses lubies raisonnables. Sa vérité était faite depuis longtemps. Il fallait seulement l’accepter et la dire.
Pour autant pas de malentendu chez lui. Il était en quête de rien d’exotique. Même s'il avoue avoir jeté un petit œil curieux au soufisme et autre Rûmi de la religion de l’amour. Comme d’autres, il a picoré dans les spiritualités lointaines, les plaisirs allogènes de se croire choisi parmi la foule de mécréants. Il a compris que c’étaient les seules un peu admises dans le boboïsme ambiant de l’occident… Que ça donnait un aspect découvreur de terres nouvelles, genre Christophe Colomb de la religion… Que ça sifflait bien-vu ce largage d’amarre de la spiritualité !... Le catholique ancré en terre occidentale est chanté puant ! mesquin ! inquisiteur ! colon ! pédéraste !…
Le Brahma… le Yogi… ah !... celui-là fleure bon la vérité belle pour les nouveaux prêt à penser !... il en a soupés facile de ces fariboles-chinoiseries-perseries et autres hindouismes !... de ce brame de l’occidental, ce bandage plein tube reniant sa racine pour s’en chercher une autre, forcément plus pure ou plus légère car à des millénaires de notre pesanteur immense… à la seule condition que ça soit issu d’un imaginaire importé. Il peut comprendre cette tisane pour quiconque est autochtone de là-bas. Pour tous les autres il y voit une contrefaçon. Ceux qui jouissent dans cette sorte d’exotisme lui font penser à des tomates d’élevage, hors sol, dorées dans le sud de l’Andalousie, ne voyant jamais la terre vraie, s’épanouissant toutes grosses dans du coton d’industrie. Elles se retrouvent ensuite apeurées sur les étalages de nos primeurs pareilles à leurs cousines terriennes, mais gardent ce goût de plastique qui a été le leur l’enfance. Il en va ainsi des humains. A trop s’éparpiller la racine se brise. La bouture est toujours plus ou moins ratée. Tant qu’à la fin, elle crie son invraisemblance !
Pour ça qu'il est retourné à sa racine. A l’évangélisme premier. Une évidence. Un goût de sa jeunesse aussi. Faut expliquer que durant une décennie, entre sa sixième et sa seizième année, il a accompagné son père chez les évangéliques. Il se souvient qu’au tout début ils étaient une cinquantaine, et encore seulement quand ils chantaient au complet.
Faut croire qu’avec les années ça a fait feu de paille. La salle à manger du Pasteur a muté en supermarché reconverti dont les deux mille cinq cent places de parking ne sont que très rarement délaissées. Tout ça est devenu cathodique et technicolor.
Et c’est pas un reproche. Il faut vivre avec son temps. Apprécier sa réussite.
Seulement, il n’a plus seize ans mais plus de cinquante-et-un. Une des dernières fois où il a mis les pieds dans un lieu de culte autrement que pour photographier des vitraux ou admirer une architecture, ce fut pour enterrer son père. C’était la veille de ses vingt ans. Ce jour-là, il a pleuré pour trente ans. Les trente années suivantes, plus une larme n’est sortie de son œil. Jusqu’à un autre enterrement.
Que dire ?… que le temps a fait son affaire… qu'il s'est marié… a joué du mieux qu'il a pu et avec un réel bonheur son rôle de père. Qu'il a divorcé. Avec l’impression d’avoir vécu plusieurs vies dans la sienne. Comme tout le monde, sûrement. Rien d’exceptionnel dans ça.
Au début de la fièvre Covid19, juste avant que le grand confinement ait tout enveloppé, les journaux tévés bavaient sur le rassemblement évangélique de Mulhouse, du péché mortel que ç’a été le barnum de plus de deux milles fidèles faisant Carême une semaine durant. Sans préciser par malhonnêteté habituelle que le carnaval christique avait eu lieu avant les interdictions de rassemblement !... et aussi surtout qu’au même moment cinquante mille supporters hurlaient dans un stade de foot pour le match retour entre l’Olympique Lyonnais et la Juventus de Turin. Et là rien !!!… silence radio et tévé !!!… le seul risque dont on flippait était l’élimination de l’équipe française… Dans l’ire médiatique contre les évangéliques, y a eu comme un revival d’inquisition… on les aurait bien collés au bûcher les croyants !... ça faisait des Torquemada à la pelle ! nonobstant l’incongruité de la cabale, cette différence de traitement entre le foot agglutiné à cinquante mille et le Carême à deux mille est un marqueur précis du temps de maintenant !... La religion officielle, c’est le fric et le foot !... c’est le business le sacré !... à ça qui faut pas toucher !... qui faut jamais blasphémer !... c’est le fric et le foot qu’on prophétise !... les seules Jérémiades médiatisées sont celles des supporters les soirs d’éliminations de leur petits dieux monétisés.
Le petit Jésus chrétien, on peut lui cracher dessus à en faire des rivières que ça n’émeut que le dernier carré de grognards du christianisme. Il se souvient… même au boulot les collègues y z’hurlaient contre les évangéliques malfaisants et pas du tout contre le foot aviné… ça bandait des échafauds imaginaires et des guillotines coupant à toute vitesse !...
En y repensant il se demande si c’est pas aussi une petite résistance à l’air vicié ambiant qui l’y a ramené, au cocon évangélique. Le Pasteur Samuel il était crucifié sur l’autel tévé depuis des semaines… quasi antéchristisé… bien que lui-même ait chopé la Covid-Peste ! Après dix jours d’hôpital, il avait réchappé rikiki à l’intubation et au dodo artificiel. Etait retourné chez lui et avait posté fissa une vidéo sur YouTube, vidéo pas rassurante du tout, tant son filet de voix était maigre. Mais enfin il était vivant… les yeux mouillés de larmes mais vivant… reconnaissant envers Dieu d’être vivant… mais mortifié par la mort d’une quarantaine de fidèles de son église !... Pendant que le peuple solidaire des premières lignes applaudissait tout rompre aux balcons à vingt heures, le Pasteur Samuel, lui, enfilait les enterrements d’amis depuis vingt ans.
C’est comme ça qu'il s'y est remis, à la lecture de la Bible… dévorant des livres entiers sans ordre chronologique, notant dans un carnet toute la Parole déjà avalée, avec ambition de tout lire pour ensuite revenir dessus par petits bouts. Il a fissa consommé la Genèse, trois des quatre évangiles, l’apocalypse, les actes des apôtres, l’Exode, l’Ecclésiaste, le cantique des cantiques, les lamentations de Jérémie, les livres prophétiques de Daniel, Joël, Amos, Abdias et Malachie, les épitres de Paul aux Romains, aux Galates, à Timothée, à Tite, à Philémon et aux Hébreux, l’épitre de Jacques, les deux de Pierre, les trois de Jean et aussi celui à Jude.
Le culte des évangéliques de Mulhouse est depuis quelques années retransmis sur son propre canal Internet. On peut suivre in vivo chaque prédication, le mardi soir et le dimanche matin. Toutes celles des quatre dernières années sont proposées en ligne et on peut picorer au gré du sujet traité.
Mi-décembre 2020 le retour aux lieux de culte est permis sous condition de distanciation et avec numerus clausus restreint. Il y court, ayant réservé sa place via le Net. Dès son arrivée il a des picotements, des airs de déjà-vu, un bien-être de fils prodigue. Le culte est mondiovisé. Les chers amis internautes et les chers frères et sœurs adressés aux six cent fidèles de la jauge maximale autorisée se superposent. L’office est divisé en trois tiers. Un premier dédié à la louange, c'est-à-dire aux chants chrétiens, accompagné de guitare, d’une batterie, d’un violon, d’un piano, de deux chanteuses et de quatre choristes. La salle psalmodie Dieu en parcourant les paroles projetées sur un écran cinéma fixé au-dessus de l’orchestre. Les mauvais esprits y verront un karaoké immense. Lui y voit une incitation à la fredonne. Un encouragement à prononcer à voix fortes les psaumes. La deuxième partie, c’est de la prière et de la prophétie. La plus problématique pour l’œil sceptique. On annonce les messages divins et les guérisons. « Dieu te parle, sait que tu es dans la salle et il te répond »… ça se termine avec la prédication en elle-même. Une philosophie chrétienne. Un avant-goût de l’éternité. Il en a bu plusieurs de ces troisièmes parties sur le Net. C’est surtout pour ça qu'il est revenu. Elles lui ont toutes parlé… semblent frappées au coin du bon sens. Au coin du bon sens humain. Il se récupère tout de suite dans ces paroles. Il s’y love bien. Y devine qu'il a toujours été croyant quoiqu'il ait pu déclarer trop facilement… Son ancien scepticisme en fait, c’était davantage de la honte du regard des autres que de la vraie non-conviction.
Il reconnaît qu’y a quelques visages chuintant trop radieux ici… des qui se vivent élus et quasi prophètes… peut-être oui. En tout cas, y a des mains tendues vers le ciel… des voix hurlant l’amour et la louange de Dieu… des « Amen » qui fusent et font écho à chaque « Amen » prononcé par le pasteur… y a des « merci Seigneur » qui s’élèvent parmi la foule des fidèles… des sourires extatiques pour qui est nouveau dans le potage chrétien. Rien de tout ça le rabroue. Il se souvient avoir vécu déjà pareille chose il y a quarante années. C’est une cure de jouvence. Un heureux retour au bercail.
A un moment le Pasteur demande de bien garder ses distances. Deux places vident entre chacun et une rangée vide sur deux. Qu’y faut surtout bien respecter les normes gouvernementales et pas tendre un bâton pour se faire rebattre plus fort encore. Y prévient que dès les premières autos arrivées sur le parking ce matin, la police a été rameutée par le voisinage devant la sorcellerie qui recommence !... que c’est pas possible de laisser la secte propager à nouveau son virus !... Les collabos de quarante ont bandé leur venin anonyme dès l’aube.
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